Les prêtresses
Artémis donne toujours leur place aux femmes et celles-ci n'étaient bien entendu pas absentes de l'Artémision. Les Amazones n'étaient-elles pas ses premières servantes, à l'origine même de son culte en ce lieu ? Si le premier sacerdoce fut exercé, jusqu'à l'époque hellénistique, par un homme, le Mégabyse, les prêtresses n'en occupaient pas moins des fonctions importantes. Elles ont même été amenées progressivement à jouer les premiers rôles.
Hierai, korai, parthénoi, melissai ?
La stèle de C. Vibius Salutaris ne parle que de "hierai" (prêtresses) mais, au cours des siècles et selon les circonstances, on leur donna des noms différents. Pour Aristophane, dans les Nuées, ces prêtresses sont des "Korai" (κόραι, jeunes filles). Ménandre dans un fragment du Cythariste, parle des "Parthenoi" (παρθένοι, vierges) d'Ephèse, tout comme Strabon plusieurs siècles plus tard, et Xénophon d'Ephèse au IIIe siècle de notre ère. Il est vrai, cependant, que ces termes pouvaient s'appliquer indifféremment à bien d'autres cultes et en de tout autres lieux.
Plus spécifique est le terme de "Melissai" (μελίσσαι, abeilles). L'appellation fait immédiatement songer à l'emblème de la cité, qu'on retrouve sur les pièces de monnaie qu'elle frappait, sur des bijoux sacrés et sur la statue d'Artémis Ephésienne. Le terme est peu fréquent dans les textes mais on sait qu'Euripide, dans une de ses tragédies perdues, les appelait ainsi. Nous avons conservé ce vers, qu' Aristophane parodie dans Les Grenouilles :
Euripide : Eὐφαμεῖτε· μελισσονόμοι δόμον Ἀρτέμιδος πέλας οἴγειν.
"Silence, Mélissonomes, on va ouvrir le temple d'Artémis."
Mode de vie et fonctions
Le terme "melissai" a suscité des commentaires divers et parfois hasardeux. Rien ne prouve que ces "abeilles" aient été organisées comme des ouvrières dans une ruche, entourant leur reine. Pourtant, l'organisation collégiale et quasi militaire de cette congrégation, sur le modèle de l'éphébie masculine, autorise un rapprochement et, étymologiquement, il est tentant de les voir comme le pendant féminin des "Essènes", prêtres masculins.
On peut aussi établir un parallèle entre le collège des "hierai" et celui des mégabyses qui a fonctionné à partir de la période romaine.. Il semble bien que les deux groupes étaient alors d'égale importance.
Plutarque, au chapitre 24 de son oeuvre An seni sit gerendo respublica, compare les prêtresses d'Artémis aux Vestales de Rome. La même exigence de virginité s'appliquait en effet aux unes comme aux autres. Il semble cependant que cette règle se soit assouplie avec le temps et qu'elle n'ait plus eu cours à l'époque impériale.
La grande prêtresse
La fonction de grande prêtresse apparaît sans doute assez tard, à l'époque romaine, avec l'effacement progressif du Mégabyse. Toutefois, cela ne signifie pas que cette prêtresse eut un jour un pouvoir équivalent à celui du grand prêtre, la féminisation des fonctions sacerdotales sous la République et l'Empire correspondant au contraire à un affaiblissement du pouvoir religieux face au pouvoir politique.
Qui était-elle ?
On peut se la représenter sous les traits de la jeune Anthia, héroïne des Ephésiaques de Xénophon d'Éphèse. Le début de l'œuvre nous montre la jeune fille conduisant la procession d'Artémis. Même si la situation est romanesque, nous avons la chance de bénéficier là d'un texte rédigé par un témoin visuel de ces cérémonies. Or, on voit bien que le costume d'Anthia, précisément décrit, n'est pas celui des autres "parthenoi". Elle est si belle et si richement parée qu'"on pourrait la prendre pour la déesse elle-même". Bien que l'auteur ne la désigne jamais formellement ainsi, tous ces éléments font donc d'Anthia un personnage d'importance, qui ne peut être que la Grande Prêtresse.
On pourrait objecter que la jeune fille n'a que 14 ans mais cet argument peut facilement être retourné. En effet, tout comme la féminisation, l'âge contribue à l'affaiblissement du pouvoir religieux. On trouve à Rome, à l'époque impériale, un enfant de 7 ans officiant comme prêtre de Cybèle.
Les Essènes (οἱ Ἐσσῆνες)
Parallèlement au collège de prêtresses, il existait, jusqu'à l'époque hellénistique, un groupe de prêtres appelés "Essènes", attesté par diverses inscriptions. On trouve le même terme chez Pausanias.
Origines du nom
Comme le mot "Melissai", le terme "Essène" intrigue. On n'en trouve que quelques occurrences dans la littérature grecque, le plus souvent chez des auteurs tardifs, et, quand il ne désigne pas un prêtre d'Artémis, on le traduit ordinairement par "roi". C'est le sens que donne le dictionnaire Bailly :
" Ἐσσήν : 1. Roi 2. Prêtre d'Artémis".
Le lexicographe byzantin Héséchius d'Alexandrie donne pour sa part :
Ἐσσήν· βασιλεύς, ἡγεμών , soit "roi, chef". (epsilon 6335)
Dans l'Hymne à Zeus, de Callimaque, Ἐσσήν désigne le maître de l'Olympe. :
"Οὔ σε θεῶν ἑσσῆνα πάλοι θέσαν, ἔργα δὲ χειρῶν" ("Ce ne sont pas les sorts qui t'ont fait roi des dieux, ce sont les œuvres de tes mains")
Toutefois, en consultant la Souda, on trouve la définition suivante :
Ἐσσήν· βασιλεύς· κυρίως τῶν μελισσῶν. Ἐσσῆνος , ἡ γενική", ce qu'on peut traduire par "Roi, principalement des abeilles, génitif Ἐσσῆνος" (epsilon 3131)
L'Essène est donc à l'origine le roi des abeilles, ce que confirme cette sentence de Didyme l'Aveugle, auteur chrétien du IVe siècle :
" Ὥσπερ ὁδηγεῖ τὰς αἶγας ὁ κτῖλος, οὕτως ὁ ἐσσὴν τὰς μελίσσας." : "Comme le bélier mène les chèvres, ainsi le roi mène les abeilles.
Pour les Grecs, ceux d'Asie Mineure du moins, il existe donc un "roi" et non une reine des abeilles. Comment et pourquoi ce terme désignant la royauté s'est-il appliqué à un corps sacerdotal ? Peut-être parce qu'à l'origine les Essènes appartenaient à la famille royale (Ch. Picard évoque la possibilité qu'il s'agisse des Androclides dont parle Strabon). Quoi qu'il en soit, on peut en faire un corps symétrique de celui des prêtresses "melissai" (abeilles).
Modes de vie et fonctions :
Si l'on en croit Pausanias, les règles de vie des Essènes sont aussi rigoureuses que celle des femmes. Ils sont soumis à l'obligation de l'agneia (ἀγνεία, pureté, chasteté) qui implique le renoncement total aux plaisirs et aux soins du corps. (Périégèse, 8, 13, 1). Ce court extrait est d'un grand intérêt car il nous indique que le collège existait encore à l'époque romaine et, surtout, que la fonction ne durait plus qu'un an, comme probablement, celle des femmes, ce qui adoucissait l'obligation d' agneia.
Cette évolution est confirmée par une inscription figurant sur une stèle conservée au British Museum sur laquelle on lit que "Γ Σκάπτιοξ Φρουτεῖνος" a été, pendant son année de prêtrise "ἐσσὴν ἀγνῶς καὶ εὐσεϐῶς" ("Essène vivant dans la chasteté et la sainteté")
On sait peu de choses sur les fonctions religieuses des Essènes mais on peut, sans grand risque, penser que l'essentiel de leur temps devait était consacré au service de la déesse. Outre leurs fonctions religieuses, Ch. Picard, dans son étude sur Éphèse et Claros, suggère des tâches administratives et financières, y compris hors de l'Artémision, dans le cadre de la cité et le texte de Pausanias les qualifie d' ἱστιάτορας (restaurateurs). Ils devaient donc, entre autres, s'occuper des banquets sacrés.
Les fonctions subalternes
A côté des prêtres et des prêtresses qui avaient un rapport direct avec la liturgie, existaient, comme dans tous les sanctuaires, plusieurs groupes de serviteurs sacrés. Ch. Picard, dans Éphèse et Claros, en relève quelques-uns.
Les fonctions orchestriques
La liturgie s'accompagne, comme partout d'un spectacle : récitations, chants, danses, musique. Le sanctuaire disposait pour cela de groupes spécialisés. On peut relever :
Les théologoi (οἱ θεολόγοι), qui récitaient les prières. Il semble qu'ils officiaient surtout pendant les Mystères.
Les molpoi (οἱ μολποί), chanteurs qui intervenaient principalement dans les processions.
Les hymnodes (οἱ ὑμνωδοί), chanteurs d'hymnes, sorte de chorale sacrée exclusivement réservée au culte d'Artémis. Les Romains qui tentèrent de l'utiliser pour le culte de l'empereur se heurtèrent à une vive résistance.
Les acrobates (οἱ ἀκροβάται), littéralement, "ceux qui marchent sur leurs extrémités", confrérie étonnante, mentionnée, malheureusement avec une lacune, dans le lexique d'Héséchius :
"Ἀκροβάται· ἀρχή τις παρὰ Ἐφεσίοις τῆς Ἀρτέμιδος θυσιῶν"
La définition d'Héséchius ne nous éclaire guère. D'après leur nom, ces "acrobates" étaient plutôt des danseurs et il est probable qu'ils accompagnaient les sacrifices, non pas en faisant des "acrobaties" mais en tournant sur eux-mêmes sur la pointe des pieds, autour des autels ou des effigies de la déesse, un peu à la manière des derviches quelques siècles plus tard..
Les deipnophores (οἱ δειπνοφόροι) : leur fonction consistait à apporter et à servir les mets au cours du banquet sacré, lors des fêtes de Daitis ou de la Panégyrie.
Les theoroi (οἱ θεωροί) : le terme a deux acceptions : spectateurs et visiteurs. Les θεωροί étaient chargés à la fois de l'organisation des spectacles et des fêtes, et de leur publicité. Ils jouaient donc aussi le rôle d'ambassadeurs en allant annoncer l'ouverture des cérémonies dans les cités ioniennes et, au-delà, dans tout le monde grec.
L'entretien des objets du culte
Les kosmeteirai (οἱ κοσμετεῖραι)
Ces femmes veillaient sur la garde-robe de la déesse : vêtements, parures, offrandes. Il ne s'agit pas d'un simple rôle d'habilleuse mais aussi de gardienne, chargée de prévenir la theosulia ( ἡ θεοσυλία, le sacrilège). Élien raconte l'histoire d'un enfant qui fut puni de mort pour avoir dérobé un pétale d'or sur la couronne de la déesse. Certaines inscriptions trouvées à Éphèse et dans les environs donnent à penser que les kosmeteirai étaient d'anciennes prêtresses sorties de charge.
Les cosmophores (οἱ κοσμοφόροι) et les naophores (οἱ ναοφόροι)
Les cosmophores et les naophores intervenaient dans les processions. Les premiers portaient la parure d'Artémis lors de la procession de Daïtis, les seconds des châsses renfermant des objets sacrés et des images de la déesse. Pour bien montrer tout cela aux fidèles, il fallait porter ces objets à bout de bras. On peut donc supposer que cette corporation était constituée de jeunes hommes assez robustes, comme dans les processions de la Semaine Sainte que l'on peut encore voir aujourd'hui en Espagne.
Les chrysophores (οἱ χρυσοφόροι)
Comme leur nom l'indique, les chrysophores ont la charge du trésor. La richesse de l'Artémision étant proportionnelle à sa renommée, leur fonction, commune à beaucoup de temples, revêtait à Éphèse une importance particulière. L'importance de la corporation alla donc croissant et il semble qu'à l'époque romaine, elle n'ait plus rien eu de subalterne. Par plusieurs décrets, la cité accorde alors à ces serviteurs d'Artémis des privilèges politiques et administratifs, dont le droit de siéger au premier rang du théâtre, en vêtements blancs, devant la statue de la Piété ("Δεδόχθαι ἔχειν αὐτοὺς τὸν τοπον, καθίζειν δὲ πρὸς τὴν Εὐσέβειαν αὐτοὺς λευχειμονοῦντας")
Les fonctions individuelles :
Certaines tâches étaient remplies par une seule personne, soient parce qu'elles ne nécessitaient pas de personnel important, soit parce que la responsabilité de la tâche devait rester individuelle.
ὁ τὰ καθὰρσια ποιῶν et ὁ ἐπί τῶν παραθηκῶν étaient chargés de l'entretien et du nettoyage des objets de cultes (statuettes et vases)
ὁ ζυγοστάτης, "le zugostate, vérificateur des poids" : chaque objet précieux était soigneusement pesé et son poids (donc sa valeur) notés.
ὁ ἐπὶ τοῦ ἀργυρωμάτος, le "préposé au nettoyage des statues". Sοn nom vient de la craie qu'il employait pour cette opération : l'ἀργυρωματικὴ γῆ, dont Pline l'Ancien décrit les propriétés dans son Histoire naturelle.
Le σπονδοπόιος, "verseur de libations"
Le ἱεροκήρυξ, "héraut sacré" dont les attributions sont mal connues.
La συνεργασία ἱεροῦ γεύματος : "l'organisatrice du repas sacré" de la fête du Daitis ou de la Panégyrie.