BRITANNICUS, Scène 6 - Acte II     « Une tragédie en miniature »

 Véritable scène de théâtre dans le théâtre, la scène 4 de l’acte II de Britannicus met en présence Junie et Britannicus, sous les regards perçants mais invisibles de Néron : Junie doit en effet, à l’insu de Britannicus, jouer le rôle que lui a imposé Néron, dans la tragédie d’un Britannicus dont il est le metteur en scène, celui d’une femme qui ne l’aime plus et qui lui préfère Néron ; rôle qu’elle doit tenir le mieux possible évidemment sous peine de mettre la vie de son amant en danger. Néron l’a prévenue :

Vous n’aurez point pour moi de langages secrets ;
J’entendrai des regards que vous croirez muets ;   
Et sa perte sera l’infaillible salaire
D’un geste ou d’un sourire échappé pour lui plaire. (II, 3)

Si l’intérêt principal de cette scène est de montrer, comme on le verra, comment les désirs profonds de Néron s’y assouvissent, il semble, d’un point de vue plus pédagogique, que cette scène permette de définir d’une façon claire les différents aspects du tragique que l’on peut rencontrer dans les pièces de Racine : disons schématiquement, soit la présence d’une fatalité ou d’un dieu méchant qui, en dépit des efforts de la créature pour assurer son salut, précipite son malheur (cf. Oreste ou Phèdre), soit l’affirmation simultanée de deux valeurs incompatibles, entre lesquelles le choix est voué à l’échec, le héros ne pouvant, en dépit de sa volonté affirmée d’instaurer un monde nouveau, se libérer du monde ancien qui continue de vivre en lui (Pyrrhus, voulant oublier la guerre de Troie, mais aimant précisément la troyenne Andromaque, par exemple). Nous nous proposons de montrer comment chacun des trois personnages de la scène (puisqu’il faut y compter l’invisible présence de Néron) incarne l’un ou l’autre de ces différents aspects du tragique.

BRITANNICUS

Globalement en effet, la scène reproduit la structure tragique traditionnelle, celle de la tragédie grecque, dans laquelle un personnage, croyant trouver le bonheur, rencontre le malheur, étant à la merci d’une puissance supérieure qui travaille à sa perte à son insu. Ainsi, dans sa structure, la scène met en place l’empereur tout puissant Néron, qui veut par jalousie, faire souffrir son rival, et transformer en scène de rupture ce qui devait être un rendez-vous amoureux : Britannicus arrive devant Junie tout heureux du rendez-vous amoureux que lui a ménagé Narcisse, ignorant que la rencontre est un piège, et il va d’abord « jouer » lui aussi, mais jouer un jeu précieux, faisant comme s’il doutait de l’attachement de Junie pour lui, et s’attendant, comme d’ordinaire dans ces scènes d’amour convenues, que la femme aimée lui donne de nouveaux témoignages de son attachement : ainsi le tragique vient précisément d’une part que, s’attendant à un duo amoureux que ne veut ni ne peut absolument pas jouer Junie, il sera complètement refroidi par son attitude pour le moins réservée, et que d’autre part, il sera amené, pour faire ces galanteries, à prononcer des mots qui vont le mettre en danger.

Ainsi, sa première tirade est-elle constituée d’interrogatives qui sont autant d’invitations pressantes à Junie, dans le code convenu du langage précieux, pour qu’elle lui dise son amour :

Hélas ! Dans la frayeur dont vous étiez atteinte,
M’avez-vous en secret adressé quelques plaintes ?
Ma  Princesse, avez-vous daigné me souhaiter ?            

Mais, devant la froideur de Junie, son attente se trouve déçue :

Vous ne me dites rien ? Quel accueil ! Quelle glace !

Il est d’autant plus déçu qu’il vient de lui rappeler, dans des mots qui ont dû faire frémir Néron, leur amour passé :

Faut-il que je dérobe, avec mille détours,     
Un bonheur que vos yeux m’accordaient tous les jours ?                          

Toute la scène montre donc l’atroce déconvenue de Britannincus, qui, dans un véritable retournement tragique va connaître le malheur, mais aussi qui, pour rassurer une Junie qu’il sent sur ses gardes, va devenir l’agent de sa propre perte (Il s’agit donc là du tragique de l’Œdipe de Sophocle), quand il dit :    

………………… Notre ennemi trompé
Tandis que je vous parle, est ailleurs occupé,

il désigne en Néron un ennemi commun à Junie et à lui-même, et fortifie Néron dans l’idée qu’un complot est en train de se tramer contre lui, d’autant que, continuant sur sa lancée, il ajoute, un peu plus loin :

Chacun semble des yeux approuver mon courroux
La mère de Néron se déclare pour nous…                              

avivant, sans le savoir, la jalousie de Néron :

Qu’est devenu ce cœur qui me jurait toujours
De faire à Néron envier nos amours ?                                      

(notons ce qu’a de provocateur, à son insu, le possessif ou le pronom de la première personne du pluriel, dit à plusieurs reprises : « notre ennemi, nos amours, pour nous »).

Parlant inconsidérément, Britannicus est donc l’agent de sa perte : c’est sans surprise que nous entendrons dans la scène suivante Néron prononcer sa condamnation devant Narcisse :

Et tandis qu’à mes yeux on le pleure, on  l’adore, 
Fais-lui payer bien cher un bonheur qu’il ignore. (II,8)                                      

Le tragique du personnage de Britannicus est donc double : d’une part il est l’artisan de sa propre perte, et d’autre part, il est la victime d’une « catastrophe » jouée par Junie sous la contrainte de Néron ; son désarroi se voit dans la dernière tirade, où, reprenant le même code précieux, qui n’était qu’un langage joué dans sa première tirade (cf. « Ma princesse, avez-vous daigné me souhaiter ? », qui n’est pas une vraie question, mais comme une coquetterie de sa part), il l’utilise pour exprimer une angoisse réelle :

Quoi ! pour vous confier la douleur qui m’accable
A peine je dérobe un moment favorable.
Et ce moment si cher, madame, est consumé
A louer l’ennemi dont je suis opprimé…                                       

Le même vocabulaire précieux (« douleur qui m’accable » reprenant le « douleur que vous m’alliez coûter » de la première tirade, le même verbe « dérober », construit plus haut avec le mot « bonheur », et maintenant plus sobrement avec « moment », les yeux, où il voyait les bonheur, et, au contraire ici, ces « regards qui ont appris à se taire »), le même code galant, bref, est utilisé non dans un sens affaibli et imagé, mais dans le sens propre de son lexique en quelque sorte : Britannicus est ici complètement désorienté : le « moment » de bonheur escompté s’est renversé en souffrance insupportable :

   Néron vous plairait-il ? Vous serais-je odieux ?                                        

Nous voyons par là comment Britannicus est conforme à ce que dit Aristote du personnage tragique qui, pour exciter terreur et pitié, ne doit être ni tout à fait bon ni tout à fait méchant. Il en est ici exactement de même, car le véritable tragique de Britannicus est qu’il doit sa perte à son aveuglement : constatant la complète transformation (la « catastrophe ») de Junie, 

 Qui vous rend à vous-même, en un jour, si contraire ?                                             

au lieu de la suspecter, au lieu de douter d’elle, il aurait dû mieux entendre ses avertissements :

Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance.
Ces murs même, Seigneur, peuvent avoir des yeux…                                            

et essayer de s’expliquer cet étrange comportement, qui ne pouvait être justifié que par la seule présence de contraintes extérieures, d’autant plus qu’il sait bien que Junie n’est pas libre, puisqu’elle vient d’être arrêtée par Néron.

Pour conclure, nous dirons donc que le personnage de Britannicus, confronté à un réel retournement tragique (le malheur au lieu du bonheur attendu), agit de façon doublement tragique, d’une part parce qu’il croit être libre de parler, alors qu’il est tombé dans un piège que ses propos inconsidérés referment sur lui, et d’autre part, parce qu’il est en même temps le propre artisan de sa perte, puisque, dans son aveuglement, il met en doute la droiture de Junie.

Un héros aveuglé, à la fois fautif et victime d’un dieu méchant qui jouit de le laisser aller de son propre chef à sa perte, voilà tout ce que peut apporter cette petite scène pour la définition du personnage tragique.

Mais Junie ?

JUNIE

Nous comprenons bien, par suite, en quoi réside le tragique de Junie : écartelée entre sa droiture essentielle, et le rôle que Néron lui impose de jouer, elle ne peut que se tenir sur la réserve : ne pouvant mentir, elle parle très peu, et cherche seulement à  faire comprendre à Britannicus qu’elle n’a pas la liberté de dire ce qu’elle veut. Ainsi, elle avive l’étonnement de Britannicus, qui, de ce fait, comme on l’a vu, devient de plus en plus imprudent.

Le tragique propre de Junie est donc d’abord de se trouver partagée entre deux désirs contradictoires : assurer le salut de Britannicus (et donc lui dissimuler son amour), ou ne pas le faire douter de la réalité de cet amour (et donc provoquer sa perte). Si elle le sauve, c’est qu’elle perd son amour.

Le second aspect du tragique de Junie consiste à essayer de le sauver, et à ne pas être comprise dans ses efforts pour le sauver. Ainsi, elle veut lui faire comprendre qu’ils sont écoutés :

Vous êtes en des lieux tout pleins de sa puissance
Ces murs même, Seigneur, peuvent avoir  des yeux ;
Et jamais l’Empereur n’est absent de ces lieux.                           

 Mais c’est en vain, car Britannicus réplique :                             

 Et depuis quand, Madame, êtes-vous si craintive…                             

Et, Britannicus, pour dissiper ce qu’il interprète comme une peur injustifiée, va accumuler les imprudences.

Junie incarne donc elle aussi, mais dans une moindre mesure, les deux aspects principaux du tragique :un écartèlement entre deux désirs incompatibles, et une action qui, au lieu d’assurer le salut des deux amants va provoquer leur perte.

Mais il y a aussi Néron, qui se repaît de ce spectacle doublement tragique, mais qui n’échappe pas non plus à cette fatalité qui fait le malheur de tous.

NÉRON

En effet, il nous semble que le rôle de Néron est tout aussi tragique dans cette scène, dont pourtant il tire les ficelles, du lieu invisible où il est caché, parce que, tout en faisant jouer la scène qu’il désire voir jouer, il est en fait joué lui-même : tout comme Œdipe, croyant être le maître du jeu, il en est au contraire la victime. Examinons de plus près ces deux aspects du personnage.

1.   Néron metteur en scène

Il est d’abord vrai que cette scène correspond à la réalisation de ses fantasmes, et cela pour trois raisons principales :

- Il se voit préféré à son rival : le jeu de Junie, effectivement provoque la réelle jalousie de Britannicus : Néron, dans la scène suivante dit à Narcisse :

Et je l’ai vu douter du cœur de son amante                        

trouvant sa satisfaction à  se voir, sur le mode fictif, aimé comme jamais il ne l’a été dans la réalité.

- Il organise avec perversité une véritable scène de torture où Junie se trouve écartelée entre sa droiture naturelle et la duplicité qu’il lui impose ; par là, il prolonge le plaisir sadique qu’il a éprouvé en voyant Junie en larmes, escortée de ses « fiers ravisseurs », et, lui qui s’est vu si souvent imposer les volontés de sa mère, il se venge en imposant à une autre femme une volonté destinée à la détruire.

-  Mais, en même temps, comme tout dramaturge vis-à-vis de ses personnages, il a imaginé ce « rôle » pour Junie, parce qu’il rêve d’être à sa place : il la fait en quelque sorte parler pour lui. Nous inspirant du très stimulant article de Serge Doubrovsky sur « l’arrivée de Junie » (Littérature 32, 1978), qui fait un lien entre le rapt de Junie et le « ravissement » de Néron, qui s’identifie à Junie, parce que son propre rêve, en comédien qu’il est, est précisément de provoquer sur les autres le même ravissement que Junie produit sur lui, nous constatons ici que, faisant jouer à Junie le rôle d’un personnage cherchant à renvoyer un importun qui n’est plus tout puissant sur son cœur, il se voit en train de réaliser ce qu’il n’ose toujours pas faire dans la réalité, et  qui est le sujet même de la tragédie de Britannicus : écarter Agrippine du pouvoir.

   Eloigné de ses yeux, j’ordonne, je menace… (II, 2)                             

dit-il à Narcisse, en évoquant ce qu’il rêve de faire et qu’il ne fait jamais, dès qu’il est en présence de sa mère. N’est-ce pas là le rôle qu’il veut faire jouer à Junie, en face de Britannicus : lui signifier son renvoi. Se donner la représentation du renvoi de Britannicus par Junie, c’est, prendre la place de Junie, pour se rêver en train d’oser renvoyer sa mère et de se libérer d’une autorité dont il n’a pas le courage de s’affranchir dans la réalité .

Mais enfin mes efforts ne me servent de rien ;                                  
Mon génie étonné tremble devant le sien… (II, 2)                                

Ainsi cette fiction qu’il met en place doit assurer, en quelque sorte, la réalisation de tous ses fantasmes, dans toutes les identifications qui peuvent se manifester entre les personnages de la scène jouée et les personnages réels :

Je me fais de  sa peine une image charmante (II, 8)

dit-il à Narcisse, dans un aveu qui explicite les raisons de sa « mise en scène ».

    2.   Néron victime

Pourtant nous voulons montrer que le tragique de Néron consiste dans le fait qu’il est en réalité victime de ce spectacle qu’il n’a organisé que pour satisfaire sa propre perversité.

- Victime, il l’est, parce que les spectacle ne lui apporte pas cependant tout le plaisir escompté : ce qu’il voit le fait au contraire terriblement souffrir : l’amour profond d’abord qui unit Britannicus à Junie, comme le lui apprend à son insu Britannicus quand il dit à Junie :

Qu’est devenu ce cœur  qui me jurait toujours                                     
De faire à Néron même envier nos amours ?

puis leur ressentiment commun contre lui, quand Britannicus désigne Néron par un « notre ennemi », qui ne laisse aucun doute sur la communauté d’intérêts de Junie et de Britannicus, enfin, et surtout, la réalité de la cabale qui existe contre lui et qui soutient Britannicus :

 La foi dans tous les cœurs n’est pas encore éteinte
Chacun semble des yeux approuver mon courroux…                                      

Ainsi, au lieu que le spectacle qu’il met en scène lui procure le plaisir escompté, il éprouve une jalousie avivée, une inquiétude politique réelle, et le sentiment qu’il n’est aimé ni de Junie, ni de la Cour :

Hé bien ! de leur amour tu vois la violence 
Narcisse ; elle a paru jusque dans son silence… (II, 8)

- Mais il est aussi une victime puisque tout ce qu’il fait représenter n’est justement qu’un jeu, qui, en tant que jeu, est la preuve de la faillite de sa volonté de maîtrise, non seulement parce que cette volonté se contente d’être jouée, mais surtout parce que de ce jeu, il n’est même pas l’inventeur : on a souvent rapproché dans cette scène le comportement de Néron du comportement d’Agrippine quand le sénat était convoqué,

 Et que, derrière un voile, invisible et présente, (I, 1)                                             

elle était « de ce grand corps, l’âme toute puissante ». Ainsi Néron, croyant inventer une tragédie, ne fait, dans une certaine mesure, que reproduire des situations inventées par Agrippine.

Le tragique propre de Néron est donc de vouloir se libérer de sa mère, tout en ne faisant que l’imiter ; c’est cette identification qui provoquera le meurtre de Britannicus, et ensuite le matricide prédit : croyant fonder un ordre nouveau, le héros s’identifie à l’ordre ancien, l’ordre du Père ou de la Mère : le tragique de Néron, c’est de se métamorphoser en Agrippine, alors qu’il ne rêve que de s’en libérer.

3.    Le point aveugle

Mais on peut aller plus loin dans l’analyse de ce tragique, si on s’avise à quel point Néron est joué dans cette scène qu’il a pourtant voulu faire jouer. Car cette scène n’est pas seulement l’assouvissement imaginaire de ses fantasmes, elle peut aussi être considérée comme la révélation de ce qu’ils cachent, c’est-à-dire, de leur dimension symbolique, celle du point aveugle que le moi s’obstine à ne pas voir parce qu’il préfère ne pas le voir : s’agissant de Néron, c’est de ne pas vouloir voir qu’il n’est pas aimé, non de Junie, certes, cela, il la constaté, mais de sa mère elle-même (comme du public d’ailleurs devant lequel il se produit au théâtre, on va le voir) car, dans la scène qu’il fait représenter, ce qui se dévoile à son insu, c’est la réalité enfouie et refusée : qu’on ne fait que feindre de l’aimer, que ce soit par goût du pouvoir, comme Agrippine, ou, comme les autres, parce qu’on  y  est obligé.

Faisant jouer par Junie le « rôle » de quelqu’un qui l’aime, Néron, à son insu représente, par delà une fiction où il est aimé, la réalité elle-même, où l’on fait comme si on l’aimait, alors qu’on ne l’aime pas. Ainsi, le tragique de Néron est ici de préférer une fiction où il joue le mauvais rôle (car il y assume en quelque sorte sa perversité) à une réalité qu’il ne veut pas voir et dont il est le jouet pathétique : « je ne suis pas aimé ; c’est dans la réalité même, et non dans la scène que j’ai inventée qu’on feint de m’aimer. »      

                               
Cette scène est donc capitale puisqu’elle montre d’avance la nécessité d’un crime qui aura la même justification que celui d’Oreste (« Justifions leur haine, méritons leur courroux… ») c’est-à-dire remplacer le manque d’amour qu’on ne veut pas voir ni accepter, par une culpabilité (Je suis un tortionnaire, je suis un enfant ingrat) qui mène au crime. Quel crime ? Le futur matricide dont la tragédie ne constitue que la première étape :

C’en est fait : le cruel n’a plus rien qui l’arrête
Le coup qu’on m’a prédit va tomber sur ma tête (V, 7)                                    

dit Agrippine, mais aussi le meurtre de Britannicus, parce que c’est exactement pour ne plus entendre un Narcisse impitoyable lui asséner cette vérité qu’il redoute tant, à savoir que le public ne l’aime pas, et que le seuls applaudissements prodigués sont ceux que « des soldats vont arracher pour lui » (IV, 4) (le public montrant sous la contrainte, comme Junie, l’amour qu’il a pour lui), c’est pour ne plus entendre donc ce qu’il ne veut pas entendre, qu’il va céder à Narcisse, et consentir au meurtre de Britannicus, à l’issue de cette  scène admirable où pourtant il avait résisté de toutes ses pauvres  forces aux conseils pernicieux de son âme damnée.

Ainsi le personnage de Néron incarne-t-il dans la  scène 6 de l’acte II, où il se dévoile sans apparaître, puisqu’il en est en quelque sorte le dramaturge, les principaux aspects du tragique racinien : l’impossible libération de l’ordre ancien, la fatalité qui consiste à être agi, alors qu’on croit agir, enfin la nécessité de justifier par un crime la cruauté d’un dieu qui n’aime pas sa créature.

Cette scène, offrant l’avantage de caractériser tous les types de tragique, et  d’en montrer les liens, est donc riche d’enseignement. Disant aussi la réalité qui se cache sous la fiction, elle ouvre une perspective intéressante sur les rapports entre le théâtre et la vie, montrant comment le théâtre, tout en entretenant une fiction qui fait oublier la réalité, fait surgir cette vérité encore plus violemment, du sein même de la fiction. Racine a peut-être voulu se justifier par là de toutes les attaques auxquelles il était en butte de la part de ses anciens amis de Port-Royal : ne montre-t-il pas là en effet comment une représentation, loin d’apporter les douceurs attendues, ne fait que mettre la créature en face de la vérité de sa nature ?

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