Épidaure - Le célèbre sanctuaire et le théâtre grec

Petite ville de la côte nord-est du Péloponnèse, en Argolide, dans une belle vallée arrosée de sources, Épidaure était très réputée dans l’Antiquité pour son sanctuaire panhellénique (de πάν / pán «tout» et ἑλληνικός / hellênikós « grec ») consacré à Asklepios, le dieu médecin : pèlerins et malades accouraient de toute la Grèce demander leur guérison. Aujourd’hui, le site attire toujours les visiteurs venus admirer les vestiges antiques et notamment le célèbre théâtre, l’un des plus majestueux de Grèce, à l’acoustique saisissante.

Que dit la mythologie ?

Plusieurs récits coexistent. Pour Homère, Asklepios est un simple mortel, originaire de Thessalie : bon médecin, il transmet son art à ses deux fils, Machaon et Podalire, qui l’exercent pendant la guerre de Troie.

Selon la tradition principale cependant, Asklepios est un demi-dieu né à Épidaure, du dieu Apollon et de la mortelle Coronis, dont le nom signifie « corneille » (en grec ancien Κορωνίς / Korônís, de κορώνη / korốnê, « corneille »). Cette princesse de Thessalie avait pris pour amant un mortel, Ischys. Quand Apollon découvrit l’infidélité, à cause de l’indiscrétion d’une corneille, il demanda à sa sœur Artémis de tuer la jeune femme. Il punit également l’oiseau qui était blanc avant cet événement et devint désormais noir. Sur le bûcher funéraire, Coronis révéla en mourant qu’elle était enceinte : l’enfant fut arraché in extremis du ventre de sa mère et sauvé. Apollon le confia au centaure Chiron qui l’éleva et lui enseigna la médecine. Asclépios remporta un tel succès dans cet art qu’il réussit à ressusciter des morts. Pour cette atteinte à l’ordre naturel des choses, il fut foudroyé par Zeus puis placé dans la constellation du Serpentaire. Même mort, Asclépios continua toutefois à soulager les malades venus l’adorer, à Épidaure ou à Tricca, en Thessalie. Apollon vengera la mort de son fils en massacrant les Cyclopes (inventeurs de la foudre) : Zeus le condamnera à son tour à expier ce crime en étant au service d’un mortel, Admète, pendant un an.

Selon une autre version, Coronis venue avec son père dans la région d’Épidaure accoucha en toute discrétion de l’enfant, qu’elle abandonna sur le mont Titthion (le Téton) qui domine la ville et se nommait auparavant Myrtium. Le bébé, qui resplendissait d’une étrange lumière, fut sauvé et nourri par une chèvre. Des miracles survenus dans le bois sacré confirmèrent cette version et permirent à la cité d’emporter l’honneur d’avoir vu naître Asclépios.

Quoique de nature mortelle, Asclépios fut honoré comme un dieu à partir du VIe siècle avant J.-C. : à Épidaure, son principal lieu de culte, il était associé à celui d’Apollon Maléatas, qu’il finit par éclipser. Au IVe siècle avant J.-C., le succès du sanctuaire était tel qu’il s’exporta et l’on ouvrit d’autres sanctuaires par exemple à Athènes, en Crète ou à Pergame en Asie mineure, jusqu’à Rome où il fut honoré sous le nom d’Esculape.

Comment guérissait-on à Épidaure ?

L’arrivée à Épidaure mettait sans doute le visiteur dans de bonnes dispositions. La douceur des lieux, la splendeur des bâtiments, la variété des activités et la compétence du personnel firent que les pèlerins affluèrent pendant des siècles de toute la Grèce, même d’îles éloignées.

Le rituel à accomplir était celui de l’incubation thérapeutique (du latin in/cubare, se coucher sur ; en particulier : se coucher « dans un temple sur la peau de victimes pour attendre les songes de la divinité et en tirer une interprétation » cf. Gaffiot, s.v.). C’était un rituel de guérison miraculeuse. En effet, après avoir accompli des gestes de purification, des offrandes et sacrifices, les consultants s’allongeaient et passaient la nuit dans l’abaton (τὸ ἄβατον, où on ne peut pas marcher), un portique (long édifice bordé de colonnes) jouxtant le temple d’Asclépios. Pendant la nuit, le dieu lui-même, parfois aidé de ses filles, les déesses guérisseuses Hygie, Iaso et Panacée, devait apparaître en rêve au malade. Il pouvait soigner par attouchement ou imposition de sa bague sur la partie du corps souffrante, en suggérant un remède ou encore par l’intervention d’un animal sacré (oies, serpents ou chiens qui mordaient ou léchaient les parties malades). Les domaines d’intervention étaient variés : disparition de cécités, de paralysies, d’ulcères, d’abcès, d’épilepsies ou encore de stérilité… Plusieurs récits de ces guérisons miraculeuses ont été gravés sur des stèles parvenues jusqu’à nous et de nombreux ex-voto (petites offrandes faites en demande ou remerciement de la guérison obtenue) sont encore visibles sur le site d’Épidaure. Miracle ou affabulation ? Hier comme aujourd’hui, l’état psychologique du malade joue sans doute un rôle important dans son processus de guérison. Notons que le rite de l’incubation a été pratiqué par d’autres religions (cf. christianisme primitif en particulier) et civilisations dans l’Histoire.

Le dieu n’était toutefois pas le seul à intervenir à Épidaure : au matin, les prêtres-médecins du sanctuaire étaient vraisemblablement consultés pour interpréter les rêves et sans doute donner le traitement à suivre (bains, exercices physiques, régimes, prise de plantes médicinales, voire interventions chirurgicales...) Les archéologues ont en effet retrouvé sur le site de nombreux instruments médicaux et chirurgicaux attestant d’une intervention humaine qualifiée. Des familles de médecins se transmettaient de génération en génération le savoir appris en observant de près les malades et leurs symptômes. Si la guérison était imputée à Esculape, le personnel du sanctuaire travaillait donc en complémentarité avec lui. Les offrandes et dons faits enfin en remerciement au dieu servaient à payer le personnel et entretenir les lieux.

Quels étaient les principaux édifices du sanctuaire ?

 

Plan

 

Le sanctuaire d’Épidaure comprenait de nombreux monuments. Dans l’espace sacré, délimité par des bornes, il était interdit de naître ou mourir. Il s’organisait autour du grand temple d’Asklepios (24 par 13 mètres), peut-être construit par l’architecte Théodotos au début du IVe s avant J.-C., aujourd’hui en ruines. Il comportait également d’autres temples (Apollon, Artémis, Aphrodite et Thémis).

Autre bâtiment remarquable : la thymélè ou tholos, superbe édifice circulaire de près de 22 mètres de diamètre construit en marbre blanc, entre 360 et 330 avant J.-C. par Polyclète le jeune (de la grande famille des Polyclète d’Argos, sculpteurs et architectes). Sa colonnade intérieure est l’un des premiers exemples connus du style corinthien, appelé à connaître un vif succès dans l’architecture hellénistique et romaine. D’après l’auteur grec Pausanias, son plafond de bois, aujourd’hui disparu, était décoré de célèbres peintures de Pausias, encore visibles à son époque (IIe siècle après J.-C.). Son sous-sol abrite un curieux labyrinthe de couloirs concentriques et passages voûtés, qui n’a pas d’équivalent connu. Rite mystique ou tombeau d’Asclépios ? Sa signification n’est pas encore sûre.

Un esprit sain dans un corps sain ! Le sanctuaire comportait également un stade (pour célébrer les Asklepeia, jeux en l’honneur d’Asklepios qui avaient lieu tous les quatre ans), une palestre, des thermes et un odéon (édifice dédié au chant, à la poésie et aux représentations musicales). On trouvait enfin des installations hospitalières et de restauration.

Le théâtre d’Épidaure

Construit vers 350 avant J.-C. à flanc de colline, à cinq cent mètres du sanctuaire, le théâtre serait peut-être aussi l’œuvre de Polyclète le jeune. Il fut rehaussé de 21 rangées de gradins par les Romains au IIe siècle avant J.-C. et pouvait accueillir 12000 spectateurs. En forme d’hémicycle, ou plus précisément de portion de cône, il est remarquable par ses proportions harmonieuses qui ont été beaucoup étudiées notamment pour leur rapport avec le nombre d’or. Les spectateurs prennent place sur des gradins de marbre blanc, le koilon ou theatron, séparés en secteurs par des escaliers. Un promenoir semi-circulaire (le diazoma) permet de circuler à mi-hauteur. Le sommet des gradins se trouve à 22,50 mètres de haut. L’acoustique est exceptionnelle : même des gradins les plus élevés, on entend parfaitement les sons provenant de l’orchestra (partie accueillant le chœur). Caché par la végétation, le théâtre a été miraculeusement préservé.

Qu’est-il advenu du sanctuaire par la suite ?

En 87 avant J.-C., le général romain Sylla, en guerre avec Mithridate VI, roi du Pont (au cœur de la Turquie actuelle) auquel s’étaient ralliées les cités de Grèce, ravage Épidaure et vide le sanctuaire de ses trésors, marquant ainsi la fin de sa prospérité. Quand Pausanias visite le site au IIe siècle après J.-C., il n’est plus qu’un lieu de cure et de détente, fréquenté par des intellectuels. Le sanctuaire est encore pillé en 267 après J.-C. par les Hérules et en 395 par les Goths.

C’est au XIXe siècle que l’on redécouvre le théâtre, seul monument resté dans un remarquable état de conservation, à l’occasion des fouilles entreprises par des archéologues grecs et français. Il continue à accueillir des spectateurs lors de représentations théâtrales, notamment lors du Festival d’Épidaure, l’un des plus vieux festivals d’Europe qui a lieu tous les ans de juin à octobre depuis 1955.

Ce qu'écrit Pausanias : 

τοῦ ναοῦ δέ ἐστι πέραν ἔνθα οἱ ἱκέται τοῦ θεοῦ καθεύδουσιν. οἴκημα δὲ περιφερὲς λίθου λευκοῦ καλούμενον Θόλος ᾠκοδόμηται πλησίον, θέας ἄξιον. [ …] Ἐπιδαυρίοις δέ ἐστι θέατρον ἐν τῷ ἱερῷ μάλιστα ἐμοὶ δοκεῖν θέας ἄξιον: τὰ μὲν γὰρ Ῥωμαίων πολὺ δή τι καὶ ὑπερῆρκε τῶν πανταχοῦ τῷ κόσμῳ, μεγέθει δὲ Ἀρκάδων τὸ ἐν Μεγάλῃ πόλει: ἁρμονίας δὲ ἢ κάλλους ἕνεκα ἀρχιτέκτων ποῖος ἐς ἅμιλλαν Πολυκλείτῳ γένοιτ᾽ ἂν ἀξιόχρεως; Πολύκλειτος γὰρ καὶ θέατρον τοῦτο καὶ οἴκημα τὸ περιφερὲς ὁ ποιήσας ἦν.

 

Un peu au-delà du temple est l'endroit où dorment ceux qui viennent demander au Dieu leur guérison, et dans le voisinage s'élève un édifice rond en marbre blanc, nommé le Tholos, qui mérite d'être vu. […] Il y a aussi dans l'enceinte sacrée d'Épidaure un théâtre qui est, à mon avis, un ouvrage des plus admirables. Les théâtres de Rome surpassent en magnificence ceux de tous les autres pays; il n'en est point qui pour la grandeur se puisse comparer à celui de Mégalopolis en Arcadie ; mais si l'on envisage l'ensemble de toutes les parties et l'élégance de la construction, quel architecte oserait se comparer à Polyclète, qui a construit ce théâtre ainsi que l'édifice rond dont j'ai parlé ?

 

Pausanias (IIe siècle ap. J.-C.), Description de la Grèce, livre II, 27, 5.

  • À Épidaure on pratiquait une médecine miraculeuse, bien éloignée de la rigueur scientifique de notre médecine moderne. Asklepios apparaît en songe et guérit les blessures par attouchements, impositions de sa bague ou encore interventions d’animaux sacrés qui lèchent le mal.
  • Cette médecine religieuse s’oppose à la médecine rationnelle naissante alors d’Hippocrate et des médecins de son école. Ces derniers appartenaient toutefois à la famille aristocratique des Asclépiades et honoraient également Asklepios comme leur ancêtre.
  • Une statue chryséléphantine (d’or et d’ivoire) représentait Asklepios à Épidaure : assis sur un trône, bienveillant, barbu, un chien à ses pieds, le dieu tenait dans sa main le bâton du médecin en route pour visiter les malades.
  • Le bâton d’Esculape, autour duquel s’enroule un serpent, est aujourd’hui encore un symbole des professions médicales, à ne pas confondre avec le caducée d’Hermès (deux serpents et des ailes, symbole de paix et diplomatie).
  • Le serpent est l’emblème d’Asklepios : capable de muer, il semble renaître en changeant de peau et connaît les mystères de la mort et de la vie. Il est une force chthonienne (souterraine, comme les divinités infernales) qui sait les vertus des plantes. Le venin des serpents était utilisé dans la fabrication de certains médicaments.
  • Asklepios avait des filles : Hygie (Ὑγίεια / Ugieia en Grec) qui a donné son nom à « l’hygiène » et Panacée (Πανάκεια / Panakeia en Grec), qui signifie « remède à toutes choses, secourable à tous » et que l’on retrouve dans l’expression « Ce n’est pas la Panacée ! »

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