Τερψίμβροτος Ἥλιος
Hélios qui comble les mortels
Odyssée, II, 269
Hélios dans la mythologie
La tradition grecque depuis Hésiode fait d'Hélios le fils du titan Hypérion. Avec ses sœurs Sélènè, la lune, et Éôs, l'aurore, il règle le rythme de la vie des hommes. Précédé d'Éôs, celui qui apporte la lumière et la chaleur aux hommes conduit son quadrige aux chevaux de feu : Pyroïs, Éoos, Aïthon et Phlégon. L'astre parcourt le ciel d'Est en Ouest, et en fin de course les chevaux se rafraîchissent dans l'Océan. Hélios, durant la nuit, rejoint l'Orient en naviguant à l'aide d'une coupe.
Simple titan, Hélios, « celui qui comble les mortels de ses bienfaits », est une divinité qui a un certain pouvoir sur l'ordre du monde et la vie des hommes : c'est en menaçant Zeus de cesser sa course et donc de provoquer la ruine des mortels qu'Hélios obtient que l'Olympien intervienne pour châtier Ulysse et ses compagnons qui lui avaient volé ses bœufs. Hélios recommande à son fils Phaéton de bien maintenir la quadrige dans la bonne trajectoire afin de ne pas ruiner le monde : « C'est là qu'il faut marcher ; là tu verras encore les traces de mes roues. Mais, afin que la terre et le ciel reçoivent une égale chaleur, prends garde de trop descendre, ou de trop t'élever dans les plaines de l'éther ; tu embraserais la voûte céleste, ou la terre serait consumée par les flammes. Le milieu est le chemin le plus sûr. » Ovide, Métamorphoses, II, 133-137.
Depuis le ciel, Hélios est aussi celui qui voit tout et en particulier les crimes des autres dieux et des hommes. Le nom même du tribunal du peuple d'Athènes, l'Héliée, est peut-être étymologiquement issu du mot Hélios (la question est discutée depuis longtemps). Hélios assiste à l'enlèvement de Perséphone, aux ébats d'Arès et d'Aphrodite... Il est aussi celui qu'invoquent les personnages des tragédies grecques comme Iphigénie, Phèdre, Œdipe ou Antigone ou celui qui a le pouvoir de rendre la vue à Orion.
Lorsque les dieux entrent en compétition pour choisir les cités où ils seraient particulièrement honorés, Hélios triomphe de Poséidon à Corinthe : le géant Briarée pris pour juge lui accorde l'acrocorinthe.
Pourtant, Hélios n'est pas tout puissant et Héraklès se permet même de le menacer de ses flèches car la chaleur torride du désert de Lybie l'incommodait. C'est ainsi que le fils de Zeus obtient d'Hélios le privilège d'utiliser sa coupe pour traverser l'Océan et aller chercher les bœufs de Géryon.
Religion en Grèce continentale
En Grèce continentale, le culte d'Hélios n'est pas un culte majeur dans les cités, quelques indices révèlent néanmoins que certains Grecs lui faisaient des dévotions quotidiennes. Ainsi, dans Le Banquet, Alcibiade raconte que Socrate, qui avait veillé toute la nuit préoccupé par un problème, interrompit sa réflexion à l'aube après sa prière au Soleil. Ces mentions de dévotion individuelle sont assez marginales, mais les descriptions de Pausanias révèlent aussi que certaines cités comme Corinthe, ou des cités de Laconie, rendaient un culte public au dieu Soleil puisque des autels lui sont dédiés.
Le culte d'Hélios à Corinthe d'après Pausanias
Il est fait mention :
- Au livre II, 1, 6 : « Les Corinthiens au reste disent des merveilles de leur pays à l'exemple des autres peuples ; car les Athéniens, pour donner plus de réputation à l'Attique, ont répandu que même des dieux se l'étaient disputée ; et les Corinthiens à leur imitation disent que le Soleil et Poséidon eurent une pareille dispute au sujet de leur pays ; qu'ils prirent pour juge de leur différend Briarée qui adjugea l'isthme à Poséidon, et le promontoire qui commande la ville au Soleil, et que depuis ce temps-là Poséidon était demeuré en possession de l'isthme. »
- Au livre II, 3, 1 : « Au sortir de la place en tirant vers le Léchée vous voyez une espèce de portique sur lequel il y a deux chars dorés, l'un conduit par Phaéton fils du Soleil, l'autre par le Soleil même. »
- Au livre II, 4, 6 : « La citadelle est au haut d'une montagne qui commande la ville. Les Corinthiens disent que Briarée adjugea cette montagne au Soleil, et que le Soleil la donna ensuite à Aphrodite. Sur le chemin qui y mène il y a deux chapelles d'Isis, l'une sous le nom d'Isis la Pélagienne, l'autre sous le nom d'Isis l'Égyptienne ; deux autres chapelles de Sérapis, l'une sans aucun surnom, l'autre sous le titre de Sérapis de Canope ; plusieurs autels dédiés au Soleil, et un temple consacré à la Nécessité et à la Force, où l'on dit qu'il n'est pas permis d'entrer. »
Le culte d'Hélios en Laconie d'après Pausanias
Il est fait mention :
- Au livre III, 20, 4 : « Au-dessus de Brysée s'élève sur le sommet de montagne un édifice nommé le Talet, et qui est consacré au Soleil ; ces peuples sacrifient à cette divinité plus d'une sorte de victimes, mais particulièrement des chevaux, ce qui est aussi en usage chez les Perses. Près de là est le bois d'Enoras, où l'on trouve toute sorte de bêtes fauves, surtout beaucoup de chèvres sauvages ; et en général le mont Taïgète fournit aux chasseurs une quantité prodigieuse de chèvres, d'ours, de sangliers, de cerfs et de biches. »
Le culte d'Hélios à Rhodes
La situation géographique de l'île, près des côtes d'Asie mineure, explique sans doute combien le culte du Soleil pouvait être important pour les Rhodiens. Socrate (Cratyle) et Aristophane (La Paix) montrent que le dieu du Soleil est une divinité particulièrement importante pour les peuples barbares qui lui rendent un culte public avec des collèges de prêtres dédiés : Rê chez les Égyptiens particulièrement célébré à Héliopolis, Mithra en Asie mineure, Baal solaire à Héliopolis ou Baalbek au Liban...
Il est bien compréhensible que pour les peuples grecs des îles et d'Ionie, Hélios revête une importance particulière compte tenu du brassage culturel avec les peuples orientaux.
La tradition poétique et en particulier l'hymne de Pindare dédié à Diagoras de Rhodes, raconte que l'île fut choisie par Hélios qui, absent lors du partage du monde, avait été oublié : il aimait ses terres fertiles qui pouvaient nourrir aisément hommes et bêtes.
Des prêtres choisis parmi les citoyens
L'épigraphie et des vestiges de bâtiments attestent de l'importance à Rhodes de prêtres particulièrement dédiés à Hélios. Alors que pour les autres cultes, les prêtres appartenaient toujours aux mêmes familles, pour Hélios, le sacerdoce était attribué par le sort, il n'était ni héréditaire, ni à vie. Le prêtre d'Hélios préside aux offrandes et aux cérémonies et c'est lui qui donne son nom à l'année. En effet, de nombreuses inscriptions ainsi que des amphores de vin révèlent la qualité éponyme du prêtre d'Hélios.
Il existait aussi une sorte d'association d'adorateurs d'Hélios, les Haliastai qui disposaient d'une maison dans la cité dans un quartier au nord-est des palestres. Les fouilles ont mis au jour plusieurs vestiges du culte d'Hélios probablement enterrés au IVe siècle au moment de l'interdiction des cultes païens.
Une belle tête d'Hélios en marbre malheureusement dépourvue de ses rayons enrichit les collections du musée archéologique de Rhodes, datant de la période hellénistique, fin du IIe siècle avant J.-C.
Un sanctuaire ?
Il semble que les Grecs n'aient pas créé de vastes espaces sacrés en l'honneur d'une force naturelle comme le Soleil. On ne trouve pas de bâtiment fermé comme un temple consacré à Hélios. Il semble que son culte se fasse plutôt à ciel ouvert sur des lieux élevés où serait consacré un autel. À Rhodes, on peine à savoir s'il y avait réellement un sanctuaire dédié à Hélios comme l'Acropole était dédiée à Athéna ou l'Altis à Zeus.
Sur l'acropole, les fouilles ont mis en évidence plusieurs bâtiments : l'image satellite permet encore de voir les vestiges du temple d'Apollon Pythios et des constructions inhabituelles de pierre au Nord-Est du temple.
Une hypothèse est qu'il s'agirait de la base d'un grand socle qui aurait supporté la statue d'un quadrige conduit par Hélios. S'agissait-il de l'œuvre de Lysippe ? Au pied du socle, on observe une structure qui ressemble aux bords d'un large bassin : le char du soleil aurait-il été mis en scène comme surgissant des flots de la mer ? Y aurait-il eu, à Rhodes dans l'Antiquité, la même mise en scène du char du Soleil surgissant de l'eau que celle que fit Tuby en bronze doré, au XVIIe siècle dans les jardins de Versailles pour le bassin d'Apollon, dieu du Soleil et emblème du Roi ?
Le syncrétisme entre Apollon et Hélios qui tous deux sont Phoibos, resplendissant, serait une invention des stoïciens et des platoniciens. Au début de notre ère, Dion Chrysostome dit dans son discours aux Rhodiens (31, 11) : « Il est vrai que certains disent qu'Apollon, Hélios et Dionysos sont un seul et même dieu, vous le pensez aussi ; et beaucoup de gens ramènent même tous les dieux à une seule et même force et puissance, si bien qu'il importe peu que le culte s'adresse à tel ou tel. »
Devant le bassin et le socle de la statue, les restes d'un autel
Les fêtes consacrées à Hélios s'appelaient les Ἁλίεια (Halieia ou Hélieia).
Comme pour les Panathénées, il y avait deux fêtes d'importance différente : les petites Halieia tous les ans et les grandes Halieia tous les cinq ans. S'agissait-il de fêtes panhelléniques ?
Un extrait les met sur le même plan que les fêtes d'Athènes et d'Olympie : « Les gens de Thespies célèbrent les Érotidides avec autant de ferveur religieuse que les Athéniens lors des Panathénées, les Éléens lors des Olympies, ou les Rhodiens lors des Haliées. » Athénée de Naucratis, les Deipnosophistes (ou Le Banquet des sages), livre XIII.
Un rite important attesté par Festus October equus consiste à précipiter dans la mer un quadrige, offrande offerte à Hélios aurige : Et Rhodi, qui quotannis quadrigas soli consecratas in mare iaciunt, quod is tali curriculo fertur circumvehi mundum.
Les Rhodiens aussi, chaque année, précipitent dans la mer un quadrige consacré au soleil, parce que, dit-on, le soleil fait le tour du monde sur un char de ce genre. Sextus Pompeius Festus De Verborum Significatu, livre XIII (site de Philippe Remacle)
Parlant des rites en Laconie, Pausanias mentionne lui aussi des sacrifices de chevaux à Hélios.
À Rhodes, les Halieia comportent aussi des compétitions comme lors de toutes les fêtes religieuses grecques : courses à pied, luttes, courses de chevaux, de chars, pentathlon, ainsi qu'une course au flambeau et des concours artistiques et musicaux. Le vainqueur recevait une couronne de peuplier blanc, arbre consacré au Soleil. On se souvient que les sœurs de Phaéton, les Héliades, inconsolables de la mort de leur frère furent métamorphosées en peuplier...