Historique : le siècle de Périclès

On appelle souvent le V° siècle "siècle de Périclès", à cause de l'influence déterminante que cet homme politique eut sur le destin de sa cité à cette époque. C'est l'âge d'or de la démocratie athénienne et l'apogée de sa puissance dans le monde grec.

La démocratie et les guerres médiques

L'histoire d'Athènes, de la démocratie et peut-être de l'hellénisme aurait pu s'arrêter au début du V° siècle quand l'armée perse envahit le territoire de la Grèce continentale. Après avoir soumis les Grecs d'Asie Mineure, Darius débarque près d'Athènes en 490. Sur une étroite barre de terre côtière, un petit contingent d'hoplites athéniens commandé par Miltiade barre l'accès de l'Attique, aidé de quelques forces platéennes. Que s'est-il passé à Marathon ? Affrontement héroïque ou simple escarmouche avec une colonne ennemie venue tester la résistance locale ? Toujours est-il que la victoire eut un grand retentissement et qu' Athènes en retira un prestige considérable auprès des autres cités grecques. Sur le plan intérieur, la victoire eut pour le nouveau régime un caractère fondateur puisque les héros tombés au combat servirent désormais d'exemple dans les cérémonies à caractère civique. A l'Assemblée, elle renforça la position du camp démocratique face aux oligarques et aux nostalgiques de la tyrannie suspects de pactiser avec l'ennemi.
La cité doit alors beaucoup au génie de l'un de ses stratèges, Thémistocle. Persuadé que l'envahisseur ne restera pas sur cet échec, celui-ci a la lucidité de penser que la prochaine bataille sera maritime et convainc ses concitoyens de faire porter tout l'effort d'armement sur la flotte. L'argent des mines du Laurion est employé à la construction de quelque deux cents trières. En 480, les Perses reviennent par terre et par mer, commandés cette fois-ci par Xerxès. Après avoir franchi le défilé des Thermopyles défendu par les Spartiates, ils envahissent et ravagent l'Attique. Abandonnant la ville, les Athéniens se replient sur leurs bateaux. C'est dans la baie de Salamine que se joue le destin de la guerre. Là, les deux cents trières athéniennes construites dans la décennie précédente défont plus de 1000 navires ennemis. La bataille a été immortalisée par le récit du messager dans Les Perses d'Eschyle.

Cette bataille navale marque aussi le début d'une nouvelle époque, d'une part parce que c'en est fini des tentatives d'hégémonie perse sur le monde grec mais aussi parce que l'incidence sera forte sur le plan de la citoyenneté. Si la bataille de Marathon était le fait d'une armée d'hoplites, fantassins appartenant aux  classes censitaires supérieures, celle de Salamine est la victoire des "rameurs" (plus de 30.000), recrutés exclusivement parmi les thèmes sans fortune et sans armes. Ce sont donc les plus pauvres de ses citoyens qui ont sauvé la cité sur les navires dont ils avaient voté eux-mêmes la construction. Comment ceux-ci ne se sentiraient-ils pas confortés dans leurs droits et leur pouvoir ? Sur le plan extérieur, la puissance d'Athènes reposera désormais sur sa force maritime. En 457, la construction des "Longs Murs" entre la ville et le port du Pirée affirme cette volonté de lier thalassocratie (ἡ θαλασσοκρατία, "le pouvoir sur la mer") et démocratie (ἡ δημοκρατία, "le pouvoir du peuple").

La démocratie et l'impérialisme

Athènes ayant pris la part la plus importante dans la lutte contre les barbares devait légitimement en retirer quelques bénéfices. Elle prend la tête d'une confédération de 150 cités alliées qui deviendront bientôt sujettes. La "Ligue de Délos", censée protéger contre une menace militaire devient rapidement une source de profit. Le phoros (ὁ φορός), une contribution financière imposée à tous les membres, permet de constituer un trésor qui assurera l'hégémonie et la prospérité de la cité dominante.


Jusqu'en 454, ce trésor est conservé à Délos mais, à cette date, il est transféré à Athènes qui, dès lors, en use à sa guise. Tous les rouages du pouvoir démocratique sont impliqués : le montant de l'impôt est voté par l'Ecclesia sur proposition des stratèges et c'est la Boulè qui tient à jour le registre des versements. Le paiement s'effectue à l'occasion des Grandes Dionysies et, en cas de contestation, les cités alliées peuvent faire appel ... devant l'Héliée. Cette manne donnera à la démocratie les moyens financiers sans lesquels elle n'aurait peut-être pas pu fonctionner. La construction des Longs Murs, les travaux d'embellissement de l'Acropole, le paiement des indemnités aux bouleutes, aux héliastes et aux citoyens assistant aux séances de la Pnyx n'auraient sans doute pas été possible sans cette "contribution" forcée. Athènes se sert aussi de son pouvoir pour faire absorber par ses alliés son trop-plein de population. Certains citoyens partent y résider comme clérouques (κληροῦχοι, "colons" recevant un lot de terre). Elle traite ainsi les cités de la ligue comme les colonies dont elle ne dispose pas.


Il faut bien admette que l'établissement de la démocratie athénienne et ses idéaux de liberté sont indissociables de son impérialisme.

Le prestige et le pouvoir de Périclès

Comme Clisthène, Périclès était un Alcméonide. Son inluence politique se fait sentir dès 460 et, de 443 à 429, réélu régulièrement stratège, il dirige de facto la cité. Sous des apparences démocratiques, peut-on parler d'un pouvoir personnel, d'une tyrannie déguisée ? Oui, si l'on considère que l'avis de Périclès fut prépondérant dans toutes les décisions prises pendant ce quart de siècle. Non, si l'on veut bien admettre que toutes les décisions furent toujours prises par le peuple. Le débat politique ne fut jamais éclipsé et Périclès sut, à chaque fois, convaincre. Les adversaires politiques ne lui manquèrent d'ailleurs pas. Il fut soumis à l'euthyna comme tous les autres magistrats, proposé à l'ostracisme et s'il obtint la confiance de ses concitoyens pendant près de vingt ans, ce fut affaire de prestige plutôt que de pouvoir. Pour Thucydide, il était le "premier homme", c'est-à-dire l'homme le plus éminent, mais malgré tout un simple citoyen.
Les décisions politiques prises par le peuple sous l'impulsion de Périclès sont de première importance. Sur le plan des institutions, c'est lui qui fait adopter la principe du misthos (ὁ μισθός), un salaire politique qui permet de dédommager les citoyens exerçant des fonctions politiques. Vivement critiquée, la mesure eut sans doute des effets pervers mais permit néanmoins à la démocratie de fonctionner pendant près de deux siècles. A l'extérieur, le stratège n'a de cesse de renforcer l'hégémonie athénienne. Dans l'oraison funèbre qu'il prononce en 431 et que Thucydidide a rapportée dans sa Guerre du Péloponnèse, il fait l'éloge de l'impérialisme, en montrant combien la thalassocratie exercée par la cité est à la fois nécessaire à la survie du régime démocratique à Athènes et promesse de liberté pour les peuples des cités alliées.

Le rayonnement culturel d'Athènes

Le climat de sérénité qui règne sur le plan politique, l'hégémonie exercée par Athènes sur le plan extérieur et la prospérité économique vont donner aux Athéniens, sur l'impulsion de Périclès, l'occasion de remodeler complètement le visage de la cité, que les barbares avaient partiellement détruite. En quelques années est édifié l'ensemble architectural de l'Acropole, symbole tout à la fois de la démocratie triomphante et de la puissance athénienne. La statue chryséléphantine d'Athéna dans le Parthénon et celle d'Athéna Promachos, qui se dressait sitôt franchis les Propylées, passeront pendant des siècles pour des chefs d'oeuvre de la sculpture. Lors de la fête annuelle des Panathénées, une procession rassemblant toutes les forces vives de la cité apporte solennellement à la déesse son nouveau peplos. La frise dite des Panathénées, qui orne le Parthénon, retrace cette cérémonie et témoigne de son importance citoyenne ainsi que du caractère politico-religieux de l'Acropole.
Sur le plan intellectuel, Athènes devient le phare de tout le monde grec, attirant à elle artistes, savants, poètes, historiens et philosophes. C'est à cette époque qu'on peut parler de la naissance d'un art politique, avec les leçons des sophistes. Ces philosophes, rompant avec la tradition, placent au centre de toute chose l'homme et son action dans la cité. La sophistique, qui contribue sans aucun doute à la naissance à Athènes d'une science politique et à l'éducation du peuple souverain, sera par la suite fortement critiquée, en particulier par Socrate et ses disciples, principalement parce que, relativisant l'idée de justice, elle fait avant tout de la politique un art de la persuasion. Cet enseignement à caractère essentiellement technique aboutit à former une classe de spécialistes de la parole qui se recrutent naturellement dans les couches sociales les plus fortunées. Platon nous a laissé quelques portraits savoureux de certains de ces maîtres et de leurs jeunes disciples passionnés.

Eschyle, Les Perses, v. 384-432

Καὶ νὺξ ἐχώρει͵ κοὐ μάλ΄ Ἑλλήνων στρατὸς
κρυφαῖον ἔκπλουν οὐδαμῇ καθίστατο.
Ἐπεί γε μέντοι λευκόπωλος ἡμέρα
πᾶσαν κατέσχε γαῖαν εὐφεγγὴς ἰδεῖν͵
πρῶτον μὲν ἠχῇ κέλαδος Ἑλλήνων πάρα
μολπηδὸν εὐφήμησεν͵ ὄρθιον δ΄ ἅμα
ἀντηλάλαξε νησιώτιδος πέτρας
ἠχώ· φόβος δὲ πᾶσι βαρβάροις παρῆν
γνώμης ἀποσφαλεῖσιν· οὐ γὰρ ὡς φυγῇ
παιᾶν΄ ἐφύμνουν σεμνὸν Ἕλληνες τότε͵
ἀλλ΄ ἐς μάχην ὁρμῶντες εὐψύχῳ θράσει·
σάλπιγξ δ΄ ἀυτῇ πάντ΄ ἐκεῖν΄ ἐπέφλεγεν.
εὐθὺς δὲ κώπης ῥοθιάδος ξυνεμβολῇ
ἔπαισαν ἅλμην βρύχιον ἐκ κελεύματος͵
θοῶς δὲ πάντες ἦσαν ἐκφανεῖς ἰδεῖν.
τὸ δεξιὸν μὲν πρῶτον εὐτάκτως κέρας
ἡγεῖτο κόσμῳ͵ δεύτερον δ΄ ὁ πᾶς στόλος
ἐπεξεχώρει͵ καὶ παρῆν ὁμοῦ κλύειν
πολλὴν βοήν· Ὦ παῖδες Ἑλλήνων͵ ἴτε͵
ἐλευθεροῦτε πατρίδ΄͵ ἐλευθεροῦτε δὲ
παῖδας͵ γυναῖκας͵ θεῶν τε πατρῴων ἕδη͵
θήκας τε προγόνων· νῦν ὑπὲρ πάντων ἀγών.
Καὶ μὴν παρ΄ ἡμῶν Περσίδος γλώσσης ῥόθος
ὑπηντίαζε͵ κοὐκέτ΄ ἦν μέλλειν ἀκμή.
Εὐθὺς δὲ ναῦς ἐν νηὶ χαλκήρη στόλον
ἔπαισεν· ἦρξε δ΄ ἐμβολῆς Ἑλληνικὴ
ναῦς͵ κἀποθραύει πάντα Φοινίσσης νεὼς
κόρυμβ΄͵ ἐπ΄ ἄλλην δ΄ ἄλλος ηὔθυνεν δόρυ.
Τὰ πρῶτα μέν νυν ῥεῦμα Περσικοῦ στρατοῦ
ἀντεῖχεν· ὡς δὲ πλῆθος ἐν στενῷ νεῶν
ἤθροιστ΄͵ ἀρωγὴ δ΄ οὔτις ἀλλήλοις παρῆν͵
αὐτοὶ δ΄ ὑπ΄ αὐτῶν ἐμβόλοις χαλκοστόμοις
παίοντ΄͵ ἔθραυον πάντα κωπήρη στόλον͵
Ἑλληνικαί τε νῆες οὐκ ἀφρασμόνως
κύκλῳ πέριξ ἔθεινον͵ ὑπτιοῦτο δὲ
σκάφη νεῶν͵ θάλασσα δ΄ οὐκέτ΄ ἦν ἰδεῖν͵
ναυαγίων πλήθουσα καὶ φόνου βροτῶν͵
ἀκταὶ δὲ νεκρῶν χοιράδες τ΄ ἐπλήθυον.
φυγῇ δ΄ ἀκόσμως πᾶσα ναῦς ἠρέσσετο͵
ὅσαιπερ ἦσαν βαρβάρου στρατεύματος.
τοὶ δ΄ ὥστε θύννους ἤ τιν΄ ἰχθύων βόλον
ἀγαῖσι κωπῶν θραύμασίν τ΄ ἐρειπίων
ἔπαιον͵ ἐρράχιζον· οἰμωγὴ δ΄ ὁμοῦ
κωκύμασιν κατεῖχε πελαγίαν ἅλα͵
ἕως κελαινῆς νυκτὸς ὄμμ΄ ἀφείλετο.
Κακῶν δὲ πλῆθος͵ οὐδ΄ ἂν εἰ δέκ΄ ἤματα
στοιχηγοροίην͵ οὐκ ἂν ἐκπλήσαιμί σοι.
εὖ γὰρ τόδ΄ ἴσθι͵ μηδάμ΄ ἡμέρᾳ μιᾷ
πλῆθος τοσουτάριθμον ἀνθρώπων θανεῖν.

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Et, la nuit s’écoulant, l’armée des Hellènes ne tentait nullement de quitter ce lieu par une fuite secrète. Dès que le Jour aux chevaux blancs eut illuminé la terre, une immense clameur, telle qu’un chant sacré, s’éleva du milieu des Hellènes, et le son éclatant en rebondit au loin de toutes les côtes rocheuses de l’île, et la crainte envahit tous les Barbares trompés dans leur espérance ; car, alors, les Hellènes ne chantaient pas le Paian sacré pour prendre la fuite, mais ils s’avançaient audacieusement au combat, et le son de la trompette excitait toute cette fureur. Aussitôt, à la voix de chaque chef, ils frappèrent de leurs avirons retentissants les eaux frémissantes de la mer, et voici que toutes leurs nefs nous apparurent. L’aile droite précédait en bon ordre, puis venait toute la flotte, et on entendait ce chant immense : — Ô enfants des Hellènes, allez ! Délivrez la patrie, vos enfants, vos femmes, les demeures des Dieux de vos pères et les tombeaux de vos aïeux ! Maintenant, c’est le suprême combat ! — Et le cri de la langue Persique répondit à ce cri, car il n’y avait plus à hésiter. Les proues d’airain se heurtèrent. Une nef Hellénique brisa, la première, l’éperon d’une nef Phoinikienne, et les deux flottes se jetèrent l’une sur l’autre. D’abord, le torrent de l’armée Persique résista, mais quand la multitude de nos nefs fut resserrée dans les passages étroits, elles ne purent s’entr’aider. Elles se heurtèrent de leurs proues d’airain et rompirent leurs rangs d’avirons ; et les nefs Helléniques, nous enveloppant habilement, perçaient les nôtres qui se renversaient et couvraient la mer de débris de naufrage et de corps morts ; et les rochers du rivage étaient pleins de cadavres, et toute l’armée Barbare prit la fuite en désordre. À coups d’avirons brisés et de bancs de rameurs les Perses étaient écrasés ou déchirés comme des thons ou d’autres poissons pris au filet, et toute la mer retentissait de sanglots et de lamentations ; et, enfin, l’œil de la Nuit noire se ferma sur nous. Je ne pourrais, même en dix jours, te raconter la multitude de nos maux. Mais, sache-le,  jamais en un seul jour tant d’hommes ne sont morts.

Traduction de Leconte de Lisle, 1872.

Pamphlet du vieil oligarque : L'iségorie (Pamphlet, 2)

Πρῶτον μὲν οὖν τοῦτο ἐρῶ, ὅτι δικαίως δοκοῦσιν αὐτόθι καὶ οἱ πένητες καὶ ὁ δῆμος πλέον ἔχειν τῶν γενναίων καὶ τῶν πλουσίων διὰ τόδε, ὅτι ὁ δῆμός ἐστιν ὁ ἐλαύνων τὰς ναῦς καὶ ὁ τὴν δύναμιν περιτιθεὶς τῇ πόλει, καὶ οἱ κυβερνῆται καὶ οἱ κελευσταὶ καὶ οἱ πεντηκόνταρχοι καὶ οἱ πρῳρᾶται καὶ οἱ ναυπηγοί, οὗτοί εἰσιν οἱ τὴν δύναμιν περιτιθέντες τῇ πόλει πολὺ μᾶλλον ἢ οἱ ὁπλῖται καὶ οἱ γενναῖοι καὶ οἱ χρηστοί. Ἐπειδὴ οὖν ταῦτα οὕτως ἔχει͵ δοκεῖ δίκαιον εἶναι πᾶσι τῶν ἀρχῶν μετεῖναι ἔν τε τῷ κλήρῳ καὶ ἐν τῇ χειροτονίᾳ, καὶ λέγειν ἐξεῖναι τῷ βουλομένῳ τῶν πολιτῶν.

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Ce que je tiens à dire, dès le début, c'est qu'il paraît juste qu'à Athènes les pauvres et le peuple l'emportent sur les nobles et les riches car c'est le peuple qui fait naviguer les vaisseaux de guerre et qui donne à la cité sa puissance, car ce sont les pilotes, les chefs de nage, les maîtres d'équipage en second, les vigies de la proue, les constructeurs de navires qui font la puissance de la cité, beaucoup plus que les hoplites, les nobles et les honnêtes gens. Donc, puisqu'il en est ainsi, il parait juste que tout le monde participe aux magistratures, par tirage au sort et élection et que la parole soit accordée à tout citoyen qui la demande.

Edition et traduction C. Leduc, Annales de l'Université de Besançon. Paris, 1975

L'engouement d'un jeune Athénien pour la sophistique. Platon, Protagoras, 310, b

Τῆς γὰρ παρελθούσης νυκτὸς ταυτησί, ἔτι βαθέος ὄρθρου, Ἱπποκράτης, ὁ Ἀπολλοδώρου ὑὸς Φάσωνος δὲ ἀδελφός, τὴν θύραν τῇ βακτηρίᾳ πάνυ σφόδρα ἔκρουε, καὶ ἐπειδὴ αὐτῷ ἀνέῳξέ τις, εὐθὺς εἴσω ᾔει ἐπειγόμενος, καὶ τῇ φωνῇ μέγα λέγων
« Ὦ Σώκρατες, ἔφη, ἐγρήγορας ἢ καθεύδεις;
Καὶ ἐγὼ τὴν φωνὴν γνοὺς αὐτοῦ,

  • Ἱπποκράτης, ἔφην, οὗτος· μή τι νεώτερον ἀγγέλλεις;

  • Οὐδέν γ΄, ἦ δ΄ ὅς, εἰ μὴ ἀγαθά γε.

  • Εὖ ἂν λέγοις, ἦν δ΄ ἐγώ· ἔστι δὲ τί, καὶ τοῦ ἕνεκα τηνικάδε ἀφίκου;

  • Πρωταγόρας, ἔφη, ἥκει, στὰς παρ΄ ἐμοί.

  • Πρῴην, ἔφην ἐγώ· σὺ δὲ ἄρτι πέπυσαι;

  • Νὴ τοὺς θεούς, ἔφη, ἑσπέρας γε. »

  • Καὶ ἅμα ἐπιψηλαφήσ&lpha;ς τοῦ σκίμποδος ἐκαθέζετο παρὰ τοὺς πόδας μου, καὶ εἶπεν·

  • Ἑσπέρας δῆτα, μάλα γε ὀψὲ ἀφι κόμενος ἐξ Οἰνόης. Ὁ γάρ τοι παῖς με ὁ Σάτυρος ἀπέδρα· καὶ δῆτα μέλλων σοι φράζειν ὅτι διωξοίμην αὐτόν, ὑπό τινος ἄλλου ἐπελαθόμην. Ἐπειδὴ δὲ ἦλθον καὶ δεδειπνηκότες ἦμεν καὶ ἐμέλλομεν ἀναπαύεσθαι, τότε μοι ἁδελφὸς λέγει ὅτι ἥκει Πρωταγόρας.
    Καὶ ἔτι μὲν ἐνεχείρησα εὐθὺς παρὰ σὲ ἰέναι, ἔπειτά μοι λίαν πόρρω ἔδοξε τῶν νυκτῶν εἶναι· »
    Ἔπειτά μοι λίαν πόρρω ἔδοξε τῶν νυκτῶν εἶναι· ἐπειδὴ δὲ τάχιστά με ἐκ τοῦ κόπου ὁ ὕπνος ἀνῆκεν, εὐθὺς ἀναστὰς οὕτω δεῦρο ἐπορευόμην. Καὶ ἐγὼ γιγνώσκων αὐτοῦ τὴν ἀνδρείαν καὶ τὴν πτοίησιν. Τί οὖν σοι, ἦν δ΄ ἐγώ, τοῦτο ; Μῶν τί σε ἀδικεῖ Πρωταγόρας; Καὶ ὃς γελάσας.Νὴ τοὺς θεούς, ἔφη, ὦ Σώκρατες, ὅτι γε μόνος ἐστὶ σοφός, ἐμὲ δὲ οὐ ποιεῖ. Ἀλλὰ ναὶ μὰ Δία, ἔφην ἐγώ, ἂν αὐτῷ διδῷς ἀργύριον καὶ πείθῃς ἐκεῖνον, ποιήσει καὶ σὲ σοφόν. Εἰ γάρ, ἦ δ΄ ὅς, ὦ Ζεῦ καὶ θεοί, ἐν τούτῳ εἴη· ὡς οὔτ΄ ἂν τῶν ἐμῶν ἐπιλίποιμι οὐδὲν οὔτε τῶν φίλων· ἀλλ΄ αὐτὰ ταῦτα καὶ νῦν ἥκω παρὰ σέ, ἵνα ὑπὲρ ἐμοῦ διαλεχθῇς αὐτῷ. Ἐγὼ γὰρ ἅμα μὲν καὶ νεώτερός εἰμι, ἅμα δὲ οὐδὲ ἑώρακα Πρωταγόραν πώποτε οὐδ΄ ἀκήκοα οὐδέν· ἔτι γὰρ παῖς ἦ ὅτε τὸ πρότερον ἐπεδήμησε. Ἀλλὰ γάρ, ὦ Σώκρατες, πάντες τὸν ἄνδρα ἐπαινοῦσιν καί φασιν σοφώτατον εἶναι λέγειν· ἀλλὰ τί οὐ βαδίζομεν παρ΄ αὐτόν, ἵνα ἔνδον καταλάβωμεν ; καταλύει δ΄, ὡς ἐγὼ ἤκουσα, παρὰ Καλλίᾳ τῷ Ἱππονίκου· ἀλλ΄ ἴωμεν. Καὶ ἐγὼ εἶπον· Μήπω, ἀγαθέ, ἐκεῖσε ἴωμεν πρῲ γάρ ἐστιν ἀλλὰ δεῦρο ἐξαναστῶμεν εἰς τὴν αὐλήν, καὶ περιιόντες αὐτοῦ διατρίψωμεν ἕως ἂν φῶς γένηται· εἶτα ἴωμεν. Καὶ γὰρ τὰ πολλὰ Πρωταγόρας ἔνδον διατρίβει, ὥστε, θάρρει͵ καταληψόμεθα αὐτόν, ὡς τὸ εἰκός, ἔνδον.

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Ce matin, dans l’obscurité du petit jour, Hippocrate, fils d’Apollodore et frère de Phason, est venu frapper violemment à ma porte avec son bâton ; aussitôt qu’on lui eut ouvert la porte, il est entré en coup de vent et m’a crié :
- Socrate, es-tu éveillé ou dors-tu ?
J’ai reconnu sa voix.
- C’est Hippocrate, ai-je dit. Tu as des nouvelles à m’annoncer ?
- Rien que de bonnes.
- Tant mieux ; mais qu’y a-t-il, et pourquoi viens-tu à pareille heure ?
- Protagoras est ici, me dit-il, en se plantant devant moi.
- Depuis avant-hier, dis-je. Tu viens seulement de l’apprendre ?
- Oui, par les dieux, hier au soir.
En même temps il tâtait mon lit et s’asseyait à mes pieds.
- Oui, hier au soir, poursuivit-il, très tard, en revenant d’Oenoé. Il faut te dire que mon esclave Satyros s’était enfui ; j’étais sur le point de venir t’avertir que j’allais me mettre à sa poursuite, quand un incident me l’a fait oublier. A mon retour, nous avons dîné et nous allions nous coucher, quand mon frère me dit : Protagoras est ici. Tout d’abord je voulus encore accourir te le dire ; puis je pensai que la nuit était trop avancée. Mais des que le sommeil m’a eu remis de ma fatigue, je me suis levé et je suis venu ici comme tu vois.

En le voyant si décidé et si exalté, je lui ai dit : Qu’est-ce que cela te fait ? Protagoras a-t-il quelque tort envers toi ?
Il m’a répondu en riant :
Oui, par les dieux, Socrate : il a le tort de garder sa science pour lui seul, sans m’en faire part
- Mais, par Zeus, tu n’as qu’à lui donner de l’argent et à le décider, il te rendra savant, toi aussi.
- Si seulement, ô Zeus et tous les dieux, il ne tenait qu’à cela, je ne me laisserais rien à moi, ni à mes amis : c’est justement pour cela que je viens te trouver à présent, c’est pour que tu lui parles de moi ; car je suis trop jeune et je n’ai jamais ni vu ni entendu Protagoras ; j’étais encore enfant lors de son premier séjour ici. Mais tout le monde, Socrate, fait l’éloge du personnage, et on le donne pour le plus éloquent des hommes. Rendons-nous vite chez lui, afin de le trouver au logis ; il est descendu, dit-on, chez Callias, fils d’Hipponicos ; allons-y.
Pas encore, mon bon ami, c’est trop matin ; restons ici, levons-nous et allons dans la cour pour nous promener et passer le temps jusqu’à ce qu’il fasse jour ; nous irons alors. Protagoras ne sort guère ; ainsi n’aie pas peur, nous le trouverons, selon toute vraisemblance, au logis.

Traduction Emile Chambry, 1937.

musagora

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