CONTINUATION DU DISCOURS DES MISÈRES DE CE TEMPS - Explication des vers 1 à 48 Ronsard : Les oeuvres engagées.

Rappel des circonstances (cf. introduction) Le propos s’inscrit dans la « continuité » du premier discours, mais il est défini d’emblée de façon véhémente et claire. Loin d’être un exorde dans les règles, c’est plutôt, dans un combat de la plume, (cf. « plume de fer, papier d’acier ») une manifestation d’indignation qui s’exprime, sans respect des règles traditionnelles du discours.

On se demandera sur quels ressorts de la parole s’appuie Ronsard pour rendre cet exorde le plus incisif possible.

Plan :

  • Première partie : les huit premiers vers : le dessein du poète
  • Deuxième partie : vers 9 – 22, comparaison de la France avec des marchands attaqués par des brigands qui seront punis
  • Troisième partie : vers 23 – 44, mais Les protestants sont des brigands impunis

Première partie

Ronsard expose son dessein, mais il est significatif qu’il s’adresse moins à la Reine comme interlocutrice (cf. premier discours) que  pour la prendre à témoin de ce qu’il veut faire : conter cette malheureuse histoire aux siècles à venir.

La Continuation prolonge donc d’emblée l’ambiguïté déjà signalée dans les « Misères » : l’engagement de Ronsard n’agit pas mais témoigne, et non aux contemporains aveugles, mais à la postérité. Parole d’historien, et non parole efficace du poète-prophète. Et ce qui provoque le discours, c’est la sensibilité : là encore, le discours de Ronsard n’est pas essentiellement partisan (il ne dit pas que les catholiques ont raison, et il a l’habileté de ne pas sembler le dire), mais il montre sa réaction de douleur à la vue de sa mère-patrie attaquée par les protestants : « je serais ou du plomb ou du bois… » : les occlusives se succèdent (labiales et dentales : p/b/d) avec vigueur, le premier vers se terminant sur cette rime en « ois » qu’on entend dès quasiment l’ouverture du deuxième vers « Si moi… » : donc un sentiment d’indignation l’agite qui est dans l’ordre des choses : la relative « que la nature a fait naître français » a valeur explicative et causale : c’est parce que je suis français que je suis d’autant plus indigné : il y a à la reconnaissance d’une filiation (cf. plus bas « notre France », le possessif marque aussi la tendresse) et d’une douleur en conséquence, devant « la peine et l’extrême malheur » (noter le redoublement d’expression, qui ajoute de la véhémence, procédé constant ici : cf. « plomb ou bois » « fer et acier).

Il n’y a donc pas vraiment ici de « captation benevolentiae », sinon une installation dans l’ethos défini par sa souffrance : je serais insensible si je ne clamais pas ma souffrance » : c’est un homme atteint dans son être même de « français » qui parle.

Remarquons le caractère articulé et assez grandiloquent de ce début (la  conditionnelle :  Si moi… à l’intérieur de laquelle se développent deux relatives « moi, que… » et « malheur dont… » ), avec la place inhabituelle avant le verbe du complément d’attribution « Aux siècles advenir, je ne contais… ».

Les quatre vers suivants insistent sur le scandale d’une France assassinée par ses propres enfants, et la première partie de cet exorde s’achève donc sur cette vision horrible d’un parricide : il y a là un appel évident au pathos.

Il se manifeste dans cet exorde une volonté affirmée, et offensive (« Je veux ») de lutter par la plume, et de ne pas faire de quartiers à ceux qui massacrent son pays. Et les deux derniers vers installent la comparaison qui suivra, puisque la France est déjà personnifiée : ses « propres enfants »(noter la valeur intensive de « propres », qui accentue l’horreur du crime)  l’ont « dévêtue » et « battue à mort » (et la rime dévêtue/vilainement battue montre aussi l’abomination de cet acte qui a mené à sa « mort » (le mot est à la césure).

Le poète écrit donc pour dénoncer un crime, et l’horreur dont il est saisi explique qu’il ne s’embarrasse pas d’une longue captatio.

Deuxième partie

Le tableau de la comparaison de la France avec des marchands détroussés par des voleurs se lit en trois temps : l’attaque, la mort, puis le châtiment.

C’est d’abord le récit d’une agression violente contre un marchand (cf La main armée du voleur est « affamée d’avarice  cruelle et de sang » : un désir de posséder associé à la cruauté), qui ne se contente pas de dépouiller, (« piller la bourse et le cheval »), mais qui va jusqu’à tuer : cf. « ….et d’une dague puissante essaye / de lui chasser du corps l’âme par une plaie » (l’enjambement accentue la longueur du supplice) et cette mort décrite comme « séparation » de l’âme et du corps symbolise précisément cette volonté de séparation dont Ronsard accuse les Protestants.

Chaque vers marque un surcroît d’horreur : noter le verbe intensif « essaye » (de lui chasser), comme un raffinement cruel de donner une mort lente, le rire impitoyable (« puis il se rit de ses coups »), l’absence de respect des morts (on le « laisse manger aux mâtins et aux loups »).

Les quatre vers qui suivent vont montrer le châtiment de ce comportement sacrilège et criminel : « Si esse qu’à la fin la divine puissance… » le châtiment voulu par Dieu arrive de façon presque automatique (cf. Il est dans une consécutive) et il rend cruauté pour cruauté : après « milles travaux » ils  sont attachés sur une roue (souvenir d’Ixion peut-être) et servent de « proie aux corbeaux » (// le corps du marchand livré au chien) : si Dieu intervient c’est pour montrer aux hommes que les criminels ne restent pas impunis.

Mais la comparaison de Ronsard a non seulement valeur illustrative mais valeur argumentative, le « Mais » qui va suivre articulant le raisonnement sur la conclusion de la comparaison : la France ressemble au marchand attaqué, puis vengé par Dieu. Mais pour le moment, dans le cas présent  de la France, le châtiment n’est pas encore arrivé.

Ainsi la parole du discours s’inscrit dans cet entre-deux où la vengeance de Dieu ne s’est pas encore accomplie, mais où l’on sait cependant (c’est la leçon tirée de la comparaison avec l’histoire du marchand) qu’elle s’accomplira. Donc faute d’un châtiment exemplaire qui n’est pas encore là, il est nécessaire d’argumenter pour prouver, avant l’intervention divine, le caractère criminel des actes des huguenots.

Troisième partie

C’est par la reprise des mêmes verbes que la comparaison montre sa motivation (cf. « pillée, volée, assassinée), et la conjonction adversative oppose le sort des brigands de la comparaison à « ces Tyrans » (même coloration des voyelles : les tyrans sont des brigands), le démonstratif « ces » étant un deictique : Ronsard les désigne à la Reine. Les quatre premiers vers énumèrent tous leurs crimes (noter l’hyperbolique « cent mille coups ») dans une personnification qui reste toujours présente (« le corps lui ont battu ») et qui permet de montrer aussi le refus de la France à les écouter (cf. « à force dépouillée » qui veut dire « de force » : la France veut résister, elle ne veut pas se faire protestante). Quant à la parenthèse, elle annonce déjà la voix des protestants, étant presque une citation (« comme si brigandage était une vertu ») car les protestants revendiquent comme justice ce « brigandage » d’autant qu’il reste sans châtiment. Et les deux vers qui suivent vont alors renverser la comparaison : non seulement ils ne sont pas punis, mais ils disent (cf.« à les ouï-dire ») qu’ils agissent bien et que Dieu les conduit ! et c’est là le scandale, l’aberration énorme que Ronsard ne supporte absolument pas : se comporter comme des brigands en le faisant au nom de Dieu : belle définition du fanatisme religieux ; (et la Remontrance sera précisément écrite pour demander l’intervention divine).

Ici le discours développe une argumentation serrée, puisque le poète veut montrer la contradiction flagrante d’une violence exercée au nom de Dieu.

Vient ensuite la description de ces gens qui tiennent des propos aussi sacrilèges : ils ont « le cœur si fol, si superbe et si fier / Qu’ils osent défier leur maître » : ainsi Ronsard les accuse de sédition contre le Roi et les vers suivants vont expliquer la nature de ce défi : « ils se disent…  (qui reprend « à les ouï-dire ») les mignons de Dieu (les élus de Dieu) : c’est effectivement le discours des protestants qui pensent être des élus prédestinés : dans la théorie de la prédestination le comportement sur terre est en définitive un signe de l’élection divine (cf. ils se disent « les héritiers du royaume céleste » : voulant revenir à une intériorité qu’aurait perdue le christianisme, ils pensent qu’ils sont les héritiers légitimes de la doctrine de Saint Paul)

Le discours se transforme peu à peu en dialogue : Ronsard leur répond par cette exclamation : « Pauvres insensés ! », et à  la porte étroite de la prédestination, Ronsard oppose la théorie optimiste du Concile de Trente : Dieu est le père « commun » (et non seulement des « mignons », des élus) qui veut sauver « un chacun ». L’idée est reprise sous une forme figurée qui montre que la  grande « clôture / Du grand Paradis s’ouvre à toute créature » : le Paradis est vaste, et n’importe quel croyant peut y entrer (noter les indéfinis : un chacun, toute créature, par opposition à l’élitisme protestant).

Le « certes » du vers 36 introduit une remarque ironique dont le sens peut être triple : si le paradis leur était réservé, tous les vrais fidèles en partiraient,(cf. la note du livre « les mécréants et les fidèles ne peuvent être en même lieu ») ou bien ils sont si peu d’élus en réalité que même ouvert, le Paradis serait quasiment désert, ou encore malgré cette porte ouverte seulement à eux, aucun d’eux ne pourrait entrer, donc il n’y aurait plus personne au Paradis.
Les derniers vers opposent leurs paroles à leurs actes et soulignent une dernière fois cette contradiction scandaleuse pour Ronsard : se réclamer de Dieu et faire la guerre : ces protestants se vantant « d’être les vrais enfants de Dieu » (valeur fortement adversative du participe), ils ont à la main « le glaive et le feu », avec lesquels dans un délire « furieux » « ils frappent, enragent, volent saccagent… » l’accumulation  de ces verbes comme leur rime souligne le vandalisme des huguenots, d’autant qu’ils s’en prennent aux « temples » ( c’est dire combien leur action est sacrilège pour Ronsard, alors que pour les protestants, il s’agissait de détruire tous les ornements inutiles des Églises.

La conclusion reprend toutes ces actions criminelles sous la forme d’une énumération à l’infinitif soutenue par une interjection d’indignation : « Et quoi ? ». Ces infinitifs qu’il accumule sur trois vers qui enjambent seront repris au denier vers par un « cela » définissant de façon ironique « l’Eglise réformée » : « Appelez-vous cela Eglise réformée ? » cette série d’infinitif montre le comportement séditieux et violent d’une Église qui pour Ronsard est bien pire que l’Eglise catholique, puisqu’elle est loin de suivre l’enseignement des pères de l’Eglise qui limitent le combat aux prières et aux larmes.

Donc cette introduction au ton très vif finit sur une prise à parti directe (cf. l’interrogation rhétorique « appelez-vous cela… », ce « vous » associant l’interlocuteur témoin, aux Protestants eux-mêmes). Ce comportement dénoncé avec force justifie la réaction naturelle et spontanée du poète devant ces gens qui se réclament de Dieu pour semer la violence. Tout au long, la langue reste vigoureuse, le ton d’invective, et l’argumentation est concrétisée par des comparaisons et rendue plus vivante par la présence passionnée de Ronsard dans son discours

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