Les réformes de Clisthène
Après la chute d'Hippias, le dernier Pisistratide, en l'espace de quelques années, de 507 à 501, la cité va se doter d'une constitution originale et radicale, sous l'impulsion d'un réformateur audacieux : Clisthène.
La personnalité de Clisthène
Qui était Clisthène ? Un membre d'une des plus illustres familles athéniennes : les Alcméonides ; un petit-fils de tyran, son grand-père Clisthène de Sicyone ayant été dans sa cité l'homologue de Pisistrate. Comment et pourquoi cet aristocrate va-t-il non seulement prendre la tête du parti populaire mais, chose bien plus estimable, s'élever au dessus de toute ambition populiste pour inspirer la première véritable constitution démocratique de l'histoire ? La question reste posée et nous devons nous satisfaire de la formule lapidaire d'Aristote qui résume ainsi son oeuvre et sa vie : "il donna le pouvoir à tout le peuple". Sans doute la compétition politique et la pression des événements ont-elles joué un rôle aussi important que la vision historique mais il est certain que cet homme cultivé était également inspiré par la philosophie rationnelle de son temps et en particulier par le souci de perfection propre à la pensée pythagoricienne. On sait par ailleurs qu'il avait voyagé et étudié la constitution d'autres cités grecques et de quelques unes de leurs colonies. La hardiesse et la radicalité des mesures qu'il va faire prendre à ses concitoyens ont peut-être à voir avec l'esprit pionnier qui préside à la fondation d'une nouvelle cité.
Redéfinition de l'espace et du temps politique
Ni Dracon, ni Solon ni Pisistrate n'avaient osé toucher à la structure clanique qui régissait le fonctionnement politique d'Athènes depuis le VIII° siècle. Le système des quatre tribus et des douze naucraries servait de cadre à toute l'organisation civile, politique et religieuse. La réforme de Clisthène repose principalement sur un bouleversement complet de cette organisation. Les anciennes structures de base (dème, phratrie, tribu, trittye, naucrarie) ne sont pas abolies mais leur rôle et leur répartition sont redéfinis. L'ensemble est désormais basé sur un système décimal qui n'est pas sans évoquer le projet des révolutionnaires français du XVIII° siècle. Selon le même principe, un calendrier politique est établi. Il ne remplace pas le calendrier religieux lunaire mais divise l'année politique en dix mois solaires, s'inspirant des découvertes astronomiques récentes faites en Asie Mineure et au Moyen-Orient.
Élargissement du demos
Pour assurer le succès de son redécoupage et rompre définitivement avec l'ancienne organisation de type clanique, Clisthène offre la citoyenneté à de nombreux non-citoyens qu'il répartit dans les nouveaux dèmes et les nouvelles tribus. Plusieurs milliers d'hommes libres mais issus d'unions illégitimes, de métèques, d'étrangers et même d'esclaves sont ainsi naturalisés et deviennent membres de plein droit de l'Ecclesia dans laquelle on peut penser qu'ils constituent un des plus fermes soutiens du régime démocratique naissant.
Les organes du gouvernement
En l'espace de cinq ans, tout le pouvoir politique est transféré à l'Ecclesia. On aménage spécialement la colline de la Pnyx sur laquelle les citoyens ont le droit et le devoir de se rendre, quatre fois par mois, pour débattre et gouverner directement la cité, selon la règle de la majorité simple et par votes individuels à main levée. L'Héliée retrouve tous les pouvoirs que la réforme de Solon lui avait conférés. Les magistrats sont tirés au sort. On crée aussi un nouveau collège appelée "stratégie", composé de dix membres élus par l'Assemblée. Clisthène modifie en outre la composition et le fonctionnement de la Boulè (ἡ Βουλή), qui devient un "Conseil" de 500 membres tirés au sort, siégeant au Bouleuterion (τὸ Βουλευτήριον) et assurant pendant un an le fonctionnement de l'exécutif. L'Aréopage perd ainsi toutes ses fonctions politiques et la plupart de ses prérogatives judiciaires. En 462, poursuivant l'oeuvre de Clisthène, Ephialtès, le dernier grand réformateur, lui enlèvera le contrôle des comptes de magistrats, ne lui laissant à juger que les affaires criminelles à implication religieuse.
L'établissement des principes démocratiques
Le nouveau régime ne s'appelle pas encore démocratie mais le pouvoir du demos est total, appuyé sur les principes d''iségorie, isonomie et isogonie. Les classes censitaires ne sont pas abolies mais la prééminence de la loi écrite et l'égalité de jugement sont solennellement réaffirmées, Sur la Pnyx, dans l'Héliée ou le Bouleuterion, toutes les voix sont égales. Le peuple souverain jouit donc de droits dont il n'avait jamais disposé jusqu'alors. Il se retrouve aussi face à ses devoirs. C'est à lui désormais de faire face à ses reponsabilités de gouvernant, et de donner une partie de son temps à la collectivité. Il est aussi le seul gardien de la constitution et le garant de son pouvoir et de sa liberté. Pour se prémunir contre la corruption, la remise en question des principes démocratiques et un retour des oligarques ou des tyrans, la cité instaure une série de mesures de vigilance avec des procédures telles que l'euthyna (ἡ εὔθυνα), l'eisangélie (ἡ εἰσαγγελία) , la graphè paranomon (ἡ γραφή παρανόμων), ou l'ostracisme (ὁ ὀστρακισμός) dont furent parfois victimes des personnages très éminents.