Situation :
Faute d’avoir réussi à interpeller De Bèze, Ronsard engage le dialogue avec les deux Surveillants qui le traitent d’athée (vers 155). Et c’est pour répondre à cette accusation qu’il s’engage dans une grande tirade, qui de fait sera un monologue, et dont on va lire un extrait, dans ce passage où la répétition anaphorique « Appelez-vous athée… » constitue à chaque fois une réponse particulière du poète.
Enjeux :
Texte important dans la mesure où il témoigne de l’impossibilité du poète à faire la preuve de la fausseté de la parole protestante, sinon par accusations diffamatoires qui rejoignent dans leur statut celles des protestants à son égard. Il restera donc toujours deux paroles dos à dos.
Plan :
- 159 – 168 La réponse de Ronsard à l’accusation d’athéisme
- 167 – 178 Les protestants sont des charlatans
- 179 – 188 Ils sont hypocrites
- 189 – 196 Les excès de certains prédicateurs
Première partie
Les premiers vers établissent la différence entre une accusation d’athéisme (nier l’existence de Dieu) et les accusations que Ronsard fait aux protestants : leurs erreurs propres. Et le choix de l’interrogation rhétorique (Appelez-vous athée…) installe le poète dans son droit sans possibilité de discussion (on rappelle qu’une interrogation rhétorique est une fausse interrogation). Ainsi, Ronsard commence-t-il par faire, sur ce mode interrogatif, une profession de foi en opposant ce qu’on entend par « athée » et ce qu’il est : or, au lieu de commencer par la véritable profession de foi (qu’il fait quatre vers plus bas) il commence par dire que ne peut pas être athée quelqu’un qui « n’a pas ôté de son cœur la foi de ses aïeux », et qui « ne trouble pas les lois de son pays natal », ce qui est éclairant sur les convictions du poète : c’est qu’un athée pour lui, c’est aussi celui qui ne respecte pas une tradition et un ordre, qui sont ceux voulus par Dieu et celui qui le représente dans son pays, le roi de France (et il insiste sur « le pays natal » : les protestants en s’alliant à des pays étrangers, en niant l’importance des frontières, sont des traîtres à leur patrie).
En même temps ces vers constituent une accusation implicite des Protestants qui, avec le comportement inverse pourraient à bon droit être qualifiés d’athées.
Mais Ronsard répond encore plus nettement à l’accusation par une véritable profession de foi faite d’abord sur le mode négatif : un homme qui méprise « les songes contrefaits, les monstres de l’Eglise « ne peut pas être athée (on appréciera la qualité de l’argument !) mais la suite est plus valable sur le plan de l’argumentation : un athée ne peut être un homme qui comme lui croit « en un seul Dieu, au Saint Esprit et au Christ Sauveur », c’est-à-dire au dogme chrétien de la Trinité. Et les assonances (seul/Dieu/ cœur/ Sauveur) donnent du poids à son affirmation.
Deuxième partie
Plus précisément il poursuit en disant que ce n’est pas Dieu qu’il attaque, répond-il, mais les protestants, et même, dit-il, on peut considérer qu’il défend la cause divine, en dénonçant comme « infernale peste » les protestants. Il faut souligner les mots très forts, à la mesure de la colère certainement réelle de Ronsard (de nombreux libelles circulaient qui le traitaient d’hypocrite ne cherchant qu’à recevoir abbayes et bénéfices) : « détester, infernale peste (c’est-à-dire qui vient des Enfers).
Les six vers suivants décrivent les méfaits des Prédicants : ce sont des charlatans qui par leurs paroles abusent le peuple. Cette accusation est motivée par une constatation de la force de la pensée réformée, et pour l’expliquer, le poète a recours à des explications faisant intervenir la magie, ou la prestidigitation (cf. les mots : « tours de passe-passe, bateleurs, poudre d’Oribus ») une tromperie donc, autrement dit une apparence qui se donne pour la réalité mais qui ne l’est pas. Quant à l’expression « Vos beaux Prédicants » elle est évidemment ironique, d’autant qu’elle est suivie de deux adjectifs péjoratifs « fins et cauteleux » : fins, au sens de « habiles » et cauteleux, qui veut dire aussi « rusés, habiles à flatter ». Ce même lexique se poursuit avec l’accusation « d’abuser » le peuple, qui justifie la comparaison avec des « bateleurs », puisque, comme eux les protestants se mettent pour prêcher au milieu de la place publique (les prêches se faisaient en plein air), comme eux ils sont « enfarinés » (premier motif de « la poudre » ici moyen de déguisement). Cette comparaison est importante parce qu’elle souligne ce qui, pour Ronsard, est une aberration : le fait de répandre la Sainte Parole dans les lieux publics, et donc en la divulguant, de la rabaisser au rang de celle d’un bateleur. Et Ronsard insiste sur l’habileté de ces prédicants : l’adjectif « fin » est repris par l’adverbe « finement », et sir leur capacité de tromperie (« abusant, abus, jouant, tours de passe-passe). Quant à la poudre d’Oribus, c’est un remède de charlatan qui, dans le cas des protestants consiste à aveugler le peuple pour cacher leur jeu. Cette « poudre aux yeux » cache une tromperie qui en fait s’étale au grand jour : ainsi au lieu de produire la vérité, les protestants sont causes de l’aveuglement. C’est un motif déjà utilisé dans le premier discours.
Mais ce n’est que par cet « aveuglement » que Ronsard peut expliquer la force de la parole protestante, car il refuse de la prendre pour ce qu’elle est ; se bornant à constater la force de l’effet, au lieu d’en conclure à la force de la cause, donc à la présence de quelques vérités, il en conclut à l’habileté à la produire. La comparaison avec le bateleur est légèrement bancale, puisqu’elle substitue à la « parole » les tours de passe-passe du bateleur, et donc l’aveuglement des yeux, et non la surdité des oreilles. Mais le résultat est que cette parole fait oublier ce qui pourrait se voir : et avec le thème de la tromperie s’introduit celui de la duplicité. Pourtant la comparaison ne reste pas très claire : est-ce de la poudre pour empêcher de voir la manipulation, ou une parole faite pour abuser et cacher, mais quoi ? La suite du texte l’éclaire, mais avant d’y passer, soulignons comment les sonorités miment cet envoûtement de la parole trompeuse avec les assonances nombreuses en « ou » (jouant, jour, soufflant, poudre).
Ronsard va donc définir cette « poudre » trompeuse : « Votre poudre est crier bien haut… » L’appât qui permet de s’emparer de l’âme des gens, ce sont les attaques contre la papauté, qui prêtait vraiment flanc à la critique ; pourtant, dit Ronsard, le réel dessein des protestants, c’est de détourner les gens non de la papauté mais de l’Eglise. Il résume en deux vers les accusations contre la papauté (« déschrifer la Tiare, la chape » c’est dénoncer le luxe des papes, et « deschifrer ses pardons, ses bulles et son bien », c’est dénoncer cet esprit de lucre qui leur fait vendre des indulgences).
« Et plus vous criez haut, plus êtes gens de bien » remarquons la répétition du verbe (déjà apparu au vers 175), comme si la force du discours tenait en définitive à la véhémence du ton et non à son contenu. Et ce vers (qui établit un rapport de conséquence entre les deux propositions) montre qu’il suffit de crier bien haut (et non de dire la vérité) pour être bien écouté.
Donc la parole protestante est trompeuse parce qu’elle part d’une vérité (tous s’accordent à reconnaître les excès de la papauté) pour entraîner à la séparation, et parce que la conviction du ton fait croire à la vérité du discours.
Troisième partie
C’est précisément la deuxième raison qui va être développées : à quoi tient le ton véhément de cette parole ? Pour Ronsard, à deux choses (puisque la troisième – qu’il aient raison – est exclue par principe !) soit la folie, soit l’hypocrisie. Et les deux raisons sont données l’une après l’autre. Ronsard semble distinguer en effet deux sortes de tromperie :
Vous ressemblez à ceux que les fièvres incensent
Qui cuident dire vrai de tout cel qu’ils pensent (179 – 180)
Il y aurait d’un côté des gens sincères, mais fous animés d’une espèce d’inspiration sataniques qui leur donnerait la même force qu’aux Inspirés, dont la poésie même de Ronsard se réclame, une inspiration provoquée ni par Dieu ni par les muses, mais par la « fièvre », une folie provoquée par une maladie, un délire mauvais (ce n’est plus du tout l’habileté du bateleur). La seconde explication, c’est l’hypocrisie. Ces prédicants sont des « Rhétoriqueurs » (terme très négatif pour la jeune école de la Pléiade, qui s’était constituée en réaction contre ceux qu’elle qualifiait d’ « habiles versificateurs » ; et le mot était synonyme de « sophiste », de « rhéteur ») Donc les protestants manient et organisent la parole pour tromper. Si c’était un fait que les Protestants étaient très éloquents, Ronsard affirme cependant que cette éloquence cache ce qu’ils pensent réellement car ils « prêchent autrement qu’ils n’ont dedans le cœur ». Mais pour dénoncer une parole qui « semble » vraie, le poète ne peut que dire qu’elle n’est pas conforme « au cœur ». En opposant la parole au cœur, il allègue une autre intériorité que celle qui est revendiquée par les protestants, une intériorité qui par définition reste cachée. Comment la connaît-il ? Là encore, apparaît une volonté délibérée d’éviter le combat sur le plan discursif : récapitulons les accusations de Ronsard concernant la parole des protestants :
- C’est une parole séductrice (contre la papauté) qui en cache une autre (réformez-vous).
- C’est une parole insensée dont seule la véhémence fait croire à la vérité.
- C’est une parole vraie mais en contradiction avec la pensée : il est flagrant qu’ici Ronsard se dérobe, parce qu’il refuse de considérer la valeur interne de cette parole de vérité, et donc c’est lui, le pourfendeur du discord qui introduit une duplicité !
Les vers suivants illustrent les différentes manifestations de l’hypocrisie qu’il dénonce : pour l’un c’est « l’âme surprise d’extrême ambition », l’autre, de « convoitise » : gloire, richesse, autant d’objets opposés à l’humilité chrétienne. L’accusation est diffamatoire, évidemment. Et le caractère systématique des antithèses dans les vers suivants (L’autre qui se voit pauvre est aise etc / l’autre qui n’était rien, de monter en puissance) souligne la contradiction du comportement (pouvoir, goût de l’argent) et des paroles (qui prêchent un retour à l’austérité).
Les deux derniers vers de cette partie soulignent l’habileté de la dissimulation (« esprit aigu, mainte traverse » ou encore cette « ombre de pitié » qui permet de « renverser tout le monde » ce verbe est très fort : il s’agit de mettre par terre le monde entier, et il s’oppose justement à toutes ces manœuvres subreptices et rampantes (cf. la rime traverse / renverse). Tel est pour Ronsard le protestant : on ne voit rien mais le résultat à la fin sera spectaculaire : une destruction générale. Soulignons encore une fois que ces accusations très répandues à l’époque relèvent du pamphlet et de la diffamation. Mais il est caractéristique que, décidé à écrire pour répliquer aux discours des protestants, il esquive le combat en s’en prenant à des comportements dont la réalité restait à prouver. La parole n’est pas combattue pour elle-même, donc il l’exclut du domaine de la raison ou de la vérité.
Dernière partie
Ronsard oppose la vérité d’une prédication digne de ce nom aux prédications des protestants par l’intermédiaire d’un personnage très peu connu (voir la note du livre) : Peroceli, qui montrait une telle violence dans ses prêches qu’il fut interdit de parole par la Sorbonne, mais pourtant, ajoute Ronsard, c’était un réformé modéré qui ne voulait pas la guerre : ici il semble qu’il introduise une distinction entre les réformés modérés et les séditieux. Du reste ce Peroceli était lié avec le célèbre apôtre de la tolérance « Sébastien Castellion » ce qui lui valut la méfiance de De Bèze et de Calvin. Il joua peut-être un rôle non négligeable auprès de Condé, dont il était l’aumônier, et on sait que Condé va se soumettre à la Reine en mars 1563 (cf. Réponse 1147), et se séparer de la Révolte, au grand dépit de ses chefs). Donc ce Peroceli si violent est pourtant, par rapport au reste des protestants le « plus sage, plus modeste, et plus doux » d’entre eux puisqu’il prêche la modération : il « reprend âprement les violeurs d’images/ les larrons, les meurtriers » Ainsi les actes de certains protestants sont si condamnables que même l’un d’entre eux, pourtant connu pour la véhémence de sa parole, n’hésite pas à les « reprendre » durement. Et Ronsard oppose cette parole plus pacifique aux « langages fardés » qui en réalité débouchent sur la guerre civile. Et cet homme, dans sa modération (à opposer à « la fureur » de certains autres) rejoint donc pour finir, le poète, dans une même haine contre ceux « qui pleins de fureur nourrissent le discord » ce dernier mot est toujours important car il résume l’accusation principale de Ronsard : les protestants ont tort parce qu’ils créent la Discorde, ils rompent l’harmonie et l’unité.
Les deux derniers vers sont une sorte de commentaire (Il est vrai etc…). Une réflexion de Ronsard qui oppose la faute « abominable » de ce Peroceli (c’est un réformé) à une modération qui la rend « excusable » puisqu’elle n’entraîne ni violence ni discord.
On retrouve encore l’essentiel de la thèse de Ronsard, et c’est ce qui explique pourquoi la question de fond ne l’intéresse pas : ce qui compte, c’est de conserver l’harmonie et l’unité. Toute parole qui la détruit est à combattre non parce qu’elle serait mauvaise en soi, mais à ce seul titre. Le paragraphe consacré à Peroceli est là pour témoigner en quelque sorte de la compréhension de Ronsard, quand la violence n’est pas présente.
Conclusion :
Texte important où l’on voit que Ronsard fait une série d’accusations qui permettent d’esquiver le combat sur le plan du contenu du discours, parce qu’en réalité, ce qu’il ne supporte pas, c’est moins l’hérésie que le « discord ».