Situation politique
La situation géographique de Rhodes en fait une position stratégique très convoitée mais les Rhodiens pourtant très attachés à leur indépendance vont peiner à la défendre : ils vont devoir accepter sur leur territoire des garnisons tantôt perses, tantôt macédoniennes.
Lors de la fondation de la cité de Rhodes en 408, les Rhodiens qui se sont donné une constitution démocratique font partie de la confédération des îles formée par Athènes. Son rayonnement économique, culturel et artistique ne fait que croître : elle frappe sa propre monnaie, développe une flotte qui est capable de mettre en échec les pirates, véritable fléau pour les échanges commerciaux, fait voter les premières lois du droit maritime et commercial qu'Auguste reprendra plus tard pour l'ensemble de l'empire romain, encourage les arts et le développement d'écoles de rhétorique et philosophie.
Mais la guerre du Péloponnèse a tant affaibli le monde grec que Mausole, roi de Carie, impose une garnison à Rhodes en 356 et l'île se rapproche des Perses en 340. Alliée des Perses, elle prend part à la défense de Tyr contre Alexandre, mais après la victoire d'Alexandre, elle doit accepter une garnison macédonienne en 332.
La présence de cette garnison, fût-elle une garnison parlant grec, pèse aux Rhodiens et l'on pense que c'est pour fêter son départ qu'ils ont offert à Delphes le quadrige d'or d'Hélios, œuvre de Lysippe.
Après la mort d'Alexandre en 323, pour des raisons économiques, Rhodes se rapproche de Ptolémée et de l'Égypte : une alliance est scellée pour le commerce dans la mer Égée.
Rhodes assiégée durant un an
Mais cette alliance ne convient pas à Antigone, général d'Alexandre, et en 305 son fils Démétrios met le siège devant Rhodes. Diodore de Sicile rend compte de ce siège qui marqua les esprits tant par l'art de la guerre de Démétrios que par la résistance farouche et habile des Rhodiens : « Ces ouvrages, si promptement terminés, épouvantèrent les Rhodiens par leur grandeur. A cela il faut ajouter les troupes nombreuses et l'habileté du roi dans les travaux de siège. En effet, Démétrios avait le génie si inventif dans l'art de construire des machines de guerre, qu'il avait reçu le surnom de Poliorcète, et on disait de lui qu'il n'y avait pas de place assez forte pour lui résister. » (XX, 92)
Le siège de Rhodes par Démétrios : lecture suivie du livre XX, 81-100 sur les Hodoi Elektronikai
- Rhodes, une cité puissante très convoitée par les successeurs d'Alexandre
- Démétrios installe son camp à Rhodes
- Les Rhodiens organisent leur défense et s'assurent le soutien de Ptolémée, Cassandre et Lysimache
- Le siège dure depuis un an quand Démétrios décide de faire construire une gigantesque machine de guerre
- Portrait de Démérios Poliorcète
- Ptolémée, Cassandre et Lysimache réussissent à approvisionner les Rhodiens
- Antigone conseille à son fils Démétrios de traiter avec les Rhodiens, Ptolémée recommande aux Rhodiens de trouver un accord avec Démétrios.
Démétrios Poliorcète, c'est-à-dire Démétrios l'assiégeant, cherche à ébranler les fortifications rhodiennes avec des catapultes, des tortues et des béliers, mais au bout d'un an, face à la résistance des Rhodiens, il décide de faire construire une machine de guerre colossale : l'hélépole, « la preneuse de cité ». Les dimensions de cette tour gigantesque sont rapportées par Diodore, Vitruve et Plutarque ; pour la hauteur de la machine, les chiffres varient de plus de 40 mètres de haut pour Diodore, 37 mètres pour Vitruve et près de 30 mètres de haut pour Plutarque, la base faisant plus de 20 mètres de côté, elle était équipée de roues. Diodore explique qu'il fallut 30 000 ouvriers pour la construire et que 3 400 soldats choisis parmi les plus robustes étaient nécessaires pour la déplacer. Une édition du De architectura de Vitruve propose une représentation de cette machine qui épouvanta les Rhodiens.
Stratège redoutable, Démétrios n'en est pas moins un admirateur des arts. Il refuse de mettre le feu à Rhodes de peur d'endommager un tableau de Protogène placé près de la muraille qu'il attaquait. Anecdote rapportée par Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre VII, 38.
Une victoire remarquable
Malgré cette machine, Démétrios ne vient pas à bout des Rhodiens et doit signer un traité d'alliance en 304. Il se retire donc laissant sur place toutes ses machines. Vitruve rapporte que l'architecte Diognète qui avait eu l'idée de faire embourber l'hélépole afin de la rendre inopérante, obtint des Rhodiens qu'ils la lui cèdent et la machine aurait été transportée dans la cité. Là Diognète décide de ne pas garder pour lui-même ce butin de guerre mais de l'offrir au peuple de Rhodes .
Que devint l'hélépole ? Il semblerait que le métal qui la recouvrait ait pu servir à la construction du colosse de Charès de Lindos, soit qu'il ait été revendu et que l'argent ait permis de financer en partie le projet comme l'écrit Pline, soit qu'il ait été refondu puis recyclé. La structure de bois a-t-elle servi d'échafaudage lors de l'érection du colosse ? La base sur roues a-t-elle servi au transport des matériaux nécessaires ? Faute de textes, il est impossible de trancher.
À la fin de cette guerre, les Rhodiens souhaitent honorer Ptolémée qui les avait aidés durant le conflit et, après avoir consulté l'oracle d'Ammon en Lybie, lui construisent un temple ; mais les Rhodiens décident aussi quelques années plus tard d'ériger un ouvrage colossal symbolisant leur puissance et honorant le dieu protecteur de leur cité : Hélios.
L'effroi provoqué par la taille colossale de l'hélépole va faire place au rayonnement du dieu du Soleil.
Rayonnement culturel : faut-il parler d'une certaine émulation d'artistes en Asie mineure ?
À victoire exceptionnelle, statue exceptionnelle
Afin de montrer au monde leur puissance (ils célébreront une autre victoire à Samothrace au début du IIe siècle avant J.-C....), les Rhodiens rivalisent avec les peuples d'Asie mineure et d'Égypte.
Les Égyptiens ont construit de hauts obélisques autant de rayons de soleil dirigés vers le ciel : l'obélisque inachevé d'Assouan fait 42 mètres, celui de Louxor près de 23 mètres... Ils ont su tailler dans la pierre des statues colossales, les Rhodiens choisiront le bronze.
Le temple d'Éphèse suscite l'admiration et attire les artistes, les Rhodiens choisissent un enfant du pays qui fera son propre chef-d'œuvre.
Les souverains d'Halicarnasse ont humilié les Rhodiens : Mausole, leur a imposé une garnison, et affiche sa grandeur par un monument unique et grandiose de 43 mètres, puis en 352 Artémise, épouse de Mausole, non seulement repousse une attaque des Rhodiens qui pensaient pouvoir vaincre une femme, mais elle envahit leur île et y fait construire des statues infamantes. Les exploits d'Artémise sont racontés par Vitruve. Pour les Rhodiens dresser une statue qui brillera de loin et dira ainsi au monde qu'ils ont vaincu les Macédoniens et retrouvé leur indépendance est sans doute une forme de revanche.
À statue exceptionnelle, artiste exceptionnel
Mais il y a là un défi technique jamais encore relevé car il ne s'agit pas d'une statue de grande taille en pierre comme certains kouroi (le plus grand étant celui de Samos), ni d'une statue de 13 mètres comme le Zeus de Phidias, l'œuvre fera plus de 30 mètres ; il ne s'agit pas de fonder l'assise d'un temple ou d'un mausolée mais d'assurer la stabilité d'une statue. Il faut donc trouver un spécialiste du bronze, un artiste au talent égal à celui de Lysippe. Charès est choisi, il va devoir faire preuve d'ingéniosité et d'originalité. Delphes comme d'autres cités grecques a son quadrige d'Hélios, mais Rhodes est la terre d'Hélios, la divinité sera représentée en pied.
Durant la période hellénistique, les artistes Rhodiens ne cesseront de produire des œuvres magistrales comme la Victoire de Samothrace exposée au Louvre, ou d'autres qui seront copiées à l'époque romaine comme le célèbre groupe de Laocoon aujourd'hui exposé dans la cour de l'Octogone, musée Pio-Clementino au Vatican.
Contexte religieux
Le culte d'Hélios est en effet une caractéristique de Rhodes.