Parmi les critères qui conféraient au temple d'Artémis Éphésienne son statut de "merveille", les Anciens prenaient en compte les dimensions exceptionnelles de l'édifice, ses proportions, son emplacement, son pouvoir d'attraction. Mais ce qui assura d'abord la renommée de cette merveille du monde fut le choix et l'emploi des matériaux.
Les fondations
Le problème majeur auquel se trouvèrent confrontés les architectes était la nature mouvante du sol. Bien que de taille plus modeste, les précédentes constructions avaient déjà connu quelques déboires. Aussi, la volonté d'édifier un grand temple en marbre imposait aux bâtisseurs un nouveau défi.
Selon la tradition, rapportée par Diogène Laërce et Pline l'Ancien, c'est Théodoros de Samos, un des architectes du temple de Crésus, qui trouva la solution. Il eut l'idée de constituer un substrat de fondation en mêlant au sable et au limon du charbon de bois et des peaux d'animaux.
Les fouilles de Hogarth et celles, plus récentes, d'Anton Bammer, ont effectivement fait apparaître des vestiges d'éléments carbonifères et divers fragments d'origine organique. Ces débris proviennent sans aucun doute des sacrifices pratiqués dans l'Artémision, sans qu'on puisse affirmer s'il s'agit d'un simple dépôt ou de la confirmation du plan proposé par Théodoros, qui aurait alors recyclé intelligemment les déchets abondants fournis par l'activité cultuelle.
Les fouilles d'Anton Bammer ont aussi révélé une technique complémentaire : une couche de schistes scellés avec de l'argile. Sur cette couche a été posé le stylobate () composé de plaques de marbres polygonales.
Le marbre
Le matériau
Avant le VIe siècle, le marbre était peu utilisé dans l'architecture, d'une part parce que ses gisements étaient assez rares en Grèce et en Asie Mineure, d'autre part parce que le transport et le travail de ce matériau nécessite des machines et des outils qui n'existaient pas avant cette époque. Les temples de Samos et de Didymes, avec lesquels Éphèse souhaitait rivaliser, n'en comportaient pas. L'emploi massif du marbre dans la construction des temples et des autels du VIe et du IVe siècles est donc particulièrement remarquable. Le nombre de temples de marbre resta d'ailleurs réduit pendant toute l'Antiquité. Vitruve, au Ier siècle ap. J-C. n'en connaît que quatre.
Le gisement
L'emploi massif du marbre résulte, certes, d'une volonté politique mais aussi d'une circonstance : la découverte, par hasard, d'un important gisement à proximité de la ville. Selon la légende, que nous raconte Vitruve, c'est un bélier qui, donnant un coup de corne dans une paroi rocheuse, en fit jaillir un éclat d'un blanc bleuté. Intrigué, le berger, nommé Pixodore, le ramena en ville. Il fut récompensé et honoré comme un demi-dieu, sous le nom d'Evangelos (le messager de bonne nouvelle).
Le transport et la mise en place des blocs
Malgré la proximité du gisement, le transport des blocs, de la carrière jusqu'au chantier de construction, semblait un problème insurmontable à cause de leur poids. Même s'ils étaient taillés sur place, ils atteignaient parfois des dimensions telles qu'il semblait impossible de les déplacer par les moyens connus. Grâce aux textes de Vitruve et de Pline l'Ancien, on peut reconstituer la technique mise au point par Métagénès. Pour les colonnes, de section circulaire, il imagina de les faire simplement rouler sur elle-mêmes en les montant sur un cadre de bois que pouvaient alors tracter des boeufs ou des chevaux. Vitruve signale qu'on se servit par la suite de la même technique pour aplanir le sol des palestres. Les architraves, de section rectangulaire, posaient un problème plus complexe. Métagénès eut l'idée de fixer à chaque extrémité de grandes roues de bois. Pour cela, il fallait forer dans la section du bloc un trou dans lequel on enfonçait une cheville métallique qui, traversant le centre de la roue et tenue de l'autre côté par un cube de bois, faisait fonction d'essieu. On pouvait alors attacher une chaîne à chaque roue, et faire rouler les blocs parallélépipédiques aussi commodément que les blocs cylindriques.
Cette technique fut largement réutilisée par la suite, jusqu'à l'époque romaine. On peut encore voir à Segeste, en Sicile un temple qui ne fut jamais achevé. Sur plusieurs de ses blocs, on observe les trous de section carrée qui avaient servi à leur transport.
La mise en place des éléments élevés constituait un autre défi. On estime que chaque colonne devait supporter un poids d'environ cent tonnes. Il fallait hisser ces masses à plus de vingt mètres de hauteur et les ajuster parfaitement. Pline nous raconte le procédé astucieux employé par les architectes pour poser chaque architrave avec la plus grande précision possible.
Les contemporains admirèrent la prouesse technique, et l'exploit accompli fit naître une nouvelle légende. Artémis en personne serait intervenue pour venir en aide à l'artiste désespéré et poser elle-même le linteau principal au dessus de la porte de son temple.
Le bois
Les parties en bois étaient également très travaillées. Pline, qui définit l'ébène, le cyprès et le cèdre comme les bois les plus précieux et les plus aptes à durer, indique que ces trois essences étaient présentes dans le temple.
Le cèdre, dans lequel on peut tailler des poutres longues et solides, était employé pour la charpente et le cyprès utilisé pour fabriquer les portes monumentales qui donnaient accès au naos.
Ici encore, on ne sait pas si le naturaliste parle du temple de Crésus ou du temple hellénistique, qui était encore intact à son époque. Quand il mentionne les grandes portes en cyprès, qui donnaient accès au naos, il déclare "que depuis 400 ans, elles sont absolument comme neuves". L'auteur ayant vécu de l'an 23 à l'an 79 de notre ère, il s'agit donc du temple du IVe siècle. Mais la statue de déesse, sculptée "en bois de vigne", serait, selon lui, restée la même "bien que le temple ait été restauré sept fois." Il parle donc ici de la statue d'origine, appartenant au premier temple.
Le bois employé pour le xoanon serait, selon Pline, de l'ébène ou, peut-être, du cep de vigne. Il était arrosé en permanence de "nard", une huile parfumée très précieuse qui servait depuis la haute antiquité pour les onctions sacrées et à laquelle le naturaliste donne aussi une fonction plus utilitaire, précisant qu'elle servait à la conservation de la statue. Vitruve nous dit au contraire que le xoanon était fait du même bois que les lambris, c'est-à-dire en cèdre, et que cette caractéristique fut ensuite imitée dans d'autres temples.
Nous n'avons guère de précisions sur les techniques d'assemblage de ces bois. Pline pense que la statue de la déesse, qui n'était pas très grande, était d'un seul tenant. Quant aux grandes portes, elles étaient assemblées à l'aide d'une colle que l'on avait laissé sécher pendant quatre ans.
Le réemploi
Malgré la richesse du gisement, qui fut aussi abondamment exploité pour construire la ville, on suppose que le temple n'était pas entièrement en marbre et que, pour les parties les moins visibles, on utilisa un matériau moins noble. Si on a également trouvé du marbre dans les fondations, c'est qu'il s'agit là de blocs récupérés et réutilisés. Ainsi on retrouve la pierre de l'Hecatompédon et du Périptère dans les fondations du temple de Crésus, et celle des deux précédents dans le temple et l'autel hellénistiques.
Il faut noter d'ailleurs que ce réemploi ne s'arrête pas là et que les blocs du temple hellénistique ont été utilisés plus tard pour la construction de Sainte-Sophie de Constantinople et de la basilique Saint-Jean d' Éphèse.
Celle-ci, ruinée dès l'époque byzantine, a fourni à son tour des éléments réemployés dans des constructions ottomanes, jusqu'à une époque assez récente.