L’Institution pour l’adolescence du Roy très chrestien Charles neuvième de ce nom Ronsard : Les oeuvres engagées.

Texte qui emprunte à un genre très en vogue au Moyen-Âge : les « Miroirs » ou « Institution » du Prince. Il fut adressé à Charles IX, et peut être rapproché du discours composé (en latin) par M. de L’Hospital à l’occasion du sacre de François II et traduit par Du Bellay. Charles IX avait onze ans.
Le discours tel quel est complexe dans la mesure où il semble une énumération sans ordre de toutes les qualités nécessaires à un prince : il est bâti sur la répétition de la même formule injonctive (Il faut il se doit, soyez…).
Peut-on discerner plusieurs composantes dans cette énumération ? La réponse est liée à une autre question : en quoi cette « institution » reprend-elle des thèmes traditionnels des « Institutions », en quoi innove-t-elle ?

1. les aspects traditionnels

-  Ce texte reprend d’abord les anciennes Institutions en ce qu’il est une théorie des rapports Prince / Sujets fondée sur l’imitation (cf. le terme de « miroir » pour ce genre d’écrit) : le prince doit être l’exemple que ses sujets imitent poussés par l’amour qu’ils portent à celui qui est « exemplaire » (selon le principe que la perfection du Prince détermine la santé du corps social). Il y a ainsi une théorie du Pouvoir fondée sur l’amour qui s’oppose à la crainte, comme ressort du gouvernement ; plus exactement ce n’est pas pour que le peuple se comporte moralement que le Roi doit donner l’exemple, mais c’est pour mieux gouverner : il s’agit de montrer l’efficacité de l’amour comme principe de gouvernement :

Il faut que d’un bon œil le peuple vous regarde
Qu’il vous aime sans crainte. Ainsi les puissants Rois
Ont gardé leur empire (138 sq)

Machiavel avait dit : « la meilleure citadelle qui soit, c’est de n’être point haï du peuple ». Et cela se retrouve dans les Institutions de l’époque.

- Il est donc de toute nécessité que le Prince agisse bien « car volontiers le peuple suit son Prince » ; il imitera (cf. le « miroir ») toutes ses bonnes actions. Donc le Prince doit incarner l’idéal moral de tout homme. Son comportement vertueux doit donner à tous l’exemple de la vertu, et les qualités énumérées ne sont pas spécifiques d’un prince mais sont des qualités générales, valables pour tout homme : la vertu (vers 4), la crainte de Dieu et le respect des parents et de la patrie (V. 59 sq), être gouverné par la raison (72) apprendre à reconnaître le vrai du faux (v. 80 sq) à se connaître soi-même (v. 87 sq). Et, du reste, - distinction omni-présente dans les Institutions humanistes -  le roi ne doit pas être un tyran : il doit constamment se souvenir que « son corps est de boue », et de la précarité de la Fortune, qui peut le  réduire  au même rang que les autres. Rien ne lui assure une supériorité durable en ce bas-monde (v. 114 sq, avec une belle image de l’inconstance de ces « règnes mondains qui se font et se défont » :

Et au gré de fortune ils viennent et s’en vont,
Et ne durent non plus qu’une flamme allumée
Qui soudain est esprise et soudain consumée

- C’est du reste à propos de ce rapport d’imitation que la position de Ronsard est presque  passéiste : l’imitation étant liée à la vision, il s’agit que le Prince soit vu de ses sujets. Or le développement des appareils d’état (on est sur la voie de la centralisation monarchique qui conduira à l’absolutisme) entrave l’échange direct Roi / Sujet. Donc Ronsard demande au Roi de rétablir les relations sans intermédiaire :

Il faudra de vous-même apprendre à commander
A ouïr de vos sujets, les voir, et demander,
Les connaître par nom, et leur faire justice (v. 91 sq)

(ici la justice du roi s’oppose à la justice du Parlement)

Inversement, le peuple doit voir son Roi :

Il faut que d’un bon œil le peuple vous regarde (v. 138)

Cependant, dès avant le XVIè siècle, une nouvelle préoccupation se fait jour : déterminer le programme d’éducation spécifique à la tâche du Prince. L’idéal de la sagesse est donc remplacé par une vertu plus active centrée sur l’homme.

2. Un programme plus spécifique

Pour former un futur roi, le poète doit donc écrire une institution adaptée à sa fonction. La théorie du miroir dans ce cas n’est plus valable, le Roiexerçant seul une fonction à part ; dans le texte, du reste, il est comparé à des héros exceptionnels : Achille, mais aussi Thésée, Hercule et Jason (qui ont tous pour point commun d’avoir été éduqués par Chiron) et qui sont avant tout des hommes d’action.

La Royauté est un métier actif (la Franciade v. 1692)

Quelles sont précisément les qualités d’un roi ? Ronsard ici s’oppose à l’idéal humaniste d’autres « institutions » car il ne cantonne pas le Prince dans les activités de l’esprit mais il y associe aussi celle de la force.

Ainsi par deux fois le roi est comparé à Achille, c’est dire que Ronsard met en avant un modèle guerrier, même si l’art de la guerre n’est évoqué que sur le mode la prétérition (cf. les vers 13 et sq). Mais il mentionne la guerre de Troie pour célébrer la gloire d’Achille :

Puis, savant et vaillant, il fit mourir Troïle
Sur le camp Phrygien, et fit mourir encore… (42 sq)


Cependant, il faut savoir aussi :

Les beaux métiers que la Muse propose

(et Achille, d’ailleurs est « savant et vaillant »). Quels sont ces beaux métiers ? la mathématique, l’art de bien parler, la musique, et la physiognomonie. Ce sont là des connaissances qui diffèrent de ce qu’on apprenait au Moyen-Âge qui mettait l’accent sur le développement de la mémoire et des connaissances juridiques. Et ces connaissances sont toutes d’ordre ésotérique, et permettent d’avoir une certaine efficace.

  • La Mathématique : permet de comprendre les liens de la cité et du cosmos ; c’est la science des nombres donc de l’Harmonie, sachant que l’harmonie du corps social doit refléter l’harmonie céleste.
  • La musique elle aussi est une science des nombres, elle permet d’agir sur les passions humaines.
  • L’art de bien parler : la rhétorique permet d’obtenir le consentement des sujets.
  • La physiognomonie (déjà recommandée par certains miroirs médiévaux) donnera accès aux pensées les plus secrètes des hommes.

Ainsi le roi (et ici on rejoint une des prétentions humanistes) est savant dans tous les domaines : comme les premiers humanistes, Ronsard croit qu’on peut comprendre le réel par accumulation de connaissance (il fera l’éloge d’Henri III comme prince omniscient dans « le panégyrique de la Renommée). C’est ce qui explique que le roi réunisse des « savoirs » ou des qualités presque opposés : savoir faire régner la paix/savoir faire la guerre, montrer tantôt de la raison, tantôt de l’imagination. Cf. les vers sur le nom de Charles IX :

Neuf fois nombre parfait, comme cel qui assemble
Pour sa perfection trois triades ensemble… (51 sq),

Nombre d’Apollon d’après Athénée, cf « l’hymne à l’automne » :

Car la gentille Euterpe ayant une dextre prise
Pour m’ôter le mortel par neuf fois me lava
De l’eau d’une fontaine où peu de monde va,
Me charma par neuf fois… (Hymne de l’automne)

Ainsi, comme le poète, le roi est un mage inspiré, un prophète. Mais comment peut-il dans ce cas avoir besoin d’un précepteur ?

En effet, à l’inverse des Institutions, Ronsard ne demande pas au Roi de prendre des conseillers éminents (quand les humanistes écrivent ces « Institutions », ils rappellent toujours qu’ils ont, eux, vocation à donner des conseils avisés (ils tiennent à se différencier des courtisans). Erasme fut conseiller de Charles Quint, Amyot précepteur des enfants de Henri II. Dans notre texte, c’est une instance d’ordre mythique qui intervient : le centaure Chiron. Ce qui tient à plusieurs raisons :

Dans l’iconographie de la Renaissance, Chiron dont la légende dit qu’il fut le précepteur d’Achille, est le prototype de ce qu’il faut à l’éducation princière (cf. une des fresques de la galerie de Fontainebleau) : si Ronsard, fidèle à la tradition, l’a choisi,

- C’est d’abord à cause de l’art même de ce Centaure , expert en médecine et en Musique : il connaît l’art de charmer le corps et l’esprit, il sait guérir des humeurs mauvaises, comme le Prince doit savoir chasser ces mêmes humeurs mauvaises du corps social ; on retrouve ce rapport à une science magique dont on a déjà parlé, d’autant que c’est à l’antre de Chiron que Thétis conduit son fils (l’antre, chez Ronsard, est toujours un lieu initiatique).

- La deuxième raison de ce choix, est liée à la nature même de Chiron : le centaure est un homme-bête. Or, (cf. chapitre XVIII du Prince) cet homme-bête renvoie aux deux composantes de l’homme, qu’il ne faut jamais perdre de vue quand on veut bien gouverner :

Il faut donc savoir qu’il y a deux manières de combattre, l’une par les lois, l’autre par la force. La première est propre aux hommes, la  seconde aux bêtes. Mais comme la première ne suffit pas, il faut recourir à la seconde. Ii est donc nécessaire aux Princes de savoir bien pratiquer l’homme et la bête. Cette règle fut enseignée aux Princes en paroles voilées par les anciens auteurs qui écrivent comme Achille et plusieurs autres furent donnés à élever au centaure Chiron, ce qui ne signifie pas autre chose sinon qu’un Prince sache user de l’une et de l’autre nature et que l’une sans l’autre n’est pas durable.

On comprend mieux pourquoi le Prince de Ronsard est versé dans l’art de la guerre et dans l’art de la paix, comment il doit allier raison et passion. La guerre fait partie du « métier » royal.

- Enfin, ce choix implique de s’interroger sur le rôle que s’attribue le poète humaniste, comme écarté, par ce geste de Thétis, de son rôle traditionnel de précepteur. C’est que le Roi a en quelque sorte une maîtrise mystique du Réel, un Roi-Prêtre, qui communie avec les forces secrètes du monde, et qu’il ne peut s’agir, par conséquent, « d’instituer ».

Le poème en réalité est, par son contenu, une anti-institution, dans la mesure où Ronsard confie à un personnage symbolique et mythique l’éducation du Prince. Le Poète, devant ce roi qui sait tout, qui détient tous les pouvoirs (temporel et spirituel) en est réduit à devenir simplement le relais de cette parole souveraine qui participe aux énergies du monde.

3. Un roi mythique

C’est donc dans un mythe que s’inscrit cette « Institution » : un mythe païen… pour un Roy très chrestien ! ce qui implique :

- Qu’il n’y a jamais d’opposition chez Ronsard entre christianisme et paganisme. « L’oint du Seigneur » pour lui équivaut à dire « issu de Jupiter » cf. vers 32. L’Antiquité dit autrement le message chrétien, ou tout au moins, n’entre pas en contradiction avec lui.

-  Qu’il s’agit donc d’un « Roi-Dieu » : Ronsard commence par dire que le Roi est l’image de Dieu (v. 60) puis qu’il doit « imiter » Dieu (v. 119) : cela veut dire d’une part que l’homme est à l’image de Dieu, comme le dit la Bible, mais surtout que le Roi ressemble particulièrement à Dieu parce qu’il l’imite en commandant aux hommes. Il y a donc envers le Prince un même sentiment d’adoration qu’envers Dieu . Nous noyons par là le gallicanisme de Ronsard (et on comprend dès lors encore mieux ses critiques devant les abus de la papauté). Le Roi est le chef de l’Eglise, parce qu’il a été investi par Dieu de sa mission. C’est ce rapport direct Prince-Sujet  qui à l’intérieur d’une esthétique de la Représentation doit faire naître  pour le Prince une admiration justifiée en ce qu’il est l’image de Dieu. Cette esthétique de la Représentation est liée à une esthétique de la présence. Nous avons déjà dit combien chez Ronsard les signes conservent leur rapport à la chose, c’est-à-dire que la forme contient en elle-même sa perfection : pas de péché originel chez Ronsard, mais une transparence du signe qui fait comprendre son engagement contre les Protestants :

- D’abord par ce que c’est cette absence du péché qui rend possible la perfection de la Forme. Au contraire, chez Saint Augustin puis chez les Protestants, le sens, depuis le péché originel, n’est plus dans le signe, et le signe ne peut être interprété que pour renvoyer à un sens qui n’est pas ici-bas (on retrouve le problème de la Présence réelle). le Roi-prêtre-Dieu est une figure qui est à l’opposé de la théologie protestante qui voit une rupture totale entre le plan humain et le plan divin.

- Ensuite, parce que la division qu’instaurait le mouvement protestant (Dieu intérieur / Soumission à un pouvoir temporel différent) était un démenti à ce rôle mythique d’unificateur de la société qui selon Ronsard était celui du Prince.

Explication des vers 1 à 40 de l’Institution

C’est le début de ce discours qui appartient au genre traditionnel des Institutions. Il est adressé au jeune roi Charles IX encore tout enfant puisqu’il n’a que onze ans.

« Instituer » c’est faire l’action d’instruire : et ces discours sont traditionnellement écrits par de sages conseillers (cf. Introduction).

Ces quarante premiers vers sont une première présentation de ce que doit connaître un bon roi, a savoir la vertu (vers 2) : de quoi est composée cette vertu ? Ronsard se réfère-t-il à un modèle traditionnel ou bien innove-t-il par la façon dont il parle ?

Plan :

  • Une introduction (jusqu’au vers 12)
  • L’art de la guerre (vers 12 – 26)
  • L’art des Muses (vers 26 – 40)

L’introduction

Les quatre premiers vers semblent se conformer aux modèles traditionnels par cette référence à la Vertu : le mot revient aux vers 2 et 3, et de surcroît, à la même place, de choix, à la césure. Le premier vers est négatif et construit sur l’opposition « tout/roi de France », tandis que le second montre que la véritable complétude n’est acquise qu’avec la vertu. Notons le verbe d’obligation employé (« il faut que la vertu… ») : nous sommes dans un discours didactique qui montre les devoirs du Roi et les sentences utilisées ont rôle d’arguments : ainsi « Car un Roy sans vertu porte le sceptre en vain » : ce qui fait la royauté n’est pas le sceptre qui n’est rien d’autre qu’un simple fardeau s’il n’est pas associé à la Vertu qui le transforme en symbole du mérite royal.

Après la sentence, l’exemple vient corroborer la thèse (« Pource on dit que Thétis… »). Immédiatement, Ronsard fait une référence à l’Antiquité, et cite l’exemple de Thétis, qui ne s’est pas contentée de rendre immortel son fils(de même que le roi ne doit pas se contenter de son origine royale, mais qui l’a en quelque sorte dérobé à la vie publique en l’emportant de nuit dans l’antre de Chiron : un antre, lieu mystérieux, espace d’une révélation, que rend possible précisément la sagesse de Chiron, ce centaure plein de savoir (cf. L’introduction).

Cette éducation débute comme par un enlèvement : « de nuit » Thétis prend Achille en son giron… c’est  à dire en cachette, parce qu’elle seule sait .justement que la force n’est pas suffisante. Or le comportement de Thétis nous fait revenir sur le mot de vertu : de quelle vertu s’agit-il ? Virtus, la force, le courage, ou virtus, ensemble des qualités morales ? Le mot réapparaît au pluriel comme objet de l’instruction de Chiron (« lui apprendre /Les plus rares vertus) / Chiron, l’homme-bête (cf. introduction) est l’image même de l’homme et de ce que doit savoir le roi : « science et art » dit Ronsard   pensant peut-être d’un côté à la médecine, et de l’autre à la musique. Et l’exemple se termine par une nouvelle sentence, bien martelée :

« Car l’esprit d’un grand Roi ne doit rien ignorer ».

Ainsi Ronsard associe les « vertus » à la science et à l’art : le Roi doit tout savoir, et ce savoir correspond à une vision humaniste de la culture. Cette sentence annonce la suite, à savoir en quoi consiste exactement cette vertu enseignée, sachant qu’on a déjà relevé une première ambiguïté qui fait passer le mot du singulier au pluriel.

Première partie : l’art de la guerre

Cet art correspond au sens premier du mot « virtus », son sens latin. Mais ce premier savoir est présenté sous la forme d’une prétérition : « Il ne doit seulement savoir l’art de la guerre » : la vertu consiste donc en un savoir militaire dont on sait d’emblée par la prétérition qu’il est insuffisant. Suit une énumération (toujours dans une modalité d’obligation), avec une évocation concrète de cet art de la guerre : verbes d’action (ruer, piquer…), mots spécialisés (Cargue, camisade), évocation des tournois, des embuscades, et le tout résonnant particulièrement du fait des assonances en –ade/ague/ars (à la rime mais aussi à l’intérieur des vers).

Mais Ronsard poursuit en disant que cette connaissance est quasi-naturelle parce que c’est aussi celle des animaux. Tel est le rôle de la comparaison avec le lion. Donc c’est un savoir naturel à la bête qui est en l’homme et qui se satisfait d’être le plus fort. Et l’allusion  aux « rois les plus brutaux » montre que cela ne suffit pas, indépendamment du fait que Ronsard loin de condamner la guerre en fait une activité liée à la royauté (cf. « Et par le sang versé leur couronne honorent »). Ici il imite Erasme, et M. de l’Hospital (cf. Introduction) : c’est une idée ancienne que le roi (c’est-à-dire les Nobles) est là pour faire la guerre (cf. la tripartition médiévale et même indo-européenne).

Donc la force physique est inhérente au Roi (autrement il ne serait plus roi). Et chacun le sait, de même que tous les animaux reconnaissent que le lion est le plus fort d’entre eux (vers 24). Notons que la comparaison avec le lion se concrétise dans une scène de carnage développée sur deux vers (« Quand ils sont repus… ») qui reprennent à la rime la même sonorité éclatante précédente (corsage/carnage).

Mais pourtant cela ne suffit pas pour donner une légitimité, car les hommes ne sont pas seulement dans le règne de la nature : un Roi doit aussi manifester d’autres qualités.

Deuxième partie : l’art des Muses

La conjonction « Mais » sert de transition pour opposer les « rois les plus brutaux » aux Princes chrétiens, dans un vers où le mot de « vertu » réapparaît avec un nouveau sens : cf la virtu italienne, l’efficace, la force, ce à quoi ils doivent d’être rois. Dans ces vers s’opposent (selon une tournure latine : « n’estiment leur vertu procéder… » = n’estiment pas que leur vertu procède), deux sources de cette « virtu » (cf. la symétrie rendue par la répétition du même verbe « procéder ») : d’une part le sang et le glaive,  et d’autre part, les « beaux métiers » des Muses : Ronsard veut à travers elle montrer que la royauté ne dépend pas seulement du sang (la filiation royale) ni du glaive (la force),  parce qu’il s’agit précisément de  « Princes chrétiens ». Nous ne sommes pas chez les barbares qui peuvent se satisfaire du sang ou du glaive, mais dans un pays chrétien ; l’aspect mêmes des vers d’ailleurs fait apparaître la différence entre barbarie (faible volume du vers 28, monosyllabes, sècheresse) et civilisation (longueur du vers 29, douceur des Muses, et des  consonnes qui sont toutes des labiales (m/p/b). Ronsard fait référence aux arts des neuf Muses (musique, astronomie, histoire etc) dont il souligne la supériorité (ces arts non seulement ont une origine divine, puisqu’ils procèdent des Muses, « filles de Jupiter »mais ils l’emportent sur les autres « métiers » par leur « gravité » c’est-à-dire par leur sérieux comme par leur poids, leur importance.  Ainsi la « vertu » des rois vient ici de leur connaissance des « arts », autrement dit aussi de cette inspiration qu’ils doivent aux Muses (cf. vers 32).

Viennent ensuite quatre vers très amples (33-36), avec peu d’arrêts rythmiques, des mots d’un registre élevé (révérence, majesté, grâce, équité…) ; le verbe « procéder » apparu deux fois plus haut engendre comme une « procession » dans laquelle, précédés des Muses, les Rois vont « marcher en toute révérence », portant sur eux, avec cette « grâce » et cette « divinité » l’image même de Dieu. Et ces qualités qu’ils tiennent des Muses leur permettent de bien gouverner, c’est-à-dire « d’ordonner l’équité » : faire régner la justice.

Mais ce savoir des Muses quel est-il ? Ronsard en énumère les composantes : mathématique, rhétorique, histoire, musique, physiognomonie. Les quatre premières seules correspondent en fait aux arts des muses, car l’ensemble est fait pour permettre au roi de savoir les rapports secrets des choses (mathématique et musique), d’enchanter les esprits (musique) de persuader (rhétorique) de connaître le passé (histoire) par souci d’être fidèle à ses origines et pour mieux comprendre le présent, enfin de deviner les pensées de ses sujets (physiognomonie).

Donc un roi presque magicien qui à l’image de dieu voit tout, sait tout, et par conséquent gouverne selon l’équité.

On se demandait à quoi renvoyait cette vertu qui fait la légitimité d’un roi très chrétien : ce n’est pas la force, mais ce n’est pas non plus les seules qualités morales (ce que préconisaient seulement les « Institutions précédentes) mais un ensemble de connaissances qui lui permettent d’avoir en quelque sorte une maîtrise mystique du Réel.

Ainsi, il y a quelque paradoxe pour un poète qui se veut précepteur à confier à des personnages mythiques (Chiron comme les Muses) l’éducation du Prince : le Prince, habité par Dieu, inspiré par Dieu semble au-dessus des conseils purement humains.

Ce roi très chrétien ne peut être qu’un roi catholique puisque son pouvoir temporel (la Force) est légitimé par ce pouvoir spirituel qui en fait presque une incarnation divine.

Enfin dans cette substitution de la vertu-connaissance à la vertu-qualités morales, Ronsard montre bien qu’en vrai humaniste il est sûr que la connaissance ne peut qu’apporter la sagesse.

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