L’intermède de Juste la Fin du monde ou l'espace dramatique repensé

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Un intermède est un divertissement, une représentation, entre deux pièces ou deux actes d’une représentation théâtrale.

Loin de se présenter comme une rupture, un entracte en spectacle, l’intermède de Juste la Fin du monde semble s’inscrire dans la continuité du drame, tant il multiplie les références à la scène précédente, entre les deux frères. Le ballet verbal entre les cinq personnages s’y poursuit, sous une forme accélérée, en scènes brèves. Sa singularité est ailleurs, scandée par les appels entre personnages et la déclinaison de la question « Où es-tu ? ».

Le ballet se fait spatial : La Mère appelle Louis, Catherine cherche Antoine, les demandes fusent dans tous les sens, « je vous cherchais », « Où est ce qu’ils sont ? » « Où est-ce que vous allez ? » « Reviens ». Plus aucun repère, sinon peut être le montage entre scènes paires et impaires, ces dernières présentant Antoine et Suzanne. D’autant moins de repère que l’amorce de l’intermède semble reprendre celle de la pièce : l’esquisse d’un monologue de Louis suscite la demande maternelle et la parole des autres personnages ; et que ce monologue pourrait être la narration d’un rêve : « Et ensuite dans mon rêve encore, /toutes les pièces de la maison étaient loin les unes des autres. » Dans cette partie de cache-cache, onirique ou domestique, l’économie du rêve prend le rythme du vaudeville. Où sommes-nous ? Dans la maison familiale ? Dans la rêverie de Louis ? Dans un espace théâtral qui n’existe que par la parole ?

Espace mental, quoi qu’il en soit, et sentimental. Labyrinthe relationnel, où l’ironie dramatique, quand tous se cherchent, se perdent et s’égarent, les conduit à ne parler que retrouvailles : « vous vous êtes retrouvés », dit Suzanne des frères, « Vous me retrouvez toujours », reprendra Antoine, qui insistera : « Ce que je disais : « Retrouvé », dans le même temps où Louis s’évoque en petit poucet rêveur, égrenant une chanson.

Sur scène les personnages sont présents et absents, Louis notamment, qui répond in fine à sa mère « j’étais là ». Il est clair que le jeu qui se dessine ainsi, dans cet espace cloisonné, labyrinthique, reproduit l’enjeu même de la pièce : se retrouver, toucher ou atteindre l’autre, être entendu. « Qu’est-ce que tu as dit ? Je n’ai pas entendu », est bien la formule de la pièce, celle qui consacre l’échec de Pierre.

Mise en jeu, mise en voix :  l’intermède comme interlude

 

L’intermède comme interlude. Quelques exercices, les premiers proprement ludiques, peuvent permettre d’explorer les singularités de la séquence par une mise en espace.

On choisit une distribution. Les acteurs se bandent les yeux. Ils doivent reconnaître leurs partenaires, muets, à tâtons.

Même exercice, mais Si tu me touches je te tue ; le joueur qui touche Antoine est éliminé.

 

On choisit deux ou trois distributions : même exercice, à dix ou quinze sur le plateau.

On joue le texte dans l’obscurité totale.

On joue le texte dans l’obscurité ; seul celui qui parle utilise une lampe de poche et choisit ce qu’elle éclaire : le visage de l’autre, le sien, l’obscurité qu’il fouille.

On cherche une dramaturgie de vaudeville : course, portes qui claquent, personnages cachés autour d’un fauteuil ( Le Mariage de Figaro), sous la table ( Tartuffe), dans une embrasure de rideau, etc.

On cherche une dramaturgie onirique.

On cherche à mettre en avant le jeu textuel, et le rapport en abyme de l’intermède à la pièce : les personnages peuvent ici par exemple être représentés par des marionnettes. Ou bien, dans l’obscurité de nouveau, des lampes de poche n’éclaireront que les ombres chinoises des personnages, présents dans chaque scène.

 

Notions clefs dramaturgiques : L’espace dramatique.

 

Juste la Fin du monde

L’espace dramatique de Juste la Fin du monde se résume a priori à la didascalie liminaire : « Cela se passe dans la maison de la Mère et de Suzanne ». Elle est le lieu des retrouvailles, ou de la tentative de retrouvailles. Un foyer. Et un territoire, le territoire familial, mais d’une famille bouleversée, déséquilibrée. Qu’elle ne soit dite que de la Mère et Suzanne exclut les figures masculines, le père mort et Antoine a priori au même titre que Louis « l’absent ». Porte-t-elle leur empreinte ? La chambre d’Antoine est préservée, celle de Louis « comme un débarras (…) on y met les vieilleries qui ne servent plus mais qu’on n’ose pas jeter ». Quelques signes sont évoqués, uniquement par la parole : les cartes postales collectionnées mais trop banales pour être affichées, les choses payées qui appartiennent  à Suzanne, « là-haut ». Mais l’« ici bas », qu’elle évoque en lapsus, l’espace scénique se dessine donc en creux comme domaine de la mère. En creux et en vide : aucune didascalie, aucun indice, aucune perspective scénographique.

De façon symptomatique, la scène qui pourrait inscrire le drame dans une mimèsis plus ou moins réaliste, le repas de famille, est balayée dans une ellipse, entre I, 8 et 9 : « C’est l’après-midi, toujours été ainsi / le repas dure plus longtemps, / on a rien à faire, on étend ses jambes » (41). On étend ses jambes, on reprendra bien un peu de café (ibid.) : c’est en quelque sorte « la scène du divan sans divan », motif d’affrontement esthétique entre les comédiens de Nous les héros. Affrontement comique, mais débat sérieux : quel traitement scénographique proposer à Juste la Fin du monde ? Le dépouillement absolu de Joël Jouanneau, qui choisit un espace nu où seul figure le sac de Louis, imposant ainsi scéniquement le point de vue du voyageur ? Ou une évocation de l’univers petit-bourgeois où rien, ni souvenir ni changement, n’accroche l’attention du fils prodigue ?

L’autre caractéristique, plus dynamique, de cet espace dramatique, est signalée par un système de didascalies internes qui fonctionne comme un gag récurrent : on ne peut pas y rester. Les échanges y sont sans cesse menacés d’explosions qui obligent l’un ou l’autre à quitter la pièce, à quitter la scène : Antoine sur le mode velléitaire ( « - Où est-ce que tu vas ? Qu’est-ce que tu fais ? – Nulle part, / je ne vais nulle part, / où veux-tu que j’aille ? » (25 ; cf. aussi 12)) ; Catherine ( « - Très bien, parfait alors, à plus forte raison. – Revenez ! Catherine ! » ( 34)) ; Suzanne ( « Et bras d’honneur si nécessaire !Voilà, bras d’honneur ! – Suzanne ! Ne la laisse pas partir (…) – Elle reviendra ». (42)). Les portes claquent-elles ? C’est peut-être cette dynamique centrifuge qui, accélérée, amène au vaudeville de l’intermède. Elle prépare quoi qu’il en soit, par petites secousses annonciatrices et comiques, la vraie sortie, celle de Louis, qui fait l’objet de la deuxième partie. La communion est impossible, l’espace commun est invivable.

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