Molita quoque est ingenti impetu operis conseruandae mariti memoriae sepulcrum illud memoratissimum dignatumque numerari inter septem omnium terrarum spectacula.
Aulu-Gelle, Nuits Attiques, X, 18.Elle fit élever à grands frais, pour conserver la mémoire de son époux, ce sépulcre fameux, qui mérita d'être compté au nombre des sept merveilles du monde.
Traduction de Lucien Augé de Lassus
Le Mausolée, un mausolée
Le roi Mausole, qui régna sur la Carie de 377 à 353 avant J.-C., est l'antique prédécesseur de tous ces inconnus qui ne survivent que par des mots de notre langage quotidien : Jérôme Cardan, l'abbé Clément, André-Marie Ampère, Pierre Magnol. Or ce n'est pas de lui que nous parlerons, mais de son monumental tombeau.
Les mausolées
Le Mausolée a disparu, mais on peut encore le voir à travers d'innombrables copies plus ou moins exactes, non seulement antiques, mais encore, un peu partout sur la planète, modernes. Certaines, comme le célèbre mausolée de Lénine, à Moscou, sont très éloignées de l'original. Il en est d'autres qu'on a voulues fidèles.
Lieu
La Grèce antique et la méditerranée
L'Asie est grecque sur toute sa côte, exactement comme comme la Grande Grèce, et le littoral sud de la Gaule : Nice, Νίκαια « la victorieuse », Antibes, Ἁντίπολις « la rivale », Marseille, Μασσαλία, Agde, Ἀγαθή « la belle ». En parcourant du nord au sud les côtes d'Éolide, d'Ionie, puis de Carie, on traverse Pergame, Phocée, Smyrne, Téos, Éphèse, Priène, Milet-Didyme, Halicarnasse et Cnide. Dans chaque cité, des merveilles d'architecture. Ainsi, ce qui nous paraît aujourd'hui presque un autre continent était, dans l'antiquité, un pays proche, parlant la même langue et honorant les mêmes dieux.
La Carie
La satrapie de Carie, à la mort d'Hécatomnos, passe en ... aux mains de Mausole. Comme l'a fait le père, le fils continue d'agrandir le territoire. Plusieurs îles grecques proches de la côte sont annexées par Mausole : Cos, qui ferme le golfe qui porte son nom, Chios au nord et Rhodes au sud.
Le golfe de Cos
Halicarnasse est un port naturel bien protégé, à un endroit stratégique : l'entrée du golfe de Cos. L'île grecque de Cos ferme l'entrée du golfe. C'est la patrie d'Hippocrate, et on vient de très loin pour y apprendre la médecine.
De l'autre côté du golfe de Cos, au bout du cap, l'antique cité de Cnide a vu naître Sostrate, l'architecte du Phare d'Alexandrie, et s'enorgueillissait d'une des plus belles statues de l'antiquité, l'Aphrodite de Praxitèle.
Halicarnasse
Halicarnasse parlait grec depuis longtemps. L'historien Hérodote y naquit vers la fin du Ve siècle. Rien d'étonnant, puisque en partant des côtes grecques et en cabotant d'île en île vers l'est dans la mer Égée, c'est exactement là qu'on arrive. Pour bien marquer cette appartenance, Mausole, peu après son arrivée au pouvoir en 377, y installe sa capitale, comme pour bien signifier à toute la province et au monde de son époque qu'il veut construire, vivre et parler grec. L'ancienne capitale, Mylasa, aujourd'hui Milas, n'a pas été complètement abandonnée, et garde des traces de l'occupation romaine. On peut y voir un tombeau plus tardif, très semblable à ce que devait être le Mausolée, mais beaucoup plus petit.
Halicarnasse est devenue Bodrum, station touristique surpeuplée en été. Le site lui-même a la forme d'un théâtre, dont la scène serait le Mausolée, qui s'élevait au centre.
Encore aujourd'hui les navires s'abritent dans deux ports séparés par la péninsule du Zéphyrion, sur laquelle s'élevait le palais de Mausole, emplacement actuel du château Saint-Pierre, bâti par les Hospitaliers. On y a repéré un plan incliné qui permettait de mettre au sec deux vaisseaux royaux.
Les remparts de la ville étaient percés de deux portes. Celle de l'ouest, pour aller vers Myndos, est encore visible. Près de l'emplacement supposé de la porte de Mylasa, à l'est, on a retrouvé une nécropole ancienne, et le tombeau d'une princesse qu'on croit être Ada, sœur d'Artemisia.
La ville s'ornait aussi d'un temple d'Apollon, d'une fontaine miraculeuse dont parle Vitruve, et d'un théâtre romain, restauré grâce à un constructeur de matériel électronique dont le nom s'affichait, il y a quelques années, en lettres géantes juste au-dessus des derniers gradins.
Contexte et fonction
Contexte
La Carie fut d'abord peuplée par les Doriens. Elle passa au VIe siècle sous domination perse. Le premier satrape, Lygdamos, établit sa capitale à Mylasa. Sa fille, Artemisia I, prit part avec Xerxès à la guerre contre les Grecs, qui se termina par la défaite de Salamine. De 480 à 386, la Carie repasse sous domination athénienne. En 386, un traité de paix rend la province aux Perses. Le satrape est Hecatomnos, qui a trois fils, Mausole, Idrieos et Pixodaros, et deux filles, Artemisia et Ada.
Hecatomnos meurt en 377. Son fils Mausole épouse, comme le veut la règle, sa sœur Artemisia, et poursuit la politique d'annexion de son père. Il parvient à se détacher de l'emprise perse, et prend le titre de roi.
Le Mausolée fut sans doute commencé avant la mort du roi en 353, et achevé quelques années après, mais certains disent qu'il ne fut jamais vraiment achevé, et que les artistes continuèrent d'y travailler quoiqu'ils ne fussent plus payés.
Le deuil démonstratif d'Artémisia, qui but les cendres de son époux mêlées à du vin, a profondément marqué l'Antiquité, et inspiré des peintres européens, en particulier Furini (Italie, début du XVIIe siècle), Rembrandt (Pays-Bas, XVIIe siècle) et Tischbein (Allemagne, XVIIIe siècle). Des sculptures du jardins de Versailles, et par imitation de Schönbrunn, reprennent également ce motif.
Artémisia gouverna ensuite la province avec beaucoup d'habileté. Vitruve résume ses exploits. Elle survécut deux ans à Mausole. Le second fils, Idrieos, qui avait épousé sa sœur Ada, lui succèda.
Pixodaros, appuyé par les Perses, prend la ville en 340. Ada, exilée à Alina, s'allie alors avec Alexandre le Grand, et revient triomphalement à Halicarnasse en 334.
La suite est une continuelle alternance entre les différents empires : romain, byzantin, seldjoukide, turc, ottoman. Les Chevaliers de Rhodes occupent la ville entre 1404 et 1423, et en sont chassés par Soliman le Magnifique en 1523.
Fonction
Le principe du tombeau monumental existe depuis très longtemps :
- Les pyramides d'Égypte - les relations entre la Carie et l'Égypte sont étroites.
- Le tombeau de Cyrus à Pasargades.
- Les heroon, dont celui de Limyra. Un heroon est un édifice à mi-chemin entre tombeau et temple, élevé en l'honneur d'un héros, ou d'un mortel divinisé à qui on rend un culte.
Description
Plan
Le Mausolée s'élevait au centre d'un enclos rectangulaire, le temenos (τέμενος), ceint d'un mur. En voici les dimensions :
- côtés Sud et Nord : 242,5 m.
- côtés Est et Ouest : 105 m.
Un escalier, sur le côté ouest, descendait dans la chambre funéraire souterraine. L'entrée se faisait à l'est, par un propylée.
Les quatre Étages
Quatre sections superposées, de plus en plus étroites, accentuaient l'impression de hauteur :
- un podium à deux ou trois étages dont la base presque carrée mesure 38,4 x 32,5 m. Les degrés du podium permettent d'atteindre les dimensions du pteron.
- un pteron de 11 colonnes aux faces Sud et Nord, de 9 colonnes aux faces Est et Ouest. L'ensemble comptait donc 22 + 18 - 4 = 36 colonnes ioniques. La distance entre deux colonnes (entraxe) des colonnes était 3 m., et la hauteur des colonnes de 12 m.
Pteron est un mot utilisé par Pline l'Ancien pour désigner un péristyle construit au dessus d'un podium élevé. Ceux des temples grecs sont sur un soubassement de quelques degrés, et ceux des temples romains sont sur un podium un peu plus élevé, mais ne dépassant pas deux ou trois mètres. - une pyramide de vingt-quatre degrés, de la même hauteur, selon Pline, que le pteron. Cette pyramide qui coiffait le Mausolée rappelle peut-être les pyramides d'Égypte. Vers 350, Mausole avait fait partie de la « Révolte des satrapes », avec l'Arménien Oronte, le Cappadocien Datame, et les pharaons Nectanebo I, Teos et Nectanebo II.
- un piédestal, ou apex, supportant un quadrige sculpté conduit par le couple royal. Le quadrige et le piédestal totalisaient 6 m. de hauteur
Les différentes études s'accordent sur une hauteur totale de 43 mètres. Le podium, le pteron et la pyramide font chacun 12 m., et le quadrige est deux fois moins haut.
Techniques de construction
Les architectes
Le principal architecte est Pythis, aussi connu sous les noms de Pytheos et de Pythius, auteur du temple d'Athéna à Priène. Il aurait aussi sculpté le quadrige, au faîte du monument.
Vitruve désigne Satyros, ou Satyrus, comme second architecte du Mausolée.
Les sculpteurs
Pline l'Ancien nous donne la liste des sculpteurs :
- Scopas
- Léocharès,
- Bryaxis,
- Timothéus. On ajoute aussi Théodotos
Les matériaux
Les blocs de marbre venaient de Proconnèse, aujourd'hui l'île de Marmara, dans la mer de même nom, qui, entre les détroits du Bosphore et des Dardanelles, relie la Mer Égée à la Mer Noire.
L'andésite verte, réemployée dans le château Saint-Pierre, viendrait de Lasos, un peu plus au nord sur la côte.
D'après Vitruve, le cœur de la construction était en brique crue.
