Chapitre 3 : Ronsard et la religion (Boulanger - Py) Ronsard : Les oeuvres engagées.

Bibliographie :

  • D. Ménager : Ronsard : le Roi, le Poète et les hommes (Droz 1979)
  • A. Py : Ronsard (D. de Brouwer)
  • H. Weber : La création poétique au XVIè siècle
  • L.V. Saulnier : La littérature française de la Renaissance (Que sais-je)

Il faut d’abord dire que le problème de la religion est avant tout politique : c’est à l’intérieur d’une poésie politique qu’il apparaît ; ainsi ce qu’il dit de la Religion est tout à fait lié à sa conception du pouvoir du Prince.

Au départ (cf. les Odes), le poète offre à ses contemporains qui ne possèdent plus les cadres rassurants de la civilisation médiévale l’image de la cité grecque, cité idéale où la religion est facteur de cohésion sociale avant d’être la relation personnelle entre l’individu et Dieu.

1. Dangers d’une réforme

C’est ce qui explique les choix de Ronsard : tout le discours politique de la seconde moitié du siècle demande à la religion d’être facteur de cohésion sociale (peut-être sous l’influence du Prince de Machiavel, qui a été traduit en 1553). Donc, si on privilégie cette fonction (aux dépens d’une religion fondée sur le rapport individuel de l’homme à son Dieu), comme le fait Ronsard, tout changement de religion est dangereux car il brise l’unité du peuple. Etre français, c’est être catholique. La religion est la pièce maîtresse d’un ensemble, et si elle bouge, tout s’effondre (on peut constater que Ronsard s’est trompé, contrairement à M. de L’Hôpital, car le changement en réalité n’affectera pas la stabilité de l’état).

Ainsi on insiste, dans cette optique, sur les dangers de réformer une religion corrompue — cf. le Mémoire sur l’Edit de janvier de La Boétie (même année que les Discours) —, car, une fois autorisé l’esprit critique, l’obéissance aux dogmes diminue — cf. Montaigne dans l’Apologie de Raymond Sebond. Cette crainte explique l’embarras de ceux qui veulent réformer l’Eglise, réellement corrompue, mais qui craignent que cette réforme ne déstabilise un édifice politique qu’elle devrait au contraire consolider (puisque le Prince lui-même est représentant de Dieu). Et si, malgré tout, des réformes sont faites, c’est plus par peur d’un autre danger, mortel pour l’Etat : l’athéisme (cf. machiavel aussi). L’athée en effet (cf. continuation 150 sq) c’est l’ennemi des lois ; l’athéisme est synonyme d’audace, de libertinage, de liberté individuelle.

Donc Ronsard pense que les prêtres doivent de nouveau être vertueux, prêcher la vertu, et ainsi la religion retrouvera ce rôle de lien si nécessaire à la cité, mais pas n’importe quelle religion : c’est la religion catholique qui intègre le mieux les hommes à la cité.

2. Dangers de la Réforme

Pour Ronsard, la Réforme est une religion purement « mentale » qui détache l’homme de sa mémoire et de sa tradition. En effet, elle édifiait un ordre à l’exact opposé de celui qu’il demandait :

- D’un côté la religion devait jouer le rôle de lien entre les hommes, de l’autre on refusait une cité qui pourrait s’émanciper de l’ordre divin.

- D’un côté, des princes, absolus détenteurs d’une autorité sans partage : Dieu s’est réservé le Ciel et a laissé la terre aux Rois ; de l’autre côté, des serviteurs du grand Dieu, auquel les Princes comme le reste des hommes ont des comptes à rendre.

- D’un côté une sociologie de la religion, de l’autre, une théologie.

- D’un côté une conception sacrée de l’autorité, et de l’autre l’affirmation de la royauté de Dieu (cf. le régime démocratique de Genève).

Il en est de même à propos de la discussion sur l’eucharistie : pour Calvin, le croyant va au-delà du signe qui n’est là que parce que nous ne pouvons pas nous passer de signes visibles en raison de notre faiblesse. La vérité spirituelle est donc seulement figurée par le signe :

Le corps du Christ est éloigné de la terre attendu que quant à nous nous sommes en la terre, et les sacrements aussi, et quant à lui, sa chair est au ciel. (De Bèze, colloque de Poissy)

C’est la question qui fut au centre du Colloque, comme elle l’est au centre des Discours. Ronsard (Remontrance 113 sq) affirme au contraire le dogme de la présence réelle : dès lors qu’il y a présence réelle, il n’y a plus « signe » : le signes religieux doivent manifester la présence momentanée de l’éternité en ce bas-monde, et en  aucun cas ils ne doivent être dépassés, comme par une intrusion brutale de la transcendance, pour appeler l’homme à songer à son  salut futur plus qu’à son présent ; pour Ronsard, les protestants anticipent la libération promise dans l’au-delà et leur vocabulaire, leur comportement extatique (cf. Remontrance vers 202 et vers 657 sq) en font des illuminés de secte (cf. Continuation v. 61 et 243) (accusation qui est un des thèmes majeurs de la propagande catholique).

Ainsi Ronsard, reprenant le discours fidéiste cherche à assigne à la foi un lieu simple, qui est la tradition (Remontrance 155sq) où il n’y a pas justement cette effusion de la grâce, ce caractère instantané qui lui semble une véritable folie (cf. Vers 193 ibidem) : à l’intérieur de cette tradition, un travail long d’étude permettra de s’en prémunir. Donc, pour Ronsard, le signe de la Réforme, c’est l’apparition de cette relation verticale individuelle avec Dieu, relation qui élimine donc les médiations. Il présente ainsi le Protestant comme l’homme de la Foi, plus que comme celui de la Religion, ce qui est à la fois vrai et faux : vrai parce que la Réforme a été en partie causée par des mouvements de piété populaire et mystique, contre l’institution, et faux parce que Calvin s’est efforcé d’établir une Église, qu’il a condamné les sectes, et qu’il a montré la nécessité d’un gouvernement civil.

De toute façon, la forme ancienne du culte comme ciment de la société disparaît pour laisser place au dialogue individuel du croyant avec Dieu ? Cette « émigration intérieure » est inacceptable pour ce monarchiste qu’est Ronsard ; tous les tenants de l’idéologie monarchiste demandent que la croyance s’exprime dans un culte, où l’autorité politique peut identifier la pensée de chacun, où la foi quitte le domaine clos de l’intériorité pour prendre les formes claires de la célébration. Tous les penseurs politiques disent leur méfiance pour ce dialogue solitaire et secret avec Dieu. C’est ce qui explique que la Représentation en général, celle du culte comme celle  du pouvoir soit  si importante, parce qu’elle fait apparaître de façon extérieure cette adhésion de tous à une même croyance.

3. Le refus d’un poète à la Réforme

Mais ce refus doctrinal est peut-être second par rapport à un autre refus, d’ordre plus personnel. C’est la thèse de  A. Py (cf. Bibliographie) ; le poète aurait eu une répulsion devant une aberration poétique et un langage étranger. Dans la « Réponse … » le Prédicant apparaît comme un être animé de chimères, d’une pseudo-inspiration, Calvin, comme un Orphée dégénéré. Ronsard évoque « l’erreur d’un étranger » (Luther) qui s’oppose à la « loi du pays où nous sommes nés », et il dit son peu de goût pour ces  terminaisons barbares  « en – os » : « Ces Gots, ces Austregots, Visgots et Huguenots » (Remontrance v. 218). Il est frappant de voir du reste la monotonie de ses accusations (l’hypocrisie principalement) ; les questions théologiques sont vite expédiées (et d’ailleurs, plutôt fidéiste, il pense qu’il ne faut pas trop discuter). En réalité ce qu’on voit c’est un poète qui combat contre ce qui est l’adversaire de son propre génie : cet esprit de démesure, incarné par Luther, et ressenti comme profondément étranger au génie national. Derrière la passion verbale des Discours, on sent comme une indifférence, un « curieux dégagement » cf. L’Epître au lecteur, en tête du recueil des Nouvelles Poésies (Pléiade II p. 989) :

Et voulez-vous que je vous die ce qui m’a le plus ennuyé durant ces troubles ?  C’est que je n’ai pu jouir de la franchise de mon esprit ni librement étudier comme  je faisais auparavant.

Cette liberté d’esprit qu’il refuse aux Protestants, parce qu’elle peut déboucher sur la liberté politique, (« Pour avoir liberté, ne voudra plus de Roi ) il la réclame et même la pratique au temps où il s’engage ! Même scepticisme dans un sonnet au prince de Condé (Pleïade II p. 898) :           

Tandis que nous aurons des muscles et des veines
Et du sang, nous aurons des passions humaines.
Chacun songe et discourt et dit qu’il a raison ;
Chacun s’opiniastre, et se dit véritable ;
Après une saison vient une autre saison,
Et l’homme cependant n’est sinon une fable.

Propos curieux pour l’écrivain engagé des Discours… : au milieu des arguments, de la rhétorique, des armes, soudain, le sentiment de la vanité et du néant.

C’est que Ronsard est un esprit essentiellement poétique : sa vision de Dieu est celle de l’humanisme de la Renaissance : sentiment d’une unité où le macrocosme et le microcosme se correspondent, où il n’y a pas de solution de continuité entre Dieu et ses créatures, ne serait-ce d’ailleurs que dans la personne du Prince, comme on le verra.

Et sa polémique contre les protestants est pathétique, dans la mesure où elle renvoie à un  schisme plus grave que celui qui divisait la chrétienté : celui qui fera que (cf. Rabelais puis surtout Montaigne) l’homme  se  demandera si son existence a un sens, plongé qu’il est dans un univers brusquement démesuré, dont il n’est plus qu’un atome dérisoire.

Pourquoi en définitive cet engagement contre les Protestants ?

- Parce que c’était le début d’une « séparation « douloureuse » où disparaissait la cohésion de la cité, et de cet univers tout païen d’une harmonie paradisiaque ;

- Parce que cet état d’ambiguïté que la Réforme instaure rejaillit sur la langue et la possibilité de la poésie : en effet, dire que l’esprit de Genève règne en France, c’est dire que les individus appartiennent à une patrie des idées, et à une autre patrie de naissance ; ils ne sont plus reliés de façon univoque à un seul lieu ; c’est dire que le mot ne peut plus renvoyer à une seule chose : le réel n’est plus représentable, le langage est donc mis en question.

- Parce qu’au centre de la poésie de Ronsard se trouve l’imagination, faculté aussi sévèrement condamnée par Calvin qu’elle est au centre de la théologie catholique : le signe, tout signe, porte en lui la marque de son signifié, de Dieu : le signe ne s’efface donc pas (contrairement à ce que pensent les Calvinistes). Il est là, déjà divin, contenant une étincelle du divin. Cette façon poétique d’envisager le monde, et la représentation en général est à l’opposé de la théologie protestante. Le poète Ronsard, l’amoureux des mots, l’homme qui connaît le lien secret qu’ils ont avec les choses, ne pouvait que s’engager dans le camp catholique.

Bibliographie :

  • D. Ménager : Ronsard : le Roi, le Poète et les hommes (Droz 1979)
  • A. Py : Ronsard (D. de Brouwer)
  • H. Weber : La création poétique au XVIè siècle
  • L.V. Saulnier : La littérature française de la Renaissance (Que sais-je)
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