REMONTRANCE AU PEUPLE DE FRANCE - Explication III, vers 113-136

Un passage assez rare dans ces discours puisqu’il discute d’un point de dogme, celui de la Présence réelle : c’était le litige essentiel entre calvinistes et catholiques. On sait que des sacrements traditionnels, les calvinistes n’avaient gardé que le baptême et ne donnaient à la communion de la messe qu’une valeur commémorative et symbolique.

Ronsard essaye d’argumenter en faveur de la doctrine catholique, mais la théologie n’est pas son fort. Il s’inspire des arguments que le cardinal de Lorraine avait opposé à De Bèze lors de la rencontre de Poissy.

Il faut se demander si, au-delà de son choix (respect de la foi de ses aïeux) la façon particulière, et poétique de voir le monde qui est celle de Ronsard n’est pas en définitive plus en accord avec le dogme catholique qu’avec la doctrine protestante.

Plan

  • Contestation des paroles du Christ
  • L’argument des Calvinistes
  • La réponse des catholiques

Les paroles contestées

« Tu as dit simplement d’un parler net et franc… ». Ronsard s’adresse à Jésus et reprend ses paroles ; les termes « simplement, parler net et franc » font déjà partie de l’argumentation : il est impossible de ne pas comprendre ce que tu as exprimé si clairement, c’est-à-dire :

« Prenant le pain et vin, c’est cy mon corps et sang / Non signe de mon corps » : miracle de la transubstantiation : le pain et le vin, dans la communion, sont réellement le corps et le sang du Christ, et le miracle est renouvelé à chaque communion. L’adverbe « réellement » est important : il établit ce rapport d’identité entre le pain et le corps, le vin et le sang. Au contraire, pour les protestants le pain et le vin ne sont que des signes, qui figurent le corps et le sang, des symboles choisis peut-être par analogie, mais non par identité de matière. L’enjeu était important dans la mesure où pour un catholique le pain et le vin participent du même caractère sacré que Jésus alors que pour les protestants ces signes n’ont pas en eux-mêmes un caractère sacré.

L’adversatif « toutefois » introduit la contestation des protestants, dont les « ministres » sont qualifiés de termes injurieux « ces nouveaux défroqués » : ce sont d’anciens prêtres catholiques, des « apostats » , des renégats qui ont abjuré la foi catholique, des « bélîtres » c’est-à-dire, des hommes de rien. Et la suite du texte montre bien en quoi réside le « sacrilège » des protestants puisqu’ils « démentent » la parole de jésus. Et Ronsard insiste, commentant ce verbe de « démentir » par deux autres propositions : ils disent « que tu rêvais », que « tu n’entendais cela que tu disais » comme s’ils faisaient de Jésus un benêt parlant sans même « entendre » (comprendre) les mots qu’il disait. Il est habile, de la part de Ronsard de reporter la contestation protestants / catholiques sur une contestation par les protestants de la parole de Jésus : c’est dire qu’ils ont d’emblée tort.

Deuxième partie

Vient une seconde accusation : appliquer la raison dans le domaine de la foi (« Il nous veulent montrer/par raison naturelle… ») Nous avons déjà évoqué le fidéisme de Ronsard, et c’est du reste ce qui explique le peu de place qu’il consacre aux réponses proprement théologiques.

Que veulent montrer les protestants ?

Que ton corps n’est jamais qu’à la dextre éternelle
De ton père là-hait et veulent t’attacher
Ainsi que Prométhée au faîte d’un rocher 

Ronsard résume de façon imagée leur vision du monde : l’opposition stricte là-haut / ici-bas : mondes séparés puisque après la Création le Péché a définitivement rompu le lien entre le plan humain et le plan divin, donc le corps de Jésus « n’est jamais » qu’au Ciel, à la droite de son père (la forme restrictive montre que jamais le Christ n’est sur terre, donc qu’il n’y a pas de réelle communion possible avec lui). Quant à la comparaison avec Prométhée, elle montre d’abord comme toujours que Ronsard n’hésite pas à mêler l’antiquité et les Evangiles, (marque de son appartenance au premier humanisme renaissant) et par suite qu’il considère que l’enseignement de Jésus est en continuité avec celui de l’Antiquité : comme Hercule, Prométhée figure aussi Jésus dans ses tourments endurés au rocher du Caucase.

Les deux vers qui suivent résument la thèse calviniste :

Ils nous veulent prouver par la philosophie
Qu’un corps n’est en deux lieux... ;

La « philosophie » reprend la « raison naturelle » et s’oppose à une théologie qui pour Ronsard n’a pas besoin d’établir des preuves sur une argumentation rationnelle : la foi seule suffit. Même si, sur le plan humain, certains points du dogme manifestent une impossibilité logique comme être à la fois au Ciel et sur la terre (Ronsard le reconnaît : « aussi je ne leur nie / Car un corps n’a qu’un lieu) mais il oppose ce qu’on entend par « corps » au « corps glorieux », du Christ, ou de celui des morts à leur résurrection : un miracle de retrouver un corps et de pourvoir aussi être partout :

……. Mais le tien, Ô Seigneur,
Qui n’est que majesté  que puissance et qu’honneur
Divin, glorifié, n’est pas comme les nôtres :

Noter la constante adresse à Jésus : au lieu d’être une argumentation qui s’adresse aux Protestants, la parole du poète instaure un lien avec Jésus et apparaît comme une prière qu’il lui adresse. Les deux points après ce denier vers annoncent une série de trois exemples destinés à prouver que le corps de Jésus n’obéit pas aux lois terrestres : l’apparition aux apôtres « à porte close », la résurrection « sans rien casser », et l’ascension, les trois vers étant bâtis sur le même schéma : un complément de manière s’opposant de façon miraculeuse  aux actions des verbes.

Les vers qui suivent se lisent comme une argumentation permettant de justifier cette « ubiquité » du Christ : sous une forme d’abord affirmative puis négative, Ronsard montre que pour Jésus assimilé ici au créateur, (dont il partage l’éternité) pensée et corps sont identiques : il a suffi de la « vertu féconde » de Jésus  pour que « sans matière apprêtée » le monde soit créé. Et inversement, il serait impuissant s’il ne pouvait pas  « accomplir ce que sa majesté pense » (il faut donner leur sens fort aux mots : c’est le passage immédiat de la pensée à sa réalisation : pas de différence entre virtualité et réalisation) : ce sont-là des choses qu’il est impossible de comprendre par « raison naturelle » et qui condamnent donc toute tentative d’explication .

Conclusion :

Un passage sérieux dans lequel l’argumentation prend la forme d’une prière à la gloire du corps glorieux de Jésus renvoyant les protestants à l’inexistence puisque au lieu de dialoguer avec eux, Ronsard s’adresse au Christ : procédé de rabaissement mais aussi refus de réellement discuter avec l’adversaire. On y voit le fidéisme de Ronsard, et sa fidélité au dogme, dans une vision des choses où se dévoile peut-être sa nature de poète, car le signe pour un poète ne peut être arbitraire. Il est, d’une façon ou d’une autre (c’est l’objet de chaque tentative poétique que de la trouver) lié à la chose qu’il désigne, de même que non seulement le pain et le vin mais aussi le monde sont aussi pleins de la présence divine. Et ce lien, qui garantit la stabilité de la signification et qui affirme en même temps le caractère divin du signe, Ronsard ne peut, absolument pas en tant que poète admettre qu’il n’existe pas.

En fait Ronsard défend l’opacité du sens pour préserver le message sacré du vulgaire (élitisme) mais la vraie raison est moins son élitisme que sa nature de poète : le sens est opaque parce que le texte est sacré et non pour que le texte reste sacré.

(dire que c’est au moment où il se rend compte qu’il pourrait en être un , et que finalement aucune raison plausible de faire la différence qu’il comprend que la seule différence c’est qu’il est poète... ; (et donc différent des uns et des autres !)

La confusion c’est justement la guerre civile cf Montaigne ch. "Sur la conscience". Or dans ce texte Ronsard touche du doigt le scandale : qu’on puisse le confondre, et effectivement cette idée lui fait penser qu’il en a eu la tentation.

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