Appien, Histoire romaine : Scipion Émilien et la chute de Carthage 146 avant notre ère

À RETROUVER EN VIDÉO

L'exposé donné par

 

Sébastien Marchand (Doctorant en histoire antique, EA4424–CRISES, Université Paul-Valéry Montpellier 3)

 

le 06 décembre 2023 à l’ENS

 

à visionner à l'adresse suivante : Savoirs ENS - Appien, Histoire romaine : Scipion Émilien et la chute de Carthage en 146 avant notre ère (Appien, Histoire romaine, Livre africain, 132, 628-631)

Comment Rome a-t-elle conquis le monde ? Le regard d’un Grec, 250 ans plus tard

Né vers 90-95 à Alexandrie dans une famille de notables, mort vers 160-165 à Rome, Appien est pour nous surtout un historien grec. Après des études de droit, il occupe les plus hautes fonctions en Égypte, est fait citoyen romain et admis dans l’ordre équestre sous Hadrien. Il s’installe à Rome en 136 ou 137 ; il exerce alors comme avocat, puis devient le familier de l’empereur et de ses successeurs, Antonin le Pieux qui le nomme procurateur impérial, ainsi que de Marc-Aurèle.

Il est l’auteur d’une volumineuse Histoire romaine (Ῥωμαικά), où il fait le récit des guerres par lesquelles les Romains édifièrent leur empire. La composition de cet ouvrage est originale : il est organisé non pas chronologiquement mais par peuple ou par nation (κατὰ ἔθνος). Appien y traite d’abord des rois de Rome, de la soumission des peuples de l’Italie, puis des guerres de Rome contre chaque peuple ou nation jusqu’aux campagnes de Trajan en Dacie et en Arabie, en passant par les guerres civiles des Romains au Ier siècle avant notre ère. Le texte choisi est un extrait du Livre Africain ou Livre Carthaginois traitant des guerres puniques : les trois guerres de Rome contre Carthage.

L’œuvre d’Appien vise à comprendre l’édification de l’empire des Romains, « un empire plus vaste, plus durable et plus prospère que tout autre dont on gardait le souvenir » (1). Il la compose pendant le siècle d’or des Antonins, apogée de l’empire, période de paix et de prospérité. Il s’inscrit également dans un débat rhétorique caractéristique de la Seconde Sophistique (comme on le voit, par exemple chez Plutarque), qui cherche à déterminer la part de la valeur (ἀρετή) et la part de la bonne fortune (εὐτυχία) dans les conquêtes de Rome. Mais cette question a un corollaire : Pour combien de temps encore la Fortune, divinité instable, accordera-t-elle ses faveurs à Rome ?

L’Histoire romaine est reconnue comme une source d’une grande importance d’abord par les érudits de l’époque de Justinien (deuxième tiers du VIe siècle). Elle nous a été transmise de façon fragmentaire par les copies et citations des érudits byzantins entre le VIe et le XIVe siècles. Des vingt-quatre livres plus une préface que comptait cette œuvre dans sa version définitive, seuls neuf livres et la préface nous sont parvenus complets, huit à l’état de fragments, et sept sont entièrement perdus. La question des sources d’Appien est encore activement débattue. Polybe, historien grec de la cité de Mégalopolis, est l’une de ses sources pour les guerres d’Afrique, et la source directe de l’extrait choisi, dans lequel Appien le cite explicitement. Polybe assista en personne au siège de Carthage, en accompagnant Scipion Émilien dont il était l’ami et le précepteur (2).

Texte et traduction

Appien, Le Livre Africain CXXXII.628-631 (Édition de Paul Goukowsky, CUF 2001)

[CXXXII. 628] Ὁ δὲ Σκιπίων, πόλιν ὁρῶν ἑπτακοσίοις ἔτεσιν ἀνθήσασαν ἀπὸ τοῦ συνοικισμοῦ καὶ γῆς τοσῆσδε καὶ νήσων καὶ θαλάσσης ἐπάρξασαν ὅπλων τε καὶ νεῶν καὶ ἐλεφάντων καὶ χρημάτων εὐπορήσασαν ἴσα ταῖς ἀρχαῖς ταῖς μεγίσταις, τόλμῃ δὲ καὶ προθυμίᾳ πολὺ διασχοῦσαν, ἥ γε καὶ ναῦς καὶ ὅπλα πάντα περιῃρημένη τρισὶν ὅμως ἔτεσιν ἀντέσχε πολέμῳ τοσῷδε καὶ λιμῷ, τότε ἄρδην τελευτῶσαν ἐς πανωλεθρίαν ἐσχάτην, λέγεται μὲν δακρῦσαι καὶ φανερὸς γενέσθαι κλαίων ὑπὲρ πολεμίων, [629] ἐπὶ πολὺ δ᾽ ἔννους ἐφ᾽ ἑαυτοῦ γενόμενός τε καὶ συνιδὼν, ὅτι καὶ πόλεις καὶ ἔθνη καὶ ἀρχὰς ἁπάσας δεῖ μεταβαλεῖν ὥσπερ ἀνθρώπους δαίμονα καὶ τοῦτ᾽ ἔπαθε μὲν Ἴλιον, εὐτυχής ποτε πόλις, ἔπαθε δὲ ἡ Ἀσσυρίων καὶ Μήδων καὶ Περσῶν ἐπ᾽ ἐκείνοις ἀρχὴ μεγίστη γενομένη καὶ ἡ μάλιστα ἔναγχος ἐκλάμψασα, ἡ Μακεδόνων, εἰπεῖν, ἐς Πολύβιον τὸν λογοποιὸν ἀποβλέψαντα, εἴτε ἑκὼν, εἴτε προφυγόντος αὐτὸν τοῦδε τοῦ ἔπους·

Ἔσσεται ἦμαρ, ὅταν ποτ᾽ ὀλώλῃ Ἴλιος ἱρὴ καὶ Πρίαμος καὶ λαὸς ἐϋμμελίω Πριάμοιο.

[630] Πολυβίου δ᾽ αὐτοῦ ἐρομένου σὺν παρρησίᾳ (καὶ γὰρ ἦν αὐτοῦ καὶ διδάσκαλος), ὅ τι βούλοιτο ὁ λόγος, φασὶν οὐ φυλαξάμενον ὀνομάσαι τὴν πατρίδα σαφῶς, ὑπὲρ ἧς ἄρα, ἐς τἀνθρώπεια ἀφορῶν, ἐδεδίει.

[CXXXIII.631] Καὶ τάδε μὲν Πολύβιος αὐτὸς ἀκούσας συγγράφει.

Traduction

Scipion portait son regard sur une cité ayant fleuri 700 ans depuis sa fondation, une cité ayant étendu sa domination sur un si vaste territoire, sur des îles et sur la mer, une cité ayant été aussi bien pourvue en navires, en éléphants et en abondantes richesses que les plus puissants empires, mais les ayant de beaucoup surpassés par sa hardiesse pleine d’ardeur, une cité qui, même en ayant été dépouillée de ses navires et de toutes ses armes, résista pourtant résolument pendant trois années à une si grande guerre et à la famine, une cité touchant alors d’un seul coup à sa fin par une destruction totale ; on dit qu’alors il pleura, en déplorant ouvertement le sort des ennemis. Ayant médité un long moment en son esprit, il prit conscience qu’une divinité devait renverser les cités et les peuples et tous les empires, comme < elle le fait avec > les hommes, et que c’est précisément ce qu’éprouva Ilion, cité jadis fortunée, ce qu’éprouva l’empire des Assyriens, et celui des Mèdes, et celui des Perses, et celui des Macédoniens, qui est devenu à leur suite le plus grand empire, éclatant de gloire jusqu’à l’instant d’avant. Alors, fixant l’historien Polybe, soit à dessein, soit que cela lui ait échappé, il prononça ces vers :

« Viendra le jour où sera détruite la sainte Ilion, et Priam, et le peuple de Priam à la bonne lance de frêne » (Homère, Iliade 4.164-165).

Polybe lui ayant demandé sans ambages (car il était aussi le précepteur de celui-ci) ce que signifiaient ces mots, on dit que, sans chercher à le dissimuler, Scipion nomma clairement sa patrie, pour laquelle, contemplant les affaires humaines, il éprouvait immanquablement de la crainte.

Ces paroles, Polybe les nota, les ayant réellement entendues lui-même.

Que veut dire Appien ? [niveau débutant]

Pendant le IIIe siècle avant J.-C., Rome, à l’origine petite cité du Latium, étend son territoire en Italie et, par la suite, sur d’autres rives de la mer Intérieure.

Carthage, ville fondée par les Phéniciens ou Puniques en Afrique du Nord (en Tunisie actuelle) au IXe siècle avant notre ère, est l’ennemie de Rome : les deux cités qui se sont partagé la domination des mers occidentales, se sont affrontées dans trois guerres dites « puniques » :

La première guerre punique dure vingt-trois ans (264-241 avant notre ère) et s’achève avec la victoire de Rome, qui s’approprie la Sicile, tandis que Carthage est presque ruinée. Mais les Carthaginois rêvent de revanche, et la guerre reprend en 218 ; en 201 avant notre ère, après dix-sept ans de combat, alors que le général carthaginois Hannibal a porté la guerre en Italie jusqu’aux portes de Rome, Carthage est finalement vaincue à l’issue de la deuxième guerre punique. Un traité de paix très dur lui est imposé. Son armée est démantelée et sa puissance considérablement amoindrie. Pourtant, pendant les cinquante années qui suivent, la cité se reconstruit et connaît une croissance démographique importante. Cette prospérité retrouvée inquiète le Sénat romain, qui craint que Carthage ne redevienne une menace pour Rome. Après d’intenses débats, les sénateurs décident en 149 avant notre ère une troisième et dernière guerre visant à la destruction définitive de Carthage.

Le texte d’Appien rapporte l’évènement qui marque la fin de cette guerre, au printemps de l’année 146 avant notre ère. Après avoir résisté de façon héroïque à un siège de presque trois ans, Carthage tombe : les soldats romains incendient et pillent la cité pendant une semaine, tout en massacrant hommes, femmes, enfants et vieillards. Le consul Scipion Émilien, commandant de l’armée romaine, surveille les opérations depuis une colline en surplomb de la ville. En contemplant la destruction d’une cité jadis si puissante, il médite mélancoliquement sur le destin des empires et des hommes, et s’inquiète pour l’avenir de sa propre patrie.

frisecarte

Les guerres puniques (Crédit : Légendes Cartographie)

carte

Géopolitique de la Méditerranée  - Fin du IIIe siècle avant J.-C. (Crédit : Légendes Cartographie)

Étude littéraire : Scipion, héros de Polybe, Diodore et Appien (Raphaëlle Berterottière) [niveau intermédiaire]

Appien mentionne le témoignage de Polybe qui aurait mis par écrit l’épisode après y avoir directement assisté. Cette référence vise à donner plus de crédit à son récit, car le témoignage autoptique était pour les Anciens la source historique la plus fiable. La référence n’est cependant pas très claire : Appien a-t-il consulté le texte de Polybe ? Les expressions « on dit » (λέγεται et φάσι) entretiennent ce flou : il peut s’agir d’Appien, mais dans la mesure où seule une partie du texte de Polybe nous est parvenue, il est difficile d’estimer dans quelle mesure Appien y a eu directement accès. Il aurait pu consulter une autre source contemporaine de Polybe, avec laquelle ce dernier engageait la polémique (Histoires, XXXVI, 1). Ainsi, Diodore de Sicile, historien grec qui a relaté l’épisode au Ier siècle avant notre ère (dans un texte qui nous est parvenu entièrement), reprend telle quelle une expression du fragment de Polybe, mais présente les faits dans un ordre légèrement différent de celui d'Appien. Il est donc possible qu’Appien soit plus fidèle que Diodore au texte de Polybe, ou bien qu’il dépende d’une autre source ; il peut aussi s’accorder une certaine liberté dans la manière d’intégrer sa ou ses sources.

Quoiqu’il en soit, la comparaison avec les textes, plus courts, de Polybe et de Diodore de Sicile fait apparaître les accents du récit composé par Appien. Alors que Diodore soulignait la conjonction entre l’horreur du spectacle et les pleurs de Scipion Émilien, le lexique de la vue est chez Appien mobilisé pour faire entrer le lecteur dans l’esprit de Scipion : « portant son regard » (ὁρῶν), « contemplant » (ἀφορῶν), « ayant pris conscience » (συνιδών, de même racine que les précédents). Le passage, essentiellement au discours indirect, se présente ainsi comme une vaste méditation de Scipion. Seuls les vers homériques (Iliade 4. 164-165) sont rapportés au discours direct, ce qui leur donne un relief certain. Alors que chez Diodore la question de Polybe est suscitée par les larmes de Scipion, et que c’est en lui répondant que ce dernier récite les vers de l’Iliade, Appien clôt la réflexion de Scipion par la citation d'Homère. Le vainqueur de Carthage est campé en homme accompli versé dans les lettres grecques auxquelles l’a formé son maître Polybe. La charge philosophique du terme παρρησία, ainsi que la mise en scène de cet échange entre le général et son précepteur, souligne l’élévation de Scipion à une stature presque philosophique.

Enfin, alors que Polybe et Diodore mettent l’accent sur la crainte d’un renversement de la Fortune, Appien enrichit cet élément en le croisant avec d’autres motifs : la comparaison des différents États, dont la mouture la plus connue est la comparaison des régimes politiques exposée par Polybe, et le thème de la succession des empires, largement répandu dans la littérature hellénistique, notamment dans les écrits anti-romains (dont la version la plus célèbre se trouve probablement aux chapitres 10 et 11 du livre biblique de Daniel).

Le texte peut ainsi être assimilé à une sorte de monument à Scipion : immortalisé dans une posture qui dépasse celle de l’artisan d’une victoire n’assurant à Rome qu’une paix temporaire, Scipion est un chef victorieux et instruit, capable de saisir les plus hautes réalités humaines.

Étude histoire : Pouvoir et émotions – les « larmes de Scipion » (Hélène Ménard) [niveau intermédiaire / avancé]

Un motif original

Les « larmes de Scipion » constituent un motif original, puisqu’Appien est le seul des trois historiens mettant en scène la chute de Carthage qui fait intervenir cette expression de l’émotion du général vainqueur. Ce motif s’inscrit néanmoins dans une série de déplorations par des hommes d’État et chefs de guerre, devant la prise et la destruction de la cité ennemie : c’est le cas notamment de Marcellus devant Syracuse, qu’il assiège en 213 avant notre ère (Tite-Live 25.24.11 ; Plutarque, Marcellus 19.1-6). Le texte peut ainsi être inscrit dans une réflexion plus générale sur les émotions comme construction culturelle et objet d’histoire.

Une taxinomie des larmes romaines permet de mieux appréhender la signification que l’auteur souhaite donner à ces larmes : les acteurs, notamment leur position sociale et politique, mais aussi leur genre, le fait qu’il s’agisse d’individus ou d’émotions plus collectives ; le contexte (défaite et soumission d’un ennemi, prise d’une ville, procès) ; enfin, la nature et l’intensité de ces larmes, avec tout le spectre de leur expression, de la retenue à l’excès hystérique. Depuis Homère (3), les archétypes grecs des pleurs d’hommes puissants, qui sont témoins (ou eux-mêmes soumis) d’un sort changeant et d’une fin tragique de héros, de rois ou de cités, permettent de retracer la genèse de ce qui devient, à travers Polybe, puis les historiens (Tite-Live, Diodore de Sicile, Appien) et les biographes (Plutarque), un topos promis à une grande postérité littéraire.

Les larmes : une émotion raisonnable

Dans le cadre des funérailles, les pleurs émis lors des lamentations rituelles interviennent au moment le plus élevé et le plus chargé de significations. Elles interviennent également au moment du dénouement d’une situation de crise, ce qui est le cas lors de la prise d’une ville ennemie, après un long siège. Le passage s’inscrit d’ailleurs à la suite du récit des morts volontaires des assiégés, qui se jettent dans l’incendie du temple d’Eshmoun, dont la femme et les enfants d’Hasdrubal.

Les pleurs deviennent philosophiques : Scipion Émilien fait preuve d’une réflexion profonde sur l’instabilité de la condition humaine ; cette dimension philosophique est devenue stéréotype. On pleure non par faiblesse de caractère mais parce que l’on comprend la vanité des songes de grandeur. Elles illustrent le refus de l’hybris. Il s’agit de montrer que l’on ne mérite pas le même sort que celui qui a touché le vaincu. D’une façon générale, il convient de revenir sur l’image fausse de Romains répugnant à exprimer tout sentiment en public, notamment par des larmes : ce sont les excès qui sont réprouvés, ou leur emploi déplacé. Bien au contraire, les larmes sont la marque de l’humanitas. Cela dépasse un cadre restreint à une culture propre pour être une marque de l’appartenance commune à l’humanité.

La présence de Polybe et l’échange de nature philosophique avec Scipion Émilien soulignent la culture grecque du chef romain, qui doit à son précepteur ce niveau de réflexion. Polybe lui-même, dans ses Histoires (38.21.2) en conclut l’excellence de son élève. Scipion Émilien montre ainsi, par cette manifestation émotionnelle, sa supériorité en tant qu’imperator et en tant qu’homme, au point d’évoquer des « larmes de charisme » (4).

L’Éternité de Rome : une autre lecture ?

Si, au moment où Scipion Émilien et Polybe échangent ces réflexions sur le destin de toute cité, Rome domine une partie croissante du monde méditerranéen, sa domination ne semble pas encore définitive ; l’accent n’est pas mis, comme à l’époque où écrit Appien, sur l’Éternité de Rome.

En tant que membre de l’élite municipale, magistrat d’Alexandrie, Appien a lui-même assisté à (et peut-être joué un rôle militaire dans) la grande révolte des Juifs, en 115-117, qui a touché la Cyrénaïque, Chypre et l’Égypte, et qui a été écrasée par les généraux de Trajan. Par ailleurs, s’il a bien été désigné par Hadrien comme « prêtre de Vénus » et qu’il a ainsi fait partie du collège des duodecemviri Vrbis Romae, desservant le sanctuaire de Vénus Felix et de Roma Aeterna, consacré par l’empereur le 21 avril 128 et dédicacé entre 135 et 137, il avait un rapport privilégié avec cette Éternité de Rome, mise en exergue du règne d’Hadrien.

Les larmes de Scipion Émilien face à la destruction définitive de la rivale carthaginoise entraînent une réflexion sur le destin des empires : la citation des vers homériques a généralement été interprétée comme l’expression d’une inquiétude quant à l’avenir de Rome. Elle existait peut-être du temps de Polybe ou au moment de la mise en place du Principat. Mais, à l’époque d’Appien, la distance est grande avec la destruction de Carthage et ses conséquences sur la cité de Rome ; l’Empire est réaffirmé, comme en filigrane, dans son Éternité.

photo

Gravure de Jacobus Buys, scène imaginaire, Scipion Émilien et Polybe devant les ruines de Carthage après la destruction de la ville, 1797 (Rijksmuseum, Amsterdam)

Un moment philosophique (Elsa Sulaiman) [niveau avancé]

Un memento mori civilisationnel

L’image de la ruine de Carthage engage une analogie entre la dégénérescence des cités et celle qui est inscrite dans la nature même du vivant. On ne peut s’empêcher de penser au mot de Paul Valéry dans La Crise de l’esprit : « Nous autres civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles » (5). C’est en fait au spectacle de l’agonie qu’assiste Scipion. Cette vision tragique introduit un rapport spéculaire entre la chute d’une cité particulière et le destin politique de toutes les cités. La description ouvre, en somme, la voie à une double réflexivité : celle qui conduit Scipion à contempler le tableau de la cité qui se meurt au miroir de la chute future de Rome, et celle qui consiste à penser le destin d’une collectivité sur le modèle de la vie. Rien n’y fait : ni la puissance militaire, ni la quantité des ressources (lesquelles donnent lieu à une description détaillée et cumulative) ne prémunissent une cité contre sa propre mort. La dignité de Scipion permet de distinguer, en filigrane, et à travers les vers que cite Scipion, un topos que l’on retrouve dans l’Iliade : Estelle Bertrand note que ces paroles sont celles d’Agamemnon qui, voyant Hector blessé, ne peut s’empêcher de dresser un parallèle avec le sort qui sera réservé à son épouse, Andromaque (6). Le choix de cette référence évoque le mythe de la succession des empires, qui perpétue dans la philosophie médiévale le concept romain de translatio imperii, à savoir le transfert de puissance qui s’opère de manière linéaire entre les forces politiques d’abord dominantes, puisqu’animées par le dynamisme qui caractérise la jeunesse, et pourtant vouées à une inéluctable déchéance. Le processus historique est ainsi compris à travers le prisme d’un cycle de mort et de renaissance perpétuelle (7). Ce n’est que dans l’alternance de la déchéance et du renouveau que les mortels peuvent distinguer l’empreinte de l’éternité : les larmes de Scipion trahissent l’humilité face à la finitude. Quoique vainqueur, il refuse l’hybris qui consisterait à se gargariser de son propre triomphe devant la figure de la désolation.

La noblesse des larmes

Les larmes de Scipion sont d’autant plus significatives qu’elles se portent sur un objet qu’on peut paradoxalement qualifier de sublime, au sens où Kant le définit dans La Critique de la faculté de juger comme ce qui est absolument grand, qui induit en nous une sensation de dépassement (8). Le sublime suscite un sentiment de respect, et c’est ce sentiment qu’éveille la liste exhaustive que donne Appien des éléments qui constituaient la force de Carthage.

Comme le remarque Sarah Rey, la sensibilité romaine valorise les larmes à condition qu’elles soient versées devant un objet supérieur (9).

L’inscription du mythe du temps cyclique dans la philosophie de l’histoire

La façon dont Appien interprète, à travers les yeux de Scipion, l’actualité de Carthage à l’aune de l’avenir de Rome trahit une conception déterministe de l’histoire, que l’on ne trouve pas dans le récit que Polybe propose du même événement. Tandis que Polybe fait la part belle à la Fortune, Appien semble juger le processus historique qui conduit les cités à déchoir inexorablement vers leur destruction, comme guidées par une nécessité transcendante. L’idée d’une succession des types humains et d’un cycle civilisationnel se trouve déjà dans le mythe hésiodique de la succession des cinq races dans Les Travaux et les jours. On identifie également dans ce mythe le paradigme d’une dégénérescence progressive de la qualité du collectif. Dans la lecture historique que propose Appien, le processus d’annihilation est ancré dans le registre d’une nécessité divine. On peut identifier, en germes, une conception cyclique du temps que l’on retrouve dans la cosmologie stoïcienne, ici actualisée dans le registre de la philosophie de l’histoire. Comme le montre Giorgios Vassiliadès, Platon injecte dans La République l’idée de cycle successif de constitution et d’une temporalité propre de ces cycles, s’accompagnant d’un mode de déchéance propre : la monarchie se pervertit, par exemple, en tyrannie (10). Chez Appien, le facteur exogène du conflit militaire est inséré dans le devenir des cités : pour autant, il n’est pas livré à la contingence. L’alternance des puissances en place et de leur destruction mutuelle est orchestrée par une main divine, selon des cycles successifs.

Le Cours de l’Empire par Thomas Cole (Muriel Adrien) [niveau avancé]

Le Cours de l’Empire, également connu sous le nom Le Destin des Empires, est une série de cinq peintures à l’huile réalisées entre 1833 et 1836 par Thomas Cole (1801-1848), intitulées L’État sauvage (11), L’État arcadien ou pastoral (12), L’Apogée ou La Consommation de l’Empire (13), La Destruction (14), La Désolation (15). Ce polyptique, qui se veut générique et non arrimé à une période ou un lieu particulier, résonne avec le texte d’Appien par le récit épique de la chute d’un empire et ses références architecturales et culturelles à l’Antiquité classique (le vase et le gladiateur Borghèse (16), la Parque Nona (17), Pythagore (18), les caryatides de l’Érechthéion (19), la statue de Minerve (20), la Diane de Versailles sur le tympan du temple dorique (21), le forum romain (22)…). Par un emboîtement de filiations, cette série s’inscrit dans une tradition picturale de décadence d’empires antiques (ex : le diptyque de Turner sur l’ascension et le déclin de Carthage, en émulation aux tableaux de port de Claude Gellée, dit le Lorrain) (23). C’est une tradition qui perdure encore aujourd’hui, y compris en photographie (ex : le « long siècle américain » de l’Italien Jodice).

Conformément à la règle des trois unités de la tragédie classique (un jour, un lieu, une action), les cinq actes déclinent les moments successifs d’une journée, ainsi que les saisons, le temps qui passe étant lié au temps qu’il fait, puisqu’à chaque séquence correspondent des conditions météorologiques définies. La pertinence écologique de ce cycle revêt évidemment un caractère d’actualité. L’arc narratif impute la naissance et la déchéance de l’empire au fait que l’homme se soit arraché à l’état de nature édénique. Ce qui élève l’empire au pinacle est cela même qui précipite sa décadence. Ainsi, à l’inspiration antique se joignent une fable morale et un sous-texte biblique (l’artiste protestant — plus tard converti à l’anglicanisme — a peint ailleurs l’expulsion du jardin d’Éden). À ceci près que la chute n’est pas concomitante à la consommation première du fruit défendu de la cupidité, mais se produit en différé, lorsque l’Empire finit par être victime de son hybris.

Une première historiographie érigea Cole en prodige autodidacte, aussi affranchi de la tutelle britannique que l’était sa patrie adoptive, et le propulsa héraut de la Hudson River School : son inspiration était puisée à la source américaine, ses tableaux en extrayaient la quintessence ex-nihilo et en célébraient l’exception. Sa dernière exposition monographique post-Brexit (24) a cependant mis en avant son héritage européen, notamment britannique. Une partie de cette inspiration remonte à son enfance à Bolton-le-Moors, bourgade du nord de l’Angleterre, qui subit de plein fouet les retombées de la révolution industrielle en matière sociale et sanitaire, le dégoûtant de l’urbanisation surpeuplée et du progrès technique. Sa famille, dont le patronyme a pour homophone « coal » (charbon), connut déboires sur déboires, et Thomas ne s’échappait de l’environnement insalubre, pollué et miséreux qu’en gravissant les collines alentours pour arpenter les fameux « moors », la lande sauvage qui nourrit l’imaginaire romantique brontëen. En outre, lors de son périple européen (1829-1832), le spectacle de la nature reprenant ses droits sur les ruines romaines conforta son idée selon laquelle les civilisations glorieuses étaient vouées à une déchéance certaine. Son style est redevable aux peintres anglais de la veine sublime — Turner (Tempête de neige : Hannibal et son armée dans les Alpes), Martin (Le Festin de Balthazar, Pandémonium, La Septième plaie d’Égypte), Wilson, Constable (Hadleigh Castle, Waterloo Bridge) — ou pittoresque (Gilpin…), et aux paysagistes de la campagna romaine (Le Lorrain, Salvator Rosa), sans oublier ses influences littéraires (Byron, Berkeley, Edward Gibbon…).

Cette inspiration glanée dans le Vieux Monde, Cole la transposa dans ses tableaux du Nouveau Monde, dont il voyait avec appréhension la nature virginale et les terres indiennes progressivement grignotées par l’expansion vers l’Ouest et la course au profit effrénée de l’idéologie jacksonienne. Dans les paysages de Cole magnifiant l’Amérique conquérante, se trame un destin funeste, sur le modèle de Rome ou de Carthage.

Or les mises en scène picturales de ce chantre des espaces américains reproduisaient à son insu précisément ce qu’il dénonçait — l’artificialisation de la nature sauvage. En la soumettant aux conventions artistiques, en s’appropriant et en configurant un décor américain, il transformait cette Arcadie en lieu façonné par l’homme, et non plus terre intacte, inaltérée et originelle. Ainsi cette fresque de paysages non seulement sert-elle des discours allégoriques et nationalistes fluctuants et ambivalents sur la notion de pays, y compris le lieu propre du peintre, mais elle métaphorise aussi l’illusion de sa propre entreprise picturale.

thomas cole

Thomas Cole, The Course of Empire. The Savage State, ca. 1834 (huile sur toile, New-York Historical Society)

thomas cole

Thomas Cole, The Course of Empire. The Arcadian or Pastoral State, ca. 1834 (huile sur toile, New-York Historical Society)

thomas cole

Thomas Cole, The Course of Empire. The Consummation of Empire, 1835-1836 (huile sur toile, New-York Historical Society)

thomas cole

Thomas Cole, The Course of Empire. Destruction, 1836 (huile sur toile, New-York Historical Society)

thomas cole

Thomas Cole, The Course of Empire. Desolation, 1836 (huile sur toile, New-York Historical Society)

Les larmes impossibles de Poutine (Pascal Charvet)

La translatio imperii, que nous nommons la succession des empires ou des civilisations, est cruellement à l’ordre du jour, en ces temps de guerre aux portes de l’Europe. Les larmes de Scipion pourraient sembler hypocrites, quand résonne encore à nos oreilles le « delenda Carthago » de Caton l’Ancien, pour qui il ne pouvait exister deux puissances en Méditerranée. Celui qui vient d’anéantir une ville et une civilisation brillante pleure sur le sort qui pourrait un jour être le sien. Pourtant, Appien, au travers de Scipion, ne délivre pas une leçon de vigilance menaçante – caractéristique de l’attitude de Rome à l’égard des autres pays  –, mais le montre plutôt envahi par le fantasme de la disparition irrémédiable de toute civilisation. La beauté d’une culture ne tiendrait qu’à sa fugacité. Comme dans une mise en scène théâtrale, les décors que l’histoire a dressés seraient promis à la destruction. Pompéi n’aurait été enterrée vivante en 79 après J.-C. que pour nous faire voir sous la lave et les cendres ce qu’était la vie dans une ville où les fruits du bonheur se cueillaient à ciel ouvert. Pompéi théâtre antique et préservé de la vie nous en dit long aussi sur notre passion pour les ruines. Qu’est ce qui nous motive, quand nous nous rendons à Pompéi, sinon la volonté de retrouver l’émotion esthétique, architecturale, religieuse et sociale qui inspira ceux qui bâtirent ces édifices ? Nos civilisations seraient vouées à jouer leur propre fin, jusqu’à ce que la scène s’embrase et se dissipe en une fête funèbre, pour renaître plus tard dans le souvenir des hommes. Ainsi irait le théâtre du monde. 

Aujourd’hui, Poutine ne saurait pleurer comme Scipion, tant il est persuadé que le système dont il a hérité depuis 1918 (qui a montré ses failles immenses) ou qu’il a forgé lui-même, est invincible. Pour combien de temps ? Paradoxalement, clamer l’invincibilité d’un pouvoir ou d’un peuple reviendrait, sous le regard de l’histoire, à annoncer sa chute. Les démocraties ne s’avancent pas sur ce terrain, contrairement aux dictatures. Les démocraties n’engagent pas les guerres qu’elles ont vocation à gagner, et lorsqu’elles se lancent dans un combat, elles ont pour elles l’avantage de la durée, si l’on en croit  Tocqueville (25).

Le texte d’Appien nous révèle ainsi une autre dimension sous-jacente et cruciale pour nous : pleurer sur un monde qui s’évanouit relève d’abord d’une pensée humaniste, telle que les Grecs et les Latins ont pu l’élaborer : elle en est d’autant plus précieuse. Si l’on observe la pensée égyptienne depuis le Moyen Empire (règne d’Amenemhat Ier), c’est la menace du chaos annoncé et provoqué par l’arrivée des Barbares, en général les Neuf-Arcs (les ennemis traditionnels de l’Égypte) qui domine et non pas l’idée de la translatio imperii. Le devin, qui voit l’avenir, comme la girafe voit le lion dans le désert, a pour charge d’annoncer les temps troublés. La population demeure prostrée dans le malheur, mais la culture égyptienne, elle, ne disparaît jamais. Elle se ranime toujours grâce à l’arrivée d’un homme providentiel, un messie porteur d’espoir. Nous sommes dans le monde de la divination et des prophètes, pas dans celui de la philosophie humaniste. C’est pour cette raison que les traditionalistes égyptiens ne se souciaient guère de devoir se soumettre à un nouveau pouvoir, car à la fin des fins, un homme providentiel viendrait qui restaurerait la civilisation égyptienne dans son intégrité. Mais ils n’ont pas vu se rapprocher d’eux la cohorte des chrétiens qui raisonnaient selon le même principe, à cette réserve près qu’ils excluaient et persécutaient systématiquement toute autre religion que la leur. C’est ainsi qu’ils allèrent détruire à coups de burin les hiéroglyphes en lesquels ils voyaient une sarabande diabolique courant sur les stèles ; et dans le crépitement des autodafés de papyrus disparut un immense trésor de sagesse.  

On comprend mieux ainsi les derniers mots de Machiavel avant sa mort. Il aurait fait un songe selon le récit rapporté par Anton Francesco Doni (26), dans lequel se trouvaient d’un côté Platon, Tacite, et Plutarque, tous les trois à la belle prestance, discutant de la nature des Républiques, et de l’autre une foule en haillons. On lui expliqua que les trois auteurs antiques étaient destinés selon les Évangiles à aller au royaume des cieux, tandis que la foule des déguenillés était, elle, promise à l’Enfer, car leur doctrine était hostile à Dieu. Machiavel, esprit libre et grand humaniste, indiquant la foule des pauvres hères, ne manqua pas de répondre qu’il choisissait de rester avec eux.

  1. P. Goukowsky, Appien. Histoire romaine, tome I, Les Belles Lettres, Paris, 2020, p. 132.
  2. Sur la vie d’Appien, voir P. Goukowsky, « Appien d’Alexandrie, prêtre de Rome sous Hadrien ? », CRAI 1998-3, p. 938-856, et D’Alexandrie à Rome. L’itinéraire de l’historien Appien, Nancy – Paris, 2023.

  3. Iliade 24.507-512. Voir ensuite, par exemple, Hérodote 7.45-46, l’échange entre Artabanos et Xerxès, au sujet des larmes du roi des Perses devant le pont de navires qu’il vient de faire établir pour traverser l’Hellespont.

  4. Hostein A., « Lacrimae principis. Les larmes du prince devant la cité affligée », dans La ‘crise’ de l’Empire romain de Marc Aurèle à Constantin, M.-H. Quet (éd.), Paris, 2006, p. 217.

  5. Paul Valéry, « La crise de l’esprit », Nouvelle Revue Française 13, 1919, p. 321.

  6. Estelle Bertrand. « Les larmes de Scipion, la destruction des villes et la fin des empires dans l’antiquité : lectures antiques des catastrophes », Atlantide 11, 2020, p. 22-38.

  7. Estelle Bertrand, Rita Compatangelo-Soussignan (éd.), Cycles de la Nature, Cycles de l'Histoire. De la découverte des météores à la fin de l'âge d'or, Bordeaux, 2015.

  8. Emmanuel Kant, Critique du jugement, tome 1, deuxième livre (« Analytique du sublime »), Paris, 1846 (trad. J. Barni).

  9. Sarah Rey, Les larmes de Rome. Le pouvoir de pleurer dans l’Antiquité, Paris, 2017, p. 172.

  10. Giorgios Vassiliadès, « Temps cyclique et temps linéaire à la fin de la République », Vita Latina 197-198, 2018, p. 51-76.

  11. Thomas Cole, The Course of Empire. The Savage State (ca. 1834). Huile sur toile, 99,7 × 160,7cm. New-York Historical Society.https://emuseum.nyhistory.org/objects/54879/the-course-of-empire-the-savage-state.

  12. Thomas Cole, The Course of Empire. The Arcadian or Pastoral State (ca. 1834). Huile sur toile, 99,7 × 160,7cm. New-York Historical Society. https://emuseum.nyhistory.org/objects/56323/the-course-of-empire-the-arcadian-or-pastoral-state.

  13. Thomas Cole, The Course of Empire. The Consummation of Empire (1835-1836). Huile sur toile, 130,2 × 193cm. New-York Historical Society.  https://emuseum.nyhistory.org/objects/54911/the-course-of-empire-the-consummation-of-empire.

  14. Thomas Cole, The Course of Empire. Destruction (1836). Huile sur toile, 99,7 × 161,3cm. New-York Historical Society. https://emuseum.nyhistory.org/objects/41597/the-course-of-empire-destruction.

  15. Thomas Cole, The Course of Empire. Desolation (1836). Huile sur toile, New-York Historical Society. 99,7 × 160,7 cm. https://emuseum.nyhistory.org/objects/21572/the-course-of-empire-desolation.

  16. Pour le gladiateur Borghèse, voir L’Etat sauvage et La Destruction. Pour le vase Borghèse, voir La Consommation de l’Empire.

  17. Voir L’Etat arcadien ou pastoral.

  18. Voir L’Etat arcadien ou pastoral.

  19. Voir La Consommation de l’Empire.

  20. Voir La Consommation de l’Empire.

  21. Voir La Consommation de l’Empire.

  22. Voir La Consommation de l’Empire.

  23. Il s’agit de Dido construisant Carthage, ou l’Ascension de l’Empire carthaginois (1815) de James Mallord William Turner (1775-1851), huile sur toile, 155,5 × 230cm, National Gallery, Londres.(https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/joseph-mallord-william-turner-dido-building-carthage) et son pendant, Le Déclin de l’Empire carthaginois (1917) de Turner, huile sur toile, 170,2 × 238,8 cm, Tate Britain, Londres.(https://www.tate.org.uk/art/artworks/turner-the-decline-of-the-carthaginian-empire-n00499). Le tableau de Claude le Lorrain à côté duquel Turner voulait que ses œuvres soient exposées est L’Embarquement de la reine de Saba (1648) de Claude Gellée, dit Le Lorrain. Huile sur toile, 149,1 × 193,7 cm, National Gallery, Londres. (https://www.nationalgallery.org.uk/paintings/claude-seaport-with-the-embarkation-of-the-queen-of-sheba).

  24. « Thomas Cole’s Journey : Atlantic Crossings » au Metropopolitan Museum of Art, New York (30 janvier-13 mai 2018) et à la National Gallery, Londres (11 juin-7 octobre 2018).

  25. Voir  à ce sujet l’argumentation déployée par Tocqueville dans La démocratie en Amérique,  tome 2 chapitre XXIV. — Ce qui rend les armées démocratiques plus faibles que les autres armées en entrant en campagne, et plus redoutables quand la guerre se prolonge. « Lorsque la guerre, en se prolongeant, a enfin arraché tous les citoyens à leurs travaux paisibles et fait échouer leurs petites entreprises, il arrive que les mêmes passions qui leur faisaient attacher tant de prix à la paix se tournent vers les armes. La guerre, après avoir détruit toutes les industries, devient elle-même la grande et unique industrie, et c’est vers elle seule que se dirigent alors de toutes parts les ardents et ambitieux désirs que l’égalité a fait naître. C’est pourquoi ces mêmes nations démocratiques qu’on a tant de peine à entraîner sur les champs de bataille y font quelquefois des choses prodigieuses, quand on est enfin parvenu à leur mettre les armes à la main. » (https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65364363/texteBrut)

  26. Ce rêve, peut-être légendaire, que Machiavel aurait fait avant sa mort (21 juin 1527) a été rapporté pour la première fois en 1544 par Anton Francesco Doni dans une lettre adressée à Gabriele Giolito datée du  15 février 1544 et publiée la même année dans les Lettres de Doni  (Voir Le novelle, t. 1, La moral filosofiaTrattati, édition de P. Pellizzari, 2002, pp. 388-93). La lettre avait pour titre Visione d’un galante uomo che stava per morire.  Voir aussi à ce sujet Pasquale Terracciano dans «  La politica all’inferno: Rileggendo il Sogno di Machiavelli », page 23 dans Rinascimento Seconda serie, Volume Cinquantaseiesimo, sous la direction de Michele Gilberto, Leo S. Olschki, 2016.

Bibliographie indicative (« pour aller plus loin »)

Ambaglio D., « Il pianto degli potenti : rito, topos e storia », Athenaeum 73, 1985, p. 359-372.

Bertrand E., « Les larmes de Scipion, la destruction des villes et la fin des empires dans l’antiquité : lectures antiques des catastrophes », Atlantide – Cahiers de l’EA 4276, n° 11 (Récits et représentations d’apocalypses), 2020, p. 22-38.

Burgeon C., La troisième guerre punique et la destruction de Carthage. Le verbe de Caton et les armes de Scipion, Louvain-la-Neuve, 2015.

Cadot C., « Thomas Cole et l’Empire américain : l’Hudson River School à contre-courant », Raisons politiques : études de pensée politique 24-4, 2006, p. 55-78.

Fögen T., Tears in the Graeco-Roman World, Berlin – New York, 2009.

Goukowsky P., D’Alexandrie à Rome. L’itinéraire de l’historien Appien, Nancy – Paris, 2023.

Grimal P., Le siècle des Scipions. Rome et l’hellénisme au temps des guerres puniques, Paris, 1993.

Guelfucci M. R., « Troie, Carthage et Rome : les larmes de Scipion », dans M. Fartzoff et al. (dir.), Reconstruire Troie. Permanence et renaissances d’une cité emblématique, 2009, p. 407-424.

Hostein A., « Lacrimae principis. Les larmes du prince devant la cité affligée », dans La ‘crise’ de l’Empire romain de Marc Aurèle à Constantin, M.-H. Quet (éd.), Paris, 2006, p. 211-284.

Hoyos D. (éd.), A Companion to the Punic Wars, Malden – Oxford, 2011.

Kornhauser E. M. et Barringer T. (éd.), Thomas Cole’s Journey. Atlantic Crossings, New Haven – Londres, 2018.

Labate M., « Città morte, città future : un tema della poesia augustea », Maia 43, 1991, p. 167-184.

Moatti C. (trad. du grec ancien), Les guerres puniques, Paris, 2008. Récits des trois guerres de Polybe, Tite-Live et Appien, traductions annotées de Denis Roussel, Maxime Gaucher et Philippe Torrens.

Rey S., « Les larmes romaines et leur portée : une question de genre ? », Clio 41 (Femmes, Genre, Histoire), 2015, p. 243-263.

Rey S., Les larmes de Rome. Le pouvoir de pleurer dans l’Antiquité, Paris, 2017.

Siegel N., Along the Juniata – Thomas Cole and the Dissemination of American Landscape Imagery, Huntingdon, 2003.

Truettner W. H. et Wallach A., Thomas Cole – Landscape into History, New Haven – Londres, 1994.

Besoin d'aide ?
sur