Chapitre 2 : Les Discours et les guerres de religion Ronsard : Les oeuvres engagées.

1. Situation de Ronsard en 1560

Il a 36 ans. C’est le « Prince des poètes », il publie la première édition de ses œuvres (Amours, Elégies, Hymnes). Parmi les Élégies, il en est deux (A Des Masures et à Des Autels)où apparaît son souci devant la guerre civile menaçante. On l’y voit enclin à défendre la cause catholique, bien que, étant imprégné d’humanisme, il n’épargne pas l’Eglise romaine. Dans les Discours, du reste, il reconnaîtra toujours la nécessité d’une réforme du Clergé. Cependant ses choix sont clairs. Voyons pourquoi :

- D’abord pour des raisons liées à sa situation personnelle : en tant que clerc, (il est tonsuré, ce qui n’implique pas qu’il soit prêtre pour autant), il a obtenu du Roi des charges ecclésiastiques. En 1559, il est aumônier du Roi, il reçoit quelques autres prébendes. N’oublions pas que, issu d’une noblesse de province assez pauvre, il a besoin du Prince pour vivre. C’est un poète officiel payé par la Reine, pour célébrer naissances et mariages.

- Puis pour des raisons liées à ses origines : il réprouve la doctrine de Luther et de Calvin essentiellement parce qu’il est attaché à l’autorité royale, non seulement par intérêt, comme on vient de le voir, mais par une tradition de loyalisme sincère. Appartenant à la noblesse provinciale, il n’accepte pas la révolte des Protestants contre l’autorité royale.

- Pour des raisons en fin liées à son état de poète : les protestants, et Calvin en tête, avaient condamné la poésie païenne et avaient dénoncé l’illusion de voir dans la littérature antique comme un avant-goût du christianisme. Pour eux, aucune assimilation d’est possible : la sagesse et la morale antiques sont totalement différentes du message chrétien ; en particulier, ils condamnent la poésie lascive gréco-latine. Un homme comme Ronsard, païen par tempérament (cf. son amour de la Nature), par imagination (cf. toutes les figures mythologiques de ses poèmes), et par son esthétique, ne pouvait appartenir au camp de ceux qui interdisaient toute poésie qui ne fût pas religieuse.

Ainsi sur deux points, il pouvait faire l’objet de la critique des protestants : d’une part, il faisait partie de ces « profiteurs » qu’ils dénonçaient, puisque, sans être prêtre, il touchait des bénéfices ecclésiastiques, et d’autre part, alors qu’il était tonsuré, il se consacré à une poésie profane et à la célébration d’autres amours que l’amour de Jésus.

Les événements se précipitant, alors qu’il a des protecteurs dans les deux camps (ami de Coligny, il dépend cependant du Roi et des Guise) il prend fait et cause pour le parti du Roi, non par esprit courtisan, mais parce qu’il comprend comment le régime politique est menacé par l’intrusion d’une religion nouvelle de nature dissociante. Contrairement à Michel de l’Hôpital, Ronsard pensait que l’unité religieuse était la condition de l’unité politique.

2. Les Discours

1561 : Année des Etats généraux, et du colloque de Poissy. Ronsard donne au tout jeune roi des conseils . C’est « l’Institution pour l’adolescence du Roy très chrétien Charles neuvième de ce nom » : ce genre littéraire était fort à la mode, et particulièrement opportun pendant la régence.

1562 :  Après les massacres de Vassy, Ronsard s’empresse d’écrire le «  Discours  des  Misères de ce temps » : c’est au moment où Catherine hésite entre la conciliation (que préconise M. de l’Hôpital) et la guerre (que souhaite Guise). Paris, entre l6 et le 25 mars avait couru un grand danger (cf. vers 114 de ce Discours) : F. de Guise était entré triomphalement avec 1500 hommes armés. Il croise en ville Condé et De Bèze, revenant d’un prêche et accompagnés de 50 cavaliers. Malgré des saluts courtois, les incidents sed multiplient les jours d’après. On redoute la guerre civile. Condé se retire, mais s’empare d’Orléans d’où il menace Paris en avril-mai. Devant cette situation, Ronsard pense qu’il faut cesser toute complaisance vis à vis des protestants. Mais il espère encore que la paix soit possible, et c’est dans cet état d’esprit qu’il écrit son Discours.

Septembre 1562 : Il écrit la « Continuation » de ce discours, qu’il adresse également à la Reine. Le ton y est beaucoup plus polémique. C’est un réquisitoire contre l’hypocrisie des Protestants et une exhortation au roi pour qu’il les mate.

Décembre 1562 : C’est « La Remontrance au peuple de  France », écrite dans l’atmosphère enfiévrée de Paris investi par les troupes de Condé. Ronsard fait preuve d’une passion partisane et exhorte les catholiques à la guerre.

Avril 1563 : Après la paix d’Amboise, la « Réponse aux injures » restreint la polémique au plan personnel. C’est un document important sur la vie du poète, de tons très divers. L’œuvre n’est qu’à de très rares moments une poésie nationale et politique.

3. Situation des Discours dans l’œuvre de Ronsard

On pourrait problématiser le sens des Discours en les situant entre deux œuvres de contenu très différent : l’Élégie à Des Autels d’une part (qui date de 1560) et l’hymne aux saisons d’autre part (pièce ajoutée en 1567 au livre des hymnes).

L’Élégie à Des Autels : cette pièce avait été publiée dans la première édition des « Œuvres » de Ronsard ; il la fit réimprimer à part en 1562 avec des retouches qui la remanient pour la faire servir à la polémique. Ainsi, au lieu de :

Car il faut désormais défendre nos maisons
Non par le fer tranchant ains par vives raisons

Ronsard corrige :

Car il faut désormais défendre nos maisons  
Et par le fer tranchant et par vives raisons 

Dans cette œuvre apparaît un projet nouveau : jusqu’en 1560 il avait écrit (concernant les thèmes politiques) soit des œuvres de philosophie politique (cf. hymne à la justice) soit des œuvres qui célébraient de façon intemporelle la grandeur des Princes.

Or, après la conjuration d’Amboise, la question religieuse se porte au plan politique et le juriste Des Autels dans une « Harangue au peuple français » accuse les Protestants de rébellion : « Le commun but de tous [les protestants] est bien la mort du Roi, des princes, confusion de toutes choses divines, et la ruine universelle de notre chose publique ».
S’adressant à Des Autels, Ronsard montre donc qu’il partage les mêmes préoccupations, et pour la première fois sont mentionnés dans son œuvre les ennemis historiques  (et non plus mythiques) de Dieu et du Prince : ce sont les Protestants. Il entend donc relever le défi lancé par les Protestants passés maîtres dans l’art de la parole :

Las ! Des Luthériens la cause est très mauvaise
Et la défendent bien : et par malheur fatal 
La nôtre est bonne et sainte, et la défendons mal !

Le moyen de combat sera donc le livre, moyen moderne, dont les Protestants ont déjà fait un remarquable usage :

Ainsi que l’ennemi par livres a séduit…
Il faut en disputant par livres le confondre,
Par livres l’assaillir, par livres lui répondre.

Le livre apparaît donc comme le moyen d’exercer une action, et de modifier des comportements. Ainsi le poète est dans une situation nouvelle : son poème n’est plus didactique (cf. ses Hymnes) mais c’est un poème militant qui doit servir à combattre et à persuader. Cependant dans son poème Ronsard hésite entre deux figures, celle de l’orateur (cf. Des Autels), et celle de l’herméneute inspiré : il s’essaye pendant un temps très bref, en réalité (moins de deux ans) à être un orateur politique (mais les 3 Discours sont écrits en un an, et la Réponse a pour objet essentiel la Poésie, et répond moins à la sollicitation de l’événement qu’à d’autres textes écrits par des Protestants en réponse aux Discours). Mais dans son poème apparaît aussi la figure de Nostradamus (qui sera aussi présente dans les Discours), lui aussi capable d’entraîner les foules :

Ou soit que du grand Dieu l’immense éternité
Ait de Nostradamus l’enthousiasme excité…
Comme un oracle antique il a dès mainte année
Prédit la plus grande part de notre destinée.

Ronsard a ici pour modèle le poète - prophète inspiré, l’interprète des volontés divines.

Mais l’Institution comme les Discours vont nous montrer comment ces deux figures en fait seront rejetées : ni orateur, ni herméneute, Ronsard se « cantonnera » au simple rôle de poète. On essaiera donc de voir en quoi cette littérature engagée, quelle qu’ait été son importance, constitue en réalité un échec pour Ronsard. (Notons cependant que les Discours ont circulé dans le Nord de la France, que les catholiques ont fait de Ronsard le grand défenseur de leur cause qu’il n’était pas, et que même à ses funérailles célébrées en grande pompe, Du Perron dans son oraison funèbre insista sur l’efficacité de ces Discours dans la lutte contre les Protestants).

L’Hymne des saisons met en scène le poète loin des hommes tout heureux de communier avec la nature et de célébrer l’ordre immuable des saisons, comme si, constatant la vanité et le désordre des événements humains, le poète se réfugiait dans une  poésie personnelle célébrant son amour de la nature :

Je n’avais pas quinze ans que les monts et les bois
Et les eaux me plaisaient plus que la Court des Rois
Et les noires forêts en feuillages voûtées
Et du bec des oiseaux les roches picotées… (Hymne de l’automne)

On peut se demander ce que signifie ce désengagement : H. Weber (in « la création poétique… ») oppose les Discours aux Tragiques de D’Aubigné : s’il dit que ce sont les deux grandes œuvres poétiques issues des guerres de religion, il oppose Ronsard, avant tout artiste, que la pression des événements à un temps donné conduit vers la poésie engagée à laquelle il renonce dès la fin de la première guerre de religion, à D’Aubigné, soldat, défenseur acharné d’une cause qu’il soutient par les armes, et qui prolonge sa lutte militaire par la lutte poétique. Et son  œuvre  sera le fruit d’une lente élaboration qui lui donnera une tout autre valeur.

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