La ville de Rhodes est sur la pointe nord de l'île. Cette image permet de bien distinguer :
Les trois ports de Rhodes qui existent depuis l'Antiquité : à l'est, le port ouvert, au centre, le grand port, et un troisième port plus étroit qui était dans l'Antiquité le port de guerre avec les arsenaux. Celui-ci est fermé à l'est par une longue jetée au bout de laquelle se trouve le fort Saint Nicolas. En zoomant, le môle apparaît nettement.
Les fortifications médiévales érigées par les Chevaliers de St Jean : large enceinte renforcée de tours. L'agora antique était située à peu près au centre de cette zone, non loin du grand port.
À l'ouest de la ville moderne, une zone presque sans végétation est marquée par l'emplacement d'un ancien stade au pied de l'acropole
En zoomant à cet endroit, on peut apercevoir à l'est du stade des zones de formes carrées qui sont les palestres, et à l'ouest de la piste, adossés à la colline, les vestiges d'un théâtre. Sur l'acropole, on découvre les structures du temple d'Apollon.
Dans l'Antiquité, après le siège de Rhodes, au moment de l'édification du colosse, les Rhodiens avaient construit une fortification qui courait bien au-delà de la forteresse médiévale : elle protégeait toute la côte et traçait une ligne est-ouest protégeant aussi l'acropole et le stade.
Curieusement, aucun texte antique, dont nous disposons pour l'heure, ne précise exactement où Charès de Lindos a bâti son colosse. Comme pour le Mercure des Arvernes de Zénodore, l'emplacement de la statue est discuté car ni les textes, ni l'archéologie ne fournissent des preuves indiscutables. Charès de Lindos l'a-t-il construit sur le môle qui s'avance vers l'est du port militaire, dans la cité ou sur l'acropole ?
Un colosse à l'entrée du port
Ce que disent les textes
Au XIVe siècle, Nicolas de Martoni fait escale à Rhodes en route pour Jérusalem. En effet, l'île est l'un des points de ravitaillement des pèlerins. Dans son récit de voyage, il rapporte :
In capite moli, est quaedam ecclesia vocabuli Sancti Nicolai et dictum ac certificatum fuit michi quoddam magnum mirabile quod, antiquo tempore, fuit quidam magnus ydolus, sic mirabiliter formatus quod unum pedem tenebat in capite dicti moli ubi est ecclesia Sancti Nicolai et alium pedem tenebat in capite alterius moli ubi sunt molendina quae mola distant unum ab alio per medium mileare super quibus stabat squaratus et rectus.
Nicolas de Martoni Pèlerinage à Jérusalem, Revue de l'Orient latin" III, 585
À l'extrémité du môle, il y a une église qui porte le nom de Saint Nicolas, et on me dit et certifia quelque chose d'extraordinaire : dans l'Antiquité, il y avait une grande statue à la position tout à fait extraordinaire. Un de ses pieds reposait à l'extrémité du môle où se trouve d'église Saint Nicolas tandis que l'autre reposait à l'extrémité de l'autre môle où il y a des moulins. Ces môles sont distants l'un de l'autre de 1 000 pieds et la statue se dressait droite et imposante.
Traduction Musagora
Martoni insiste lui-même sur le caractère incroyable de la position de la statue tant la distance entre les deux môles est grande. Cependant ce texte va être à l'origine de la représentation du colosse jambes écartées à l'entrée du port, imagerie persistante jusqu'au XXIe siècle.
Un autre récit de voyage d'un français cette fois, à la fin du XVe siècle, donne une image du port de Rhodes et particulièrement des môles dont parle Martoni.
Ce que révèle l'archéologie
C'est sur la découverte, en bout de jetée du port (actuellement fort Saint Nicolas), d'une pièce de marbre d'une taille telle qu'elle aurait pu être constitutive de la base du colosse que s'appuie l'hypothèse d'un colosse à l'entrée du port. En effet, ce bloc de marbre du Fort Saint Nicolas pourrait être un élément de la base du colosse et d'autres gros blocs de pierre pourraient être les restes du remploi des pierres qui avaient servi à Charès pour consolider l'intérieur de la statue, comme le mentionnent Pline et Philon.
Les statues colossales dans des ports de la Méditerranée à l'époque romaine
Il semblerait que sous l'empire romain de même que le phare d'Alexandrie est devenu un modèle pour d'autres ports de l'empire, le colosse de Rhodes ait donné l'impulsion pour des sculptures monumentales à l'entrée des ports. Ainsi à Ostie comme le montre la numismatique. C'est dans cette tradition que s'inscrit l'édification de la Statue de la Liberté sur l'île de Liberty Island au sud de Manhattan, à l'embouchure de l'Hudson River en 1886.
Difficultés techniques supplémentaires liées à la situation sur un môle
Si le colosse a bien été construit sur le môle à l'entrée du port, cela a dû poser bien des difficultés :
– les vents peuvent être forts comme l'atteste la présence de moulins depuis le XIVe siècle ;
– l'amoncellement de terre dont on pense que Charès s'est servi à la fois pour sécuriser la statue durant son édification et pour permettre la fonte sur place a dû résister durant 12 ans aux vents et aux vagues ;
– l'acheminement des matériaux (longues pièces de bois ou de métal pour les armatures internes, blocs de pierre pour édifier le socle et stabiliser la partie inférieure du colosse...) devait être complexe sur cette avancée étroite de terre.
Un colosse dans la cité ?
Ce que disent les textes
Aucun des textes dont nous disposons ne mentionne qu'après le séisme une partie du colosse reposerait dans la mer. Cassée à hauteur de genoux, si cette statue de 31 mètres avait été située sur ce môle étroit, il paraît naturel de penser que des débris auraient été noyés.
Dans Histoire, V, 88-90, Polybe liste les dons des différents états aux Rhodienœs après le séisme qui a provoqué entre autres la chute du colosse. Ptolémée offre, « pour la restauration du colosse 3 000 talents, cent charpentiers, trois cent cinquante manœuvres et quatorze talents pour le salaire annuel de tous ces ouvriers ». Il n'est pas question de bronze pour remplacer les pièces manquantes.
Strabon dans Géographie, XIV, 2 situe les œuvres célèbres de Rhodes : d'après lui la plupart sont, à son époque ( c'est à dire au Ier siècle avant J.-C.), dans la cité. Si les vestiges du colosse gisaient extra muros, à l'entrée du port, cette localisation n'était-elle pas suffisamment innovante pour que Strabon la mentionnât ? Plus loin dans le même texte, il écrit que « le colosse gît maintenant étendu sur le sol ». Si la statue brisée avait eu des morceaux dans l'eau, n'aurait-il pas signalé ce destin funeste d'une représentation d'Hélios définitivement noyée dans la mer ?
Le texte de Pline laisse aussi pencher pour une hypothèse intra-muros : la statue est « jacens », elle gît à terre comme le disait Strabon, cassée. Manifestement, à son époque on pouvait voir au moins « un pouce », « des doigts ». Vu la taille du colosse, au moment du tremblement de terre, ces éléments ne seraient-ils pas tombés dans l'eau si le colosse avait été sur le môle ?
Comme nous l'avons mentionné plus haut, Philon explique que pour fondre sur place et pour protéger la statue, Charès enterre peu à peu le colosse. Cet amoncellement de terre aurait-il pû être réalisé sur ce môle étroit, soumis aux éléments qui plus est ?
L'empereur Hadrien, si l'on en croit le texte de Malalas, aurait-il fait la dépense de faire refondre les parties abîmées dans la mer ? Le texte dit qu'Hadrien fait « redresser » la statue.
Ce que révèle l'archéologie
Pour l'instant, on n'a trouvé à l'intérieur de la cité antique de Rhodes aucun bloc de pierre issu de la base pouvant indiquer que la statue était dans l'agora ou sur l'acropole. Mais la situation est la même à Augustonemetum en Auvergne où les archéologues peinent aussi à situer le colosse de Mercure fait par Zénodore, et à Rome il ne reste rien non plus du socle du colosse de Néron déplacé par Hadrien devant l'amphithéâtre Flavien.
Certains pensent que pour être visible de loin, le colosse aurait dû être sur une position élevée, c'est l'hypothèse retenue par le graveur italien du XVIIe siècle (voir ci-dessous) mais il n'y a aucune preuve archéologique.
Une hypothèse retenue parfois
Au XVIIe siècle par un artiste italien : ruines du colosse au VIIe siècle dans Septem orbis admiranda
Le graveur italien représente les ruines du colosse qui n'enjambait pas le port mais était situé dans les terres, en position dominante. Le moment représenté est celui où la statue est totalement démantelée pour être acheminée à dos de chameaux en Syrie, comme le raconte Constantin VII Porphyrogénète.