Καὶ κραναᾶς Βαβυλῶνος ἐπίδρομον ἅρμασι τεῖχος
καὶ τὸν ἐπ΄ Ἀλφειῷ Ζᾶνα κατηυγασάμην
κάπων τ΄ αἰώρημα καὶ Ἠελίοιο κολοσσὸν
καὶ μέγαν αἰπεινᾶν πυραμίδων κάματον
μνᾶμά τε Μαυσώλοιο πελώριον· ἀλλ΄ ὅτ΄ ἐσεῖδον
Ἀρτέμιδος νεφέων ἄχρι θέοντα δόμον͵
κεῖνα μὲν ἠμαύρωτο, καὶ ἦν· « Ἴδε, νόσφιν Ὀλύμπου
Ἅλιος οὐδέν πω τοῖον ἐπηυγάσατο »Antipater de Sidon (Anthologie Palatine, IX, 58)
J’ai contemplé les murs de l’âpre Babylone, sur lesquels courent les chars, et le Zeus des rives de l’Alphée, ainsi que les Jardins suspendus, et le colosse d’Hélios, et l'imposant travail des hautes pyramides, et le gigantesque tombeau de Mausole. Mais quand je vis la demeure sacrée d’Artémis, qui s’élève jusqu’aux nues, tout le reste fut rejeté dans l'ombre et je dis :
« Vois ! Mis à part l'Olympe, le Soleil n'a encore jamais rien contemplé de tel. »
Traduction MSM
Il est clair que, pour Antipater de Sidon, la dernière des merveilles du monde est la plus belle et qu'il la place en fin de liste pour mieux pouvoir dire qu'elle « rejette tout le reste dans l'ombre ». Il livre là une opinion largement partagée qu'on retrouve, par exemple, dans la même Anthologie Palatine, exprimée par Grégoire de Nazianze, qui vécut trois siècles plus tard. Si le temple d'Artémis Éphésienne a suscité l'admiration et la fascination du monde antique pendant plus de huit cents ans et si sa réputation est parvenue jusqu'à nous, il faut en chercher la raison dans un ensemble de caractéristiques.
Ses dimensions
Le temple dépasse, au moment de sa construction, tout ce qu'on connaissait dans le monde grec. Les Égyptiens avaient depuis longtemps élevé les Pyramides et bien d'autres monuments imposants, mais les Grecs ont attendu le VIe siècle avant d'entreprendre des constructions d'une ampleur comparable aux édifices de la vallée du Nil. Plus grand que l'Héraion de Samos, plus haut que le temple de Didymes, celui d'Éphèse impressionne d'abord par son gigantisme.
Ses innovations techniques et artistiques
Construire un édifice aussi colossal sur le sol instable et marécageux de la plaine du Caystre demanda de l'ingéniosité. Ce défi architectural aux lois de la nature se situe dans un contexte historique et culturel particulier. C'est dans les cités de la côte ionienne qu'apparaissent les prémisses de ce qu'on appelle le « miracle grec ». Les penseurs, astronomes, mathématiciens et ingénieurs de Milet, Colophon et Éphèse, sont, selon l'expression de J.-P. Vernant, aux « origines de la pensée grecque », chaque phase de construction ou de reconstruction coïncidant avec une renaissance ionienne. C'est pourquoi on peut dire, avec A. Bammer, l'archéologue qui a dirigé le dernier chantier de fouilles, que cette réalisation constitue « une victoire de l'esprit sur la matière ».
L'harmonie de ses proportions
Comme son nom l'indique, c'est sur la côte orientale de la mer Égée qu'apparaît l'ordre « ionique », dont les canons vont s'imposer bientôt dans tout le monde grec et bien au-delà. Forme des colonnes et des chapiteaux, rapports de proportions, l'architecte romain Vitruve voit dans le temple d'Éphèse un des édifices modèles de l'architecture religieuse de l'Antiquité.
La richesse de sa décoration
Les matériaux les plus nobles (marbre, or, bois précieux) sont pour la première fois employés de façon aussi massive. Les artistes les plus réputés, en provenance de tout le monde grec, contribuent à l'embellissement de l'ouvrage. Phidias, Polyclète, Crésilas, Pharadmon, Scopas, Praxitèle, Thrason sont invités à travailler à l'Artémision. Attirés par le prestige du lieu, ils y réaliseront des œuvres qui contribueront autant à l'immortalité du site qu'à la leur.
Sa longévité
Du VIe siècle avant J.-C. au IIe siècle après J.-C., le temple a été détruit et reconstruit à plusieurs reprises mais, aux yeux des anciens, il était toujours le même. Mieux, chaque restauration le faisait réapparaître encore plus grand et plus harmonieux. Hérodote en parle déjà au Ve siècle avant J.-C. , Xénophon d'Éphèse le voit dans toute sa splendeur au IIe siècle après J.-C. et l'encyclopédie byzantine de la Souda le mentionne encore au Xe siècle. Mille ans après sa dernière destruction, on le croit encore debout.
Son rayonnement
Puissant, situé à l'écart de la cité, doté de privilèges qui lui confèrent une grande autonomie, l'Artémision exerce son influence aux quatre coins du monde connu : en Asie, bien au-delà de la côte égéenne, jusqu'aux confins de l'Anatolie ; dans tout le bassin méditerranéen, de l'Ibérie à la mer d'Azov. En Grèce continentale et à Rome même, on voue un culte particulier à « Artémis éphésienne » ou à la « Diane d'Éphèse », divinité bien spécifique, aux attributions et à l'apparence distinctes des représentations plus classiques de cette déesse.
Une idole particulière
La première merveille du monde ne serait donc pas elle-même sans sa statue. Ou plutôt ses statues. Quoi de commun, en effet, entre l'antique et rustique « xoanon », grossièrement sculpté dans une souche de chêne, et la splendide « Diane d'Éphèse » de l'époque romaine ? Rien, en apparence. Pourtant, la vox populi, citée par Pline, prétend, contre toute vraisemblance, « qu'elle n'a jamais été changée bien que le temple ait été restauré sept fois ». Ceci montre que, pour les Éphésiens, l'image d'Artémis est indissociable de son temple et de sa renommée. Les « aphidrumata » de la statue d'Artémis éphésienne sont d'ailleurs tout ce qui nous reste de l'Artémision. On ne trouve aujourd'hui sur le site qu'un dérisoire fût de colonne, reconstitué à partir des rares vestiges retrouvés. Les pieds dans l'eau et la tête perpétuellement coiffée d'un nid de cigognes, cet empilement de tambours n'est même pas un vestige, il n'est qu'une borne, un « sêma » et, comme tel, incite plus à la lamentation qu'à la contemplation. De l'Artémision antique, les fouilles ne peuvent rien nous restituer et nous devons seulement nous féliciter qu'on ait pu retrouver son emplacement, après des siècles de disparition totale sous le sable et le limon. Seules la littérature et l'iconographie peuvent encore nous donner une idée de la splendeur passée de ce qui fut peut-être la "merveille des merveilles".
Le temple d'Artémis : situation géographique
La côte ionienne
Éphèse est une cité de la côte ionienne. Située dans l'actuelle Turquie, l'Ionie doit son nom aux premiers occupants grecs qui s'y sont installés, au XIe siècle avant J.-C. Ces Ioniens, descendants, selon la légende, de Ion, fils d'Apollon et de Créüse, auraient émigré en Asie mineure à la suite des invasions achéennes et doriennes.
Strabon, écrivain grec de l'époque romaine, trace les limites de cette région, très découpée mais peu étendue, et énumère les douze (ou treize) cités qui la constituent (Géographie, XIV, 1, 2-4). On peut comparer cette liste avec celle que dresse Vitruve dans son traité De l'Architecture.
Le peuplement
Avant l'arrivée des Ioniens, la côte était peuplée par les Lélèges, les Cariens et les Lydiens, peuples apparentés (κασίγνητοι) qui se considéraient, d'après Hérodote, comme les véritables autochtones. Strabon nous dit à deux reprises qu'ils étaient les premiers occupants du lieu (Géographie, VII, 7, 2 et XIV, 1, 21). Pausanias (Périégèse, VII, 2, 6-9) et Vitruve (De l'Architecture, IV,1) le confirment. Les noms de Carie et de Lydie ont d'ailleurs continué à être employés.
Cette région, au carrefour de l'Asie et de l'Europe, fut toujours soumise à de nombreuses influences et invasions.
L'influence hittite est discutée mais des documents du IIe millénaire avant J.-C. mentionnent une cité nommée Apasas, dans le royaume d'Ahavia. Il est tentant d'assimiler ce nom à celui d'« Ephesos », d'autant qu'« Apasas » signifierait « abeille ». On aurait ainsi à la fois l'origine du nom et celle de l'emblème de la cité, que l'on retrouvera plus tard sur sa monnaie. Les références à la ruche, à la reine et à l'essaim sont également présentes dans certains aspects du culte d'Artémis.
Il est probable, comme le suggère Pausanias, que, jusqu'à l'arrivée des premiers peuples de langue indo-europérenne, la côte fut soumise à la thalassocratie crétoise. Strabon (Géographie, XII, 8, 5) confirme l'influence de la Crète, qui se fera peut-être même sentir jusqu'au VIe siècle puisque ce sont des architectes venus de cette île qui prendront en main la construction du temple d'Artémis.
Les fouilles ont également fait apparaître des tombes mycéniennes.
On a aussi retrouvé des traces d'installations phéniciennes à l'embouchure du fleuve Caystre.
Le site naturel
L'Artémision est aujourd'hui situé à plus de 5 kilomètres de la mer alors que, dans l'Antiquité, il avait été construit à l'embouchure du fleuve, au fond d'un golfe marin, partiellement fermé par l'île de Syrié. Au fil du temps, les alluvions ont comblé ce golfe et constitué la vaste plaine que l'on parcourt aujourd'hui pour parvenir au site.
L'envasement fut progressif. Dès le VIIIe siècle, époque des premières constructions, la zone était déjà marécageuse et fréquemment inondée. Homère évoque déjà son caractère lagunaire en détaillant les nombreux oiseaux qui la peuplent. Les architectes du VIe siècle et du IVe siècle surent trouver les solutions techniques nécessaires pour bâtir sur ce sol mouvant.
Un peu plus tard, le port sacré, par lequel les pèlerins abordaient directement le sanctuaire, devint impraticable et les Éphésiens durent aménager un réseau de canaux pour permettre aux embarcations d'arriver jusqu'au péribole. Pausanias, qui visita Éphèse au Ier siècle après J.-C., signale que Syrié n'est déjà plus une île.
La ville, qui se trouvait à l'origine à côté de l'Artémision, sur la colline d'Ayasoluk, non loin de l'actuelle Seljück, en était assez proche pour qu'au moment du siège de la ville par Crésus, au VIe siècle, les habitants aient pu tendre une chaîne entre le temple et les murailles de la citadelle pour se placer sous la protection de la déesse. L'ensablement obligea à la déplacer, ainsi que le port, à plusieurs kilomètres au sud, au pied du mont Pion. C'est le site de la ville hellénistique et romaine que l'on visite aujourd'hui.
L'espace d'Artémis
J.-P Vernant, dans La Mort dans les yeux, a bien montré que les innombrables caractéristiques d'Artémis peuvent se résumer en une seule : « C'est toujours comme divinité des marges qu'opère Artémis, avec le double pouvoir de ménager, entre sauvagerie et civilisation, les nécessaires passages et de maintenir strictement leurs frontières au moment même où elles se trouvent franchies. »
C'est pour cette raison que, la plupart du temps, les sanctuaires d'Artémis, en Grèce comme en Asie, ne sont jamais situés au cœur des villes mais dans ses faubourgs, en lisière d'une forêt, au bord d'un lac ou au fond d'un domaine privé. Artémis aime les clairières, l'orée des bois, les friches, les confins, les marécages, les plages, les zones inondables... Que ferait-elle en ville ? C'est ce qu'elle dit à son père, Zeus, dans l'Hymne qu'a composé pour elle le poète Callimaque.
La situation est différente quand la déesse devient une des divinités principales de la cité, voire la divinité poliade. En ce cas, on peut trouver des temples importants qui lui sont consacrés au centre de l'espace public, comme à Sardes ou à Magnésie du Méandre, par exemple.
On peut se demander pourquoi cela n'a jamais été le cas à Éphèse, qui abrite pourtant, dans l'Antiquité, le principal sanctuaire d'Artémis.
Le cas d'Éphèse est particulier pour deux raisons :
D'abord parce que la cité ionienne, en bordure de l'Asie, est un poste avancé de la civilisation grecque, environné de vastes territoires habités par des peuples considérés comme « barbares ». Cette situation privilégiée en fait un point de rencontres et d'échanges entre l'Occident et l'Orient, entre toutes les cités grecques qui bordent le pourtour de la Méditerranée, de la mer Noire et de la mer d'Azov, et les immensités anatoliennes. De ce petit point en marge de l'Asie et de la Méditerranée, l'Artémis éphésienne se fera connaître de tout le monde antique.
Ensuite parce que, dans le site naturel si particulier de l'embouchure du Caystre, la déesse « aux mille cités », selon l'expression de Callimaque va trouver son territoire préféré, son biotope, ou si l'on ose ce néologisme, son « hierotope » idéal.
À l'écart de la ville habitée, les visiteurs n'y accèdent, depuis la terre, qu'en suivant la voie sacrée, longue de plusieurs kilomètres (sept stades selon Hérodote – Histoire, I, 142 – et Xénophon d'Éphèse), qui reliait les deux sites ou, directement depuis la mer, par un réseau de canaux. Le péribole se trouve isolé dans une zone marécageuse où se mêlent pierre et boue, eau douce et eau salée, donnant vie à une flore et une faune aquatiques et terrestres, comme en témoigne la diversité des animaux qui viennent compléter le cortège d'Artémis au fil des siècles. C'est un espace amphibie qui convient parfaitement à cette « Limniatis », dont les caractéristiques sont souvent placées sous le signe de la dualité, de l'ambiguïté ou de l'ambivalence.
Géographie des pouvoirs : séparation du politique et religieux
Cette situation géographique particulière explique en partie les rapports qu'entretinrent toujours pouvoirs politique et religieux à Éphèse. L'anecdote de la chaîne tendue entre la citadelle et le péribole sacré, une des légendes de fondation de la cité, rappelle qu'ils ont toujours été à la fois étroits et distants, essentiels et complexes. Éphèse est une des rares cités dont la divinité poliade se tient ostensiblement à l'écart de l'espace public.
Au cours des siècles, la ville et la mer s'éloignèrent, mais, malgré les difficultés de construction, le sanctuaire ne fut jamais déplacé et se trouva donc de plus en plus à l'écart. Il est clair que cet isolement n'était pas pour déplaire à Artémis.
L'Artémision, qui contribuait pour une large part à la renommée de la cité, garda donc toujours son autonomie. À son apogée, le Mégabyse, grand prêtre du culte, jouissait d'un pouvoir et d'un prestige égaux ou supérieurs à celui des magistrats de la ville. Le sanctuaire disposait de ses propres finances et faisait fonction de banque. Il était inviolable et le droit d'asile, accordé à ceux qui se plaçaient sous sa protection, fut rarement transgressé. Miséreux, hors-la-loi, esclaves marrons, trouvaient ainsi « asile » sur un territoire autonome où ils côtoyaient voyageurs, marchands et pèlerins, et qui, à certaines époques, s'étendait bien au-delà des limites du péribole.
Les pouvoirs qui se succédèrent dans la cité ionienne se montrèrent toujours respectueux de cette indépendance. À l'époque de Xénophon d'Éphèse (IIe siècle après J.-C.), la voie sacrée perpétuait toujours le souvenir de la chaîne de Crésus, reliant les deux sites tout en les maintenant séparés.
Les occupants successifs, lydiens, perses, athéniens et spartiates, Alexandre même, se gardèrent de porter atteinte à l'enceinte d'Artémis. Plus tard, à quelques rares exceptions près, les souverains hellénistiques firent de même, ainsi que la République Romaine. Ce n'est que sous l'Empire que les pressions politiques se firent plus fortes. Mais l'« asulia » (ἀσυλία), un temps menacée sous Tibère, fut finalement respectée. Si le culte de l'empereur s'imposa dans la cité, il ne supplanta jamais celui d'Artémis, dont la demeure, connue désormais sous le nom de « temple de Diane », continua de rayonner dans tout le monde antique, depuis le marécage du Caystre.
Légende de fondation
Les Amazones
Éphèse fait partie des nombreuses cités dont on attribue la fondation aux Amazones.
Pausanias rapporte que ces femmes guerrières occupèrent le site à l'époque où Thésée les combattit mais doute qu'elles aient pu fonder le sanctuaire puisqu'elles y sacrifièrent à la déesse et que, vaincues, elles se réfugièrent auprès de ses autels (Périégèse, VII, 2, 7).
Par ailleurs, les sources antiques ne s'entendent pas sur le nom de la fondatrice principale. On cite le plus souvent Smyrna (Σμύρνα), parfois confondue avec la mère d'Adonis, appelée aussi Myrrha. Cette Amazone fonda plusieurs autres cités sur la côte ionienne, dont celle de Smyrne, à laquelle elle donna son nom. Pour Strabon (Géographie, XIV, 1, 4), les cités de Smyrne et d'Éphèse, très proches géographiquement, n'en faisaient qu'une à l'origine, comme en témoignent certaines inscriptions dans lesquelles les Éphésiens s'appellent eux-mêmes « Smyrniens ». Un quartier d'Éphèse porte d'ailleurs toujours le nom de « Smyrna ».
Callimaque, dans son Hymne à Artémis, désigne comme fondatrice Hippo, et Alciphron, cité par Athénée dans les Deipnosophistes, mentionne Latoreia. Assimilée à Léto, dont le culte se développera sur le mont Coressos, cette dernière donnera son nom à un village proche d'Éphèse.
Il est aussi question d'Otréra, épouse d'Arès et mère de la célèbre Penthésilée. C'est elle qu'Hygin désigne, à deux reprises, comme fondatrice du temple (Fabulae, 123 et 225).
Il serait vain de chercher des certitudes dans une origine que les Anciens percevaient eux-mêmes comme confuse et contradictoire mais il est certain que le culte de l'Artémis éphésienne est étroitement lié, dès son origine, à celui des Amazones. Des statues figuraient en bonne place dans l'Artémision et on retrouvera des aspects « amazoniens » dans certaines présentations de la déesse, y compris, paradoxalement, dans l'Artémis dite « polymastos » (aux multiples seins).
Le nom d' Éphesos (Ἔφεσος)
Une tradition, prétendument d'origine lydienne, rattachait la fondation à une autre Amazone, nommée Éphésos, ce qui offrait l'avantage, un peu trop opportun, peut-être, de faire coïncider le nom de la ville et celui de sa fondatrice. Malheureusement, cette Éphésos, mentionnée dans le seul Etymologicum magnum, n'apparaît nulle part ailleurs et a probablement été inventée de toutes pièces à une époque tardive. Si le nom de la cité ne lui vient pas de sa fondatrice, il faut donc le chercher ailleurs. Une autre légende met en scène un Éphesos de sexe masculin, dont on ne sait que peu de choses mais à qui on attribue parfois la construction du premier temple. D'après Pausanias, il était fils du fleuve Caystre et parent des Amazones. Il fut aidé dans sa tâche par un autochtone du nom de Coressos. Ces deux termes renvoient directement aux lieux géographiques (montagne et fleuve) voisins. Dans l'Etymologicum Magnum, Éphesos est un « aubergiste » (κάπελος) qui accueillait les étrangers à leur arrivée sur la côte ionienne et il faudrait même voir là l'origine d'une des fêtes principales de la cité : la procession de Daïtis. « Non seulement le nom d'Éphesos s'étendit à la ville mais le mot repas (daïs), qui se rapportait à sa profession, désigna dès lors le lieu où il l'avait exercée. Le même terme servit à qualifier une des cérémonies du culte de la "Grande Déesse". » Si l'on veut bien passer sur le caractère fantaisiste de cette étymologie, on peut s'intéresser à ce qu'elle sous-entend : Éphèse est, à l'origine, une ville portuaire et commerçante. Sa situation géographique et son dynamisme ont, par la suite, assuré sa prospérité, sa renommée et le rayonnement de sa Grande Déesse.
Androclos et les Ioniens
Selon une autre tradition, la cité aurait été fondée par Androclos (Ἄνδροκλος) ou Androclès (Ἀνδροκλῆς). Cette légende se rattache aux mythes fondateurs des peuples ioniens d'Asie Mineure et au thème du retour des Héraclides, qui correspond probablement au souvenir des invasions doriennes. À la fin du XIe siècle, les Ioniens sont refoulés des régions qu'ils occupaient en Grèce continentale. Les fils de Codros, dernier roi légendaire d'Athènes, partent alors en Asie à la recherche de nouveaux territoires à coloniser. Nélée fondera Milet, Prométhos et Damasichthon Colophon. Avant son départ, Androclès, avait consulté l'oracle de Delphes et savait qu'il devrait fonder sa ville à l'endroit où se rencontreraient un poisson et un sanglier. Quand il accosta en Asie, ses marins firent cuire un poisson sur la plage. Le poisson, encore frétillant, sauta hors du brasier et mit le feu à un buisson d'où jaillit un sanglier. Androclès sut alors qu'il était sur le site d'Éphèse. La légende est rapportée par Athénée dans les Deipnosophistes (2,1.173.15).
Légendes liées à l'introduction du culte d'Artémis
Artémis n'a pas toujours été, à Éphèse, la divinité principale. Avant son arrivée, sur la côte comme dans toute l'Anatolie, dominaient des cultes liés à la déesse mère : la Terre. Ces divinités prenaient des formes et portaient des noms divers : Astarté, Ishtar ou Cybèle, dont le culte traversera les siècles et s'imposera même tardivement à Rome jusqu' à l'avènement du christianisme. L'introduction du culte d'Artémis est donc liée à l'arrivée des premiers colons grecs. Athénée, qui rapporte la légende du poisson et du sanglier, nous dit que, sitôt installés, les Ioniens d'Androclos édifièrent sur la place du marché un temple d'Artémis et sur le port, celui d'Apollon Pythien. La volonté de conquête est évidente et l'allusion est claire : l'attribut d'Apollon (Pythien) rappelle ici son triomphe, à Delphes, sur le monstre fils de la Terre et la volonté des nouveaux occupants d'imposer leurs propres croyances à la place des anciens cultes chtoniens. La substitution se fit, semble-t-il, sans violence car les Grecs, comme plus tard les Romains, assimilaient facilement les cultes étrangers. En Asie, ce syncrétisme religieux favorisa naturellement l'introduction des divinités féminines. Aphrodite, Déméter et Coré, toutes liées d'une manière ou d'une autre à la naissance et à la fertilité, connurent également une grande popularité. À Éphèse, peu à peu, les attributs de la déesse mère, les lieux où elle était honorée, certains aspects de son culte et de ses représentations furent attribués à Artémis. Les légendes sont là pour justifier cette assimilation.
La naissance d'Artémis et Apollon à Ortygie
Pour comprendre l'importance du sanctuaire d'Artémis à Éphèse, il faut enfin rattacher sa fondation à une légende que les Éphésiens s'efforcèrent d'imposer. Dans le monde gréco-romain, on s'accorde à dire que Léto, poursuivie par la vindicte d'Héra, avait trouvé refuge en un lieu nommé Ortygie où elle mit au monde les deux enfants qu'elle avait eus de Zeus : Artémis et Apollon. Dans la tradition mythologique la plus courante, Ortygie est identifiée à l'île de Délos, qui changea de nom et s'appela « la brillante » précisément à l'occasion de la naissance sur son sol du dieu de la lumière. Dans cette version, ce n'est que plus tard que Léto se réfugia en Asie, où elle fut d'ailleurs fort mal reçue par les Lyciens. Les Éphésiens, de leur côté, prétendaient qu'Ortygie était un lieu-dit situé à proximité de leur cité. La déesse serait donc née chez eux et non à Délos. Ils situaient le lieu de l'accouchement sur les pentes du mont Coressos et l'honoraient par des rites particuliers qui se perpétuèrent parallèlement au culte principal qu'ils rendaient à la déesse dans l'Artémision. On a la preuve que ce culte existait encore à l'époque romaine. Strabon dit avoir vu les sanctuaires dans lesquels il était pratiqué (Géographie, XIV, 1, 20). Tacite rapporte également cette légende, en indiquant que les Éphésiens la firent valoir, comme preuve d'ancienneté, auprès de l'empereur Tibère quand celui-ci voulut réviser les privilèges accordés à certains sanctuaires religieux. (Annales, III, 61) Mais ce dernier témoignage doit sans aucun doute inciter à la prudence. Il est possible, en effet, que cette « tradition » ait été construite de toutes pièces et tardivement, pour conserver des privilèges menacés, comme les précédentes l'avaient été pour donner une légitimité au lieu.