Confrontation : littératures et cultures antiques / littératures et cultures française et étrangère.
"L’ouverture vers le monde moderne et contemporain constitue l’un des principes essentiels des programmes de langues et cultures de l’Antiquité, dont l’étude, constitutive d’une solide et indispensable culture générale, n’est pas réservée aux seuls élèves qui se destinent à des études littéraires."
"Travailler de manière méthodique sur les différences et les analogies de civilisation, confronter des œuvres de la littérature grecque ou latine avec des œuvres modernes ou contemporaines, françaises ou étrangères, conduit à développer une conscience humaniste ouverte à la fois aux constantes et aux variables culturelles."
Programmes LCA et LLCA, Préambule.
On se propose de présenter une propédeutique à l’explication de texte. Cet exercice est destiné à une classe de collège, en cinquième par exemple. Il consiste à poser les bases d’une explication à partir d’une réflexion sur le vocabulaire même du texte, qui aura une double utilité : étudier à propos d’un mot son sens concret précis, ses synonymes, antonymes, ou les mots qui sont de sa famille, et ensuite permettre à l’élève d’en tirer lui-même les conséquences à propos de la signification proprement littéraire du texte. On a choisi le poème de Gautier tiré de son recueil Émaux et Camées : « Premier sourire du printemps »
On le situera d’abord dans époque en faisant une échelle chronologique,
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1600 1700 1800 1852 1900 2000
« Émaux et Camées »
puis on introduira le texte par un petit « chapeau « qui permettra à l’élève d’en comprendre le sens principal : On pourrait introduire ce poème de la façon suivante : T. Gautier compare ici le mois de mars à un habile artisan qui, sans qu’on s’en doute, parce qu’il fait encore bien froid, apprête la nature, comme on habillerait une femme, pour la venue du mois d’avril, c’est-à-dire du Printemps »
Puis, après une lecture lente où l’on fera reconnaître la présence d’un rythme toujours identique, l’explication consistera à développer le sens de certains mots, particulièrement intéressants : ce sont les mots qui ont une astérisque.
PREMIER SOURIRE DU PRINTEMPS
Tandis qu’à leurs œuvres perverses*
Les hommes courent haletants,
Mars qui rit, malgré les averses,*
Prépare en secret le printemps
Pour les petites pâquerettes,
Sournoisement* lorsque tout dort,
Il repasse* des collerettes
Et cisèle* des boutons d’or.
Dans le verger et dans la vigne,
Il s’en va, furtif* perruquier,
Avec une houppe de cygne,
Poudrer à frimas* l’amandier.
La nature au lit se repose ;
Lui descend au jardin désert,
Et lace les boutons de rose
Dans leur corset* de velours vert.
Tout en composant des solfèges
Qu’aux merles il siffle à mi-voix,
Il sème aux prés* les perce-neige
Et les violettes aux bois.
Sur le cresson de la fontaine
Où le cerf boit, l’oreille au guet*,
De sa main cachée, il égrène*
Les grelots d’argent du muguet.
Sous l’herbe, pour que tu la cueilles,
Il met la fraise au teint vermeil*,
Et te tresse un chapeau de feuilles
Pour te garantir du soleil.
Puis, lorsque sa besogne est faite,
Et que son règne va finir,
Au seuil d’avril tournant la tête,
Il dit : « Printemps, tu peux venir »
Perverses : « tournées vers le mal » : « pervers » vient d’un mot qui d’abord veut dire « renversé, retourné » Dans le contexte, le mot signifie que les hommes accomplissent des actions mauvaises (qui s’opposent à l’action du printemps, qui, elle, embellit la nature).
Mots de la même famille : le verbe « pervertir » : ce mot (formé du préfixe per- et du verbe latin « vertere », qui veut dire « tourner ») signifie : faire changer de bien en mal, rendre mauvais (« pervertir quelqu’un », au sens de « corrompre quelqu’un ») puis : modifier en dérangeant (« pervertir l’ordre naturel », au sens de « troubler, détériorer »).
- Le nom « perversion » : changement de bien en mal : la perversion des mœurs, la perversion du goût.
- Le nom « perversité » : goût pour le mal.
- Le nom « aversion » : (avec un préfixe différent) sentiment qui fait qu’on se dé-tourne d’une personne (éprouver de l’aversion pour quelqu’un).
Averses : Ce mot, bien qu’il semble proche des mots donnés dans la note précédente, (d’autant qu’il est réuni par la rime à « perverses ») n’est pas formé de la même manière : il vient directement du verbe « verser » (comme par exemple, le verbe « dé-verser ») et signifie « une pluie abondante et passagère », comme on en voit au mois de mars. Il est presque synonyme du mot « ondée », mais très différent du mot « orage » qui est une pluie accompagnée de vent, d’éclairs et de tonnerre.
Sournoisement : « de manière cachée » : « Mars » (le début du printemps) agit sans qu’on le voie.
Furtif : de même que « sournoisement », cet adjectif signifie « qui agit à la dérobée, comme un voleur ».
Poudrer à frimas : c’est « poudrer en revêtant de frimas, c’est-à-dire, ces très petits glaçons dus à un épais brouillard, et qui s’attachent aux cheveux, aux herbes, presque l’équivalent de la gelée blanche (on est encore en mars, et c’est aussi l’époque où naissent les « perce-neige » justement nommés) (d’où le verbe « poudrer »). La préposition « à » introduit un complément circonstanciel de manière, comme dans « à loisir » (à l’aise), ou « à foison » ( en abondance).
Il repasse… et cisèle : dans ces deux vers, Mars est comparé à un couturier : tous les mots font référence à cette activité : collerette (qui est un petit col qui entoure le cou, mais ici la fleur autour de sa tige), le nom « bouton » et le verbe « ciseler » qui, en couture, veut dire proprement « découper en manières de fleurs le dessus du velours avec la pointe des ciseaux ».
Corset : c’est une sorte de « corsage » (vêtement qui habille le buste d’une femme), mais qui est lacé et serré pour amincir les formes.
Aux prés : ici le complément est soit un complément de lieu (il sème « dans les prés ») soit un complément d’attribution : « il donne aux prés en semant ».
L’oreille au guet : cf. le verbe « guetter » : ou l’expression « faire le guet » ; ne pas confondre avec le mot « gué » : passer à gué une rivière, c’est la passer à pied sec, dans un endroit où l’eau est très basse.
Il égrène : le verbe « égrener » signifie au sens concret faire sortir le « grain » (de l’épi de blé) : c’est presque le sens qu’il a ici : le printemps fait sortir de leur enveloppe ces « grelots » que sont les « grains » de muguet.
Au teint vermeil : dans le contexte, il s’agit d’un rouge foncé (comme on peut parler d’un « sang vermeil » ; toutefois, ce mot peut aussi désigner la couleur de l’argent, quand il est doré (des cuillères en vermeil).
L’étude du vocabulaire (il ne faudra pas avoir peur de montrer aussi des photos ou des tableaux de toutes les fleurs nommées dans le texte : les textes qui évoquent la nature ne peuvent pas être compris si les élèves ne la connaissent pas) permettra de définir les deux ensembles sémantiques auxquels il appartient : ceux du secret, et de la toilette féminine, puis de voir que c’est Mars qui permet la réunion de ces deux ensembles, (il est le sujet de toutes les actions du texte), Mars qui en secret profite du sommeil de la nature pour l’habiller, pour l’embellir : ce sera évidemment l’occasion de voir à l’œuvre le travail métaphorique du texte, puisque toute la nature est décrite comme une belle au bois dormant qu’on va apprêter pour qu’elle se réveille dans toute sa splendeur. On pourra faire remarquer à ce propos que la comparaison est peut-être due à la présence de la femme à qui s’adresse le poète dans le texte, comme le montre la deuxième personne qui apparaît à deux reprises. Le troisième temps de l’explication sera de faire réfléchir sur ce que représentent Mars et son activité d’artisan (perruquier, couturier, jardinier) : un savoir-faire patient et délicat, une pudeur à ne pas se montrer au travail, ni même après son travail ; Mars disparaît quand sa « besogne » est faite (à noter la modestie du mot), un objet, ici la nature, enjolivé par ce travail minutieux, pour être mis à la disposition de l’interlocutrice à qui s’adresse le poète : n’est-ce pas la définition de la poésie parnassienne ? Poésie impersonnelle, quelquefois laborieuse, celle d’un artisan plutôt que celle d’un poète inspiré, n’abandonnant rien au hasard, mais désireux de laisser, après son travail minutieux un bel objet à la jouissance du lecteur, objet dans ce cas paradoxal, puisque ce qui est d’ordinaire de l’ordre de la beauté de la nature est saisi ici comme l’effet d’une création artisanale, sinon artistique.