L'autel principal de l'Artémision n'a été mis à jour qu'en 1965. Il se trouve à l'ouest du temple et, comme celui-ci, a connu deux états principaux, correspondant aux deux périodes de construction : les VIe et IVe siècles av. J.C. Sa découverte a permis d'apporter des éléments nouveaux à la connaissance de l'architecture des autels monumentaux dans le monde antique tout en éclairant certains aspects du culte d'Artémis.
Installations et situation
La base que les fouilles ont fait apparaître présente une forme en U, de 39,70 m sur 16,67 m, composée de dalles de formes polygonales ou trapézoïdales. Au sud, à l'est et au nord, on retrouve la trace de trois ailes latérales. L'autel était donc ouvert sur le côté opposé au temple, vers la cour de l'Artémision, et bordé par un mur sur les trois autres côtés.
A l'époque du deuxième temple, ces murs furent remplacés par une double colonnade, reposant sur un socle de 3,40 m. Ces trois ailes délimitent une cour intérieure dans laquelle étaient placés tous les éléments architecturaux nécessaires au culte. L'autel proprement dit était surélevé et les prêtres y accédaient par une rampe à degrés.
Cet "autel" est donc en réalité un véritable monument, qui isole les participants et tient la foule à l'écart. On peut en déduire que les sacrifices n'étaient pas accessibles à tous et que les cérémonies étaient réservées à une élite. J.-P. Vernant et M. Détienne ont bien montré dans La Cuisine du sacrifice en pays grec que les immolations rituelles et le partage de la viande établissaient à la fois une séparation entre les dieux et les hommes et des relations "hierarchiques" strictes entre ces derniers. Les fouilles et les notations d' A. Bammer confirment que le Grand Autel de l'Artémision était un instrument de pouvoir en permettant aux membres du clergé de choisir (sans doute contre des dons substantiels) les fidèles dignes de les y accompagner.
Après l'incendie de -354, l'autel reçut de nouveaux aménagements mais resta à la même place. Le nouveau temple étant plus long que le précédent, l'espace qui séparait les deux édifices se trouva réduit d'une dizaine de mètres.
Ornementation
Sur la décoration du grand autel, nous disposons de deux sources littéraires.
Strabon indique que "l'autel principal se trouve décoré presque exclusivement d'uvres de Praxitèle, et qu'on (lui) a montré réunis dans le temple plusieurs morceaux de Thrason, l'auteur bien connu de l'Hécatésium et du groupe de Pénélope et de la vieille Euryclée à la fontaine."
Pausanias parle de plusieurs statues de bronze, dont une figuration de la Nuit, qui aurait été l'oeuvre de Rhoikos, un des architectes du premier temple. Peut-être peut-on voir là une des caractéristiques d'Artémis, souvent assimilée à la Lune (Séléné) comme son jumeau Apollon l'était au Soleil (Hélios). Ceci vient aussi à l'appui d'hypothèses qui peuvent être faites sur les aspects nocturnes du culte.
On a retrouvé, par ailleurs, des éléments ayant appartenu à l'autel, utilisés comme blocs de réemploi, en différents points de la ville : dans le théâtre, la basilique Saint-Jean et la mosquée Isa Bey. La plupart de ces blocs sont exposés aujourd'hui au musée d'Éphèse et à l'Ephesos Museum de Vienne. Le fragment le plus beau et le plus émouvant montre une Amazone. Blessée, elle présente un visage d'une infinie mélancolie dans lequel certains spécialistes croient reconnaître la manière de Polyclète. On sait, en effet, par Pline l'Ancien, que cet artiste participa au concours organisé pendant le chantier de construction du temple du IVe siècle.
Les fouilles ont aussi fait apparaître des ossements et des peaux d'animaux ainsi que beaucoup de fragments de cornes de chèvres. Les objets découverts sont des petits vases servant aux libations et aux lustrations. Comme on a aussi retrouvé des lampes, cela conduit à penser que certains sacrifices étaient pratiqués de nuit.
Notons enfin que la trace de l'arrivée d'une conduite d'eau venant du sud-ouest prouve, qu'à partir d'une certaine date, quand le sanctuaire prit de l'importance, la source située à proximité ne suffisait plus à couvrir les besoins en eau nécessaires aux ablutions rituelles et aux sacrifices. Rien d'étonnant quand on sait la réputation dont jouissait le sanctuaire.
L'épiphanie d'Artémis
Une monnaie du IIe siècle ap. J.-C, nous présente une reproduction du temple. Etant donnée la date à laquelle elle a été frappée, il ne peut s'agir que de l'édifice hellénistique. Or, la façade présente une particularité intéressante : le fronton apparaît percé de trois ouvertures.
Ce n'est pas un cas unique. On sait que les architectes avaient recours à ce procédé pour alléger l'édifice quand celui-ci faisait peser une charge trop lourde sur les architraves et les colonnes.
Mais, à Éphèse, il semble que ces ouvertures aient joué un rôle dans ce qu'A. Bammer appelle l' "épiphanie" de la déesse.
En effet, la fenêtre centrale est située exactement à la perpendiculaire du grand autel, dans l'axe de vision du prêtre. On peut supposer que cette disposition n'était pas gratuite et servait lors des cérémonies religieuses. Si l'on se représente la scène, on voit le prêtre présentant des offrandes à la déesse dont la statue apparaît dans l'ouverture. Les assistants devaient être assemblés derrière lui, dans la cour ouest du sanctuaire et assistaient ainsi à une apparition solennelle d'Artémis, qui manifestait ainsi qu'elle acceptait les sacrifices, les prières et les dons qui lui étaient adressés.