- Le Mégabyse (ὁ Μεγάβυζος)

Le Mégabyse est le grand prêtre de l'Artémision.

Sens et origines du terme

Pour un helléniste (et sans doute aussi pour un grec de l'Antiquité), la tentation est vive de trouver dans le terme l'idée de  la grandeur (μεγα) du personnage. Pourtant, l'étymologie doit être recherchée du côté de la langue persane et non du grec. Le mot pourrait venir de l'association de   "baga" (Dieu) et de "yasa" (sacrificateur) ou" bazu" (bras). Le Mégabyse serait donc le « sacrificateur de la divinité » ou le « bras de la divinité ».

Le grand prêtre du temple d'Artémis, à son entrée en fonction, abandonnait son nom profane pour celui de "Mégabyse".  Cette coutume a aussi une origine orientale qui s'appliquait aux souverains assyriens, tel Assurbanipal. On trouve d'ailleurs, dans l'empire, des satrapes ou des généraux nommés "Mégabysos" ou  "Mégabazas". Mégabyse est donc un nom propre désignant la personne autant qu' un nom commun précisant la fonction, les deux étant généralement accompagnés, en grec, d'un article.

L'origine orientale du terme indique-telle que ce sacerdoce a été institué par les Perses après la victoire des armées de Cyrus sur celles de Crésus ? Rien n'est moins sûr, bien que Plutarque qualifie le Mégabyse dont le peintre Apelle fit le portrait de « persan » (Μεγάβυζον δὲ τὸν Πέρσην). Peut-être la fonction existait-elle déjà. Elle aurait simplement changé de nom avec l'arrivée des nouveaux maîtres. Mieux encore, la provenance orientale du culte de Cybèle-Artémis à Éphèse peut faire penser à une origine très ancienne du terme, qui serait donc même antérieur à la fondation du sanctuaire.

Accès à la fonction

Le recrutement 

Oὐ Μεγάβυζος ἦν ὅστις γένοιτο ζάκορος"  (« N'était pas Mégabyse quiconque était zacore »). Ce proverbe, qui nous est parvenu grâce à un fragment du Cythariste, une comédie perdue de Ménandre, montre bien qu'il fallait que les postulants soient de qualité, tant du point de vue moral que social (le zacore est un prêtre de basse extraction voué aux tâches subalternes).
Le Mégabyse devait donc être à la fois d'un rang social élevé et jouir d'une réputation sans faille. Comme l'indique Strabon, on n'hésitait pas à aller recruter fort loin les candidats, parfois au coeur de l'Anatolie, en des régions où les mœurs de la ville ne risquaient pas de corrompre les âmes, ou dont l'éloignement était moins susceptible de susciter jalousie et calomnies.

L'éviration (castration humaine)

" Ἱερέας δ΄ εὐνούχους εἶχον οὓς ἐκάλουν Μεγαβύζους", écrit  Strabon ( Géographie XIV, 1, 23), ce qui signifie que le Mégabyse était castré (l'auteur emploie le pluriel parce qu'à son époque la fonction était devenue collégiale. Voir ci-dessous). 

Comment interpréter cette pratique et comment était-elle perçue dans le monde grec ?
L'éviration (terme propre pour désigner la castration humaine) a parfois été comprise comme une volonté d'Artémis de n'accepter de prêtre masculin que s'il était amputé de sa virilité. C'est une hypothèse plausible, mais, outre qu'on n'en retrouve aucune autre trace ailleurs dans le culte de la déesse, elle semble totalement étrangère à la mentalité grecque et à sa religion.
Pour expliquer cette coutume, il faut encore se tourner vers l'orient. En Syrie, en Mésopotamie et en Perse, plusieurs cultes exigent de leurs prêtres un tel sacrifice. Souvent associé à d'autres mutilations et à des flagellations, son caractère "barbare" est peut-être la réminiscence d'anciens sacrifices humains. Si la déesse grecque s'est accommodée de ces offrandes, c'est qu'on trouve le souvenir de telles pratiques dans sa légende, par exemple dans sa relation avec Iphigénie, sacrifiée à Aulis et sacrificatrice en Tauride..
Pourtant, sur la question des mutilations sexuelles, il existe un véritable fossé culturel entre l'orient et l'occident antiques. Dans le monde gréco-romain, celles-ci sont réprouvées, considérées comme sacrilèges ou interdites. En Lydie et en Phrygie, au contraire, l'eunuchisme est traditionnel et c'est sans doute une des raisons pour lesquelles l'Anatolie était un grand fournisseur de Mégabyses.
Voilà qui nous rappelle, si besoin était, que, par sa situation géographie et son histoire,  Éphèse est au carrefour de plusieurs cultures et civilisations. 
Une autre interprétation de ce rite de la castration est liée au thème de la fertilité. C'est peut-être ainsi qu'ils faut regarder les attributs qui ornent  la poitrine de la statue la plus célèbre d'Artémis éphésienne, dite "polymastos", qui frappaient déjà les Anciens  et qui continuent de nous intriguer.
Vus d'abord comme les seins appartenant à la déesse, puis comme des seins postiches, puis comme des oeufs, on peut aussi les voir comme des testicules de taureaux sacrifiés. Quelle que soit la bonne interprétation (qui est peut-être encore différente), ces symboles ont pour point commun la fertilité, une des caractéristiques essentielles de l'Artémis éphésienne.
L'éviration du Mégabyse n'a donc rien à voir avec celle d'un gardien de harem. Elle revêtait un caractère initiatique qui le faisait renoncer à toute vie profane. Une telle sacralisation donnait donc un surcroît d'importance à sa fonction... jusqu'à ce que son pouvoir soit suffisamment affaibli pour qu'on puisse s'en moquer, comme en témoignent les railleries de Lucien dans le Timon (XXII, 133-4) ou celles de Plaute qui, dans "les deux Bacchis" fait de Théotime le fils du "Mégalobule" ("Megalobuli filius, qui nunc in Ephesost Ephesiis carissimus").

La fonction 

Le Mégabyse joue le rôle de gouverneur de l'Artémision et jouit à ce titre d'une  autonomie quasi totale vis-à-vis des autorités civiles de la cité. La situation excentrée du sanctuaire, en dehors des murailles, favorisant cette indépendance, il cumule des fonctions religieuses, administratives et politiques.

Fonctions religieuses 

Il est le maître de cérémonie pour tous les cultes rendus à Artémis, assisté dans ces tâches par une véritable armée de prêtres et de prêtresses à l'intérieur - et souvent hors - de l'enceinte du sanctuaire.  il  est donc d'abord sans doute le grand sacrificateur, bien qu'aucun texte ne l'atteste. Il conduit aussi l'"exodos", la procession d'Artémis. C'est dans ce dernier rôle que la peinture d'Apelle le représentait, aux dires de Plutarque.

Fonctions administratives 

Il a d'abord la responsabilité de la gestion du clergé. Les prêtres et les prêtresses sont placées sous sa garde, et il doit veiller à leur chasteté, situation parfois difficile pour le gardien comme pour ses ouailles.

Mais son rôle le plus important est celui de gardien du trésor. Le sanctuaire recèle des objets d'une valeur considérable, venus de tout le monde antique, comme offrandes à la déesse ou hommages au clergé. De plus, du fait de son autonomie et de son caractère inviolable et sacré, l'Artémion  fonctionne  comme un coffre-fort dans lequel des personnages importants viennent, parfois de très loin, déposer une partie de leur fortune en argent ou objets précieux. Le Mégabyse règne donc sur un véritable trésor, et fait office de banquier, comme le confirme cet épisode que raconte Xénophon dans l'Anabase.

Fonctions politiques 

A l'apogée de sa fonction, le Mégabyse parle d'égal à égal avec les rois. C'est d'abord avec lui qu'Alexandre doit négocier quand il fait son entrée à Éphèse en 334, après la difficile prise de Milet. 

Mais c'est la gestion du droit d'asile qui lui confère sa véritable importance politique. Face aux pouvoirs divers qui essaieront tour à tour de transgresser la barrière du sanctuaire, il est le garant de ce privilège, qui  est une des caractéristiques principales de l'Artémision . Il doit donc tout à la fois gérer les demandes d'asile, assurer l'ordre à l'intérieur de l'enceinte et résister aux pressions extérieures. Cela se traduit parfois par des situations de crise. 

Le Mégabyse entra ainsi en conflit avec Mithridate et Marc Antoine. Ce dernier le fit même emprisonner. Mais il est vrai qu' à cette époque, ses pouvoirs étaient considérablement affaiblis.

 La décadence de la fonction 

Strabon nous indique qu'au début de notre ère, le culte d'Artémis avait déjà perdu certaines de ses caractéristiques originelles. Il ne précise pas lesquelles mais, comme il ne parle plus du Mégabyse mais de plusieurs mégabyses, le terme est manifestement devenu pour lui un nom commun. C'est donc que la fonction est devenue collégiale, sans doute sous la pression de Rome qui n'aimait guère que les attributions religieuses ou administratives importantes se trouvent concentrées entre les mains d'un seul homme. La même évolution se produit dans d'autres sanctuaires d'Asie Mineure. Sans doute ce collège de mégabyses comportait-il un ἀρχιέρευς (archiereus, archiprêtre) mais l'autorité de ce dernier n'avait plus rien à voir avec celle de l'ancien Mégabyse.  On sait qu'il ne conduit plus la procession d'Artémis et, surtout, les inscriptions relatives au trésor ne font plus désormais mention que des « gardes » affectés à sa surveillance.
Sur l'inscription concernant la donation de C. Vibius Salutaris, qui fournit  la liste exhaustive des cultes en l'an 104 de notre ère, le terme  n'apparaît plus du tout.
Le dernier à le mentionner est Appien, dans sa Guerre civile. La date peut être donnée avec une relative précision puisqu'il est question du séjour de Marc Antoine à Éphèse, en l'an 34 av. J.-C., donc.

Par qui le Mégabyse a-t-il été remplacé ? L'inscription de C. Vibius Salutaris mentionnant l'existence d'une « grande prêtresse », on est conduit à penser  que la fonction sacerdotale s'est féminisée au début de l'époque impériale. Etant donnée la nature du nouveau pouvoir, cette féminisation signifiait sans doute un affaiblissement supplémentaire du rôle du grand prêtre. Qui était cette grande prêtresse ? Probablement une des hierai placées à l'origine sous l'autorité du Mégabyse et dont l'importance s'est accrue au fur et à mesure que l'ancienne fonction déclinait.

musagora

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