La lettre VI, 16 de Pline le Jeune : perspectives littéraires, archéologiques et volcanologiques

Zélie Chevance avec les contributions de : Alix Barbet (CNRS, AOROC) - Julie Carlut (Institut de Physique du Globe de Paris) - Hélène Dessales (ENS, AOROC) - Luca Terray (Université Clermont Auvergne)

École normale supérieure - École Universitaire de Recherche Translitterae - Programme Humanités dans le Texte

 

INTRODUCTION : Une lettre à la croisée des disciplines

Dans la lettre VI, 16 adressée à son ami Tacite, Pline le Jeune fait le récit de la mort de son oncle, Pline l’Ancien. Mais c’est aussi l’occasion pour lui de décrire l’éruption du Vésuve, qui constitue le décor spectaculaire de cette mort. C’est pourquoi la lettre 16, qui, publiée vers 108 après J.-C., nous est parvenue par de nombreux manuscrits médiévaux (on en compte environ 80)[1], a depuis longtemps fasciné historiens, géologues, archéologues et érudits : Pline le Jeune y raconte l’évènement historique qu’a été l’éruption du Vésuve, rédige ce qui constitue la première description d’une éruption volcanique par un témoin oculaire, mais fait également un éloge de son oncle, amiral et savant. Aussi le témoignage historique et volcanologique que pourrait constituer cette lettre doit être nuancé, en tenant compte du caractère avant tout littéraire de ce texte. Il s’agit dès lors de croiser les approches littéraires, archéologiques et géologiques afin de questionner les fondements scientifiques du texte et de savoir si ce récit peut être vérifié et confirmé par les données volcanologiques et les vestiges archéologiques. Cette analyse se fonde sur l’extrait suivant, celui de l’éruption elle-même et de la mort de Pline qui s’ensuit :

PLINE LE JEUNE, Epistulae, VI, 16, texte établi par A.-M. Guillemin (1955), Paris, Les Belles Lettres.

Le 24 août 79 (date traditionnellement admise mais variable selon les manuscrits), Pline l’Ancien est averti qu’un étrange phénomène se produit. Il se lève pour l’observer :

[…] Nubes (incertum procul intuentibus ex quo monte, Vesuuium fuisse postea cognitum est) oriebatur, cuius similitudinem et formam non alia magis arbor quam pinus expresserit. Nam longissimo uelut trunco elata in altum quibusdam ramis diffundebatur, credo, quia recenti spiritu euecta, dein senescente eo destituta aut etiam pondere suo uicta in latitudinem uanescebat, candida interdum, interdum sordida et maculosa, prout terram cineremue sustulerat. Magnum propiusque noscendum, ut eruditissimo uiro, uisum. […]

[…] Une nuée se levait (il était impossible pour ceux qui regardaient de loin de savoir de quelle montagne elle provenait, mais on reconnut ensuite que c'était du Vésuve). Aucun arbre mieux qu'un pin ne saurait rendre compte de son apparence et de sa forme. En effet, s’élevant en un tronc immense, cette nuée se déployait au sommet à la façon de rameaux, je suppose parce que, portée par un souffle frais, puis abandonnée par ce souffle qui s'affaiblissait ou même vaincue par son propre poids, elle s’étendait en largeur, tantôt blanche, tantôt sale et souillée selon qu’elle charriait de la terre ou des cendres. Elle sembla à mon oncle, homme très savant, remarquable et digne d'être étudiée de plus près. […]

 

Pline l’Ancien fait appareiller un navire. L’expédition scientifique devient une mission de sauvetage lorsqu’il reçoit un appel au secours de son amie Rectina.

Iam nauibus cinis incidebat, quo propius accederent, calidior et densior, iam pumices etiam nigrique et ambusti et fractigne lapides, iam uadum subitum ruinaque montis litora obstantia. […]

Déjà de la cendre tombait sur les navires, plus chaude et plus épaisse à mesure qu'ils s'approchaient, déjà aussi tombaient des pierres ponces et des roches noires brûlées et fracturées par le feu, déjà des bas-fonds inattendus affleuraient, et l'effondrement de la montagne obstruait le rivage. […]

 

Ne pouvant aborder, Pline décide de passer la nuit chez son ami Pomponianus, résidant à Stabies. On le tire de son sommeil pour fuir la maison en proie aux pluies de cendre et de pierres.

Iam dies alibi, illic nox omnibus noctibus nigrior densiorque ; quam tamen faces multae uariaque lumina solabantur. Placuit egredi in litus, et ex proximo adspicere, ecquid iam mare admitteret ; quod adhuc uastum et aduersum permanebat. Ibi super abiectum linteum recubans semel atque iterum frigidam poposcit hausitque. Deinde flammae flammarumque praenuntius odor sulpuris alios in fugam uertunt, excitant illum. Innitens seruolis duobus adsurrexit et statim concidit, ut ego colligo, crassiore caligine spiritu obstructo clausoque stomacho, qui illi natura inualidus et angustus et frequenter interaestuans erat. Ubi dies redditus (is ab eo quem nouissime uiderat tertius), corpus inuentum integrum, illaesum opertumque ut fuerat indutus ; habitus corporis quiescenti quam defuncto similior. […] Ailleurs le jour était déjà levé, mais là-bas il faisait une nuit noire et épaisse plus que toute autre, atténuée cependant de nombreuses traînées de feu et de lumières de toute sorte. Il lui plut de sortir sur le rivage et de regarder de plus près si la mer permettait alors le passage ; mais elle demeurait toujours démontée et hostile. Là, s’étendant sur une étoffe jetée au sol, il réclama à plusieurs reprises de l’eau fraîche et la but. Puis des flammes et une odeur de soufre qui les laissait présager mettent les autres en fuite, mais le font, lui, se redresser. S’appuyant sur deux jeunes esclaves, il se leva et aussitôt tomba, comme je le conclus de mon côté, la respiration obstruée par une fumée très épaisse et le ventre, qu’il avait naturellement fragile, étroit et souvent brûlant, serré. Lorsque le jour fut revenu (le troisième depuis celui qu’il avait vu pour la dernière fois) son corps fut trouvé intact, sans dommage et couvert des habits qu’il avait portés ; l’aspect de son corps était plus semblable à celui de l’homme au repos qu’à celui du défunt. […]

 

I – LES DEUX PLINE(S) FACE À L’ÉRUPTION : ENTRE LITTÉRATURE ET RÉALITÉ HISTORIQUE

1 – Pline le Jeune et Pline l’Ancien

La lettre 16 de Pline le Jeune est rédigée en 105 ou 106 après J.-C., c’est-à-dire plus de vingt-cinq ans après les évènements rapportés. Elle est adressée à Tacite, ami et historien, et lui fournit les détails que celui-ci demandait concernant la mort de Pline l’Ancien lors de l’éruption du Vésuve. Cela devait lui permettre de rapporter la mort du grand homme dans ses Historiae, ouvrage historique couvrant une période allant de la guerre civile de 69 après J.-C. à l’époque flavienne.

Or Pline le Jeune (né en 61-62 et mort entre 111 et 113) était le plus apte à lui fournir ces informations. Il est en effet le neveu et fils adoptif de Pline l’Ancien (23-79), et s’il n’a pas été directement témoin de sa mort, il a cependant vu son oncle embarquer vers le volcan, et a pu recueillir le récit des esclaves qui l’ont accompagné. Il peut donc non seulement rapporter les circonstances de la mort de Pline l’Ancien, mais également forger, par son récit, une image idéale de son oncle, propre à lui conférer une gloire impérissable.

Ainsi Pline l’Ancien est avant tout présenté comme un grand homme de science, savant et écrivain. La longue liste de ses écrits est détaillée par son neveu dans la lettre III, 5. Mais son œuvre majeure, celle qui a prévalu dans le domaine du savoir jusqu’au Moyen-Âge et à la Renaissance, est l’Histoire Naturelle, qui vise, par le moyen d’un inventaire monumental, à embrasser le monde dans son entier et à classer ses éléments en catégories (cosmologie, géographie, anthropologie, zoologie, botanique, médecine et minéralogie). Mais l’Histoire Naturelle n’est pas pour autant un inventaire exhaustif et objectif : non seulement Pline sélectionne les informations, en privilégiant le spectaculaire et le curieux, et en rapportant de préférence les « mirabilia », c’est-à-dire les merveilles du monde et de Rome, mais en outre la manière même dont il les présente laisse paraître son point de vue moral et politique[2]. Car avant d’être auteur de l’Histoire Naturelle, Pline l’Ancien est avant tout un haut-fonctionnaire de l’Empire, qui ne se consacre aux activités littéraires que durant son temps libre, comme il l’affirme lui-même dans sa préface. Né dans une famille d’ordre équestre, il a en effet été quatre fois procurateur, puis conseiller de Vespasien et de Titus, et enfin a été nommé commandant de la flotte impériale de Misène, titre qu’il portait toujours en 79 après J.-C. Or certains passages de son œuvre reflètent ce parti-pris en faveur des Flaviens : en témoigne l’éloge de l’empereur Titus qui ouvre l’œuvre. Archiver les savoirs permet, pour Pline l’Ancien, de consolider l’empire en l’inventoriant.

2 – un éloge qui s’écarte de la réalité historique

Pline l’Ancien n’est pas un pur homme de science, uniquement tourné vers la connaissance. Ainsi c’est en tant qu’amiral de la flotte impériale qu’il prend part aux évènements de 79 après J.-C., bien que ce soit à l’appel d’une amie, et non sur injonction de l’empereur, qu’il parte en mission de sauvetage. Cependant le portrait qu’en fait son neveu ne vise pas une vérité historique : il s’agit de donner à la postérité une image élogieuse de Pline l’Ancien. C’est pourquoi celui-ci est avant tout décrit comme un « erudissim[us] vi[r] » l. 13, un homme très savant, qui cherche à examiner et comprendre les phénomènes naturels avec le plus d’exactitude possible, quitte à s’exposer au danger (« proprius » l. 12 et « ex proximo » l. 22 s’opposent à « procul » l. 1). En cela la figure de Pline l’Ancien se démarque, puisqu’alors que sa curiosité est excitée par la vue des flammes et l’odeur de soufre, les autres fuient devant le danger. Cela révèle bien chez Pline le désir de savoir, cette libido sciendi, qui en fait une figure modèle du scientifique et, par sa mort, un martyr de la science. Or, comme pour lui rendre hommage, Pline le Jeune fait de l’éruption du Vésuve un évènement spectaculaire digne des mirabilia de l’Histoire Naturelle. Il cherche, en décrivant le phénomène, à l’expliquer, et, de même que Pline l’Ancien refusait les « causas dubias » (Histoire Naturelle XI, 8), les causes incertaines, son neveu, en un chiasme au centre duquel trône le mont Vésuve, passe de l’incertitude « incertum » l. 1 à la connaissance « cognitum est » l. 3.

C’est pourquoi, dès l’Antiquité et jusqu’à l’époque moderne, Pline l’Ancien est resté la figure exemplaire du savant prêt à se sacrifier pour la science. Mais, à cet éloge de l’homme de science, Pline le Jeune joint l’éloge du philanthrope et de l’amiral courageux. Car si Pline l’Ancien appareille tout d’abord pour observer l’éruption de plus près, son projet change lorsqu’il reçoit un appel à l’aide de son amie Rectina : il lui faut désormais aller sauver les femmes et les hommes menacés sur les pentes du Vésuve. C’est donc bien en quelque sorte un éloge funèbre que fait Pline le Jeune, en soulignant chez son oncle les traits dignes de mémoire.

Pourtant Pline l’Ancien semble dans la succession des évènements de 79, manquer de discernement, puisqu’il s’expose presque inconsidérément aux dangers (lorsqu’il veut s’approcher du Vésuve ou lorsqu’il s’endort au plus fort de l’éruption chez son ami Pomponianus). Il échoue en outre à sauver Rectina et trouve la mort dans sa fuite. Mais, malgré ces échecs, c’est un homme héroïque que peint Pline le Jeune, un homme de science et de devoir, prêt à risquer sa vie pour la connaissance autant que pour ses amis. Et pour ce portrait, Pline le Jeune choisit le décor spectaculaire de l’éruption – le panache immense, les flammes et la mer démontée – qui dramatise la mort de son oncle (ce qui a inspiré de nombreux peintres, dont P.-H. de Valencienne, Fig. 1) et souligne, par le caractère exceptionnel de la situation, les qualités de Pline l’Ancien, son calme face aux éléments déchaînés, son humilité face à la violence de la nature. D’où la nécessité d’une description détaillée de l’éruption, qui aujourd’hui encore suscite l’intérêt des géologues.

 

Fig. 1 : L’éruption du Vésuve, 1813, Pierre-Henri de Valencienne, Musée des Augustins, Toulouse  © Wikimedia Commons, D. Descouens CC-BY-SA-4.0 International

II – UNE ÉRUPTION « PLINIENNE » : LA DESCRIPTION LITTÉRAIRE À L’ÉPREUVE DE LA GÉOLOGIE

1 – le témoignage de Pline le Jeune

Le récit de Pline le Jeune constitue l’une des premières descriptions d’éruption volcanique, et la façon dont sont rapportés les phénomènes naturels témoigne d’un grand sens de l’observation. L’auteur recourt non seulement à un vocabulaire propre à l’éruption – « nubes » l. 1, « pumices » l. 16, « flammae » l. 27 – mais il parvient à le mettre en évidence afin de rendre le tableau plus évocateur : « nubes », premier mot et sujet de la phrase, est comme isolé par une longue incise, ce qui évoque bien la stupeur que peut provoquer la vue du panache de fumée. Puis, à la vue s’ajoutent l’odeur de soufre et la chaleur : presque tous les sens sont convoqués pour exprimer au mieux le caractère grandiose du phénomène. Cela est renforcé par l’opposition entre obscurité et lumière qui fait l’unité du passage : le chiasme « dies alibi, illic nox » l. 19 répondant à « candida interdum, interdum sordida » l. 10, et la nuit contrastant avec les « multae uariaque lumina » l. 21. Cela constitue en quelques sorte une scène en clair-obscur. Ainsi Pline le Jeune recourt à toutes les ressources du langage pour rendre sensible le caractère spectaculaire de l’éruption. Cependant le latin du Ier siècle ne possédait pas tout le vocabulaire scientifique dont nous disposons aujourd’hui pour décrire un volcan en éruption. Divers concepts, que nos connaissances actuelles nous permettent de désigner, n’existaient pas à l’époque. Aussi Pline le Jeune fait-il appel aux procédés littéraires : c’est par la métaphore du pin, avec tronc et branches, qu’il décrit le panache de fumée.

2 – la perspective géologique

Si la description de l’éruption est donc parfois imprécise, elle a cependant suffisamment marqué des générations d’érudits et de scientifiques pour que les éruptions explosives semblables à celle du Vésuve en 79 soient désormais nommées « pliniennes » en mémoire de leur premier descripteur. Et en effet la lettre de Pline peut permettre d’identifier les différents phénomènes géologiques à l’œuvre, et les phases successives de cette éruption. Si l’on ajoute à cela les données géologiques et volcanologiques issues des fouilles de Pompéi et d’Herculanum, comme la stratigraphie éruptive, qui permet de connaître la succession des phases de l’éruption et les épaisseurs relatives de cendres, de lapilli et de coulées de boues, on peut reconstituer le déroulement de l’éruption du Vésuve.

Le Vésuve fait partie de l’arc volcanique campanien qui résulte de la collision entre les plaques africaine et eurasienne. Cette collision crée des efforts et des frottements qui chauffent la roche, ce qui provoque des remontées de magma dans la croûte terrestre et explique l’existence de volcans à sa surface. C’est la répétition de coulées de laves et de dépôts de cendres qui a peu à peu formé le Vésuve, au nord-ouest de la baie de Naples. Jusqu’en 79 après J.-C., contrairement à ce que le peintre P.-H. de Valencienne a représenté (Fig. 1), ce volcan avait l’apparence grand cône régulier, comme le laisse penser la morphologie actuelle de son flanc nord (le cône que l’on peut voir aujourd’hui, et qui a inspiré les peintres, est le résultat de l’éruption de 79)[3]. Ce grand cône était brûlé dans sa partie sommitale, couvert de vignes à son pied et boisé sur ses flancs. Cette apparence nous est connue par des sources à la fois littéraires et archéologiques. En effet, dans le laraire de la Maison du Centenaire, à Pompéi, a été découverte une fresque représentant une montagne conique, couverte de végétation et de treillis de vignes que l’on suppose être le Vésuve (Fig. 2). Cette image, comme l’explique A. Barbet (« Le Vésuve selon Strabon et selon les peintres romains » p. 14), est confirmée par le témoignage de Strabon[4]. Or c’est bien cette montagne cultivée et habitée, en sommeil depuis longtemps, qui se réveille en 79.

La date de l’éruption continue à faire débat. Si l’on retient traditionnellement, en se fondant sur la lettre de Pline, celle du 24 août 79, des données archéologiques indiqueraient plutôt une date postérieure. En effet un graffiti dans la Maison au Jardin mentionne le seizième jour avant les calendes de novembre (donc le 17 octobre)[5]. En outre des fruits d’automne, des vêtements chauds et un denier d’argent de Titus issu de la Maison du Bracelet d’or qui pourrait avoir été émis après le 8 septembre 79 ont été retrouvés[6]. Cependant, des recherches récentes réfutent ce dernier argument en affirmant qu’aucun des titres impériaux inscrits sur le denier ne prouve que celui-ci serait nécessairement postérieur au 24 août 79[7]. Ainsi la date de l’éruption demeure incertaine.

Mais quelle que soit sa date précise, le premier jour d’éruption qu’évoque Pline le Jeune est marqué, dans la matinée, par des tremblements de terre. Des séismes avaient déjà eu lieu plusieurs années auparavant aux alentours du Vésuve, comme en témoignent non seulement les textes de Sénèque et de Tacite, mais également les vestiges archéologiques (H. Dessales, « Tremblements de terre et réparations à Pompéi », p. 15-16), sans pour autant que ces séismes soient nécessairement de nature volcanique. En ce qui concerne les secousses de 79, elles sont en revanche très vraisemblablement dues à la remontée du magma depuis la chambre magmatique située dans les profondeurs du volcan, à peut-être 7-8 km sous la surface du sol. À faible profondeur dans la croûte, le magma chaud peut vaporiser l’eau présente dans les pores des roches et provoquer des phénomènes explosifs : des éruptions phréato-magmatiques[8], dont le bruit et les tremblements et les rejets de cendre ont pu, en 79, motiver l’appel à l’aide adressé à Pline l’Ancien. C’est plus tard que l’éruption entre dans sa phase la plus intense : vers 13h, un panache immense, haut de 27 à 30 km est observé depuis Misène (Fig. 3). Il remplit littéralement le ciel. Durant toute la soirée et la nuit suivante, il déverse vers le sud-est une pluie de particules volcaniques de tailles variées (Fig. 4) : des cendres (« cinis » l. 14) des lapillis et des blocs de roche (« fracti lapides » l. 17), notamment de pierre ponce (« pumices » l. 16). Au cours de l’éruption, la composition du magma change, les rejets volcaniques deviennent plus denses, et passent du blanc au gris. Puis, à six reprises d’après Pline le Jeune, la colonne s’effondre sur elle-même sous l’effet de son propre poids. Des nuées ardentes, c’est-à-dire un mélange dense et brûlant de fragments de roches, de cendres et de gaz atteignant des vitesses très élevées, déferlent du volcan et atteignent la mer. Ce sont ces nuées et leurs dépôts qui empêchent Pline l’Ancien, en plus du brusque retrait des eaux, d’accoster. Le lendemain vers 8h, des pluies réintroduisent l’eau dans le volcan. Un nouveau panache se forme alors, le plus dévastateur. Il déverse des coulées pyroclastiques dans toute la baie[9]. Le cratère du volcan s’effondre. C’est à ce moment paroxystique que Pline l’Ancien tente de fuir, et c’est à ce moment qu’il trouve la mort sur la plage de Stabies.

Ainsi la lettre 16 correspond bien au déroulé de l’épisode explosif reconstitué par les géologues grâce à la stratigraphie éruptive, ce qu’explique bien J. Carlut ci-après (« Le déroulement de l’éruption du Vésuve à Pompéi d’après la stratigraphie des dépôts volcaniques » p. 17-18). Mais Pline en fait un texte littéraire, et ne recherche donc pas une exactitude absolue, d’où la nécessité pour le traducteur d’éviter l’anachronisme qui consisterait à traduire les termes de Pline par des notions scientifiques modernes. Mais conjuguer les données littéraires fournies par Pline et les données géologiques peut permettre de mieux comprendre à la fois le volcanisme passé du Vésuve mais aussi la mort, encore débattue, de Pline l’Ancien.

 

Fig.2 : Fresque du laraire de la Maison du Centenaire à Pompéi, Cliché : A. Barbet

Fig. 3 : Schéma d’une éruption plinienne, © Wikimedia Commons, Sémhur, CC-BY-SA-3.0

 Fig. 4 : Carte du Vésuve et de sa région et portée du nuage de cendres et de déchets volcaniques, © Wikimedia Commons, MapMaster, CC-BY-SA-3.0

III – LA MORT DE PLINE : APPORTS ET ERREMENTS DE LA MÉDECINE ET DE L’ARCHÉOLOGIE

1 – médecine : les impasses de la version de Pline le Jeune

L’éruption du Vésuve en 79 a fait de nombreuses victimes, ensevelies sous les décombres des maisons, brûlées par les nuées ardentes ou rattrapées par les coulées de boues volcaniques. On connaît bien les moulages des corps des victimes pompéiennes à leurs derniers instants, réalisés à partir de 1863 sur une décision de G. Fiorelli, directeur des fouilles de Pompéi. Mais les causes et les circonstances de la mort de Pline l’Ancien ont suscité de nombreux débats.

Dès l’Antiquité, le récit de la mort de Pline l’Ancien ne faisait pas l’unanimité. C’est d’ailleurs peut-être pour faire obstacle aux autres versions qui circulaient que Pline le Jeune a répondu avec tant d’empressement à la demande de Tacite. Suétone, en effet, dans sa Vie de Pline l’Ancien, suggère que Pline aurait pu être tué par son esclave, à qui il aurait demandé de hâter sa fin. Cette mort, par suicide assisté, serait bien différente de celle que Pline le Jeune a voulu faire passer à la postérité : une mort stoïque, sans plainte ni désespoir (Pline s’allonge et ne demande qu’un peu d’eau), la mort simple d’un homme conscient de sa faiblesse face aux éléments déchaînés. C’est l’image d’un corps intact – « integrum » et « illaesum » l. 36 - donc non blessé par un esclave, que veut transmettre Pline le Jeune.

Mais les débats se poursuivent encore aujourd’hui, quoique dans une perspective plus médicale. Pline le Jeune écrit en effet que son oncle est mort par une suffocation liée aux émanations volcaniques[10] : sa respiration est obstruée (« spiritu obstructo » l. 31), et son ventre est serré (« clausoque stomacho » l. 32). Les termes précis et presque médicaux du récit ont permis de former des hypothèses quant à la mort de Pline l’Ancien. Des travaux sur l’éventuel caractère létal des gaz volcaniques, et les limites de cette hypothèse ont d’ailleurs été réalisées comme en témoigne l’étude de L. Terray (« Quelques résultats scientifiques sur les gaz de l’éruption du Vésuve de 79 ap. J-C et la mortalité associée d’après la littérature volcanologique » p. 19-22). Mais même en supposant que des gaz volcaniques atteignant la baie de Stabies aient pu être mortels, la proposition de Pline le Jeune reste peu satisfaisante, car si des gaz brûlants ou toxiques avaient seuls tués Pline, les esclaves qui l’accompagnaient auraient aussi été touchés, ce qui ne semble pas être le cas. Pourtant, le vent, à ce moment, provenait bien du volcan, au nord-ouest, puisque d’après la lettre VI, 20, l’île de Capri était dissimulée par des nuages de cendres[11]. En outre, Pline mentionne bien une « odeur de soufre ». Ainsi des gaz provenant de l’éruption, comme du gaz carbonique ou du dioxyde de soufre ont pu atteindre Pline l’Ancien. Ou bien une importante quantité de particules volcaniques fines (inférieures à cent microns) a pu s’introduire dans les poumons de Pline l’Ancien et bloquer sa respiration[12]. Mais étant donné que les esclaves ont survécu, il est possible aussi que la mort de Pline l’Ancien, âgé de 56 ans, soit survenue en raison d’une maladie dont il souffrait déjà : de l’asthme ou de quelque maladie du cœur.

En effet, l’hypothèse de l’arrêt cardiaque est plausible, compte tenu de la corpulence de Pline l’Ancien, ainsi que des maux d’estomac et des difficultés respiratoires auxquelles on sait qu’il était sujet. Le jour et la nuit précédents avaient été très éprouvants, provoquant probablement une anxiété et une fatigue inhabituelles. Les lourdes responsabilités, le spectacle terrifiant et l’effort ont peut-être eu raison du cœur de Pline[13]. Mais cela reste difficile à établir, surtout si les seules sources disponibles sont textuelles et qu’aucun corps ne peut être analysé.

2 – les « scoops » archéologiques

À plusieurs reprises des révélations sensationnelles ont annoncé la découverte du corps de Pline l’Ancien. Mais ces « scoops » doivent être considérés avec prudence, car ils ne sont pas toujours scientifiquement fondés. Les articles qui rapportent ces découvertes sont de ceux qui recourent au mystérieux et à l'insolite pour attirer l’attention du lecteur. Bien souvent toutefois, les résultats annoncés ne relèvent que du probable. Ainsi en 1901 G. Matrone a trouvé près de Stabies, à l’embouchure du fleuve Sarno, un squelette de vieil homme accompagné d’une épée à garde d’ivoire, et de nombreux bijoux en or. Immédiatement, le nom de Pline l’Ancien a été proposé. Mais les honneurs militaires et l’âge ne peuvent suffire pour assurer l’identité du squelette. En 2020, le crâne a fait l’objet d’études archéométriques. Des analyses ont été réalisées sur les isotopes du Strontium contenus dans l’émail des dents, ce qui permet de déterminer l’origine géographique de l’individu[14]. Or il semblerait que l’homme à qui appartenait le crâne était originaire des Apennins centraux ou de la plaine du Pô, ce qui serait cohérent avec la naissance de Pline l’Ancien à Côme. Mais les analyses génétiques, elles, ont démontré que si le crâne appartenait à un individu d’une cinquantaine d’année, la mâchoire était celle d’un homme de trente ans. Cela manifeste bien que, trop souvent, on cherche à identifier un corps, à faire correspondre la réalité à notre imaginaire, sans attendre que l’hypothèse soit validée par l’étude. Un autre exemple confirme le regard critique qu’il est nécessaire de porter sur les découvertes sensationnelles : en 1927, une tombe a été découverte à Bacoli, près du cap Misène, et a été identifiée comme la tombe de Pline l’Ancien en raison des décoration militaires. Mais s’il s’agit en effet probablement d’un officier de haut rang de la flotte romaine, rien ne prouve qu’il s’agisse plus particulièrement de Pline l’Ancien. Peut-être donc la question n’est-elle pas de savoir comment retrouver et identifier le corps de Pline l’Ancien, mais de savoir si l’on doit chercher à tout prix dans les vestiges matériels de l’archéologie une confirmation du récit de Pline le Jeune.

Si la lettre de Pline le Jeune à Tacite est ainsi devenue un monument culturel, c’est parce qu’elle intéresse autant les historiens, les commentateurs littéraires, les archéologues que les volcanologues. Pline lui-même écrit un texte qui est tout à la fois l’éloge d’un grand homme, un morceau de bravoure littéraire dans la mise en scène spectaculaire de la mort de son oncle, un témoignage historique sur les évènements de 79 et une description presque scientifique de l’éruption du Vésuve. C’est pourquoi l’étude de cette lettre doit croiser les disciplines, en faisant appel à la médecine, l’archéologie, la géologie autant qu’à l’histoire et à la littérature. Mais ce que nous apprennent avant tout ces analyses, c’est que si la lettre de Pline est un témoignage d’une rare richesse, il est nécessaire cependant de prendre conscience des biais dans son récit : la description de l’éruption est subordonnée à l’effet littéraire que doit produire sur le lecteur un spectacle si grandiose et le portrait de Pline l’Ancien privilégie certains traits pour transmettre à la postérité une image exemplaire. C’est pourquoi il s’agit de ne pas rechercher dans la réalité – géologique ou archéologique - des preuves qui valideraient le récit de Pline, ce qui le plus souvent est impossible. Peut-être ne retrouverons-nous en effet jamais le corps de Pline l’Ancien. Mais son souvenir réside plus dans la lettre qu’a écrite son neveu que dans les vestiges archéologiques.

 

BIBLIOGRAPHIE

Textes antiques

Pline l’Ancien, Historia Naturalis, texte établi et commenté par E. Littré, 1877

Pline le Jeune, Epistulae, texte établi par A.-M. Guillemin, Paris, Les Belles Lettres, 1955

Sénèque, Questions Naturelles, texte établi et traduit par P. Oltramare, Paris, CUF, 1961

Strabon, Géographie, texte établi et traduit par A. Tardieu, Paris, 1867

Suétone, De Viris Illustribus, texte établi par M. Baudemont, Paris 1845

Tacite, Annales, texte établi et traduit par P. Willeumier, Paris, 1978

Ouvrages et articles scientifiques

Beck-Saiello E. & Bertrand D. (2013). Le Vésuve en éruption : savoirs, représentations, pratiques (actes du colloque, Naples, 19-21 décembre 2007). Clermont-Ferrand, Presses universitaires Blaise Pascal, 17-28.

Bigelow J. (1859). "On the Death of Pliny the Elder". Memoirs of the American Academy of Arts and Sciences. 6 (2) 223–7. 

Foss P. W. (2022). Pliny and the Eruption of Vesuvius. Routledge.

Guadagno G. (1993). « Il viaggio di Plinio il Vecchio verso la morte » (Plin., Ep., VI, 16). Rivista di Studi Pompeiani, 6, 63-76.

Naas V. (2002). Le projet encyclopédique de Pline l'Ancien (Collection de l'École française de Rome, 303, Paris, De Boccard. 

Osanna M. (2020). Les nouvelles heures de Pompéi, Flammarion.

Retief F. P. & Cilliers, L. (2006). “The eruption of Vesuvius in AD 79 and the death of Gaius Plinius Secundus”. Acta Theologica, 26 (2), 107-114.

Roberts P. (2013). “Life and Death in Pompei and Herculaneum”, The British Museum Press, Londres, 278-279.

Scandone R., Giacomelli L. & Gasparini P. (1993). « Mount Vesuvius: 2000 years of volcanological observations”, Journal of Volcanology and Geothermal Research, 58, 5-25.

Stefani G. (2006). « La vera data dell’eruzione », Archeo n°10 (260) 10-13.

WEBOGRAPHIE

Kaminski E., Jaupart C. (21 mai 2001). « L'éruption du Vésuve en 79 après J.C. », Planet Terre : https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/vesuve-eruption-79.xml  (consulté le 26 mai 2023)

La Provincia di Sondrio (24 janvier 2020) :

https://www.laprovinciadisondrio.it/stories/Cronaca/il-cranio-misterioso-e-di-plinio-il-vecchio-ci-sono-le-prove-dopo-due-anni-di-s_1337847_11/  (consulté le 21 mai 2023)

Scienze Notizie (14 mai 2021) : https://www.scienzenotizie.it/2021/05/14/ercolano-scoperta-lidentita-di-un-corpo-sepolto-durante-leruzione-e-un-ufficiale-di-plinio-il-vecchio-0245632  (consulté le 21 mai 2023)

Il Mattino (1er décembre 2020) :

https://www.ilmattino.it/napoli/cultura/plinio_il_vecchio_tomba_a_bacoli_ultime_notize_oggi-5619006.html  (consulté le 21 mai 2023)


LE VÉSUVE SELON STRABON ET SELON LES PEINTRES ROMAINS

Alix Barbet[15]

Dans son livre sur la géographie, Strabon décrit longuement la Campanie, et n’oublie pas la montagne qui domine la baie de Naples.

La Géographie de Strabon, V, 4, 8

ὑπέρκειται δὲ τῶν τόπων τούτων ὄρος τὸ ᾿Ουέσουιον, ἀγροῖς περιοικούμενον παγκάλοις πλὴν τῆς κορυφῆς· αὕτη δ' ἐπίπεδος μὲν πολὺ μέρος ἐστίν, ἄκαρπος δ' ὅλη, ἐκ δὲ τῆς ὄψεως τεφρώδης, καὶ κοιλάδας φαίνει σηραγγώδεις πετρῶν αἰθαλωδῶν κατὰ τὴν χρόαν, ὡς ἂν ἐκβεβρωμένων ὑπὸ πυρός, ὡς τεκμαίροιτ' ἄν τις τὸ χωρίον τοῦτο καίεσθαι πρότερον καὶ ἔχειν κρατῆρας πυρός, σβεσθῆναι δ' ἐπιλιπούσης τῆς ὕλης.

« Les villes que nous venons de nommer sont toutes situées au pied du Vésuve, montagne élevée, dont toute la superficie, à l'exception du sommet, est couverte des plus riches cultures. Quant au sommet, qui offre en général une surface plane et unie, il est partout également stérile ; le sol y a l'aspect de la cendre et laisse voir par endroits la roche même, percée, criblée de mille trous, toute noircie, qui plus est, et comme rongée par le feu, ce qui porte à croire naturellement que la montagne est un ancien volcan, dont les feux, après avoir fait éruption par ces ouvertures comme par autant de cratères, se seront éteints faute d'aliment » (Traduction A. Tardieu 1867)

Si l’on compare maintenant la description que nous donne Strabon du Vésuve et celui qui a été peint sur un laraire de Pompéi (Fig. 2), nous pouvons apprécier la fiabilité de l’un et de l’autre.

Le laraire de la maison du Centenaire à Pompéi (IX, 8, 3-6).

            Ce laraire, situé, dans le petit atrium de service de cette grande maison, montre parfaitement ce que décrit Strabon du Vésuve, c’est la première illustration du volcan, sur une fresque d’un édifice religieux domestique.

On y voit une montagne pointue, couverte de végétation : au bas des pentes, les vignes hautes tenues par des perches, comme on en voit encore à l’heure actuelle. A côté, le dieu Bacchus est couronné, il tient un thyrse, orné de feuilles de lierre, consacré par une bandelette nouée. Il donne à une panthère quelques gouttes de vin tombé de son canthare, et il est entièrement couvert d’une grappe de raisin noir, dont il est le symbole vivant de la vigne. Ce dieu tutélaire est donc gage de prospérité. L’image est unique, et traduit de façon imagée que la maisonnée est mise sous la protection conjointe du dieu et du Vésuve, source de richesse et d’abondance et le message est parfaitement clair, qui traduit les préoccupations des habitants des lieux.

La silhouette du volcan est bien différente de sa forme actuelle, très évasée au sommet. Celui-ci, au contraire, montre un cône, avec un bouchon de laves durcies, produit par une précédente éruption, et sans végétation au sommet, comme le remarque Strabon qui note les cendres, la roche même, comme rongée par le feu. En revanche, les riches cultures mentionnées par lui tout autour sont bien évoquées à gauche par le fresquiste, avec un côté aride, quasiment noir à droite, qui doit représenter la roche toute noircie qui est signalée par Strabon.

Le laraire est décoré, en partie inférieure, par le serpent Agathodaimon, qui s’approche d’un autel garni d’un œuf, c’est le génie protecteur de la maison auquel on faisait des offrandes quotidiennes. Enfin, tout en haut, une guirlande en feston est déployée, sur laquelle un oiseau est perché.

Rappelons que, d’après les récentes campagnes de fouilles, l’éruption antérieure à celle de 79 avait eu lieu au VIIIe siècle av. J.-C. et qu’apparemment les habitants de Pompéi ne s’en souvenaient pas. En revanche, les tremblements de terre étaient fréquents, et dans sa deuxième lettre à Tacite, où Pline le Jeune raconte ses épreuves et celles de sa mère, alors qu’ils étaient restés au cap Misène, ils sont clairement cités :

« Pendant plusieurs jours on avait eu comme préliminaire des secousses de tremblement de terre moins effrayantes parce que habituelles en Campanie, mais cette nuit-là elles prirent une telle force que tout semblait non plus trembler mais se retourner » (VI,20,3).

Peut-on penser que le propriétaire de la maison du Centenaire, en faisant réaliser cette fresque, cherchait à mettre sous la protection de Dionysos, son propre vignoble, des caprices de la nature et de l’imposant volcan ?

 

TREMBLEMENTS DE TERRE ET RÉPARATIONS À POMPÉI

Hélène Dessales[16]

Avant d’être définitivement ensevelie sous les cendres, Pompéi a été ravagée par plusieurs tremblements de terre. Cette image d’une ville de décombres, encore en travaux au moment de l’éruption du Vésuve en 79 ap. J.-C., nous est peut-être moins familière. Une première secousse tellurique est bien connue par les sources littéraires, grâce aux témoignages concordants de Sénèque et de Tacite, qui présentent Pompéi comme la plus touchée parmi les cités de Campanie, la catastrophe ayant eu lieu au mois de février. Seule la datation de l’événement diverge entre les deux auteurs : Sénèque se réfère à l’année 63 et Tacite à l’année précédente. Une analyse récente d’Eduardo Savino[17], fondée sur la logique interne de chacun des textes, met en évidence les incohérences propres au récit de Tacite et propose de retenir plutôt la date avancée par Sénèque. Ce dernier rapporte ainsi l’événement :

« Pompéi, ville mondaine de Campanie est le point de rencontre de deux rivages, d’un côté celui de Sorrente et de Stabies, de l’autre celui d’Herculanum. Ils enferment un beau golfe qu’ils séparent de la mer ouverte. À ce que nous avons appris, Lucilius, homme excellent entre tous, cette localité a été bouleversée en plein hiver par un tremblement de terre et toute la contrée avoisinante a été maltraitée par le même fléau. On assurait autrefois que cette saison était garantie contre tout danger de ce genre. Or c’est le 5 février, sous le consulat de Regulus et de Verginius que fut frappée la Campanie, une région qui a de tout temps connu de semblables alertes, mais qui demeurée sans dommage, en avait été quitte pour la peur. Cette fois, le désastre a été considérable. Une partie de la ville d’Herculanum s’est aussi écroulée et ce qui a été épargné inspire des craintes. La colonie de Nucérie, sans avoir été gravement atteinte, a cependant lieu de se plaindre. L’affreux fléau a légèrement touché Naples, où des particuliers ont subi des pertes, mais non la cité. Des villae se sont effondrées ; d’autres, un peu partout, ont senti la secousse sans en souffrir. » [18]

Tacite est plus concis et mentionne le tremblement de terre parmi une série de plusieurs désastres survenus lors du règne de Néron : et motu terrae celebre Campaniae oppidum Pompei magna ex parte proruit, « un tremblement de terre renversa en grande partie une ville populeuse de Campanie, Pompéi. »[19] Cette singularité dans l’histoire de Pompéi a peu attiré l’attention des chercheurs, seul Amedeo Maiuri, alors directeur des fouilles, ayant affronté la question de « l’ultima fase edilizia » de Pompéi, c’est-à-dire la dernière phase de construction, mais aussi de reconstruction de Pompéi, dans un livre fondateur paru en 1942[20]. Depuis les années 1990, différentes études archéologiques ont mis en évidence l’impact d’au moins une autre secousse d’importance entre 63 et 79, perceptible à travers la stratigraphie des réfections engagées sur les édifices.

Comment la ville a-t-elle été reconstruite après de tels épisodes ? Avec quelles stratégies et quelles techniques ? Un programme de recherche mené de 2015 à 2019, objet d’une publication récente[21], a exploré cette culture de la reconstruction face au risque sismique. Archéologie du bâti, ingénierie des structures, sciences de la terre, bases de données et cartographie ont été pour cela conjugués. L’étude s’est focalisée sur dix îlots de la Regio VII, qui constituent un ensemble représentatif du tissu urbain (environ 3,6 ha, soit 10 % de la superficie urbaine fouillée). Dans les divers bâtiments, près de 270 réparations post-sismiques ont été identifiées, allant des bouchages de fissures aux reconstructions totales des élévations (Fig. 5). La quantification et la distribution spatiale de ces nombreuses interventions révèlent les modalités de reconstruction en fonction des diverses catégories d’édifices. Elles conduisent aussi à une évaluation des dommages, avec un niveau de destruction de l’ordre de 20 %, ainsi que de l’intensité macrosismique au degré IX MCS. Comparable par son intensité, le tremblement de terre d’Amatrice en 2016 nous permet d’imaginer l’ampleur des dégâts sur les infrastructures urbaines. Fortement endommagée, Pompéi était une ville encore en travaux dans ses dernières années de vie. Elle devait connaître un dernier tremblement de terre, celui qui accompagna l’éruption du Vésuve en 79 ap. J.-C. et interrompit définitivement les chantiers en cours.

 

 

Fig. 5 : Pompéi, Regio VII les réfections post-sismiques (en rouge) et constructions associées (en orange) Données projet RECAP, cartographie Julien Cavero (CNRS, MOM)

 

LE DÉROULEMENT DE L’ÉRUPTION DU VÉSUVE À POMPÉI D’APRÈS LA STRATIGRAPHIE DES DÉPÔTS VOLCANIQUES

Julie Carlut[22]

Comme évoqué par dans une parution datant de 2021[23], l'éruption du Vésuve en l'an 79 de notre ère demeure vraisemblablement l'éruption volcanique la plus étudiée de l'histoire de la volcanologie. Le déroulement de l'éruption et la destruction de la cité de Pompéi sont très bien décrits dans de nombreux documents, dont certains sont librement accessibles sans nécessité d'abonnement académique[24]. Des films, qu'ils soient des reconstructions scientifiques ou des documentaires, sont également disponibles[25]. Enfin, pour une exploration plus approfondie, il est possible de recommander, de manière non exhaustive, les publications en langue anglaise de Sigurdsson et al. (1985), Cioni et al. (1992), Gurioli et al. (2002) et Doronzo et al. (2022).

Dans ce contexte, nous nous limiterons à une synthèse succincte, en nous appuyant sur la stratigraphie exposée dans la récente publication de Doronzo et al. (2022). Nous esquissons la séquence heure par heure de l'éruption, telle que vécue par les résidents de Pompéi, en mettant l'accent sur la question cruciale de la survie, étroitement liée aux enjeux contemporains des schémas d'évacuation et de préservation lors d'éruptions explosives.

Au début de l’automne 79, la cité de Pompéi fut ensevelie sous une strate de 6 à 7 mètres de dépôts volcaniques. Mais, était-ce vraiment au début de l’automne ? La date du 24 août 79 proposée antérieurement provient d'une traduction médiévale de la première lettre de Pline. Cette traduction a été largement remise en question sur la base d’arguments archéologiques comme exposé dans le texte ci-dessus (inscription éphémère se rapportant au 17 octobre, la découverte de fruits d’automne dans des récipients, habillement chaud des victimes, etc.). Une discordance avec une date estivale se manifeste également dans la distribution géographique des dépôts, qui atteste de directions de vents caractéristiques de l'automne.

Chacun de ces arguments, examiné individuellement, peut être contesté (par exemple, le graffiti du 17 octobre aurait pu être réalisé en 78 et non en 79…), mais on est typiquement dans le cas d’un faisceau de présomptions. C’est l’ensemble des éléments qui fait pencher la raison scientifique vers une date automnale et possiblement le 24 octobre (mais tous les auteurs ne sont pas d’accord). Au-delà de son aspect anecdotique, cette problématique soulève les limites de la transmission d’un texte depuis l'Antiquité.

Le déroulé de l’éruption décrit ici repose essentiellement sur l’analyse des dépôts, classés en 8 morphotypes (EU1 à EU8) correspondant chacun à un épisode distinct. Ils témoignent, de manière détaillée, de la dynamique éruptive et permettent une description minutieuse du déroulement de l'éruption :

24 octobre 79, midi : après une série de tremblements de terre, une fine colonne de cendres sort du sommet du Vésuve. Cet événement, correspondant au premier dépôt EU1, n’est pas visible à Pompéi. Il pourrait avoir déclenché le premier appel à l'aide adressé à Pline l'Ancien.

13 h : L’éruption se déclenche dans un bruit assourdissant, une imposante colonne éruptive de 30 kilomètres de hauteur apparaît. Pompéi commence à subir des retombées de pierres, de lapillis et de cendres comme l’atteste la présence des dépôts EU2. Bon nombre d’habitants fuient sous les projectiles.

15 h : les dépôts s’accumulent et entraînent la rupture des toitures. Durant cette phase, des centaines d’habitants sont ensevelis sous les décombres (Luongo et al., 2003).

20 h : la hauteur des dépôts dépasse le mètre, il devient difficile de se déplacer, ouvrir des portes et s’échapper.

25 octobre 79, 7 h : les dépôts sont tombés toute la nuit, ils atteignent maintenant presque 3 mètres, évoluer dans la zone est quasi impossible. Le panache devient instable et s'effondre, engendrant une nuée ardente qui dévale les pentes du volcan.

8 h : Nouvelle colonne éruptive correspondant à la phase explosive principale. Elle s’effondre très rapidement, engendrant le nuage pyroclastique le plus dévastateur de l'éruption (unité EU4). Le dépôt matérialise une succession de courants de cendres qui pénètrent dans les maisons par les ouvertures et les toits effondrés, 650 corps seront retrouvés dans ce niveau (Luongo et al., 2003). Les modélisations, notamment celles de Dellino et al. (2021), ont permis de mieux comprendre l’impact de cette phase sur les individus qui avaient réussi à se protéger dans les décombres des maisons. En effet, les corps sont intacts, exempts de toute marque de traumatisme et les vêtements sont préservés, indiquant une température inférieure à la décomposition des textiles (vers 130 °C pour la soie, par exemple). Était-il alors possible de survivre à cet épisode ?

Les modèles de nuées indiquent que, malgré une puissance et une température qui auraient pu permettre la survie, celle-ci a été rendue impossible en raison de la densité des fines cendres dans l'atmosphère, rendant les poumons inefficace et l’asphyxie inéluctable sur la durée d'écoulement qui est estimée à plus de 15 minutes. Il apparaît que dans le cas de sites situés à distance de l’éruption, c’est la durée de l’exposition aux nuées de cendres qui est le paramètre déterminant de la mortalité. C’est sans doute ces quelques minutes d'exposition à un air saturé de cendres en mouvement qui ont tuées Pline l’ancien.

Vers midi : l'éruption atteint son terme avec le dépôt EU8, il ne reste rien de la ville de Pompéi.

Pour aller plus loin…

Cioni R., Marianelli P., Sbrana A. (1992). Dynamics of the A.D. 79 eruption: stratigraphic, sedimentological and geochemical data on the successions from the Somma-Vesuvius southern and eastern sectors. Acta Vulcanol. 2, 109–123.

Dellino P., Dioguardi F., Isaia R., Sulpizio R., & Mele D. (2021). The impact of pyroclastic density currents duration on humans: The case of the AD 79 eruption of Vesuvius. Scientific Reports, 11(1), 4959.

Doronzo D. M., Di Vito M. A., Arienzo I., Bini M., Calusi B., Cerminara M. & Zanchetta G. (2022). The 79 CE eruption of Vesuvius: A lesson from the past and the need of a multidisciplinary approach for developments in volcanology. Earth-Science Reviews, 231, 104072.

Giacomelli, L., Scandone R., Rosi M. (2021). The loss of geological memory of past catastrophes: the case of Pompeii. Ann. Geophys. 64, V0547.

Gurioli L., Cioni R., Sbrana A. & Zanella E. (2002). Transport and deposition of pyroclastic density currents over an inhabited area: the deposits of the AD 79 eruption of Vesuvius at Herculaneum, Italy. Sedimentology, 49(5), 929-953.

Luongo G., Perrotta A., Scarpati C., De Carolis E., Patricelli G., Ciarallo A. (2003). Impact of the AD 79 explosiv eruption on Pompeii, II. Causes of death of the inhabitants inferred by stratigraphic analysis and areal distribution of the human casualties. J. Volcanol. Geotherm. Res. 126, 169–200.

Sigurdsson H., Carey S., Cornell W., Pescatore T. (1985). The eruption of Vesuvius in a.

D. 79, Natl. Geogr. Res. 3, 332–397.

 

QUELQUES RESULTATS SCIENTIFIQUES SUR LES GAZ DE L’ÉRUPTION DU VESUVE DE 79 AP. J-C ET LA MORTALITE ASSOCIEE D’APRES LA LITTERATURE VOLCANOLOGIQUE

Luca Terray[26]

Les gaz sont des acteurs de premier plan des éruptions volcaniques. Initialement dissous dans le magma, ils ne commencent à jouer leur rôle que lorsque celui-ci se rapproche de la surface et que des bulles de gaz commencent à apparaître. Dans le cas du Vésuve en 79, c’est la formation et l’expansion progressive de ces bulles de gaz au cours de l’ascension d’un magma très visqueux qui confère à l’éruption son caractère très explosif. En effet l’expansion des bulles, qui ne peuvent pas s’échapper du magma du fait de sa viscosité importante, conduit tôt ou tard à la fragmentation explosive du magma sous l’effet de la pression interne exercée par les gaz (Wilson et al., 1980). Ceci génère alors un jet de gaz et de magma qui s’élève jusqu’à plusieurs dizaines de km d’altitude avant d’être dispersé horizontalement par le vent, occasionnant des retombées de cendres et de ponces (roches poreuses issue du refroidissement rapide d’un magma très riche en gaz dans l’atmosphère). On parle alors d’éruption plinienne et de colonne éruptive plinienne, en référence à la description pionnière de ce phénomène par Pline le Jeune.

Mais comment obtenir une information sur les gaz libérés par l’éruption de 79, puisque ceux-ci ont été libérés et définitivement perdus dans l’atmosphère et qu’il n’y avait à l’époque personne pour les mesurer ? La volcanologie contemporaine est capable de répondre à cette question grâce aux inclusions vitreuses. Ces inclusions sont de microscopiques gouttes de magma qui se sont logées au sein de cristaux lors de leur formation dans la chambre magmatique et qui sont ensuite parvenues à la surface lors de l’éruption, tout en restant chimiquement isolées et préservées du monde extérieur par la gangue cristalline qui les entoure. Ainsi, l’analyse des inclusions vitreuses retrouvées dans les produits de l’éruption du Vésuve de 79 a permis de reconstituer la composition du magma à différentes profondeurs sous le volcan, y compris lorsque les gaz étaient complètement dissous dans le magma et ne formaient pas encore de bulles. Il ressort de ces travaux que le gaz prépondérant relâché par le Vésuve en 79 est l’eau (H2O) et qu’il représentait environ 5 % à 6 % de la masse totale du magma impliqué dans l’éruption (Cioni et al., 2000, Balcone-Boissard et al., 2011). D’importantes quantités de chlore (Cl) ont été également retrouvées (0,6%), mais très peu de dioxyde de carbone (CO2) et de soufre (S). Alors que l’imaginaire commun réduit souvent par métonymie les gaz volcaniques au soufre, élément certes marquant par les odeurs et les couleurs qui l’accompagnent, il convient de rappeler que c’est l’eau, molécule à la connotation inoffensive et banale, qui constitue souvent la part majoritaire des gaz volcaniques et qui confère à de nombreux magmas (comme ceux du Vésuve en 79) leur explosivité et donc leur dangerosité !

L’intégralité des gaz initialement présents dans le magma n’est pas expulsée lors de l’éruption. Une partie d’entre eux demeure dissoute dans le liquide magmatique et se retrouve figée dans le verre des ponces lors de l’émission du magma dans l’atmosphère. Ces traces sont autant d’empreintes des processus de dégazage à l’œuvre avant et pendant l’éruption et nous aident à mieux comprendre les mécanismes éruptifs. Ainsi, à partir notamment de ces teneurs en eau mesurées dans les ponces de 79, un modèle a été proposé pour expliquer les différentes phases de l’éruption du Vésuve à partir du comportement de l’eau dans le magma (Balcone-Boissard et al., 2011). Sans entrer dans les détails, le contenu initial en eau des différents niveaux de magma impliqués dans l’éruption et la mobilité des bulles de gaz au sein du magma semblent avoir joué un rôle important dans les variations de hauteur de la colonne éruptive plinienne et dans les effondrements réguliers de cette colonne au début de l’éruption.

Enfin, dans le cas de l’éruption de 79, l’eau semble avoir également joué un rôle important dans la dernière phase de l’éruption, au cours de laquelle Pline l’Ancien a probablement trouvé la mort. En effet, alors que l’énergie contenue dans le magma n’était plus suffisante pour soutenir la colonne éruptive du début de l’éruption, l’activité a évolué vers un régime dit phréato-magmatique caractérisé par l’interaction explosive entre le magma et l’eau des nappes phréatiques (Barberi et al., 1989). Bien que moins énergétique que le régime plinien, l’activité phréato-magmatique n’en est pas moins destructrice localement dans la mesure où elle peut donner naissance à des écoulements pyroclastiques : le mélange de vapeur d’eau et de magma pulvérisé n’est pas assez chaud et léger pour s’élever dans l’atmosphère et s’effondre immédiatement générant des avalanches dévastatrices, composées de gaz et de fragments de magma à haute température.

De nombreuses études ont été consacrées à l’étude de l’impact de l’éruption de 79 sur les habitants des villes voisines. Alors que les retombées de ponces (associées la phase plinienne initiale de l’éruption) constituent 80 % du magma total émis (Cioni et al., 1995), leur impact explique seulement 38 % des décès à Pompéi, principalement du fait de l’effondrement des murs et des toits (Luongo et al., 2003). Les écoulements pyroclastiques, générés à plusieurs reprises pendant les phases pliniennes et phréato-magmatiques de l’éruption, expliquent quant à elles la majorité des décès.

Comment ces écoulements pyroclastiques peuvent-ils blesser voire tuer les personnes qu’ils rencontrent sur leur passage ? Trois principales causes, pouvant interagir entre elles, sont souvent invoquées (Baxter et al., 1990) : la chaleur (la température au sein de ces avalanches peut atteindre plusieurs centaines de °C), l’onde de pression associée à l’avalanche (exerçant une force mécanique destructrice sur le bâti et les corps) et les particules de cendre fine (pouvant causer une asphyxie). La toxicité chimique des gaz volcaniques au sein de l’écoulement est rarement évoquée, ce qui s’explique probablement par le fait que les espèces gazeuses nocives (S, Cl) y sont largement diluées (une grande quantité d’air extérieur est généralement entraînée dans l’écoulement).

Dans le cas de l’éruption du Vésuve en 79, il convient de décliner ces causes en fonction de la proximité des zones habitées vis à vis du volcan, et donc de l’intensité des écoulements pyroclastiques lorsqu’ils ont atteint les victimes. En effet, au fur et à mesure de son parcours l’écoulement refroidit, perd de sa force et voit sa concentration en cendres diminuer. A Herculanum, située à seulement 7 km du Vésuve, plusieurs études ont montré que la température de l’écoulement était très élevée (>180°C et jusqu’à 440°C ; Cioni et al., 2004, Giordano et al., 2018) et l’onde de pression suffisamment forte pour renverser des murs (Dellino et al., 2021). Même si les mécanismes exacts d’interaction entre l’écoulement et les corps semblent très variables à l’échelle du site et sont encore débattus, le décès est probablement intervenu extrêmement rapidement du fait de la violence de l’écoulement (voir Martyn et al., 2020 pour une revue récente).

La situation à Pompéi, située à 10 km du volcan, est différente. La reconstitution des postures des victimes à l’instant de leur mort, à partir du moulage des cavités laissées par la décomposition des corps, montrent des attitudes de protection individuelle, n’indiquent que peu de signes de fractures osseuses, et mettent en évidence la présence de vêtements en bon état ce qui exclue la possibilité de brûlure sévères (Luongo et al., 2003). Ces observations ont récemment été confirmées par des simulations numériques des écoulements pyroclastiques qui ont frappé Pompéi : celles-ci montrent que ni l’onde de pression ni la température n’étaient suffisantes pour causer le décès des habitants (Dellino et al., 2021). Il semble donc que l’asphyxie soit la cause principale des décès dans cette ville. Il est probable qu’une conclusion similaire s’applique au cas de Stabies, où est mort Pline l’Ancien, dans la mesure où cette localité est encore plus éloignée du Vésuve que ne l’est Pompéi.

Dans le cas d’écoulements pyroclastiques froids et dilués survenus récemment, il a été montré que la durée de l’exposition a une influence majeure sur le taux de décès, avec des exemples de survie suite à des expositions de quelques minutes (Baxter et al., 2017). La durée du passage du premier écoulement sur Pompéi a été calculée à 17 minutes (Dellino et al., 2021), ce qui semble exclure toute chance sérieuse de survie, même si des éléments indiquent que toutes les victimes n’ont pas été tuées par le premier écoulement qui s’est abattu sur la ville (Luongo et al., 2003). Quoi qu’il en soit, les sites archéologiques d’Herculanum et Pompéi ont largement contribué à documenter et comprendre les effets des écoulements pyroclastiques sur les personnes, ce qui nous permet aujourd’hui d’être mieux préparés à secourir et soigner les victimes de ce type d’évènement.

Pour aller plus loin…

Balcone-Boissard H., Boudon G. & Villemant B. (2011). Textural and geochemical constraints on eruptive style of the 79 ad eruption at Vesuvius. Bulletin of Volcanology 73, 279–294.

Barberi F. et al. (1989). Magmatic and phreatomagmatic phases in explosive eruptions of Vesuvius as deduced by grain-size and component analysis of the pyroclastic deposits. Journal of Volcanology and Geothermal Research 38, 287–307.

Baxter P. J. (1990). Medical effects of volcanic eruptions. Bulletin of Volcanology 52, 532–544.

Baxter P. J. et al. (2017). Human survival in volcanic eruptions: Thermal injuries in pyroclastic surges, their causes, prognosis and emergency management. Burns 43, 1051–1069.

Baxter P. J. et al. (2017). Human survival in volcanic eruptions: Thermal injuries in pyroclastic surges, their causes, prognosis and emergency management. Burns 43, 1051–1069.

Cioni R., Gurioli L., Lanza R. & Zanella E. (2004). Temperatures of the A.D. 79 pyroclastic density current deposits (Vesuvius, Italy). Journal of Geophysical Research: Solid Earth 109.

Cioni R. (2000). Volatile content and degassing processes in the AD 79 magma chamber at Vesuvius (Italy). Contributions to Mineralogy and Petrology 140, 40–54.

Cioni R. et al. (1995).Compositional Layering and Syn-eruptive Mixing of a Periodically Refilled Shallow Magma Chamber: the AD 79 Plinian Eruption of Vesuvius. Journal of Petrology 36, 739–776.

Dellino P., Dioguardi F., Isaia R., Sulpizio R. & Mele D. (2021). The impact of pyroclastic density currents duration on humans: the case of the AD 79 eruption of Vesuvius. Scientific Reports 11, 4959.

Giordano G. et al. (2018). Thermal interactions of the AD79 Vesuvius pyroclastic density currents and their deposits at Villa dei Papiri (Herculaneum archaeological site, Italy). Earth and Planetary Science Letters 490, 180–192.

Luongo G. et al. (2003). Impact of the AD 79 explosive eruption on Pompeii, II. Causes of death of the inhabitants inferred by stratigraphic analysis and areal distribution of the human casualties. Journal of Volcanology and Geothermal Research 126, 169–200.

Martyn R. et al. (2020). A re-evaluation of manner of death at Roman Herculaneum following the AD 79 eruption of Vesuvius. Antiquity 94, 76–91.

Wilson L., Sparks R. S. J. & Walker G. P. L. (1980). Explosive volcanic eruptions — IV. The control of magma properties and conduit geometry on eruption column behaviour. Geophysical Journal International 63, 117–148.

 

[1] Foss P. W. (2022), p. 144. Les manuscrits sont issus de trois traditions différentes : celle « des dix livres » (comprenant les manuscrits Beluacensis et Florentinus des IXème et XIème siècles), « des neuf livres » (comprenant les codex Mediceus et Vaticanus du IXème siècle) et « des huit livres » (comprenant des manuscrits du XVème siècle). Pour une liste des principaux manuscrits, voir Foss P. W. (2022), Table 2.1 p. 126.

[2] Naas V. (2002), chap. 2, p. 69-94.

[3]Beck-Saiello E. & Bertrand D. (2013) p. 18.

[4] Strabon, Géographie, V, 4-8.

[5] Osanna M. (2020), p. 105, Fig. 360.

[6] Stefani G. (2006), p. 10-13

[7] Roberts P. (2013), p. 278.

[8]Foss P. W. (2022), p. 252.

[9] Foss P. W. (2022), p. 262.

[10]Bigelow J. (1859), p. 223.

[11]Retief F. P. & Cilliers L. (2006), p. 112.

[12] Foss P. W. (2022), p. 342.

[13]Retief F. P. & Cilliers L. (2006), p. 112.

[14] Foss P. W. (2022), p. 308.

[15] Directrice de recherches honoraire au CNRS, AOROC

[16] Maître de conférence en archéologie à l’ENS, AOROC

[17] Savino Nerone E. (2009). Pompei e il terremoto del 63 d.C., in Storchi Marino A., Mérola D. (2009). Interventi imperiali in campo economico e sociale. Bari, 225-244.

[18] Sénèque, Questions Naturelles, VI, 1,1-2, texte établi et traduit par Oltramare P. (1961). Paris, CUF, 247-248.

[19] Tacite, Annales XV, 22, texte établi et traduit par Willeumier P. (1978) Paris, 21.

[20] Maiuri A. (1942). L’ultima fase edilizia di Pompei. Rome.

[21] Dessales H. (dir.). (2022) Ricostruire dopo un terremoto. Riparazioni antiche a Pompei. Naples.

[22] Chercheuse à l’Institut de Physique du Globe de Paris

[23] Giacomelli, L., Scandone R., Rosi M. (2021).

[24] on citera, par exemple : https://planet-terre.ens-lyon.fr/ressource/vesuve-eruption-79.xml

[25] par exemple sur le site National Geographic : https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2020/05/pompei-que-sest-il-passe-le-jour-de-leruption-du-vesuve ou https://www.nationalgeographic.fr/video/histoire/la-stratigraphie-unique-de-pompei-fruit-des-eruptions-du-vesuve

[26] Université Clermont Auvergne, Laboratoire de Physique de Clermont & Laboratoire Magmas et Volcans.

Besoin d'aide ?
sur