Démocratie et liberté(s)
Peut-on, sans anachronisme, appliquer le concept moderne de liberté individuelle à la démocratie athénienne des V° et IV° siècles ?
Non, si l'on admet que pour un Grec, le fait d'être libre (ἐλεύθερος) signifiait principalement "ne pas être esclave" (δοῦλος). Ἐλεύθερος s'oppose donc à δοῦλος. Qu'un individu puisse vivre "libre" sous un régime oligarchique ou tyrannique, voila qui heurte notre sensibilité de démocrate moderne et semble ôter au terme tout sens politique. Quant aux métèques, qui sont "libres", et aux femmes de citoyens et de métèques, qui sont libres également, ils ne sont pas pour autant citoyens. La notion de liberté (ἐλευθερία) semble donc totalement indépendante de la nature démocratique de la πολιτεία athénienne.
Il faudrait cependant nuancer.
Considérons d'abord que si la "liberté" est un des trois piliers de notre République, la langue française, comme le grec, ne possède qu'un mot là où l'anglais, par exemple, distingue entre 'liberty" et "freedom", ce qui nous oblige parfois à parler des "libertés" au pluriel, pour essayer de mieux distinguer le champ politique de la sphère privée. Si nous avons conscience que le terme a un sens plus étendu que la définition du dictionnaire, pourquoi n'en aurait-il pas été de même à Athènes ?
Le fait est qu'à la lecture de certains textes, on s'aperçoit que le terme ἐλευθερία a bel et bien un sens politique et que les Athéniens devaient, tout comme nous, se considérer plus "libres" que les citoyens des cités non démocratiques.
- Dans le Ménexène, Platon montre que la démocratie est fondée sur une égalité de naissance (isogonie) et qu'elle exclut l'idée qu'un citoyen puisse être l'"esclave" d'un autre. C'est donc bien dans un sens politique qu'il faut prendre ce terme.
- Il est aussi intéressant de lire cet extrait de la Politique d'Aristote, précisément parce que son auteur évoque avec distance, voire avec ironie, l'assimilation que faisaient ses contemporains entre "démocratie" et "liberté". Que que soit le jugement du philosophe, c'est bien la preuve que le peuple établissait entre les deux mots un lien de nature politique.
