La justice athénienne a fait l'objet de maintes critiques et railleries à cause de l'inflation des affaires, donnant l'image d'une cité procédurière et chicanière. Dans un passage célèbre des Nuées d'Aristophane, Strepsiade, à qui un disciple de Socrate montre Athènes sur une carte du monde, ne reconnaît pas sa cité parce qu'il n'y voit pas de juges en séance ! On trouve la même critique dans le pamphlet du vieil oligarque, qui estime que les Athéniens font plus de procès à eux seuls que tous les autres grecs réunis. Ces observations ne sont certes pas sans fondement mais un démocrate convaincu peut aussi considérer que, si les procès étaient plus nombreux à Athènes qu'ailleurs, c'est parce que les droits individuels permettaient de demander réparation d'injustices qui n'auraient jamais fait l'objet de plaintes dans d'autres cités.
Quoi qu'il en soit, il est certain que le système judiciaire constituait une part importante de l'exercice de la citoyenneté. Ce lien entre la politeia et l'exercice de la justice se trouve encore renforcé par la nature des affaires traitées. D'après les sources anciennes, il semble en effet que les cours avaient à juger beaucoup plus d'actions publiques que d'actions privées car ces dernières pouvaient la plupart du temps être réglées en amont par les magistrats. Les apodectes avaient, par exemple, le pouvoir de juger directement les infractions fiscales mineures ; les Onze avaient le droit de condamner directement les kakourgoi, auteurs de délits graves tels que les atteintes à la propriété ou aux personnes libres. Les Quarante et les arbitres, quant à eux, parvenaient souvent à résoudre à l'échelon du dème les conflits opposant deux parties. Ne venaient donc devant les tribunaux de l'Agora que les délits graves, les affaires criminelles, et les plaintes privées n'ayant pu être résolues par ces procédures préalables. Les autres procès avaient souvent une connotation politique.
Aux IV° et V° siècles, deux tribunaux principaux coexistent : l'Aréopage et l'Héliée. Il faut aussi mentionner une série de tribunaux annexes, parfois éloignés de l'Agora et traitant principalement des affaires criminelles.
L'Aréopage (ὁ Ἄρειος πάγος) était une survivance des institutions judiciaires de l'époque pré-démocratique. Les réformes de Solon et surtout celles de Clisthène l'avaient privé de presque toutes ses prérogatives politiques et ne lui avaient laissé qu'une partie des ses fonctions judiciaires : le jugement des affaires criminelles, peut-être parce que, d'après le mythe, c'est là qu'Oreste aurait été jugé.Tout au long du V° siècle, ce tribunal perdit petit à petit toutes ses prérogatives au profit de l'Héliée et du Conseil des 500, Ephialtès ne lui laissant plus qu'une partie des affaires criminelles elles-mêmes.
Avant les intermèdes oligarchiques de la fin du V° siècle, il n'apparaissait donc plus que comme une vénérable institution dénuée de tout pouvoir. Les Quatre-Cents et les Trente, au cours des brefs intermèdes oligarchiques de la fin du V° siècle, tentèrent bien de restaurer son pouvoir originel mais l'entreprise fut sans lendemain. L'Aréopage ne fut jamais pourtant jamais supprimé et il conserva son prestige tout au long du IV° siècle. Ses membres, les Aréopagites, étaient recrutés parmi les anciens archontes mais la plupart d'entre eux continuaient d'appartenir aux classes les plus fortunées. A l'époque d'Aristote, il avait compétence pour les affaires d'empoisonnement, d'incendie volontaire, de meurtre et de blessure prémédités pour lesquels l'accusé ne pouvait présenter de circonstance atténuante.
Les autres juridictions criminelles
Les homicides involontaires, ou ceux pour lesquels un citoyen pouvait faire valoir une excuse légitime (Aristote donne comme exemple le flagrant délit d'adultère) échappaient à l'Aréopage, tout comme le meurtre d'un esclave ou d'un métèque. Ces affaires étaient jugées dans des cours annexes, telles que le Delphinion (τὸ Δελφίνιον), le Palladion (τὸ Πρυτανεῖον), le Prytaneion (τὸ Πρυτανεῖον) ou Phréatô (ἡ Φρεαττώ). L'emplacement de ces tribunaux est incertain. Les deux premiers étaient manifestement situés à proximité ou dans l'enceinte de sanctuaires dédiés à Athéna (Pallas) et à Apollon (delphien). Le troisième était peut-être attenant au Prytanée, sur l'Agora. Quand au quatrième, il se trouvait sur la côte, près du Pirée, en un lieu appelé Phréattys (ἡ Φρεαττύς). Dans ce dernier tribunal, nous dit Aristote, l'accusé devait présenter sa défense depuis un navire ancré près du rivage.
Le jury était composé de citoyens tirés au sort : les éphètes (οἰ ἐφέται). Le nombre et le statut de ces jurés n'est pas bien connu et on ne sait s'il faut les ranger parmi les magistrats ou les considérer comme des héliastes.
L'Héliée (ἡ Ἡλιαία)
- Si l'Ecclesia est l'Assemblée du peuple, l'Héliée est son tribunal. De même que les citoyens gouvernent ensemble sur la Pnyx, de même ils jugent directement et collectivement en tant qu'héliastes. Contrairement à l'Aréopage, l'Héliée est donc une institution véritablement démocratique, la fonction judiciaire de juge ou de juré étant à Athènes une composante essentielle de la citoyenneté au même titre que les fonctions politiques ou militaires. Le citoyen doit donc prévoir d'y consacrer une partie importante de sa vie, le recrutement étant facilité par une idemnité : le misthos heliasticos. Les tribunaux ne siégeaient pas les jours d'assemblée, ni les jours néfastes, ni les jours de fête.
- Structure et composition de l'Héliée : L'Héliée est composé de 6000 jurés potentiels, citoyens de plus de trente ans tirés au sort chaque année dans les dèmes. Le tribunal dispose d'un siège principal sur l'Agora mais il est en réalité constitué de dix cours différentes réparties dans des lieux distincts de la zone urbaine. Les héliastes de l'année, porteurs de leur plaque personnelle, devaient se présenter chaque jour ouvrable sur l'Agora . La sélection quotidienne était alors fonction du nombre d'affaires à traiter. Au V° siècle, il semble qu'elle était déterminée par l'ordre d'arrivée. Au IV° siècle, elle faisait l'objet d'un deuxième tirage au sort. La division décimale n'implique pas nécessairement une répartition égale entre les différentes juridictions et il semble que le nombre des héliastes ait varié de 200 à 1500, selon la cour à laquelle ils étaient affectés et le nombre des affaires à traiter. Les dix tribus devaient cependant être représentées à part égale dans chaque tribunal.
Les procédures :
- La conduite des débats : Les présidents étaient toujours des magistrats en exercice. Leur désignation et leur répartition dans les différents tribunaux du jour faisaient l'objet d'un troisième tirage au sort. On tirait également au sort, parmi les jurés du jour, divers assistants tels que les scrutateurs, chargés de comptabiliser les votes en fin de procès ou les trésoriers, qui versaient le misthos. Le citoyen chargé de la surveillance de la clepsydre (ἡ κληψύδρα) avait un rôle particulièrement important. On faisait en effet usage d'une horloge à eau pour compter très minutieusement le temps de parole de la défense et de l'accusation. On pouvait arrêter la clepsydre en cas de question de la partie adverse, de production d'un témoin ou d'une pièce à conviction mais il était interdit de parler une fois que le temps imparti était écoulé.
- L'accusation : La justice athénienne ne connaît pas de ministère public et c'est à chaque citoyen de lancer une accusation contre celui qu'il estime avoir bafoué la loi. Ce principe démocratique radical a été critiqué dès l'origine car il s'est trouvé perverti par le fait que l'accusateur percevait une partie de l'amende infligée à l'accusé, ce qui engendra une inflation des plaintes et l'apparition d'une catégorie de dénonciateurs professionnels : les sycophantes (οἱ συκοφάνται), ainsi nommés parce qu'à l'origine ils dénonçaient ceux qui volaient des figues sur les figuiers sacrés (τὸ σῦκον, la figue).
L'initiative individuelle reste la règle, qu'il s'agisse d'une affaire privée ou publique. Dans ce dernier cas cependant, l'eisangélie ou la graphè paranomon sont portées devant l'Ecclesia et la Boulè qui ne les transmettent à l'Héliée qu'après un vote. - L'instruction : Il n'existe pas non plus de juge d'instruction mais il y a bien une instruction du dossier. Celle-ci est assurée par les magistrats, qui jouent un rôle purement technique, préparant la session du tribunal mais n'intervenant ni dans les débats ni dans le verdict. Aucun d'eux n'est un spécialiste du droit. Les six thesmothètes, dont c'est la fonction principale sont désignés par tirage au sort, comme l'archonte-roi et l'archonte éponyme. Les seuls magistrats insructeurs élus sont les stratèges, qui ont en charge la préparation des procès militaires.
- Les plaidoiries : comme en tout autre lieu de la démocratie athénienne, l'iségorie est la règle. Les débats sont donc exclusivement oraux et interdisent le recours à un professionnel. Il n'y a pas d'avocat, accusateur et accusé devant s'exprimer directement devant la cour, chacun pouvant néanmoins, avec la permission du tribunel, être assisté d'un synégore (ὁ συνήγορος) auquel il cède une partie de son temps de parole. En réalité, comme sur la Pnyx, beaucoup de ces discours étaient soigneusement préparés avant d'être récités. Très vite apparurent des logographes (οἱ λογογράφοι, "ceux qui écrivent les discours") qui se chargeaient de rédiger les plaidoiries de la défense ou de l'accusation. Nous avons conservé nombre de ces écrits qui comptent parmi les plus belles pages de la prose attique du V° et du IV° siècle.
- Le verdict et les peines : si l'exercice de la justice appartient collectivement à tous les citoyens, le moment du jugement est une affaire de conscience purement individuelle. Contrairement à ce qui se passe sur la Pnyx, toutes les décisions se prennent à bulletin secret. La procédure de confidentialité est même extrèmement minutieuse. Chaque juré dépose individuellement, à son tour, un jeton dans une des deux urnes mises à sa disposition : celle de l'accusation et celle de la défense. Pour mieux assurer le secret du vote, la procédure se renforce même au cours du quatrième siècle. On imagine alors un système à deux jetons. Le premier, percé d'une tige pleine, donne raison à l'accusateur. Le second, à tige creuse, est favorable à la défense. Le juré dépose un des deux jetons dans une amphore servant d'urne et se débarasse de l'autre dans une seconde faisant office de corbeille. A la fin du vote, on vérifie que le nombre de jetons est bien identique dans les deux jarres.
- La nature des sanctions diffère selon que l'accusé est libre ou esclave, citoyen ou métèque mais l'échelle est la même pour tous, d'une simple amende à la peine de mort.
- Notons enfin qu'aucune procédure d'appel ne semble avoir été prévue et que l'Héliée pouvait condamner aussi bien l'accusateur que l'accusé, si la dénonciation se révélait totalement infondée, c'est-à-dire si elle n'obtenait pas au moins un cinquième des voix des jurés.