Oedipe et Oreste ou comment en finir avec le Tragique

« Il existe deux types de pièces de théâtre : celles qui ressemblent à Œdipe et celles qui ressemblent à l’Orestie. Les souffrances d’Œdipe purifient la société et l’ordre ancien est rétabli. Toutes les pièces de Shakespeare relèvent de ce type-là. La folie de Lear est celle du grand âge mais la folie d’Oreste revient à la raison, l’ordre ancien se trouve changé, mais il faut pour cela qu’une déesse truque le vote. Nous n’avons ni divinités ni démons pour nous venir en aide. Leur rôle est tenu par le public… Nos pièces de théâtre devraient ressembler à l’Orestie et changer la société ainsi que les institutions. « 

 

Edward Bond, Commentaire sur les Pièces de Guerre, op. cit. p. 124

Quelle différence y a-t-il entre Œdipe et l'Orestie ?

Dans Œdipe, le héros est sacrifié au bien de la communauté. Œdipe est à la fois maudit et sacré : il porte le mal, il a tué son père, couché avec sa mère, et en même temps il apporte le bien, il résout l'énigme du sphinx, son sacrifice rend la vie à Thèbes. Pour finir, dans Œdipe à Colone, il devient un génie tutélaire : sa dépouille doit protéger le lieu qui l’accueillera. Œdipe, donc, se crève les yeux, il est ensuite exilé. Enfin, après un long périple, il meurt. Mais la malédiction qu'il lance contre ces fils lui survit. Avec Oedipe, se clôt la tragédie d’Oedipe, mais non le Tragique. Bientôt, son engeance maudite, Antigone, Étéocle, Polynice, rebrandiront sa force noire.

Dans l'Orestie, au contraire, la fin de la tragédie proclame la fin du tragique. Oreste, après avoir tué Égisthe et Clytemnestre, débarque à Athènes, poursuivi par les Érinyes qui sont les divinités du mal, les figures, dira-t-on, de la culpabilisation. L’Aréopage se réunit et déboute les Érinyes de leur plainte, à une voix de majorité, qui est la voix d’Athéna. Les Érinyes deviennent les Euménides, les bienveillantes. Traduction : l'institution sociale, la justice des hommes, le tribunal, prend désormais en charge le mal ; « l’ordre ancien », comme Bond le nomme, celui de la violence tragique, qui appelle soit la vendetta, comme dans l’Orestie, soit le sacrifice de la victime émissaire, comme dans Œdipe — cet « ordre ancien » est subverti. Au lieu de poursuivre le mal dans la personne du coupable, l’humanité apprend à juger le mal : elle pardonne à Oreste parce qu'elle comprend que le coupable a agi sous la coupe de la violence sociale (de la situation familiale). Le cycle des vengeance, le dispositif victimaire sont arrêtés. Œdipe, par son épreuve, nous délivre provisoirement du mal ; Oreste fait mieux : il nous délivre de la malédiction du mal, il nous délivre du tragique. Mais cette laïcisation du mal s’opère, chez les Grec, sous l’alibi du divin. C'est une déesse, Athéna, qui par son vote, l’autorise. La justice a besoin, pour être acceptée, de l’alibi fallacieux de la transcendance.

Article repris de Pièces de Guerre, I et II, Eward Bond, Canopé (Sceren-CNDP), 2006.

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