Sommaire
I. Les trois horloges astronomiques de Strasbourg [Delphine Viellard-Willy Bodenmüller, Niveau débutant]
II. Le rayonnement de l’horloge astronomique [Delphine Viellard-Niveau intermédiaire]
III. Présentation de la plaquette [Delphine Viellard-Niveau débutant]
IV. Texte latin et sa traduction française / Texte français / Traduction de Fischart [Niveaux débutant et intermédiaire : Agnès Arbo et Delphine Viellard.]
V. Présentation de Nicodemus Frischlin et de son Carmen de astronomico horologio Argentoratensi (Delphine Viellard-niveau débutant)
VI. Présentation du texte latin [Niveau débutant : Delphine Viellard]
VII. Dasypodius : Une description scientifique [Niveau intermédiaire, Delphine Viellard]
VIII. Une description picturale [Niveau intermédiaire, Charles-Henri Eyraud]
IX. Commentaire littéraire [Niveau intermédiaire, Delphine Viellard]
X. Les innovations technologiques de l’horloge
XI. Perspectives
Responsable du projet :
- Delphine Viellard, professeur agrégée de lettres classiques au Lycée Henri Meck de Molsheim
Collaborateurs :
- Agnès Arbo, professeur de latin à l’Université de Strasbourg
- Willy Bodenmüller, journaliste
- Sonia Cadi, professeur certifiée de lettres classiques au Collège Henri Meck de Molsheim et au Collège Bugatti de Molsheim
- Nan-Maël Charrié-Benoist, élève de première générale au Lycée Henri Meck de Molsheim
- Nathan Dumolin, étudiant en sciences historiques, Université de Strasbourg
- Charles-Henri Eyraud, PRAG à l’ENS de Lyon, docteur en histoire des sciences
- Guy Schmidt, horloger à Schirmeck.
À RETROUVER EN VIDÉO
L'exposé donné par
Delphine Viellard (professeur agrégée de lettres classiques au Lycée Henri Meck de Molsheim)
le 06 décembre 2023 à l’ENS
à visionner à l'adresse suivante : Savoirs ENS - L’Horloge de Strasbourg selon Frischlin
I. Les trois horloges astronomiques de Strasbourg [Delphine Viellard - Willy Bodenmüller, Niveau débutant]
De très nombreux touristes viennent voir, à 12h30, dans la Cathédrale de Strasbourg, l’ horloge astronomique avec les mouvements des automates. Celle-ci date du XIXe et est l’œuvre de Jean-Baptiste Schwilgué : de fait, elle est la troisième horloge de la ville.
La première horloge a été construite entre 1352 et 1354. On sait qu’elle était placée dans le transept sud de la cathédrale, en face de l’endroit où est installée l’actuelle horloge. D’une hauteur de douze mètres et d’une base de quatre, elle était appelée l’horloge des trois mages, car les trois mages y défilaient toutes les heures. Elle possédait aussi un astrolabe qui indiquait l’heure et les positions du soleil et de la lune, selon le calendrier. Il ne subsiste de cette dernière que des consoles qui soutenaient les passerelles d’accès aux étages du monument et un coq de près d’un mètre de haut que l’on voit au Musée des Arts décoratifs de Strasbourg. Ce coq, qui battait des ailes et chantait toutes les heures, est même le plus vieil automate conservé au monde. Malheureusement, l’horloge tomba en panne au début du XVIe siècle et on envisagea immédiatement d’en construire une nouvelle. Cette idée s’est concrétisée après l’adoption de la Réforme par la ville, en 1521 et en 1531. Les travaux commencèrent véritablement en 1547. Le maître d’œuvre a été Chrétien Herlin, accompagné de Nicolas Prugner, un réformateur mulhousien, mathématicien, astrologue, qui soutint notamment la révolte des paysans, et de Michel Herr, un médecin strasbourgeois. Bernard Nonnenmacher, architecte de l’œuvre Notre-Dame, était chargé des ouvrages en pierre. Les travaux furent interrompus en 1548, quand la cathédrale redevint catholique. Même si l’édifice fut rendu aux protestants en 1558, il fallut attendre 1571 pour que le chantier reprît. Ce chantier dura trois ans et fut dirigé par Conrad Dasypodius, aidé de David Wolkenstein. Conrad Dasypodius (v. 1530-1600) était le fils d’un professeur de grec, originaire de Suisse, proche de Jean Sturm. Comme presque tous les humanistes, il avait changé son nom, « Rauhfuss » en Dasypodius, les deux noms signifiant « pied velu ». Lui-même fut nommé professeur de mathématiques à l’Académie de Strasbourg, devenue Université en 1566, et montra son intérêt pour cette charge en éditant les Éléments d’Euclide et en rédigeant des manuels pédagogiques comme son Dictionnaire de termes mathématiques grecs et son Institutionum mathematicarum erotemata, un manuel de définitions mathématiques sous forme de questions-réponses. Mais Dasypodius était aussi philologue et humaniste, comme son père : en témoignent ses traductions des œuvres d'Héro d'Alexandrie, de Théodose de Bithynie et d'Autolycus de Pitane. Dasypodius a rédigé les plans jusqu’en 1572 ; ensuite, il en demanda l’exécution de l’horloge aux frères horlogers Habrecht et au peintre Tobias Stimmer, sous la conduite de l’architecte Hans Thoman Uhlberger. Ils mirent un an à la réaliser et un an à la monter. On ne connaît pas les noms des sculpteurs.
L’horloge avait une hauteur de 18 mètres et une largeur de 8,60 mètres et était souvent appelée une « merveille du monde ». On voit encore ses restes au Musée des Arts décoratifs ; d’ailleurs, et des éléments de cette deuxième horloge se retrouvent dans la troisième horloge astronomique, que les touristes voient actuellement à Strasbourg. C’est donc en 1574 qu’a été inaugurée l’horloge de Dasypodius (figure 1), qu’on appelle couramment la deuxième horloge astronomique de Strasbourg.
II. Le rayonnement de l’horloge astronomique [Delphine Viellard - Niveau intermédiaire]
La construction d’une telle horloge n’était possible que dans le cadre d’une ville puissante et à la pointe de la modernité. Au milieu du XVIe siècle, Strasbourg est, dans le Saint-Empire romain germanique, une ville riche, où le patriciat et les représentants des artisans étaient associés au pouvoir local. Elle dépend directement de l’Empereur, souverain glorieux mais lointain, ce qui permet à la ville de participer pleinement à deux puissants mouvements culturels : l’humanisme rhénan et la Réforme protestante. Rappelons que Gutenberg a vécu à Strasbourg, qui est devenue une des capitales de l’imprimerie. Dès 1518, les presses strasbourgeoises diffusèrent les écrits de Luther. Sous l’impulsion de Capiton et de Martin Bucer, les idées du réformateur saxon gagnèrent au moins une partie active de la population ; le 4 janvier 1529, la messe était abolie. La ville accueillit Calvin comme elle avait, quelques années plus tôt, reçu Érasme. C’est donc dans une cathédrale protestante, d’où on a retiré la statue de Marie, qu’en 1547, on envisagea de construire une nouvelle horloge, celle de 1354 ayant cessé de fonctionner. Or, l’année suivante, Charles Quint voulut ramener l’Empire au catholicisme et sa victoire à Muhlberg (illustrée par un célèbre tableau du Titien) conduisit à l’Intérim d’Augsbourg (15 mai 1548). Strasbourg, que Bucer dut quitter, rendit la cathédrale au culte catholique et on suspendit la construction de l’horloge. Puis le vent tourna et la paix d’Augsbourg (29 septembre 1555) établit le principe cujus regio ejus religio. Les protestants reprirent le contrôle de la cathédrale et on acheva l’horloge astronomique, ouvrage copernicien dont d’aucuns disent qu’elle affirmait la primauté du « temps des marchands » sur celui de l’Église (qui était, quant à lui, illustré par le pilier des Anges, tout proche).
III. Présentation de la plaquette [Delphine Viellard-Niveau débutant]
Aussi fallait-il promouvoir un tel monument dans toute l’Europe et on eut l’idée de fabriquer une sorte de petit dépliant publicitaire présentant l’horloge. Ce document que l’on trouve à la Bibliothèque Nationale Universitaire de Strasbourg sous la cote R.102.283. Il date de 1574, mais on ne sait ni où il a été imprimé ni qui en a eu l’initiative. On lit à gauche :
- un texte latin, avec un titre : Vera effigies ac descriptio astronomici horologii Argentinensis, In Summo Templo extructi. Anno Christi M. D. LXXIV et deux initiales, N et F, comme nom d’auteur ;
- au centre, il y a un texte en français, anonyme, sous le titre Description exacte de l’Horloge de l’Église cathédrale de Strasbourg ;
- à droite, il y a un texte en allemand dont le nom d’auteur a été ajouté entre crochets (Johann Fischart) ; le titre est Aigentliche Fürbildung und Beschreibung dess neuen kunstlichen astronomischen Urwerckes zu Strassburg im Mönster, das MDLXXIIII. Jar vollendet zusehen / [Johannes Fischaft] ; verfärtigt durch Con. Dasypod., David Wolkenstein u. Jsac Habrecht ; und von Thobia Stimmer gemalt (1).
Les deux initiales du premier texte correspondent à Nicomedius Frischlin.
Le deuxième texte en français est anonyme.
Johann Fischart (1546-1591) est un humaniste strasbourgeois, docteur en droit, poète satirique. Il a publié plusieurs récits, dont une traduction-interprétation du Gargantua de Rabelais, une adaptation du Till Eulenspiegel, une Chasse aux puces (Flöhhatz) et un traité sur la discipline du mariage. Protestant convaincu, il attaqua fortement les Jésuites de la Contre-réforme. Le texte qui est repris ici est extrait des indications figurant à gauche et à droite de la reproduction de l’horloge astronomique faite par Tobias Stimmer en 1574.
Ces textes n’ont pas de rapport l’un avec l’autre, sauf qu’ils décrivent tous les trois la deuxième horloge astronomique. Nous les reproduisons ici, après avoir fait quelques corrections et harmonisé la présentation du texte français. Pour le texte de Fischart, nous reprenons la traduction de l’allemand, faite par Alfred Ungerer et publiée à Strasbourg, en 1920, dans la Description de l’Horloge astronomique de la Cathédrale de Strasbourg.
IV. 1) Texte latin et sa traduction française / 2) Texte français / 3) Traduction de Fischart [Niveau intermédiaire : Agnès Arbo et Delphine Viellard]
1) Texte latin
VERA EFFIGIES AC DESCRIPTIO
A S TR O N O M I C I H O R OL O G I I A R G E N-
tinensis in Summo Templo extructi, Anno CHRISTI
M. D. LXXIV
N. F.
Urbs antiqua jacet, primi coluere Trebaces (Triboces) ;
Argentoratum, ripis contermina Rheni :
Hac templum augustum, cælataque turris in
urbe,
Vertice prospiciens alto (mirabile visu)
Surgit, et excelsum caput inter nubila condit.
Jamque adeo nuper, foribus qua proxima templi
Stant adyta Austrinis socia testudine cuncta.
Excelso fabricam posuerunt pariete muri.
Primus humi nitens pennis se ostentat, et alis
Explicitis : diroque ferit sua viscera rostro
Et gerit impositum Pelicanus tergore cœlum.
Ecce polos, et picta manu, nova sidera cœli
Signiferumque orbem stellis fulgentibus aptum,
Omnia quæ tacito sensim labentia cursu.
Sed qui sunt illi rubicundis orbibus orbes.
Impliciti et numeris diversi coloribus aucti ?
Prima suo denos complictitur orbita recto
Axe pedes instar canthi circumque rotatur,
Quoque anni spatio semel : a lævaque Borœi
Parte axis Lybicum tardo pede vergit ad Austrum
Hæc menses, annique vices, numerosque dierum
Explicat, et totum metitur leniter annum.
Huic inserta rotæ numeris est altera pictis
Orbita : lata pedes a vertice ad ima novenos :
Hæc semel in centum tacite devolvitur annis :
Aureus hic fulget numerus, cyclique notantur
Solares : Christique insunt æqualiter anni.
Festaque mobilia, et Bissextus nomine dictus.
Et quidquid magnis par est committere fastis.
Præterea in laterum muri compagine firma.
Hinc atque hinc Lunæ tenebræ : Solisque latebræ,
Sunt scriptæ, partes posset comprendere quotquot.
Hæc supra, clari tectum profulget Olympi :
Qualibet una de curvis erratica bigis
Provebitur stella, et nitida se ostentat in aura.
Proxima nunc se offert supra ipsum regula cœ-
lum
Aurea, quæ quartas horarum tramite certo
Metitur partes, et quaque revolvitur hora.
Huic gemini appositi dextra lævaque coruscant
Aligeri infantes formosi crinibus ambo,
Horum alter, cum lapsa sonos dedit hora supre-
mos,
Sceptra manu movet, et totidem ciet aliger ictus.
Alter ubi finem dederit mors atra sonando.
Invertit vitrum læva, inversumque tuetur.
Sed qua laude canam, quo denique persequar
ore,
Insignem viginti horis et quatuor arcum :
Dicam Astrolabium, quamvis mihi curta repu-
gnet :
Exterior limbus cunctas discriminat horas:
Hunc super incumbens Reti sua fila retorquet
Signifer, ingenti stellarum cinctus amictu :
At reliqui reliquos demonstrant orbe Planetas,
Signifero circum errantes mediumque loquuntur,
Cujus vis motum, quo signo quisque moretur,
Ecce autem interea Stellati lumen Olympi
Panditur, et faciem Lunæ mortalibus offert :
Qualis enim vero profulget menstrua cœlo,
Talis in hoc etiam varia micat æthere forma.
Jamque adeo numeris veniunt celebranda le-
betes,
Quæ circum assiduo volitant simulacra meatu
Quadruplicique hora pulsant discrimine partes.
Hæc nostra peragunt sculptis imitamina mem-
bris,
Quadrifidæ ætatis, nostros mentita colores.
Atque ecce ut tacito serpit pede, quolibet horæ
Momento, informis lethi insidiantis imago ?
Namque ubi prima horæ puero momenta sonanti,
Mors lethum intentat, jamque osse extrema mi-
natur :
Hanc subito Christus pellit, puerumque tuetur.
Donec ad annosum delapsa est hora Chremetem,
Tinnula uti plagis ille insonet æra quaternis :
Tunc etenim morti Christus permittit, ut horam
Pulset, et incurvum feriat tristi osse lebetem.
Ast qua summum excrevit opus, sublimeque te-
ctum
Attigit : hic super imposita est de marmore moles :
illic sunt apto posita ordine tinnula circum.
Æra pavimento, quæ ferreus actus in orbem
Circulus impellit, quoties venit hora diei :
Et tunc Psalmographi regularia carmina cantant.
Est domus a læva fabricæ regione, Boræum
Versus in æde latus, miro cælata labore :
Ac ipsum culmen mirandi corporis ales
Obtinet, Auroræ volucris prænuncia Gallus :
Jamque ubi finierint mirandum cymbala can-
tum,
Tum Gallus plausis everberat aëra pennis :
Crocitat, et bis totam implet clamoribus ædem.
Horologium hocce fabrefactum et consummatum est, ab Isaaco Habrechto, Horologopæo Argentinense.
Traduction :
Ici s’étend une ville antique, habitée en premier par les Triboques, Argentoratum, proche des rives du Rhin. Dans cette ville se dresse un temple auguste, et une tour sculptée, qui regarde au loin du haut de son faîte (miracle de la vue) et cache sa tête élevée dans les nuages. Et là où, tout près de la porte sud du temple, se trouvent tous les renfoncements à côté de la cour, on installa une machine contre la partie supérieure du mur. D’abord, sur le sol, glorieux de ses plumes et de ses ailes déployées, se donne à voir un pélican, et, de son terrible bec, il se frappe la poitrine : il porte le ciel placé sur son dos. Voici les pôles et, peinte à la main, le nouvel astre du ciel, ainsi que le Zodiaque avec les étoiles qui brillent. Tout cela glisse insensiblement d'une course silencieuse et fait le tour en vingt-quatre heures.
Mais quels sont ces cercles imbriqués dans des cercles rouges et agrémentés de numéros multicolores ? Le premier cercle fait dix pieds sur son axe droit, comme une roue, et fait un tour complet une seule fois dans l’année. À partir de la gauche du pôle de Borée, ce cercle descend d’un pas lent vers l’Auster libyque ; il fait ainsi défiler les mois, les années et les numéros des jours ; il mesure doucement l’année, jour après jour. À l’intérieur, un autre cercle a été inséré avec des numéros peints ; il fait neuf pieds de haut en bas. Ce deuxième cercle fait un tour doucement en cent ans. Des nombres en or y brillent et les cycles solaires y sont notés. Les années du Christ sont inscrites régulièrement, ainsi que les fêtes mobiles, les années dites bissextiles et tout ce qu’il est approprié de faire aux grandes fêtes. En outre, sur une structure solide des côtés du mur, de part et d’autre, on a inscrit les éclipses de Lune et les éclipses du Soleil autant que la structure pouvait en contenir. Au-dessus de cela, brille le toit de l’Olympe éclatant : une étoile vagabonde s’avance depuis les chars recourbés et se donne à voir dans l’air brillant. Tout près de là, au-dessus du ciel même, on voit une aiguille en or mesurer les quarts d’heure d’une manière assurée et revenir à chaque heure. Placés à sa droite et à sa gauche resplendissent les deux enfants ailés à la belle chevelure. L’un d’eux, quand l’heure qui s’est écoulée a donné ses derniers sons, bouge le sceptre de sa main et fait entendre autant de coups. L’autre, quand la mort sombre a marqué la fin par sa sonnerie, retourne le verre à gauche et regarde ce qui a été retourné. Mais avec quelles louanges chanter, avec quels mots décrire un remarquable cercle de 24 heures ? Je dirai l’Astrolabe, bien que je répugne aux descriptions incomplètes. Le Zodiaque placé vers l’extérieur sépare toutes les heures et, au-dessus de l’Astrolabe, se penchant sur un filet, il rejette en ailleurs ses propres fils, parsemé d’astres, enveloppé d’un immense manteau d’étoiles. Tous les autres signes montrent les autres planètes errant tout autour dans le Zodiaque et disent le mouvement médian de chacun, de quelle vitesse est son mouvement et sous quel signe chacune des planètes séjourne. Voici qu’entre-temps la lumière de l’Olympe étoilé se dévoile et offre la face de la lune aux mortels : si sa beauté s’affirme avec éclat une fois par mois dans le ciel, elle resplendit aussi sous des formes variées dans cet éther.
Et déjà arrivent là, en mesure autour des cymbales, des personnages remarquables qui se déplacent les uns à la suite des autres et frappent les cymbales chaque quart d’heure pour marquer la division du temps. Ils représentent parfaitement les quatre âges de notre vie avec des sculptures qui représentent nos traits.
Et voici comme elle se glisse insensiblement d’un pas silencieux, à n’importe quel moment de l’heure, la représentation affreuse de la mort qui tend des embûches ! En effet quand sous les yeux de l’enfant qui sonne les premiers instants de l’heure, la Mort met le trépas et, d’un os, le menace désormais des pires extrémités, aussitôt le Christ l’écarte et protège l’enfant, jusqu’à ce que l’heure soit tombée sur le Chrème chargé d’ans, de sorte qu’il fasse résonner le bronze au son clair de quatre coups : alors le Christ permet à la mort de battre l’heure et de frapper le chaudron incurvé par un os funeste. Mais là où le haut de l’ouvrage forme une excroissance et atteint le haut du toit, on a placé au-dessus une masse de marbre, des bronzes au son clair ont été disposés à l’entour dans un ordre approprié sur le socle ; un cercle de fer actionné les pousse contre un globe, à chaque fois que vient une heure du jour : et alors les psalmistes entonnent des chants en canon.
Il y a un édifice du côté gauche de la machine, dans la direction du Borée dans le sanctuaire, et il est façonné par un travail merveilleux. Son toit même est occupé par un oiseau au corps admirable, annonciateur de l’Aurore, le coq. Et quand les cymbales ont fini leur chant admirable, le coq frappe le bronze avec ses ailes déployées. Il fait cocorico et emplit deux fois tout le sanctuaire de ses clameurs.
Cette horloge-ci a été imaginée et réalisée par Isaac Habrecht, horloger d’Argentorum.
2) Description exacte de l’Horloge de l'Église Cathédrale de Strasbourg (2)
Cette Horloge est si particulière qu’elle a toujours été l’admiration de tous les peuples. L’art et la capacité de son auteur y brillent avec éclat et les plus savants hommes y trouvent de quoi satisfaire leur curiosité. Pour en donner donc une idée parfaite, j’expliquerai toutes ses parties.
Tout l’ouvrage est enfermé par un grillage de fer d’environ cinq ou six pieds pour empêcher le peuple d’y toucher. Il y a dans l’enceinte de ladite grille, au pied de l’horloge, un globe céleste qui paraît être porté sur le dos d’un Pélican. Il représente la rondeur entière du ciel et marque tous les cercles et signes célestes, avec le cours du Soleil et de la Lune, qui font toutes les vingt-quatre heures le tour dudit Globe.
Vis-à-vis de ce Globe et au-bas de l’Horloge sont trois grandes Roues qui tournent l’une sur l’autre, dont la plus grande a dix pieds de hauteur, montrant les douze mois de l’année et chaque jour en particulier, ce qui fait qu’on l’appelle la roue de l’Almanach. Elle ne fait qu’un tour par an. La seconde, a neuf pieds de hauteur, elle marque les Fêtes mobiles, la Lettre Dominicale, les Épactes etc. Et elle ne fait qu’un tour en cent ans ; la troisième roue est stable et ne fait aucun mouvement ; elle représente une carte géographique d’Alsace et la ville de Strasbourg ; aux quatre coins de ces roues sont représentées en peinture les quatre Monarchies du monde. Aux deux côtés de ces roues, on voit deux figures ; à droite est Apollon avec deux rayons à la tête, montrant avec une flèche le jour et la fête qui se rencontrent, à gauche est Diane qui représente la nuit et montre le temps opposé. À chaque côté, on voit un grand Tableau carré qui marque toutes les éclipses du Soleil et de la Lune : au-dessus de ces roues se voit un Ciel, dans lequel chacun des sept jours de la semaine est figuré dans un petit chariot, représentant la planète du jour, c’est-à-dire que le dimanche est représenté par le chariot du Soleil, le lundi par celui de la Lune, le mardi par celui de Mars, le mercredi par celui du Mercure, le jeudi par Jupiter, le vendredi par Vénus, et le samedi par Saturne.
Un peu plus haut est un petit Cadran, qui marque les minutes, dont l’aiguille fait un tour par heure : au côté de ce cadran sont deux Anges, celui qui est à droite tient un sceptre en main duquel il marque chaque coup que l’heure sonne, l’autre tient un sablier qui tourne aussitôt après l’heure sonnée : plus haut est le grand Cadran qui marque les vingt-quatre heures du jour et de la nuit, au milieu duquel est un bel Astrolabe marquant le cours et le mouvement du Ciel et des Planètes avec leurs figures ; aux quatre coins sont dépeintes les quatre saisons de l’année et les quatre complexions.
Au-dessus du grand Cadran se voit un autre petit Cadran qui fait voir l’état de la Lune avec une aiguille qui en marque le quatrième ; plus haut sont les Cymbales ou Clochettes, sur lesquelles quatre figures représentant les quatre âges, frappent les quarts d’heure.
Enfin au plus haut de l’ouvrage directement au-dessus des dites Cymbales sont deux figures, dont l’une est le Sauveur, et l’autre représente la Mort ; il semble par leur mouvement que le sauveur veuille empêcher la mort de frapper l’heure, ce que pourtant il lui laisse faire pour marquer, à tous les âges, que la mort vient à toute heure.
À droite de l’horloge, on voit une arche, dans laquelle montent et descendent tous les poids qui servent à l’horloge ; sur le haut de cette arche, il y a un coq qui semble être là pour avertir que l’horloge va sonner, parce qu’il chante deux fois en battant des ailes, et allongeant le cou, comme cet animal fait naturellement lorsqu’il chante, après qu’un Carillon de plusieurs Clochettes renfermées dans ladite arche s’est fait entendre. D’un côté de ladite arche, on voit trois figures peintes, qui représentent les Parques nommées par les Poètes « filleules de la vie ».
Sur le devant de cette arche sont peintes trois autres figures, dont la plus basse est le portrait du fameux Nicolas Copernic Mathématicien, qui, par ses savants conseils, a beaucoup contribué à l'embellissement de cette horloge.
Je ne parle point de ce qui paraît sur la gauche de ladite horloge, ce n’est qu’un escalier, dont cependant la structure est assez particulière et délicate pour mériter l'attention de connaisseurs. Il faut remarquer que tout cet ouvrage est très artistement construit de pierres bien taillées et orné de peinture et dorure.
Cette Horloge fut commencée en l’an 1570 par Isaac Habrecht, natif de Schaffhouse ; Abraham son fils l’a continuée, et son neveu aussi, nommé Isaac, l’a achevée en 1574. Elle est encore aujourd’hui gouvernée par le Sr. Abraham Habrecht, qui descend de la même famille, et Maître Horlogeur à Strasbourg.
3) Traduction du texte allemand de Johann Fischart
Voici la traduction littérale de ce poème, qui est écrit en un langage antique et difficilement compréhensible :
Vous qui passez par-là
et contemplez cette horloge
désirez sans aucun doute
que je vous en donne l'explication.
Sachez donc que le but de cette œuvre
est essentiellement celui,
de faire voir bien exactement
l'heure juste et astronomique.
Or cette horloge est subdivisée
en trois parties principales
et chacune de ces trois parties
est encore divisée en trois compartiments ;
La première partie, vous le voyez tous
se trouve placée tout au bas ;
elle consiste en un mur dans le milieu
duquel
sont placés trois grands disques
qui à droite et à gauche sont flanqués
de deux grands tableaux carrés
sur lesquels sont représentées les éclipses
pour une durée de trente-six années
et se rapportant au soleil et à la lune.
Considérons d’abord ces 3 disques
dont l’un est plus grand que l’autre,
et découpé au milieu
de façon à pouvoir recevoir le prochain.
Le plus grand a une hauteur de dix pieds
mais neuf pieds en sont découpés :
donc il en est resté une largeur
d'un pied qui a servi à recevoir les
indications
de l'année, des mois et des jours,
c'est pourquoi on l'appelle le disque du
calendrier.
Le disque ayant une hauteur de neuf
pieds
se trouve place au milieu de l’autre ;
un disque de trois pieds est découpé en
son centre
et les fêtes mobiles, selon leur date
y sont notées
d'une fête de Pâques à l'autre :
et ceci a été exécuté
exactement pour cent années.
Le troisième disque représente l'Alle-
magne
avec la ville de Strasbourg ;
ce disque est tout le temps immobile
tandis que les deux autres tournent
car le plus grand disque tourne de la
main gauche
en descendant vers la main droite
et en faisant un tour en une année
tandis que l'autre disque seulement en
cent ans
et qui fait son tour de la main droite
en tournant vers la main gauche.
De plus devant ces deux disques
voyez placé un pélican
qui veut faciliter la charge à l'Atlas
en portant le globe sur son dos.
C'est là le globe céleste tout entier
sur lequel sont tracés tous les cercles
ainsi que les constellations,
le soleil et la lune tournent autour
et ce globe fait un tour complet en
une fois vingt-quatre heures.
L’autre partie que je décris à présent
se trouve au-dessus du disque du
calendrier.
Là premièrement rentrent et sortent
d’un ciel toujours pur et serein
sept planètes artistement sculptées
de bois
d’après les descriptions des poètes,
et qui sont fort bien assises sur leurs chars
et selon la personnification des sept jours
de semaine
Ensuite dans un autre compartiment
On découvre encore trois autres pièces
premièrement un Astrolabe
qui fait voir la marche du firmament
et dans le centre ou milieu duquel
est fixé le dragon ou aiguille des heures ;
dans les coins sont peintes les quatre saisons
qui sont accompagnées de leurs attributs.
Le reste suit immédiatement
au-dessous du cadran qui représente
le firmament.
une aiguille à quarts indique sur un
cadran
toutes les minutes de l’heure
Mais le troisième objet, (on le voit
érigé au-dessus du cadran à firmament)
fait voir l’âge et la forme
de la nouvelle lune telle qu’elle se présente.
Dans le troisième compartiment on reconnait encore
trois pièces que chacun peut voir.
La supérieure est un carillon
qui accompagne l’horloge de quelques psaumes.
L’inférieur amène quatre figures
qui représentent les quatre âges de la vie.
A chaque quart d’heure il en sort une
qui sonne le quart correspondant.
Le troisième compartiment est égale-
ment une bonne trouvaille,
On y voit la mort qui à chaque quart
d’heure s’approche
De la figure des âges
mais elle est refoulée par le Seigneur ;
Aux heures toutefois il la laisse
sonner l’heure
afin que nous nous tenions prêts à toute heure.
À main droite à l’heure de l’horloge
se trouve une armoire contre le mur
dans laquelle sont cachés les poids
et sur laquelle est placé un coq
qui la garde et avant que l’horloge ne sonne
il chante et bas des ailes.
Maintenant dirigeons-nous vers les décors
qui embellissent cette œuvre
et en commençant par les calendriers :
vous voyez comme il est encadré
de quatre peintures dans les coins
qui représentent les quatre monarchies.
À côté de ceux-là à la main gauche
Une figure qui représente l’astre du jour
et qui, pour remplir aussi des fonctions
indique le jour sur le calendrier :
À main droite se trouve l’image de la nuit
qui marque la demi-année qui est écoulée
ou bien le jour, qu’il sera,
Après une demie année
Il convient que je mentionne ici également
le décor du cadran des quarts d’heure.
A savoir les deux anges
I. Dont l’un étant placé à la droite
tient un sablier dans sa main
Qu’il retrouve à chaque heure
et l’autre tenant un sceptre,
avec lequel il frappe sur une clochette
de plus il est orné de deux lions
qui tiennent le bouclier et le casque de
la ville.
L’armoire à poids est également ornée
de peintures
sur l’un de ses côtés
par trois femmes qui filent
sans cesse leur quenouille.
Par là les poètes nous rappellent
Les déesses du temps qui mesurent la vie :
Sur l’autre face sont personnifiées les
trois sciences
Qui ont rendu de grands services à cette
œuvre
Et sur le devant au milieu
Est représenté le songe de Nabucho-
donosor
Au bas est placé le portrait
de Nicolas Copernic :
Il y a de plus à mentionner que cet
édifice
est construit entièrement en pierres
de taille
Et que tout l’ensemble a été peint et
décoré
d’or et d’argent selon l’importance de
l’œuvre.
Voici donc la description abrégée de
cette horloge
Pour celui qui voulait en connaître
les détails en peu de mots.
V. Présentation de Nicodemus Frischlin et de son Carmen de astronomico horologio Argentoratensi (Delphine Viellard-niveau débutant)
Avant de commenter le texte de la plaquette extrait du Carmen de astronomico horologio Argentoratensi, présentons Nicodemus Frischlin, l’auteur du texte latin (3). Né à Erzingen bei Balingen, dans le Wurtemberg en 1547, il était le fils de Jacob Frischlin, un pasteur, et d’Agnès Ruoff.
Il effectua des études de philologie classique à Tübingen de 1562 à 1565 et devint en 1568 lecteur de poétique. La même année, il épousa au mois de novembre Margarethe Brenz, la petite-nièce du réformateur Johannes Brenz, un des coopérateurs de Marthin Luther. Il vécut pendant quelques années à la cour du duc de Wurtemberg et fut même couronné poète par l’empereur Rodolphe II. C’est là qu’il écrivit le Carmen de astronomico horologio Argentoratensi, en 1574-1575, sans avoir jamais vu l’horloge de Strasbourg. Victime de la jalousie de ses collègues et des nobles de la cour, qu’il piquait par sa verve satirique, il fut contraint de quitter la cour et partit en 1582 pour Laibach (Ljubliana) où il dirigea pendant deux ans l’École provinciale de la Carniole. Il revint néanmoins à Tübingen en 1584, mais comme sa situation ne s’était pas améliorée, il repartit à Strasbourg, pour passer l’hiver 1584-1585. Il y fit la connaissance de l’imprimeur Bernard Jobin, qui devint son principal éditeur, notamment pour sa pièce de théâtre Julius redivivus, comoedia ad laudem Germaniae et Germanorum, dédiée au Magistrat de la ville. Cet éloge ne suffit pourtant pas pour lui faire obtenir le poste à l’Académie strasbourgeoise, qu’il escomptait. Il repartit alors à Tübingen en 1585, mais fut forcé d’en repartir aussitôt, sa situation personnelle ne s’étant pas améliorée. Il erra alors pendant cinq ans à travers tout l’Empire, sans trouver de lieu où s’installer. Sa femme étant morte et comme le gouvernement wurtembergeois lui refusait son héritage, il porta plainte directement à l’empereur, ce qui lui valut un emprisonnement à Mayence dans la forteresse de Hohenurach. C’est là qu’il trouva la mort pendant la nuit du 29 au 30 novembre 1590 : s’étant fait une corde avec son linge pour s’évader, il choisit mal l’endroit et s’écrasa sur les rochers.
Son œuvre est abondante et aborde tous les styles. Mais c’est surtout comme philologue, poète et dramaturge qu’il a marqué son temps. Voici une liste non exhaustive de ses ouvrages :
Hymnen und Epigramme des Kallimachos, Hymnes et Épigrammes de Callimaque, traduction, 1571
Carmen de astronomico horologio Argentoratensi, 1574-1575
De studiis linguarum et liberalium artium (Étude des langues et des arts libéraux), 1575
Dido, Tragédie, 1581
Venus, Tragédie, 1584
Julius Caesar redivivus, 1585
Hebraeis, continens duodecim libros. (Histoire des rois d’Israël)1599.
Operum poeticorum pars elegiaca, continens viginti duos elegiacorum carminum libros, posthume.
VI. Présentation du texte latin [Niveau débutant : Delphine Viellard]
Notre texte, publié sur la brochure de 1575, ne représente pas l’intégralité du Carmen de astronomico horologio Argentoratensi. Celui-ci est en effet un long poème de 1270 vers, qui décrit chacune des parties de la deuxième horloge astronomique, comme l’indiquent les titres des sous-parties :
- Globus caelestis : le globe céleste
- Duae rotae cum regula immobili : deux cercles avec une règle immobile
- Planetarum motus hebdomadarius : le mouvement hebdomadaire des planètes
- Index quatarum horae et minutorum cum duobus angelis duobusque leonibus : indication des quarts d’heure et des minutes avec deux anges et deux lions
- Astrolabium cum septem planetarum indicibus et dracone : l’astrolabe avec les indications des sept planètes et le dragon
- Lunae illuminationes : les lumières de la lune
- Imagines Christi et mortis : représentations du Christ et de la mort
- Cymbalum : la cymbale
- Gallus in aedicula ponderum : le coq dans la maison des poids
Ce poème didactique est aussi un centon : Frischlin y a inséré de nombreux vers de poètes antiques, en place de ses propres vers. Le poète montre ainsi l’étendue de sa culture et de sa maîtrise du latin, mais rend son texte particulièrement obscur. Le poème dont nous pouvons voir un exemplaire à la BNU de Strasbourg sous la cote R.102.290, n’a été publié à Strasbourg qu’en 1575, par Nicolas Wyriot, alors que la plaquette (sous la cote R.102.283) date de 1574. Cela veut-il dire que la plaquette était une ébauche du futur Carmen ou que le poème, encore inédit, a pu servir de source à la brochure ? Comme le Carmen de Frichlin est un centon qui reprend des vers de Virgile, Ovide, Stace, le texte de la brochure est doublement centonesque, si l’on admet que le Carmen a été écrit avant la plaquette, mais a été publié plus tardivement. Le texte de la brochure est donc doublement obscur. Pour faciliter sa compréhension, nous y avons inséré les titres des différentes parties du Carmen, ce qui facilitera aussi la rédaction de notre commentaire.
Frischlin et Dasypodius : poésie versus science ?
Avec son Carmen de astronomico horologio Argentoratensi, Frischlin célèbre l’horloge astronomique de Strasbourg, en tant qu’innovation technologique. À une construction d’une grande qualité devait correspondre une œuvre littéraire ambitieuse, qui ne pouvait être qu’un centon. Mais comment une œuvre poétique peut-elle rendre compte de la technologie avancée d’un ouvrage ? C’est bien pourtant le projet de Frischlin tel qu’il apparaît dans sa préface. Ce dernier pense en effet qu’avec des emprunts à des œuvres poétiques qui font autorité ou à de grands poètes, il fait une description aussi exacte de l’horloge astronomique qu’un scientifique. En quoi une œuvre poétique peut-elle décrire et concurrencer en valeur une invention scientifique ? De ce fait c’est le rapport entre la poésie et la science qui se pose ici.
Avant de commenter le texte de Frischlin repris dans la plaquette, présentons les études que Dasypodius lui-même publia sur l’horloge astronomique. Nous aurons ainsi une vue précise de l’horloge.
VII. Dasypodius : Une description scientifique [Niveau intermédiaire, Willy Bodemüller, Delphine Viellard]
Dasypodius a fait quatre descriptions de son horloge, dans des langues différentes et avec quelques variantes : la première en 1578, dans Wahrhafftige Außlegung und Beschreybung des astronomischen Uhrwerks zu Straßburg [« Interprétation véritable et description du mouvement astronomique de Strasbourg »] (4); la deuxième description a été publiée la même année dans trois pages insérées dans une édition de Ptolémée, de Jérôme Cardan (5). Il y souligne l’importance des structures harmonieuses et symétriques, concrétisées par une correspondance des parties inférieures avec les supérieures et vice versa, qui rappelle les théories des structures architecturales de Vitruve. Dasypodius note qu’en plus des rouages, des aiguilles et des statues comme l’Éternité, la Création et la Fin du monde, de même que les grands royaumes – les Chaldéens, les Perses, les Grecs et les Romains –, il y a des peintures, réalisées par l’éminent Tobias Stimmer. L’horloge devient ainsi un modèle du Cosmos entier où les étoiles gouvernent la Terre et l’homme. La troisième publication de Dasypodius, datant aussi de 1580, se trouve dans une édition augmentée de son premier ouvrage, Wahrhafftige Außlegung und Beschreybung des astronomischen Uhrwerks zu Straßburg [Interprétation véritable et description du mouvement astronomique de Strasbourg] (6). Enfin, la dernière publication de Dasypodius apparaît dans un ouvrage rédigé cette fois en latin Heron mechanicus, seu de Mechanicis artibus atque disciplinis, ejusdem horologii astronomici [Heron mechanicus ou sur les arts et disciplines de la mécanique de l'horloge astronomique], Strasbourg, imprimé par Nicolas Wyriot, comme le Carmen de Frischlin (7). Dans ses ouvrages, Dasypodius n’a de cesse de réclamer la paternité de l’horloge qu’on attribuait à ses artisans : Dasypodius rappelle que c’est lui le concepteur de l’horloge astronomique et que ceux qui l’ont fabriquée n’auraient rien pu faire sans lui. On voit d’ailleurs que dans la plaquette le nom de Dasypodius ne figure jamais ! En outre, Dasypodius entendait défendre la grandeur de son invention, qui n’était pas seulement un instrument de mesure mais le témoignage d’un savoir universel.
Grâce à cet ouvrage et à la représentation qu’en a faite Tobias Stimmer au début du XVIIe siècle, nous allons décrire les différentes parties de l’horloge, qui seront chantées par Frischlin. Nous avons à notre tour fait une sorte de centon de Dasypodius, en suivant le texte de présentation de son poème en latin que nous avons trouvée dans une édition anglaise.
In inferiori Machinae contignatione, tres conspiciuntur. Distinctae tabulae, quarum duae quidem laterales in Eclipsium Solis et Lunae diagrammata, ad 32 annos insequentes continent : media vero Calendarium perpetuum, praecessiones aequinoctiorum, festa mobilia, literam Dominicalem, annosque bisextiles […] Ita enim media tabula in quatuor angelis, quatuor Monarchiarum picturis : duabus etiam statuis, exornata est. Una enim Apollinis, telo singulos in calendario designatos dies currents designat : altera Dianae, e regione diem currenti oppositum monstrat. […] Supra mediam 100 annorum apparent statuae septem Planetarum, eleganter sculpae. : quarum unaquaeque suo unde hebdomadarum dies nomen habent, die prodit : ex eo ubi positae sunt loco : ut die Saturni, foris conspicitur caeteris absconditis Saturnus, die Solis, Sol : & sic caeteri deinceps. Per quae automata, hebdomadarium tempus repraesentare voluimus. Et quia ibidem vacuus relinquebatur locus : picturis elegantibus illa explevimus : in quibus, a mundi creatione, usque ad eiusdem consummationem, praecipua religionis Christianae capita, depicta sunt : ut Mundi creatio, peccatum originale, redemptio, ressurectio et extremum juditium. In his enim consumitur temporis universalis descriptio. In medio harum pictarum, supra planetarum orbem, parva conspicitur, tabula in qua horarum quartae partes et partium minuta monstrantur. Assidentibus duobus pueris quorum alter sceptro horas numerat : alter vero horologium arenarium, quod manu tenet : post tintinabulorum horariorum sonitum : singulis vertit horis. […] Et ne angelo vacui relinquerentur : duo Leones et insignia Urbis tenentes eo positi fuerunt. In media autem totius operis contignatione posuimus ASTROLABIUM cum omnibus iis quae ad astrolabii descriptionem pertinent : cui non Solis tantum atque Lunae indices : sed et reliquorum Planetarum Saturni, Iovis Martis, Veneris et Mercurii applicavimus : qui singulis horarum : momentis media planetarum in zodiac loco monstrant. Neque enim alios quam medios motus in tali opera comprehendere potuimus. In angulis, quatuor anni temporum et quatuor aetatum picturae, ornatus gratia positae sunt. Eodem in loco supra Astrolabium Lunae menstruae illuminationes artificiosae factae conspiciuntur quae motui Lunae, in Astrolabio apparenti correspondent. Neque vero latera hujus tabulae Lunaris illuminationis vacua sunt : sed ex una parte Ecclesiam triumphantem, ex altera Draconem, seu perditionis serpentem pinximus. Sic rursus in his duabus partibus Astrolabio et tabula Lunari sphaeropoëtica apparent. Atque haec omnia commemoratione digna sunt. […] Nam quartas horarum singulae aetates sonotintinnabulorum, puer quidem uno, adolescens duobus, uir tribus, quartam et ultimam horae partem, senex quatuor tactibus indicant. Tandem prodit mortis statua, horam ipsam suo quoque tintinnabulo pulsans. Salvatoris denique statua, singulis aetatum statuis egredientibus obuiat : ad redemptionis significationem. Mortis vero (tanquam extrema vitae linea) extremum suo edit tintinnabulo sonitum. […] Itaque melodiarum aliquot psalmorum concentus adhibitus est : Galli gallinacei vero cantus. […] Siquidem ante 200 annos hic ipse gallus gallinaceus affabre factus fuit et veteri horologio impositus […] Hic suo cantu abnegationis Petri, homines commonefecit. […] In eadem Vranias, Colossi et doctissimi viri Nicolai Copernici picturas et altera parte trium Parcarum adjunximus nequid vacui relinqueretur : et tempori, plena quoad fieri poterat : esset descriptio atque memorabilium rerum et personarum recordatio.
À l’étage inférieur de la Machine, on aperçoit trois tableaux distincts, dont deux évidemment les latéraux, contiennent les diagrammes des éclipses du Soleil et de la Lune pour les trente-deux années à venir. Le tableau du milieu comprend un calendrier perpétuel pour les 100 prochaines années, les précessions des équinoxes, les fêtes mobiles, les lettres dominicales et les années bissextiles. […] La table du milieu est ornée à ses quatre coins de quatre représentations de monarchies (8) et de deux statues. L’une, d’Apollon, désigne par une flèche chaque jour en cours désigné dans le calendrier, l’autre, de Diane, montre le jour suivant celui qui est en cours. […] Enfin, nous avons ajouté une description géographique de l’Allemagne et un plan de la ville de Strasbourg. […] Au-dessus de la roue de cent ans, apparaissent les statues des sept planètes élégamment sculptées, qui procurent son nom à chaque jour de la semaine. C’est ici qu’on a inscrit les sept jours de la semaine, par exemple on voit le samedi Saturne, alors que les autres jours sont cachés, le jour du Soleil le soleil, et ainsi de suite. Avec ces automates, nous avons voulu représenter le temps hebdomadaire. Et parce qu’il y avait un espace libre, nous l’avons rempli par d’élégantes peintures. Y sont représentés les principaux chapitres de la religion chrétienne, depuis la création du monde jusqu’à sa fin : la Création du Monde, le Péché originel, la Rédemption, la Résurrection et le Jugement dernier. Le temps universel est ainsi décrit et se déroule avec ces repères. Au milieu de ces peintures, au-dessus du cercle des planètes, se trouve une petite horloge, où sont montrés les quarts d'heure et les minutes. Deux petits angelots sont assis autour d’elle. L'un compte les heures avec un sceptre, l’autre retourne à chaque heure le sablier qu’il tient dans la main, après cela on entend le son des cloches qui tintent. […] Et pour que les angles ne soient pas laissés vides ont été placés deux lions (11) qui portent l’emblème de la ville de Strasbourg. À l’étage central de l’ouvrage en entier, nous avons mis un astrolabe avec tout ce qui indique la position du Soleil, de la Lune ainsi que celle des planètes Saturne, Jupiter, Mars, Vénus et Mercure et qui à chaque heure montrent la position moyenne des planètes dans le zodiaque. Nous n’avons pas pu intégrer dans un tel ouvrage rien d’autre que les mouvements moyens. Aux quatre angles de l'astrolabe, ont été placées des représentations des quatre saisons et des quatre âges de l'homme. Dans le même lieu, au-dessus de l'astrolabe, on voit un disque les illuminations mensuelles de la Lune, artistement faites, qui correspondent au mouvement de la Lune, apparaissant dans l’astrolabe. Les côtés de ce tableau de la Lune ne manquent pas d’illuminations, mais dans une partie, nous avons peint l’Église triomphante, dans l’autre un Dragon ou le serpent de la perdition. Ainsi de nouveau dans ces deux parties, apparaissent sur l’Astrolabe et le tableau de la lune se trouvent des éléments sphéropoétiques. Et tout cela est digne d’être rappelé. […] Car les quatre âges indiquent par le son des cloches les quarts d’heure, un enfant par un coup, un adolescent par deux, un homme d’âge mûr par trois, un vieillard par quatre, la quatrième et dernière partie de l’heure. La statue de la Mort s’avance ensuite, frappant l’heure juste, également avec sa cloche. Enfin, la statue du Sauveur rencontre toutes les statues qui s’avancent vers lui, pour signifier la rédemption. Et alors la statue de la Mort (comme la dernière ligne de la vie) émet le dernier son avec sa propre cloche (9). […] On a aussi un concert de cloches qui font résonner des Psaumes. C’est le chant du coq. […] Ce coq a été fabriqué habilement il y a deux cents ans et datant de la première horloge astronomique, […] il rappelle aux hommes par son chant le reniement du Christ par Pierre. […] Nous avons ajouté au même endroit des représentations d’Uranie, du colosse (de Nabuchodonosor), du savant Nicolas Copernic et dans une autre partie les trois Parques. Ainsi, cette horloge est une description complète du temps et le rappel des faits et des personnes dont on doit se souvenir.
VIII. Une description picturale [Niveau intermédiaire, Charles-Henri Eyraud-Delphine Viellard]
Le texte de Frischlin décrit l’horloge de bas en haut et montre une bonne connaissance de la façade ainsi que des mouvements (globe, calendrier, astrolabe, automates). On sait qu’elle fut inaugurée en juin 1574, année du texte de Frischlin qui l’a vraisemblablement vue fonctionner pour en donner une description certes poétique mais assez exacte.
Pour une meilleure compréhension du texte de Frischlin, nous mettrons chaque partie du texte en relation avec une photo de l’horloge de 1574 conservée au Musée des Arts décoratifs de Strasbourg et un détail de la gravure de Tobias Stimmer (Figure 2 avec sa légende)
Pour les reproductions de la gravure, BNU. Pour les reproductions de l’horloge astronomiques, Musée des Beaux-Arts de Strasbourg.
Le Globe
Sous le globe du Musée, on peut voir les engrenages permettant les mouvements, par rapport à l’horizon de l’observateur, du globe et du Soleil.
À droite la figure de Cassiopée représentée sur le globe du Musée
Au centre une symétrie du dessin de Tycho-Brahe pour avoir la même vision d’observateur extérieur à la sphère céleste que lorsque nous regardons le globe du Musée : on observe alors une parfaite coïncidence des étoiles entre les deux en particulier pour « l’étoile I », particulièrement éclatante.
On sait que « Stella nova » « l’étoile nouvelle » de Tycho-Brahe brilla de novembre 1572 à avril 1574. Elle eut l’éclat de Vénus et fut même visible en plein jour pendant deux semaines (10). C’était en réalité une supernova, phénomène résultant de l’explosion d’une étoile. Tycho Brahé en étudia la parallaxe et montra qu’elle était au-delà de la Lune ce qui contredisait les théories d’Aristote sur la perfection du monde supra-lunaire non soumis au changement.
Le calendrier
Le disque central qui fait un tour en 100 ans est composé de 100 secteurs comprenant pour chaque année les indications du comput ecclésiastique permettant de trouver les fêtes mobiles : le secteur d’une année bissextile est rouge, celui d’une année non-bissextile est noir. Le calendrier central initial comprenait les indications de 1574 à 1673 et fut remplacé par un calendrier pour les 100 années de 1674 à 1774 que l’on voit actuellement au Musée.
On distingue sur l’anneau extérieur la succession des numéros des jours (…25, 26, 27 …) montrant que l’anneau des jours tourne dans le sens horaire.
On distingue sur le disque intérieur les chiffres 1716, 1717, 1718 (Anno DNI « Année du Seigneur ») et 5079, 5080, … (Anno Judi, « Année des Juifs »), succession montrant que ce disque tourne en sens anti-horaire.
Frischlin écrit :
« À partir de la gauche du pôle de Borée, ce cercle descend d’un pas lent vers l’Auster libyque ; il fait ainsi défiler les mois, les années et les numéros des jours ; il mesure doucement l’année, jour après jour. »
La phrase est un peu sibylline mais on pourrait comprendre que Frischlin décrit le mouvement du disque intérieur quand on regarde à gauche du pôle Nord du globe céleste (le disque intérieur descend bien du haut vers le bas, du pôle Nord vers le pôle Sud). Ce qui est surprenant c’est que le cercle qui fait défiler les jours est le l’anneau extérieur et que celui-ci-tourne du bas vers le haut (si on regarde le côté gauche comme le propose Frischlin)…. Frischlin a-t-il confondu les sens de rotation lors de la rédaction de son texte ?
Le tableau des éclipses
Les éclipses étaient à l’origine indiquées pour 36 années de 1573 à 1609. Il fut remplacé une première fois en 1613 puis vers 1670 par un tableau de 1670 à 1699.
Le carrousel des jours
Le carrousel tourne de façon continue et laisse apparaitre devant, à midi, le char de la planète du jour courant.
Le cadran des minutes
Sur la plupart des horloges, le cadran des minutes (ou l’aiguille des minutes sur le cadran principal) ne fut ajouté qu’après 1656 et l’invention de Huygens de l’horloge à pendule. Le mécanisme à foliot ne permettait qu’une précision d’environ un quart d’heure par jour et rendait en effet un peu inutile la présence d’une aiguille des minutes.
Néanmoins la présence d’un cadran des minutes est attestée depuis les débuts de l’horlogerie mécanique et l’invention de l’échappement à foliot, verge et roue de rencontre (11).
L’astrolabe avec les indications des sept planètes et le dragon
C’est la pièce maitresse de l’horloge avec un train d’engrenages épicycloïdal permettant le mouvement de 7 axes concentriques donnant le mouvement moyen de 5 aiguilles pour les « planètes » (Lune, Mars, Jupiter, Saturne, Soleil), de l’aiguille du Dragon et de l’araignée portant les étoiles. Les aiguilles des planètes Mercure et Vénus sont liées à celle du Soleil (12). L’aiguille du Dragon qui représente la position des nœuds de l’orbite lunaire permet de prévoir les éclipses.
Le cadran des phases de la Lune
Le disque mobile en arrière-plan comprend deux Pleines Lunes de part et d’autre du même diamètre. Ce disque fait un tour en deux lunaisons permettant de voir les phases de la Lune avec la bonne périodicité grâce au cache étoilé à fond bleu.
Les automates
Les automates dont le mouvement est décrit dans une autre partie de ce dossier faisaient la renommée des horloges astronomiques construites en Europe à partir du XIVème siècle. Ceux de Strasbourg avec le coq (récupéré de la première horloge de 1354), le Christ, la Mort et les quatre âges de la vie furent parmi les plus célèbres.
IX. Commentaire littéraire [Niveau intermédiaire, Delphine Viellard]
Le texte de la plaquette reprend l’organisation du Carmen de Frischlin, en choisissant pour chaque sous-partie des vers du poème originel, qu’il relie d’une manière artificielle, au point de les rendre difficiles à comprendre.
L’éloge de Strasbourg
Le texte commence par l’éloge de la ville de Strasbourg, dont Frischlin rappelle les origines – elle a d’abord été habitée par les Triboques, un peuple germanique ou celte (13), évoqué par Jules César (14), Strabon (15) et Tacite (16). Après avoir mentionné son nouveau nom Argentoratum (17), il en indique l’emplacement géographique, en faisant un emprunt à Ovide, Met. VIII, 553 (18) : elle est ripis contermina Rheni, « proche des rives du Tibre ».
Comme par un effet de « zoom », le texte décrit la cathédrale de Strasbourg, qu’il nomme templum augustum, utilisant sans doute le mot templum pour montrer que c’est une église protestante. On ne trouve chez aucun auteur latin cette expression telle quelle, mais l’épithète augustissimum qualifie un temple chez Pline l’Ancien, Nat. Hist., VI, 135. Pour montrer la hauteur de la tour, le poète utilise des expressions ou des vers ovidiens et virgiliens : prospicio et alto chez Ovide, Met. XI, 150 et caput inter nubila condit à deux reprises dans Virgile, En. IV, 117 et X, 767. Continuant son effet de « zoom », Frischlin précise l’emplacement de l’horloge astronomique, en employant le mot fabrica. Le mot n’est pas choisi au hasard, puisqu’il est de la même famille que faber, qui désigne Dieu en tant qu’artisan, créateur de l’Univers. L’horloge serait donc une sorte de création divine. Il n’est pas facile de traduire testudine qui a des sens très différents – « tortue » / « lyre » / « cour-réduit » et que le contexte n’explique pas. Mais en étudiant le contexte dans lequel il se trouve (il est à côté de galea qui signifie une cour), et en prenant en compte l’intertextualité avec Virgile, En. I, 10, nous en avons déduit qu’il désigne une cour ou un réduit.
Le globe céleste
Preuve que Frischlin considère le globe terrestre comme la pièce maîtresse de l’horloge, il l’évoque en premier. Pourtant, il commence par décrire le pélican qui le jouxte – il précise bien que c’est lui que l’on voit en premier – (primus se ostentat), comme s’il était une statue indépendante. Il en fait un nouvel Atlas qui porte le monde sur son dos (gerit impositum Pelicanus tergore caelum), en complétant sa description par une expression de Virgile : nitens humi (Én. II, 380) et par une autre d’Augustin : nitens penniis (De Genesi ad literam, III, 6 et De Genesi ad literam imperfectus liber, § 14). Diro rostro est emprunté à Pline l’Ancien (Hist. nat., IX, 80). Dans sa Description de l’horloge astronomique (19), Dasypodius explique effectivement qu’il « a attaché au globe un pélican, pour qu'il soit à la place d'Atlas et qu'il représente un symbole de l'éternité ou même de notre Rédempteur et Sauveur » (20). L’oiseau dissimulait le mécanisme du globe : ni Frichlin, ni Dasypodius ne mentionnent cela, refusant vraisemblablement de lui attribuer un rôle utilitaire.
La plaquette reprend seulement quatre vers évoquant le globe céleste. Elle souligne l’originalité de la représentation de l’Univers : on y voit les pôles et « peinte à la main une nouvelle étoile » (picat manu nova sidera caeli), la supernova découverte par Tycho Brahe en 1572 (21). On comprend par la précision « peinte à la main » que Dasypodius veut coller à l’actualité, en rajoutant à la description d’origine la découverte de Tycho Brahe. On voit, en effet, cette étoile sur le globe. Dasypodius écrit : « Nous y avons ajouté plusieurs autres choses, non seulement pour l'élégance et l'ornement, mais aussi pour l'avantage : comme le véritable lieu de la comète qui est apparue en 1572 et qui mérite d'être rappelée ». Frischlin souligne ainsi que les différents mécanismes remplissent leur office en silence (22) et dans un ordre bien réglé : « Tout cela glisse insensiblement d'une course silencieuse. » (Omnia quæ tacito sensim labentia cursu), empruntant tacito cursu à Ovide (Met. XIV, 600) et à Stace (Theb. X, 137).
Les roues
On a la chance de voir encore au Musée des arts décoratifs de Strasbourg les roues évoquées ici. Dans le titre donné à cette partie, Frischlin souligne qu’elles sont accompagnées d’une regula immobilis, une « règle immobile ». La description de ces roues est introduite par une question, marquée par la répétition du mot orbs, cercle, et non plus rota comme dans le titre qui accentue le phénomène d’imbrication apportée par le participe impliciti. Cette description donne des mesures précises. Frischlin dit que le premier cercle fait dix pieds. Le texte français en dit neuf, l’explication se trouve dans Fischart : « Le plus grand a une hauteur de dix pieds, mais neuf pieds en sont découpés : donc il en est resté une largeur d’un pied qui a servi à recevoir les indications de l’année, des mois et des jours, c’est pourquoi on l’appelle le disque du calendrier. » Vient ensuite le deuxième cercle, qui lui fait un tour en cent ans. Il mesure aussi neuf pieds. Frischlin énumère les indications trouvées : « les années du Christ », les fêtes mobiles, les années dites bissextiles et tout ce qu’il est approprié de faire aux grandes fêtes, preuves que le temps est désormais christianisé. Il décrit aussi ce qu’on trouve à côté de ce cercle : deux planches sur les cotés de l’horloge qui correspondent à 32 ans des mouvements du soleil et de la lune. On voit que le temps s’est christianisé : le temps n’est plus marqué par des événements locaux, mais par un temps universel. Néanmoins, même si Frischlin donne des indications précises, il exprime aussi son enthousiasme en utilisant des verbes au passif : sunt impliciti et aucti, « sont imbriqués et agrandis », rotatur, « tourne », metitur, « est mesuré », inserta est, « est insérée », devolvitur, « tourne », notantur, « sont notés », sunt scriptae, « sont écrites », comme pour faire oublier que l’horloge a des concepteurs et des artisans humains et en soulignant la richesse des matériaux utilisés, aureus numerus, « un nombre en or » ou la variété des couleurs utilisées : rubicundis orbibus, « des cercles rouges », numeris diversicoloribus, « des numéros multicolores », numeris pictis, « des numéros peints ». Cette description du mouvement des cercles est aussi inspirée par Tibulle, Ovide et même Sénèque. L’expression tardo pede, « d’un pas lent », se trouve à la fois chez Tibulle, El. I, 8, 47 et Ovide, Am., II, 19, 11. L’auster libycus, l’auster libyque, est une expression tirée de Sénèque, Ag. 480.
Le mouvement hebdomadaire des planètes
De la partie consacrée au mouvement hebdomadaire des planètes, la plaquette ne conserve que trois vers très obscurs que l’on comprend en se référant au texte français de la brochure où on lit : « au-dessus de ces roues se voit un Ciel, dans lequel chacun des sept jours de la semaine est figuré dans un petit chariot, représentant la planète du jour, c’est-à-dire que le dimanche est représenté par le chariot du soleil, le lundi par celui de la Lune, le mardi par celui de Mars, le mercredi par celui du Mercure, le jeudi par Jupiter, le vendredi par Vénus, et le samedi par Saturne ». Pour ce qui est de l’intertextualité, on trouve chez Cicéron (Diu. II, 17 ; Diu. II, 146, De nat. deorum, II, 88, Tusc. I, 25) et chez Sénèque, nat. quaest. VII, 12, 1, l’expression « stella errans » (l’étoile errante) pour désigner la planète. Chez ce dernier, on trouve même la même dénomination que chez Frischlin, en nat.quaest. VII, 24, 1. Au contraire, l’expression « Olympi tectum » (toit de l’Olympe), que nous employons couramment de nos jours dans le domaine sportif, semble une création de Frischlin.
Indication des quarts d’heure et des minutes avec deux anges et deux lions
Ce passage commence par la description du cadran à quart d’heure et son mouvement avec l’emploi d’un nom très virgilien tramite, « la route » (En. V, 61 ; En. VI, 676), puis évoque les deux anges, nommés infantes aligeri, des enfants ailés (En. 1, 663), formosis crinibus (« aux beaux cheveux »). En raison de l’aspect fragmentaire du texte, seule l’action de l’ange à l’heure pleine est évoquée. Auparavant, au premier quart d’heure, il frappait un coup, au deuxième, deux, au troisième, trois. Rien ne nous est dit du passage des personnages symbolisant les quatre Âges de la vie humaine, à chaque quart d’heure, et de leur frappe. De ce fait, l’action du deuxième ange n’est pas claire pour celui qui n’a pas l’horloge devant les yeux : il faut comprendre que la mort sonne l’heure après que l’ange et le vieillard l’ont fait aussi. C’est alors que le deuxième ange retourne le sablier, appelé ici vitrum, un verre.
L’astrolabe
L’astrolabe est évoqué par une question rhétorique, qui le met en valeur : Sed qua laude canam, quo denique persequar / ore, / Insignem viginti horis et quatuor arcum (« Mais avec quelles louanges chanter, avec quels mots décrire un remarquable cercle de 24 heures ?) Le texte français précise qu’« un bel Astrolabe marqu[e] le cours et le mouvement du Ciel et des planètes avec leurs figures ; [qu’] aux quatre coins sont dépeintes les quatre saisons de l’année et les quatre complexions ». L’objection faite à l’évocation de l’astrolabe -- Frischlin se dit « répugné » par quelque chose de curta, de court, d’incomplet – est très obscure, mais s’explique par le contexte. Frichlin veut dire qu’un mot est toujours inférieur à la chose d’autant plus dans le cas de l’astrolabe, qui est pour lui un instrument extraordinaire. Dasypodius en le plaçant au centre de l’horloge astronomique lui vouait la même admiration.
L’astrolabe, dont le nom vient du grec ancien astrolábos (ἀστρολάβος, le « preneur d’astres »), est un instrument dont les origines remontent à l’Antiquité (23) et qui fut plus tard perfectionné par les Arabes. Cet instrument astronomique d’observation et de calcul analogique a de multiples fonctions, comme celle de mesurer la hauteur des astres. Sa conception s’appuie sur une projection stéréographique, c’est-à-dire une projection plane de la voûte céleste et de la sphère locale. La suite du passage est aussi particulièrement obscure : pour commenter le texte d’une manière pertinente, il faut bien comprendre le sens de limbus, le zodiaque. Pour en faire une description laudative, il le personnifie, en le faisant passer pour un chasseur ingenti stellarum cinctus amictu (« enveloppé d’un immense manteau d’étoiles ») qui emprisonne les constellations dans son « filet » (rate). Frischlin poursuit en évoquant les planètes errantes (« planetas errantes »). Il réutilise l’adjectif signifer (« parsemé d’astres ») qui renvoie au Zodiaque et montre le lien avec les planètes. La description se clôt par l’évocation de l’utilité d’un astrolabe, telle qu’on pourrait la trouver dans un ouvrage technique.
Les illuminations de la Lune
Au-dessus du globe planétaire se trouve un globe lunaire que Frischlin décrit au moyen d’une hypotypose, avec un emprunt à Ovide, lumen panditur (« la lumière se dévoile », Fast. IV, v. 449-45) et l’utilisation du lexique poétique traditionnel : Olympus, l’Olympe, profulget, resplendit, coelum, le ciel, aether, l’éther. Néanmoins, on doit remarquer qu’une expression comme Lunae faciem, face de la Lune, couramment utilisée de nos jours ne se trouve chez aucun poète antique.
Représentation des quatre parties d’une heure ou quarts d’heure
La représentation allégorique des quatre Âges de la vie, sous la forme de quatre personnages, est décrite d’une manière précise et n’appelle pas de commentaire. Sa narration ne diffère pas beaucoup des deux autres versions. On lit dans la version française : « Plus haut sont les Cymbales ou Clochettes, sur lesquelles quatre figures représentant les quatre âges, frappent les quarts d’heure » et chez Fischart : « L’inférieur amène quatre figures / qui représentent les quatre âges de la vie. / / À chaque quart d’heure il en sort une / qui sonne le quart correspondant ».
Représentations du Christ et de la Mort
Frischlin évoque le déplacement de la mort, qui à chaque quart d’heure s’approche de celui qui frappe la cymbale, mais est repoussée par le Christ, qui la laisse faire seulement une fois dans l’heure. La description est obscure, mais elle s’explique ici encore par deux autres versions. Chez Fischart, on lit dans la traduction française : « Le troisième compartiment est égale / ment une bonne trouvaille, / On y voit la mort qui à chaque quart / d’heure s’approche / De la figure des âges / mais elle est refoulée par le Seigneur ; / Aux heures toutefois il la laisse / sonner l’heure / afin que nous nous tenions prêts à toute heure. » On lit dans la version française : « Enfin au plus haut de l’ouvrage directement au-dessus des dites cymbales sont deux figures, dont l’une est le Sauveur, et l’autre représente la Mort ; il semble par leur mouvement que le Sauveur veuille empêcher la Mort de frapper l’heure, ce que pourtant il lui laisse faire pour marquer à tous les âges, que la Mort vient à toute heure ». Frischlin personnifie la Mort en reprenant pour qualifier son déplacement une expression de Tibulle, El. I, 10, 34, pede tacito, et en mettant en mouvement le squelette, qui en est l’allégorie. Il transforme le mouvement du Christ et de la Mort en un véritable combat, qui permet de retarder l’action de la seconde et de diminuer l’ambiance morbide qui pourrait être ressentie. La mort vient in extremis, elle n’occupe qu’un moment.
La cymbale
Dans le même compartiment, on trouve un troisième élément, qui est, selon Fischart, un « carillon / qui accompagne l’horloge de quelques psaumes ». Le texte français n’évoque ce carillon qu’à l’occasion de la description du coq qui clôt la plaquette : « après qu’un Carillon de plusieurs Clochettes renfermées dans ladite arche s’est fait entendre ». Comme dans la description précédente, Frischlin donne vie au carillon, en faisant résonner sa poésie des chants des psalmistes, qui ne sont pas évoqués dans les deux autres textes. Ce passage est imprégné d’un esprit religieux chrétien et ne doit rien à la tradition poétique païenne.
Le coq dans la maison des poids
Le texte de la plaquette s’achève par le coq qui aujourd’hui encore est l’attraction principale de l’horloge de Schwilgué (présenté depuis le XIXe siècle dans la cathédrale de Strasbourg). Les adjectifs laudatifs de ce passage révèlent l’admiration de Frischlin : le travail fait sur le coq est merveilleux, l’oiseau est doté d’un « corps admirable », mirandi corporis, à l’image du « chant admirable », mirandum cantum et prend vie sous la plume du poète. Le coq envahit tout l’espace, totam aedem, et on entend son chant comme on entendait celui des psalmistes. Le verbe crocito, « fait cocorico » (que l’on trouve pour la première fois dans la traduction de la Vulgate) et les cris, clamoribus entrent en écho par l’allitération en [k]. On a encore ici une véritable hypotypose, comme on l’avait aussi dans le texte français : « Sur le haut de cette arche, il y a un coq qui semble être là pour avertir que l’horloge va sonner, parce qu’il chante deux fois en battant des ailes, et allongeant le cou, comme cet animal fait naturellement lorsqu’il chante ». Fischart, lui, se contentait d’une simple description : « À main droite à l’heure de l’horloge / se trouve une armoire contre le mur / dans laquelle sont cachés les poids / et sur laquelle est placé un coq / qui la garde et avant que l’horloge ne sonne / il chante et bas des ailes.»
Le texte se clôt par le seul nom d’Isaac Habrecht, horloger d’Argentorum, qui selon Frischlin, aurait imaginé et réalisé l’horloge. C’est aussi ce nom que l’on trouve dans la description française avec ceux de ses descendants : « Cette Horloge fut commencée en l’an 1570 par Isaac Habrecht, natif de Schaffhouse ; Abraham son fils l’a continuée et son neveu aussi nommé Isaac l’a achevée en 1574. Elle est encore aujourd’hui gouvernée par le Sr. Abraham Harbrecht, qui descend de la même famille, et Maître Horlogeur à Strasbourg. » Fischart ne mentionne aucun nom. On comprend donc l’amertume de Dasypodius qui répétait que c’était lui l’inventeur de l’horloge et que les autres n’étaient que des exécutants.
Malgré la présence de réminiscences, qui donnent çà et là au poème des allures de centon, Frischlin pouvait-il faire une description scientifique ? La réponse est affirmative. Le pari de l’écrivain est réussi : ses descriptions des cercles de l’horloge et de l’astrolabe, une fois toutes les difficultés élucidées, rendent bien compte de la réalité technique de l’objet.
X. Les innovations technologiques de l’horloge
Pour compléter le dossier, nous allons voir en quoi cette horloge témoigne des avancées technologiques de son temps, aussi bien dans son mécanisme que comme nouvelle manière de mesurer le temps.
Une nouvelle manière de mesurer le temps [Nathan Dumolin]
La redécouverte de l’Antiquité s’accompagne d’un renouveau dans le domaine des sciences dont l’horloge astronomique révèle l’avancement. L’histoire du globe céleste, aujourd’hui situé dans la salle de l’horlogerie du palais des Rohan, est le symbole du renouveau scientifique que connaît l’Europe et de ses limites. Conçu lors de la première phase du projet entre 1533 et 1548 (date de l’intérim d’Augsbourg), le globe brille par la représentation des constellations, toutes visibles dans le ciel de Strasbourg ce qui témoigne d’une bonne connaissance de l’astronomie. Mais ce que Frischlin ne mentionne pas à propos du Globe, c’est que celui-ci est construit sur le modèle ptoléméen alors même que Dasypodius est un fervent partisan de l’héliocentrisme copernicien. En réalité, Dasypodius est contraint pour deux raisons, d’abord par ce que le globe a été commandé par Chrétien Herlin durant la première phase du projet, et est donc quasiment achevé au moment où Dasypodius arrive aux commandes du projet, ensuite par ce que la commission de contrôle s’est probablement opposé à promouvoir la doctrine de Copernic de cette manière, ce qui n’empêcha pas Dasypodius de faire peindre un portrait de Copernic sur l’horloge. Ce dernier détail n’est pas anodin, puisqu’il marque le triomphe de l’héliocentrisme copernicien face à l’Église catholique.
La véritable innovation de l’horloge astronomique réside dans sa capacité à mesurer de manière exacte le temps, ainsi elle marque la laïcisation du temps, le passage du « temps de l’Église […] à celui des marchands », selon J. Le Goff (24). La question de la mesure du temps est mentionnée à plusieurs reprises dans le poème. Frischlin évoque par exemple « le zodiaque qui sépare les heures » ou encore « une aiguille en or [qui] mesure les quarts d’heure d’une manière assurée et revenir à chaque heure ». Pour un esprit contemporain, il ne s'agirait là que de détails tant la partition d'une journée en heures égales, celles données par une montre, paraît acquise et même basique, mais au XVIe siècle, la partition en heure inégales, c’est-à-dire l'heure donnée par les cadrans solaires, est encore fréquente. Or l'heure inégale est par définition changeante, puisqu'elle est calculée sur la base du jour apparent dont la durée change au gré des saisons. Par ailleurs, en l'absence d'astrolabe ou de cadran solaire, la vie est rythmée par les rituels liturgiques dont le début est annoncé par le son des cloches, d'où l'expression de temps de l'Église puisque les heures qui règnent sont les heures canoniales. Mais avec l'arrivée, très progressive, d'instruments capables de mesurer le temps de manière exacte, et dont l'horloge astronomique n'est que l'aboutissement, l'emprise de l'Église sur le temps diminue. Cette emprise diminue plus fortement encore dans le domaine des marchands et des artisans qui utilisent l'heure nouvelle pour rationaliser l'heure entreprise.
Les principaux éléments de l’horloge astronomique de Dasypodius, par Nan-Maël Charrié
Les données dont on dispose au sujet de la première horloge astronomique laissent supposer la présence d’un astrolabe et d’un calendrier que l’on faisait tourner manuellement chaque 1er janvier. La deuxième horloge comportait, quant à elle, cinq systèmes principaux bien plus avancés ainsi que de nombreux automates. Cette deuxième horloge témoigne du savoir de Dasypodius : celui-ci a en effet fait appel aux connaissances les plus avancées en matière d’astronomie, de mathématiques, d’horlogerie. Il n’a pas fait de découvertes révolutionnaires mais son génie réside dans sa réussite à concentrer art, sciences et techniques et à coordonner les travaux d’artisans de premier plan. Le mécanisme principal en fer forgé placé dans une cage de 2,05m x 1,02m x 1,92 m utilisait pour force motrice celle de poids suspendus à des cordes placées dans la tour à gauche de l’horloge. Le mécanisme de l’horloge était muni d’un régulateur à foliot et d’un échappement à verge vertical.
Les automates
De nombreux automates présentant une technologie très avancée pour l’époque animent cette horloge. Sur le pilier gauche, il y a le vieux coq de l’horloge des « Trois Rois » (première horloge). Le décor animé de l’horloge était également constitué d’un carrousel des jours de la semaine, chaque jour étant représenté par le char de la divinité correspondante (Mars pour le mardi par exemple) d’après « l’Heptagramme cabalistique », qui est une représentation ésotérique de l'univers basé sur les sept planètes de l'alchimie, Lune, Soleil, Mercure, Saturne, Jupiter, Mars et Vénus. Défilaient également les quatre Âges de la vie animés par un astucieux jeu de ressorts et de leviers.
Le cadran des phases de la Lune
La présentation des phases de la Lune est rendue possible par deux disques dorés à face humaine représentant cette dernière, dont le diamètre est égal au rayon du cadran. Ces deux disques étant diamétralement opposés par rapport à leur axe de rotation, un seul des deux disques pouvant être dans la moitié supérieure du cadran. En effet, la partie inférieure du cadran est occultée par une tôle possédant deux excroissances en demi-cercle, dont le diamètre correspond au rayon du cadran. Donc chaque disque est masqué pendant la moitié de sa révolution. Les deux excroissances, de même diamètre que les disques, permettent de masquer seulement en partie les disques et donc de former des croissants. Le cycle des deux disques est accompli en 2 x 29,5 jours dans le sens horaire.
L’astrolabe
L’astrolabe de Dasypodius est un astrolabe classique actionné mécaniquement, comprenant en plus la position des planètes. En effet, cet astrolabe utilise un système géocentrique et une projection stéréographique de pôle sud, non pas que Dasypodius soit opposé à la théorie copernicienne (comme le montre la présence du portrait du savant polonais sur l’horloge astronomique) mais parce qu’il s’agit d’une œuvre à la fois pédagogique et utile (en particulier pour la position du Soleil et donc l’heure solaire). Cet astrolabe représente donc les positions du Soleil, de la Lune, de Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne sur la sphère céleste. L’araignée représentant la sphère céleste tourne elle-aussi par rapport au cadran arrière fixe (appelé tympan). L’astrolabe donne en particulier l’heure solaire (indiquée par la main au bout de la flèche solaire) ainsi que le jour de l’année (position du Soleil dans le zodiaque).
Pour représenter tous ces mouvements, derrière l’astrolabe se trouve un système ingénieux et complexe d’engrenages à train épicycloidal.
Le Cadran à minutes
Le cadran à minutes était divisé en soixante sections, division déjà observée dans d’autres horloges comme celle de Salisbury construite en 1386, qui est la plus vieille horloge fonctionnant au monde (25). Cependant, la précision à l’époque devait plus s’approcher du quart d’heure que de la minute.
Le Calendrier
Le calendrier est formé d’une part d’une couronne circulaire de 2,92 m de diamètre (extérieur) et de 30 cm de largeur. Cette couronne est séparée en 366 secteurs, un pour chaque jour (jour de la semaine donné par les lettres de A à G) qui défile derrière une flèche tenue par la statue d’Apollon. D’autre part, un disque intérieur, calculé pour 100 ans, tourne d’1 / 100 tour le 31 décembre pour indiquer la lettre dominicale de l’année et les dates des fêtes mobiles. Il y a donc deux mouvements sur le calendrier : le premier pour chaque jour avec le cadran extérieur, le deuxième à chaque 31 décembre.
Le globe céleste
Le globe céleste d’un diamètre de 83cm est un élément sphérique situé devant le calendrier. Il a pour but de représenter le ciel observable depuis Strasbourg. En effet, l’horizon de Strasbourg ainsi que l’écliptique sont représentés sur ce globe, avec la latitude de Strasbourg que l’on mesure maintenant à 48,6°. La course du Soleil et de la Lune est également présente sur les deux alidades tournant sur le globe bien que la position de cette dernière soit plus qu’approximative. Cependant, le globe utilise une représentation assez singulière. Pour lire correctement les informations de ce dernier, il faut « s’imaginer être placé sur une petite sphère terrestre immobile au centre du globe, et observer à partir de ce point les informations du globe céleste par transparence. En fait, le globe de Dasypodius représente la sphère céleste « vue depuis l’extérieur » comme le feront les globes célestes ultérieurs (dont les très célèbres globes de Coronelli). Or quand nous observons le ciel, nous sommes au centre de cette sphère céleste. Il faut donc voir les informations en miroir. De plus, 48 constellations et les 1022 étoiles fixes décrites par Ptolémée sont représentées sur ce globe. À ce nombre impressionnant d’étoiles, s’ajoute la « nouvelle étoile » dont parle Frischlin.
Cette étoile est en réalité la supernova SN 1572. Observée dans la constellation de Cassiopée, elle est de type Ia. De manière générale, les supernovas résultent généralement de la mort d’une étoile massive, dont les réactions de fusions nucléaires interne ne parviennent plus à contrebalancer sa propre gravité. Le cœur de l’étoile s’effondre sur lui-même tandis que ses couches externes explosent vers l’extérieur. Or, les supernovas de type Ia sont légèrement différentes : elles prennent place dans un système binaire, c’est-à-dire où deux étoiles orbitent l’une autour de l’autre. Une de ces deux étoiles doit être une naine blanche (reste d’une étoile peu massive). Cette naine blanche va attirer la matière de son étoile compagne qui va s’accréter autour de la naine blanche et ce jusqu’à atteindre la limite de Chandrasekhar. La limite de Chandrasekhar est la masse limite qu’un corps peut supporter par résistance électronique, au-delà, le corps s’effondre gravitationnellement et les couches externes explosent vers l’extérieur.
XI. Perspectives
1) Le point de vue d’un horloger [Niveau débutant : Guy Schmitt]
Le texte latin donne d’abord une bonne image de ce que représentait à cette époque la cathédrale de Strasbourg : « un temple auguste et une tour sculptée qui regarde au loin. ». Il en va de même pour l’horloge astronomique. Toutes les descriptions qui suivent rendent compte de l’incroyable beauté et de la complexité de l’horloge, notamment de l’astrolabe hors-normes. Elles permettent bien d’imaginer la finesse de l’horloge et l’inventivité des personnes qui l’ont conçue, tout en faisant des allusions au Christ, à la mort et à d’autres thèmes courants à cette époque.
Moi qui ne suis qu’un simple horloger, « rhabilleur », qui répare les montres et les réveille-matin, après une formation d’horloger classique en Suisse, je ne peux être qu’admiratif du génie des concepteurs de cette horloge à calendrier perpétuel, et je pèse mes mots. Je ne pense pas que je comprendrais un ouvrage technique qui aborderait des notions savantes. Je me retrouve donc plus dans le quidam qui est admiratif, et quoi de mieux que de faire de la poésie pour traduire une telle admiration. Pour moi, l’horloge est un objet fabuleux, et qui m’étonne encore plus parce que comme horloger je sais combien cela nécessite d’inventivité et de rigueur. L’évocation des roues qui tournent, la description de chaque élément est à la hauteur de l’admiration que je ressens pour un tel mécanisme et je suis sensible à la beauté de ce texte comme je serais sensible à la beauté de l’horloge si je l’avais en face de moi. Les mots restent, les objets disparaissent. Paradoxalement, je me retrouve plus dans Frischlin que dans Dasypodius, parce que le premier a su exprimer la beauté et le génie, alors que le second n’a fait qu’une froide description.
2) Pistes de travail avec des collégiens [Sonia Cadi]
a) Plonger les élèves dans le sujet en leur faisant découvrir des notions de civilisation autour du cadran solaire à l'aide de vidéos ;
b) découvrir le texte : rencontre entre Mesdames Viellard, Arbo, et les lycéens / et les collégiens – (re)découverte de l'Humanisme et de poètes latins ;
c) entrer dans le texte : lire (repérage d'indices), comprendre (relevés d'indices textuels), traduire (« Imagines Mortis et Christi », le dernier passage), interpréter (confrontation aux éléments étudiés au cours du cycle 4 – interdisciplinarité), comprendre le fonctionnement de la langue (morphologie, lexique) ;
d) s'approprier le texte : dessiner un élément de l'horloge, la « reconstruire » en groupe, voir des vidéos ;
e) collaborer à l'écriture du commentaire : repérages, recherches, analyses, réponses rédigées ;
f) production d’un commentaire suivi du texte de Frischlin.
3) Pistes de travail avec des lycéens [Delphine Viellard]
a) Recherches scientifiques autour de la fabrication d’une horloge astronomique ;
b) découverte du texte et de son intertextualité (repérages à l’aide du logiciel texte library Brepols) ;
c) comparaison entre les trois horloges astronomiques, réalisation de schémas ;
d) visite des horloges astronomiques de Strasbourg ;
e) visio-conférences avec Charles-Henri Eyraud et les lycéens pour un apport de connaissances scientifiques » ;
f)) réflexion collective : Décrire une horloge astronomique avec un poème est-il pertinent. Qu’est-ce que l’écriture d’un centon apporte à la connaissance de l’horloge ?
Notes
1. Traduction : Description du nouvel ouvrage d'art astronomique de Strasbourg de la Cathédrale/ [Johannes Fischaft] ; colorié par Con. Dasypod., David Wolkenstein et Jsac Habrecht ; et peint par Tobias Stimmer
2. Orthographe modernisée et ponctuation adaptée au français actuel, mais particularités lexicales et syntaxiques conservées. Les maladresses du texte ont été corrigées. Saisie : Marie Muller (élève de terminale qui suit la spécialité LLCA latin).
3. Pour une biographie complète, lire D. R. Fr. Strauss, Leben und Schriften des Dichters und Philologen Nicodemus Frischlin, Frankfurt am Main, 1856, consulté le 30 décembre 2023 sur internet à https://archive.org/details/lebenundschrifte00stra/page/14/mode/2up. Disponible à la BNU sous les cotes D.191.029 et CD.102.101.
4. https://archive.org/details/bub_gb_40JSAAAAcAAJ/page/n15/mode/2up
5. De astrorum iudiciis, Bâle, 1578, p. 749-751. https://archive.org/details/bub_gb_ex9DAAAAcAAJ
7. Dasypodius, Conradus, Heron mechanicus: seu de mechanicis arbutus, atque disciplinis. Eiusdem horologii astronomici, Argentorati in summon templo erecti, descriptio. Strasbourg 1580, trans. Bernard Aratowsky, with an introduction and commentary by Guenther Oestmann (Augsburg, 2008), series Algorismus 68. https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=https%3A%2F%2Fgallica.bnf.fr%2Fark%3A%2F12148%2Fbpt6k9117383t%2Ff5#federation=archive.wikiwix.com&tab=url
8. l’Assyrie (32), la Perse (33), la Grèce (34) et Rome (35).
9. C. DASYPODIUS, 2008, p. 150. Traduction personnelle.
10. O. KRAUSE, S. BIRKMANN et M. GOTO, « Zwei Supernovae, Jahrhunderte nach ihrem Aufleuchten “posthum” beobachtet », dans Jahresbericht 2008, Heidelberg, Max-Planck-Institut für Astronomie, 2008, p. 29.
11. C.-H. EYRAUD, Horloges astronomiques au tournant du XVIIIesiècle: de l’à-peu-près à la précision, Thèse de Doctorat en Histoire, Université Lumière Lyon 2, 2004.
12. H. C. KING et J. R. MILLBURN, Geared to the stars : the evolution of planetariums, orreries, and astronomical clocks, Toronto, University of Toronto Press, 1978.
13. Voir Bernadette Schnitzler, Cinq siècles de civilisation romaine en Alsace, Éditions des musées de la ville de Strasbourg, 1996.
14. Guerre des Gaules, I, 51.
15. Géographie, IV, 3,4.
16. Germanie, 28.
17. Ce nom est constitué de *arganto-, argent, et *rāti-, levée de terre, fortin. Voir Pierre-Yves Lambert, La langue gauloise : description linguistique, commentaire d'inscriptions choisies, Éditions Errance, 1994.
18. contermina ripae : les alentours de la rive
19. Dasypodius, 2008, p. 136.
20. Selon le traité des premiers chrétiens Physiologus (c. 200 AD), les pélicans sont entièrement absorbés par l'amour qu'ils portent à leurs petites filles, mais lorsqu'ils choisissent leurs parents, ils sont tués par eux. Après trois jours de deuil, la femelle pélican ouvre son propre sein et les ressuscite à nouveau avec du sang, ce qui permet une analogie avec le sacrifice de Jésus (Physiologus, tr. Otto Seel, Zurich/Stuttgart 1960, p. 6 sqq). En conséquence, le pélican est devenu un symbole de la Passion du Christ.
21. Voir notre travail, p. X
22. L’idée du silence revient plusieurs fois dans le texte : « d’un pas lent » (tarde pede), metitur leniter (fait un tour doucement », ut tardo serpit pede, (insensiblement d'un pas silencieux).
23. Voir des exemples dans Catherine Hofmann et François Nawrocki, Le monde en sphères, Paris, Bibliothèque Nationale de France, 2019.
24. J. Le Goff, Pour un autre Moyen Âge. Temps, travail et culture en Occident : 18 essais. Paris, Galimard, 1977, p. 56.
25. Voir https://archive.wikiwix.com/cache/index2.php?url=http%3A%2F%2Fwww.ens-lyon.fr%2FRELIE%2FCadrans%2FMusee%2FHorlogesAstro%2FGeneral%2FPagesGr%2FSalisburyGr.htm#federation=archive.wikiwix.com&tab=url, site consulté le 21 janvier 2024.