C’est le début du texte, réponse à un texte lui-même intitulé « réponse » : nous sommes en pleine surenchère, et il est intéressant de voir ce qu’a choisi de dire Ronsard en introduction pour répondre à un texte qui mêlait des accusations d’ordre religieux ou politiques à des injures personnelles et à des médisances sur son génie poétique.
Le début se lit en deux temps : la prise à partie de l’adversaire, puis, par l’intermédiaire d’une comparaison, la réalité de l’état dans lequel se trouve l’adversaire.
Première partie
Le texte s’adresse à un interlocuteur que Ronsard prétend ne pas connaître (« Je ne sais quels Prédicants de Genève… »), le considérant d’emblée, non comme un français mais comme un étranger. La suite du texte montre qu’il se doutait bien de l’identité d’un des auteurs des pamphlets, mais c’est un procédé polémique propre au pamphlet que de rejeter dans l’anonymat l’adversaire méprisable.
Ronsard commence par une apostrophe dont les accents prosodiques montrent la véhémence : cf. « misérable moqueur » (et le qualificatif de moqueur réduit la portée de l’attaque à une simple moquerie) et la parenthèse qui suit montre à quoi est due l’existence de ces textes calomniateurs :
Misérable moqueur qui n’avais point de voix
Muet comme un poisson il n’y a pas deux mois,
Et maintenant enflé par la mort d’un seul homme…
La naissance de ce « poète » n’est pas due à un don particulier : au contraire, il n’avait pas de voix (et la comparaison « muet comme un poisson » renchérit sur ce mutisme et permet de reprendre la série des allitérations de la labiale « m » déjà présente dans « misérable moqueur » : muet… et maintenant… mort homme : répétitions qui reproduisent la moue méprisante du poète). Une voix qui n’a aucune ancienneté reconnue, et dont la naissance occasionnelle est due à la mort de Guise : c’est-à-dire que cette voix est restée muette tant qu’il était vivant par crainte, et qui, maintenant qu’il est mort ne risque plus rien à parler (cf. « enflé par la mort » : une sorte de matamore (« enflé ») qui se dit courageux parce qu’il n’y a plus rien à craindre. « Tu médis de mon nom que la France renomme » on remarque un même jeu sur les labiales (médis mon nom renomme), tandis que le premier grief est d’emblée énoncé : « tu médis de mon nom » : non pas de moi, mais de mon nom, du nom que je suis : donc de Ronsard « que la France renomme », c’est-à-dire, de sa gloire poétique. C’est effectivement là ce qui a le plus atteint le poète, et qui l’a déterminé à répondre à ses adversaires.
Abbayant ma vertu et faisant du bragard
Pour te mettre en honneur tu te prends à Ronsard
Le verbe abbayer, comme « aboyer » veut dire « crier après » et en général après quelqu’un qui le mérite, mais ici c’est paradoxalement après la « vertu » (la vis poetica, comme l’honnêteté du poète) que crie ce prédicant dans un « aboiement » bien peu harmonieux, lui qui veut faire « du bragard » (faire le fier, et le fanfaron) et qui se sert en réalité de la grandeur de Ronsard pour faire parler de lui, « se mettre en honneur ». Le nom de Ronsard est donc inscrit dans le texte et il ne signifie pas seulement « à moi, à la personne de Ronsard » mais à l’institution poétique, à la Gloire que je représente (et la troisième personne est très importante).
Deuxième partie
Cette idée va être développée avec la caractérisation de l’adversaire : un voleur et un menteur : il y a d’abord une comparaison :
Ainsi trop sottement la puissance liquide
De ce fleuve écorné combatit contre Alcide…
Alcide (Hercule) comme Ronsard se trouve à la rime, et inaugure cette comparaison du poète avec le héros qui lutta contre « le fleuve écorné » il s’agit (cf. la note) du fleuve Achéloos qu’Hercule avait vaincu et à qui il avait pris la corne quand il s’était transformé en taureau) : la comparaison fait comprendre qu’il est stupide (sottement) de s’en prendre à plus fort que soi :
Ton cœur bien qu’arrogant de peur devait faillir
Au bruit de mon renom, me voulant assaillir
Il fallait donc renoncer à m’attaquer : Ronsard volontairement use d’un style pompeux : les participes présents, les caractérisants du poète qui occupent deux vers entiers : deux adjectifs (« laborieux athlète et poudreux d’exercice ») et une relative (« Qui ne tremble jamais pour un petit novice »). Donc tout cela montre la témérité d’un adversaire qui n’a pas craint « le renom » du poète pour l’assaillir, alors qu’il n’est lui-même qu’un « novice ». Il faut remarquer la place du groupe « au bruit de mon renom » : entre « de peur devait faillir » et « me voulant assaillir » qui oppose une volonté à ce qui aurait dû interdire son dessein : la gloire de Ronsard. Quant aux appositions, elles comparent d’abord le poète avec un champion de l’Antiquité (l’athlète, la poudre du stade) en mettant l’accent sur ses qualités de travail et d’entraînement) (la rime oppose l’exercice de l’athlète au jeune « novice » qui manque d’entraînement).
Puis Ronsard montre pourquoi exactement ce novice aurait dû s’abstenir :
Car à voir tes écrits tu m’as tout dérobé
Et du faix du larcin ton dos est courbé
Donc il l’accuse de lui avoir volé ses vers, mais en réalité c’est sciemment que les Palinodies, que semblent ici visées sont attribuées à Ronsard lui-même. Mais avec mauvaise-foi, Ronsard prétend que c’est le manque d’invention qui a fait écrire ces palinodies qui reprenaient il est vrai beaucoup de ses vers. Mais la concrétisation de ce vol est donnée dans l’image du « dos courbé » par le poids du larcin, certes, mais peut-être aussi à cause de la honte de l’avoir commis, car l’idée vient juste après :
Tu en rougis de honte et en ta conscience
Père tu me connais d’une telle science
Le poète oppose l’acte (le vol) au sentiment intérieur, que l’attitude dévoile (le dos courbé, la honte au visage). IL faut noter la place en tête du vers du mot « Père » : Ronsard joua un rôle décisif dans la science poétique, il le dira aussi dans les dernières pages de la Réponse ; et il se place tellement au-dessus de son adversaire, qu’il ne peut que l’imaginer rouge de honte d’avoir osé s’en prendre à lui : au lieu de le considérer comme fier de lui, il le présente délibérément comme un voleur conscient de l’être, et donc dévoré par le remords :
Tu sens d’une Furie une lente rigueur
Un vengeur aiguillon que de deuil t’époinçonne
D’avoir osé blâmé une telle personne
Ainsi loin de dire que ces écrits l’ont affecté, Ronsard présent au contraire leur auteur comme l’objet d’une vengeance divine (c’est une furie qui l’époinçonne) (noter les mots qui sont une vraie torture : lente rigueur, vengeur aiguillon, époinçonne) Donc châtiment pour une outrecuidance presque sacrilège (d’avoir osé blâmer une telle personne), envers le Père (comme une volonté de parricide donc) de la poésie française. Car de toute façon Ronsard est si loin de ces jeunes roquets qu’il est sûr de son droit :
Sachant bien que tu mens et que je ne suis point
Des vices entaché dont ta rage me point
Donc un voleur et un menteur, que le poète présente comme quelqu’un de fou (la « rage »), voilà ce qu’est ce prédicant. Et le paragraphe se referme sur un retour des labiales par lequel il avait commencé – tu mens, bien, point, me point) même mouvement méprisant des lèvres.
Conclusion
Morgue de Ronsard, dans cette réduction systématique de l’adversaire, que le poète rend quasiment conscient de sa témérité, de sa faiblesse, de son mensonge, sans que lui-même ait besoin d’intervenir.