La Princesse de Clèves, Madame de La Fayette (1678) : Contexte historique Individu, morale et société

UN PEU D’HISTOIRE

Avant de faire une analyse littéraire du « roman », il est bon de mettre en place son cadre historique comme le nombre de ses personnages.

Les personnages (dans l’ordre d’apparition)

  • Henri II (deuxième fils de François Ier) Roi de 1547 à 1559
  • Diane de Poitiers (Duchesse de Valentinois) Elle fut la maîtresse de François I, d’Henri II et de François II ( !!) : par le jeu des alliances, elle n’aime pas la Princesse de Clèves (qui est alliée au vidame de Chartres), parce qu’elle avait voulu marier le vidame à l’une de ses filles, et parce qu’il s’était attaché à la reine Catherine)
  • Mademoiselle de La Marck : Petite fille de Diane de Poitiers
  • Le Dauphin, François, duc de Bretagne, fils aîné de François Ier ; et mort empoisonné à Tournon en 1536. Dans le roman on parlera ensuite d’un autre Dauphin, mais ce sera François (II) le fils de Henri II, et qui sera marié en 1558 à Marie Stuart reine d’Écosse. François devient roi de France en 1559 mais il meurt un an plus tard
  • Élisabeth de France, future reine d’Espagne, fille d’Henri II, « Madame »
  • Marie Stuart, appelée « la Reine dauphine »
  • Marguerite, la sœur du Roi et fille de François Ier est aussi appelée « Madame »
  • Le roi de Navarre, Antoine de Bourbon fils du duc de Vendôme, marié à Jeanne d’Albret, et Roi de Navarre par succession de son beau-père. Il est le père d’Henri IV
  • Le duc de Guise : François de Lorraine, fils de Claude de Lorraine et d’Antoinette de Bourbon. Marié à Anne d’Este, petite-fille de Louis XII. Assassiné en 1563. Sa veuve se remaria avec le Duc de Nemours
  • Le Cardinal de Lorraine, frère du duc de Guise (grand rôle dans les guerres de religion)
  • Le chevalier de Guise : frère du duc de Guise, chevalier de Malte
  • Le Prince de Condé : Louis de Bourbon, fils de Charles de Bourbon, duc de Vendôme (chef du parti protestant). Tué à Jarnac en 1569 ; frère d’Antoine
  • Le duc de Nevers : François de Clèves ; marié à Marguerite de Bourbon, fille de Charles de Bourbon
  • Le vidame de Chartres : François de Vendôme, fils de Louis de Vendôme. (un vidame est le seigneur temporel d’un évêché)
  • Le connétable de Montmorency (mort de ses blessures en 1567 après la bataille de Saint-Denis)
  • Le maréchal de Saint-André : favori d’Henri II. Mort en 1562 à la bataille de Dreux
  • Le duc d’Aumale : Claude de Lorraine, frère du duc de Guise et du cardinal de Lorraine. Marié en 1547  à Louise de Brézé, fille de Diane de Poitiers. Tué au siège de La Rochelle (1573)
  • Diane (Madame)  duchesse d’Angoulême, fille naturelle d’Henri II. Mariée en 1552 à un Farnèse puis en 57 à François de Montmorency
  • Mademoiselle de Piennes : projet de mariage avec François de Montmorency, fils aîné du connétable de Montmorency. Fille d’honneur de Catherine de Médicis 
  • D’Anville : fils cadet du connétable de Montmorency, qui veut lui faire épouser la petite-fille de Diane de Poitiers (Mlle de  la Marck) Amoureux de Marie Stuart
  • Le comte de Randan : Charles de la Rochefoucauld (ambassadeur auprès d’Élisabeth d’Angleterre)
  • Le duc de Nemours : Jacques de Savoie, fils de Philippe de Savoie et de Charlotte d’Orléans, Fille du duc de Longueville. Né en 1531. Marié en 1566 à Anne d’Este, veuve du duc de Guise
  • Le duc de Savoie (prince de Piémont et roi de Chypre) Né en 1508. Marié en 1559 à Marguerite de France, sœur d’Henri II   
  • La princesse de Clèves (Mademoiselle de Chartres) : personnage inventé
  • Madame de Chartres personnage inventé, belle-sœur du vidame de Chartres, et mère de la Princesse de Clèves
  • Le Prince de  Clèves, fils du duc de Nevers et de Marguerite de Bourbon. Né en 1544. Épouse Diane de La Marck (contrairement à ce qui se passe dans le roman). Mort sans enfant non en 1559, mais en 1564
  • Le duc de Nevers, d’abord comte d’Eu, fils aîné du premier duc de Nevers. Marié en 1561 à Anne de Bourbon, fille du duc de Montpensier. Mort en décembre 1562
  • La reine de Navarre : jeanne d’Albret, fille de Marguerite d’Orléans/ Mariée en 1548 à Antoine de Bourbon. Mère d’Henri IV
  • Le duc de Montpensier, Louis de Bourbon, fils de L.de Bourbon et de la comtesse de Montpensier
  • Le prince dauphin de Montpensier son fils, marié à Renée d d’Anjou (Mlle de Mézières)
  • Chastelart : Passionnément épris de Marie Stuart. La suivra en Ecosse après la mort de François II (1560). Découvert caché dans sa chambre, il fut exécuté
  • Madame d’Etampes : maîtresse de François Ier ; disgraciée à sa mort

Le contexte historique

L’Histoire

L’intrigue principale se déroule à l’intérieur d’une année, entre les pourparlers de Cercamp (un moment interrompus du fait de la mort de Marie, reine d’Angleterre, mais qui reprennent ensuite). Ils aboutiront au traité de Cateau-Cambrésis, marquant la fin définitive des guerres d’Italie) qui commencent à la fin de 1558 et le départ pour l’Espagne d’Élisabeth qui doit épouser Philippe II. Entre ces deux dates se situe la mort d’Henri II (juillet 59). Donc une année d’Histoire qui coïncide avec une année de crise individuelle : l’évolution d’une passion. « la disposition des allusions historiques et des scènes fictives permet de suggérer des parallélismes tragiques : à la mort du Roi fait écho celle de Monsieur de Clèves, au mariage d’Élisabeth qui s’en va vers l’Espagne et vers la mort correspond la retraite de Madame de Clèves qui s’en va elle aussi vers les Pyrénées et vers la mort. » Ainsi l’Histoire n’est-elle pas simplement un contexte, mais est un contrepoint aux événements fictifs.

La société    

(cf. introduction d’A. Adam dans l’édition Garnier Flammarion 1966)

La cour 

C’est le monde de l’apparence, où il faut toujours dissimuler : « ce qui paraît n’est presque jamais ce qui est », c’est le monde du « divertissement » au sens pascalien du terme (cf. « un roi sans divertissement est un homme plein de misère… Il est plus malheureux que le moindre de ses sujets qui joue et se divertit »), fait de « plaisirs et d’intrigues », « d’ambitions et de galanteries ». Ne pas oublier que la cour de Louis XIV est toujours en arrière fonds : une cérémonie perpétuelle qui demande une défiance continue de soi-même et des autres, et le regard d’autrui omniprésent.

La seule chose qui ramène ce monde d’apparence et de de divertissement à la réalité, c’est la présence de la mort : c’est le leit motiv du roman, et elle culmine dans celle de Henri II, au moment d’une des manifestations les plus brillantes de la vie de cour, (« l’éclat » de la lance dans l’œil du Roi…) dans un tournoi, en plein divertissement et pour une raison futile : signe d’un destin révélateur de la véritable condition de l’homme.

Les mœurs  

Dans ce monde les traditions restent très fortes et les rapports homme/femme obéissent à un code de galanterie qu’on ne transgresse pas impunément : à moins de se déshonorer une femme n’avouera jamais qu’elle aime. Et l’homme ne peut le lui dire qu’après une attente très longue car il sait que sa déclaration sera d’abord sentie comme une injure. C’est ce qui explique le temps mis par Nemours pour se déclarer, comme l’aveu final de Madame de Clèves seulement rendu possible par la décision de ne plus revoir Nemours.

D’autre part une femme à la cour ne peut se dérober à ses obligations, donc elle ne peut éviter de rencontrer celui qu’elle voudrait fuir. Nemours et la Princesse sont obligés de se voir, et en même temps les lois de la galanterie ne leur permettent pas de s’avouer leur amour. Ce qui entraîne une tension très forte entre la passion extrême et les exigences du monde.

Enfin, nous sommes dans la dernière partie du XVIIè, et la nouvelle génération beaucoup plus pessimiste que la précédente voyait dans l’homme le triomphe de l’amour-propre et de l’égoïsme. L’amour, loin d’être - cf. chez Corneille un élan tout spirituel vers la beauté de l’âme comme celle du corps, est une passion aliénante (cf. Racine), passion de posséder, c’est-à-dire une forme de l’égoïsme (cf. La Rochefoucauld), passion humiliante qui dégrade l’âme et fait souffrir les autres.

L’institution du mariage  

(cf. sur Odysseum C. Biet « La représentation du mariage dans la Princesse de Clèves »)

Le mariage à la cour :

  • C’est une affaire d’Etat et un pacte de famille, ce qui est une nouveauté, liée à la puissance paternelle prédominante à partir du XVIè (auparavant, la volonté des deux époux l’emportait), liée aussi à l’affirmation de la puissance de l’Etat et du droit séculier en face de l’Eglise et du droit canonique, enfin liée à la Réforme qui refuse de considérer le mariage comme un sacrement et veut en faire un contrat.
  • C’est une affaire publique : le mariage pour les Princes est avant tout un système d’alliances. Ainsi le Roi n’a-t-il pas le droit de fonder le mariage sur la passion, car la passion met en péril la paix des ménages comme des Etats et doit être exclue des rapports matrimoniaux. Ce qui vaut pour le Roi vaut pour ses sujets.
  • C’est enfin une affaire de famille où le père est tout puissant (pour la protection du lignage, et la stabilité des familles renvoie à la stabilité du royaume. Ainsi le mariage, vidé de son contenu religieux, est aussi sujet à manipulation que les simples lois humaines (cf. l’histoire de Mme de Tournon). Mme de La Fayette va montrer que l’ordre sur lequel repose ce type de mariage est fragile.

Le mariage de M. de Clèves et de Mlle de Chartres

Il ne correspond pas à la loi commune, bien que tout se passe comme un mariage tel que décrit plus haut : une stratégie matrimoniale, des intrigues, et une jeune-fille qui n’a pas droit à la parole. Or ceux qui veulent l’épouser tombent amoureux d’elle : ils ne se conforment pas au choix du père, qui refuse (et surtout parce que ce sont des cadets, qui souvent sont contraints d’embrasser la carrière ecclésiastique : Guise comme Clèves non seulement veulent se marier, mais en plus choisir eux-mêmes leur future femme. Mais ils doivent s’incliner, jusqu’à ce que M. de Clèvres perde son père : le Roi accepte alors sans difficulté ; quant à Mme de Chartres, elle accepte aussi car elle n'arrive pas à marier sa fille (il y a eu trois refus préalables). Or si Mlle de Chartres se conforme à un mariage-contrat, Clèves au contraire l’épouse par inclination, et il revendique la confusion amant-époux. Il refuse donc « l’amitié conjugale » qui exclut la passion comme facteur de désordre (pour St Jérôme, aimer sa femme de passion est quasiment un péché d’adultère). Et c’est précisément cet amour-amitié que recommande Mme de Chartres, comme garantie de bonheur. Pourtant elle sait, et c’est sa faute, que Clèves lui veut l’amour-passion.

Ainsi, il y a dans l’œuvre tout un débat sur l’essence du mariage, et Mlle de Chartres devenue Mme de Clèves va osciller entre deux impossibilités : l’amour-passion dans le mariage, et l’amour tranquille dans le lien matrimonial. Quant à Nemours, lui aussi il va proposer à la princesse le mariage-passion, comme Clèves, et c’est à cause de l’échec d’un mariage de ce type, comme de la souffrance liée à la passion que la princesse refusera.                                       

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