Quelques pistes bibliographiques :
- Francis HASKELL & Nicholas PENNY, Pour l’amour de l’antique, Paris, Hachette, 1988 Philippe JOCKEY, L’Archéologie, Belin, 1997
- Alain SCHNAPP, La Conquête du passé : aux origines de l'archéologie, Le Livre de poche,1998
- Dominique POULOT, Musée, nation, patrimoine, 1789-1815, Paris, Gallimard, 1997
- Sylvie CAUCANAS, Rémy CAZALS & Pascal PAYEN (dir.), Retrouver, imaginer, utiliser l’Antiquité, Privat, 2001
- Jean-Luc MARTINEZ (dir.), Les Antiques du Louvre. Une histoire du goût d’Henri IV à Napoléon Ier, Paris, Fayard / Musée du Louvre, 2004
Notre œil s’est habitué depuis fort longtemps aux monuments ruinés de l’antiquité gréco-romaine qui marquent de leur présence souvent imposante l’espace de nos cités. Soit qu’ils demeurent dans l’état brut de leur redécouverte, soit qu’ils aient été restaurés depuis (cas le plus fréquent). Ces ruines semblent au premier abord nous offrir une image fidèle du passé du monde romain. Au point que nous en oublions qu’elles n’en sont que très rarement l’illustration exacte, mais bien plutôt une recréation sinon toujours une invention moderne qui remonte parfois à la Renaissance même. C’est alors, en effet, qu’on redécouvre un passé que la fin de l’Antiquité puis le Moyen-Âge avaient au mieux négligé, au pire systématiquement détruit.
Cette redécouverte de l’antique ne se limita pas alors aux seules ruines grecques et romaines qui ponctuaient l’espace européen et proche-oriental. Elle prit dans le même temps une seconde forme : la constitution de collections d’antiquités en tout genre. Au sommet de la hiérarchie du goût et du prix on plaça la statuaire et les monnaies et médailles, passions des numismates. Cet engouement exceptionnel exprimait une visée nouvelle : remonter à ce passé antique si longtemps occulté et désormais pris comme modèle. On considéra vite ces témoins matériels du passé à l’égal des textes et bientôt d’une véracité plus grande que ces derniers. Dès le XVe siècle, Cyriaque d’Ancône (1391-1452), dans ses Antiquarum Rerum Commentaria, affirmait que « les objets (étaient) les sceaux de l’histoire », établissant d’emblée le programme des antiquaires pour les siècles à venir. Moins de deux siècles plus tard, le grand érudit Nicolas Fabri de Peiresc (1580 – 1637) distinguait « bons et mauvais antiquaires », en fonction des visées de leurs collections, « éclairer par elles la lecture des bons auteurs, pour illustrer les circonstances de l’histoire et pour mieux graver dans les esprits les personnages, leurs faits et les grands événements », ou seulement « collectionner les antiquités pour la garniture de leurs armoires et l’ornement de leurs demeures et s’attachent seulement à les posséder pour qu’on les en sache possesseurs. » Enfin, Jacob Spon et Georges Wheler écrivaient, dans leur Voyage d’Italie, de Grèce et du Levant, paru en 1680, que « nos antiques ne sont autres choses que des livres, dont les pages de pierre et de marbre ont été écrites avec le fer et le ciseau. »
Objets et monuments antiques sont-ils réellement les mieux à même de nous ouvrir la voie de la connaissance vers Rome et son Empire ? Leur évidence matérielle l’emporte-t-elle vraiment sur les autres types de sources (textuelles ou iconographiques) ? Immédiatement ou à quelles conditions ? Il faut en convenir, nous sommes confrontés à un passé tout à la fois décomposé par le temps et recomposé par l’homme, au fil des siècles de cette redécouverte enthousiaste de l’antique.
Qu’il s’agisse des monuments eux-mêmes ou des objets exposés dans nos musées, si prestigieux soient-ils, l’accès au passé de Rome qu’ils autorisent a priori exige de nous l’établissement préalable d’une distance critique.
LES RUINES, UNE INVENTION MODERNE
La notion même de ruine, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, est pour ainsi dire absente de la pensée antique. Ruina, en latin, est un dénominatif dérivé du verbe ruere qui signifie littéralement « mettre à terre » et par extension, « détruire ». La ruina peut alors avoir un sens actif et signifier « la destruction ». On connaît la fameuse ruina montium décrite par Pline l’Ancien, cet effondrement planifié par les ingénieurs romains de pans entiers de montagne dans la région de Leone (Espagne) aux fins d’exploitation de l’or. C’est au pluriel (ruinae) que l’on retrouve son acception moderne les « décombres », c’est-à-dire ce qui reste après l’écroulement de l’édifice. Les ruines peuvent être l’illustration d’un fait de guerre (sens bien attesté chez Tite Live, par exemple) dont elles conservent la mémoire. Elles ne sont cependant que rarement le marqueur d’un passé auquel on souhaite se référer. Ce n’est pas l’état ruiné d’un édifice qui retient l’attention et suscite les discours historiques, mais bien son caractère ancien, propice à son éventuelle sacralisation.
Oubliées, détruites ou remployées au Moyen-Âge, les ruines d’un édifice antique acquièrent un statut nouveau à partir de la Renaissance. Qu’il s’agisse d’un temple, d’un amphithéâtre, de thermes ou de villae, pour ne prendre que les types d’édifices romains les plus répandus sur notre territoire, ces monuments, victimes des outrages du temps et de l’homme, ne nous ouvrent paradoxalement que très partiellement la voie vers l’antiquité. Ils sont effet privés de trois éléments-clefs : leur état primitif, leur inscription dans l’espace et leur « mode d’emploi » originels. Charge à nous, dès lors, aidés des historiens et des archéologues, de leur redonner virtuellement ou matériellement ces qualités manquantes. Dans cette entreprise, les opérations de reconstruction partielle ou totale de ces ruines peuvent faire écran à notre connaissance du passé plus qu’elles ne la servent.
La reconstruction des parties manquantes d’un édifice retenu pour son exemplarité est en effet une tentation constante des modernes. Reconstruire est ici le prélude à une reconstitution plus globale (des activités, des circulations, des fonctions, etc.) Les ruines que nous avons sous les yeux, sauf exception, ne sont le plus souvent que des reconstructions modernes partielles conduites à grand renfort de béton ou de pierres fraîchement extraites. Sur quels critères opère-t-on de tels travaux ? La conservation même de l’édifice, qui exige consolidation ; sa mise en valeur sur le site même ; la compréhension de ses fonctions premières ; sa réutilisation programmée. Chacun jugera de la pertinence de ces critères selon sa familiarité avec tel ou tel monument dont la restauration s’est faite en fonction de l’ensemble de ces critères ou de quelques uns d’entre eux seulement.
Les exemples de telles reconstructions et réaménagements modernes abondent : arènes de Nîmes, amphithéâtre d’Orange, temples géminés de Glanum, pour ne prendre que trois exemples du sud de la France. Point commun à chacun d’entre eux : le caractère limité des interventions opérées sur le bâtiment même. Nulle reconstruction totale, en effet, mais des réédifications partielles, qui ajoutent aux temporalités qui affectent déjà le monument (temps de la construction, de l’utilisation et de la destruction) une nouvelle vie, sinon une ultime ! Au point que nous avons parfois affaire à un monument-écran, qui fait obstacle par son état même à la connaissance du passé qu’il est pourtant réputé « incarner ».
La patrimonialisation d’un monument antique, c’est-à-dire son appropriation, à un moment donné, par une instance publique ou semi-publique, ne sert pas toujours l’histoire. La ruine, isolée de son contexte originel, restaurée dans un état dont on est sûr qu’il n’a jamais été connu des anciens, utilisée à des fins sinon toujours nouvelles du moins très éloignées de leur nature primitive, nourrit dès lors un discours non seulement extérieur à son histoire propre mais encore, dans le pire des cas, des intérêts partisans et radicaux, à l’instar des fora et autres monuments impériaux de Rome et de leur récupération par un Mussolini dans les années 1920. Le dictateur veillera à ce que « les monuments millénaires de notre histoire (se dressent) dans une nécessaire solitude. »
Les objets collectés au fil des siècles ou exhumés à l’occasion de fouilles (à partir du XIXe siècle) sont-ils une meilleure voie d’accès au passé ? Ici aussi, la plus grande prudence s’impose.
LES MUSÉES, ENTRE HISTOIRE, PRODUCTION ET EFFACEMENTS DE MÉMOIRE
Nous reconnaissons dans nos musées l’un des lieux privilégiés de l’histoire du monde antique. Pourtant, il faut en convenir, l’image que nous avons de l’antiquité à travers leur fréquentation n’en est pas la photographie stricte mais l’héritage d’une élaboration multiséculaire. En un mot, la Rome que nous visitons salle après salle n’est que l’une des Rome possibles quand elle n’est pas purement et simplement une Rome rêvée.
En effet, l’évidence matérielle des objets antiques présentés dans nos musées, amphores, armes défensives et offensives, vaisselle, monnaies, etc., fait écran une fois encore à une réalité vite oubliée : tous résultent d’une triple sélection et imposent donc au regard du visiteur une vision biaisée de la réalité grecque ou romaine.
Première sélection : celle qu’a opérée le temps, au fil des siècles et des millénaires. L’antiquité que nous avons aujourd’hui sous les yeux est une antiquité de pierre, de métal et d’argile. Et non pas une antiquité de textile, de cuir ou de terre crue. « Faute » en est aux matériaux organiques eux-mêmes, dont la vulnérabilité a eu raison, le plus souvent, par exemple, des vêtements portés (sandales en cuir, toges en lin ou en laine, etc.) par « nos ancêtres les Romains... » De même, l’habitat privé, le plus souvent modeste, de pisé et de bois, nous échappe presque totalement. Quant à l’alimentation des anciens, elle n’a jusqu’à une date récente été connue que par les textes et autres traités de cuisine (par exemple, Apicius, De re coquinaria). En un mot, c’est la vie quotidienne même des Romains qui s’est dérobée, fort longtemps, à notre regard. À l’exception de la céramique culinaire en terre cuite, qu’elle fût commune ou d’exception. À l’inverse, calcaires et surtout marbres importés à grand frais, à partir du Haut Empire, des confins de la terre habitée, ont imposé leur évidence minérale au regard et influencé notre jugement depuis la Renaissance. Comme l’avaient souhaité leurs commanditaires, d’ailleurs, soucieux de laisser d’eux-mêmes et de leur œuvre le souvenir pérenne. Seules des circonstances exceptionnelles, liées à des conditions d’enfouissement spécifiques (en milieu humide et anaérobique), permettent la conservation de matériaux organiques, comme les fouilles récentes du Rhône (Musée de l’Arles et de la Provence antiques) viennent encore de l’illustrer de manière spectaculaire. De telles découvertes permettent alors d’illustrer la vie quotidienne à Rome ou dans ses provinces.
Encore faut-il faire la part, en second lieu, des effacements de mémoire opérés par l’homme lui-même. Dès la fin de l’Antiquité, c’est tout un pan de la civilisation romaine, son volet religieux, qui fait l’objet de destructions massives par les premiers chrétiens, dès lors qu’ils affirment leur pouvoir face au paganisme. Monuments, offrandes et statues cultuelles sont renversés, victimes de cette ruina évoquée plus haut. Combien « d’idoles » païennes ont- elles été détruites de la sorte ? Nous ne le saurons jamais avec précision, mais le naufrage est immense, et les pertes se chiffrent par dizaines de milliers. Quant aux objets réalisés dans les métaux les plus précieux, ils ont été fondus et destinés à la production de nouveaux artefacts, contribuant ainsi à cet effacement de mémoire collective.
À ces deux premiers filtres s’en est ajouté un troisième : le tri opéré par l’homme moderne lui-même, confronté à cet héritage déjà fort sélectif du passé. Un tri dicté par des passions individuelles, d’abord, mais aussi par l’espoir de gains ou enfin par des arrière-pensées politiques. Cette étape fut décisive dans la mesure où elle permit même partiellement de tirer de l’oubli Rome et ses provinces.
Les collections princières et cabinets de curiosité (XVe-XVIIIe siècles)
Dans la réception de l’antiquité grecque et romaine, la constitution de collections privées ou princières, dès le XVe siècle, a joué un rôle déterminant. C’est alors, en effet, que s’est imposée une hiérarchie des objets antiques, fondée d’abord et avant tout sur une certaine idée de Rome (ou d’Athènes), redécouvertes par la fréquentation assidue des chefs-d’œuvre de la littérature grecque et romaine. Ce goût nouveau pour l’antique va déterminer une attitude inédite : la collecte d’objets réputés incarner, au mieux, cette culture qui sert désormais de modèle aux princes et aux cours.
La sculpture va occuper une place déterminante dans cette célébration princière de l’antiquité. Rome, dès le Quattrocento, livre au regard des milliers de statues romaines, copies d’époque impériale, le plus souvent d’œuvres grecques classiques dues aux plus grands sculpteurs de l’antiquité, tels Phidias, Polyclète, Praxitèle ou encore Lysippe. Dès lors, pour un souverain, ou un riche et noble particulier, le comble du chic sera de s’entourer de ces chefs-d’œuvre, dont la présence, chez soi, dans son palais ou sa demeure seigneuriale, témoigne du goût et du raffinement de leur propriétaire.
Les jardins deviennent l’espace privilégié de mise en scène de cette antiquité retrouvée. On y dispose les statues les plus célèbres. On en produit des copies modernes, en bronze ou en marbre. C’est ainsi que François Ier lui-même, commandera à Rome des répliques d’œuvres originales qu’il fera venir à grands frais. Le pouvoir des souverains s’exprime aussi par l’affichage ostentatoire de cette familiarité avec l’Antiquité.
La réappropriation de ces témoins matériels du passé s’effectue via des réseaux d’antiquaires. On entend par là d’abord et avant tout des amateurs d’antiquités, et non pas seulement des marchands. Certes, bon nombre d’entre eux procèdent à des achats et des ventes, mais le plus souvent pour leur propre compte et non pas comme intermédiaires. Leur visée principale, en effet, est d’accumuler, dans des salles de leurs demeures spécifiquement dévolues à leur exposition — des cabinets — des curiosa, des « choses rares et curieuses », témoins, souvent d’un passé révolu, qu’il relève du domaine de la nature ou de l’histoire de l’homme.
Ces « cabinets de curiosités » connurent un succès fulgurant en Europe à l’époque moderne. Ouverts par des amateurs de curiosa à leurs pairs, ils juxtaposaient, dans un ordre précis, antiquités grecques et romaines et phénomènes naturels exceptionnels ou révolus. Jusqu’à confondre, parfois, les deux sphères de la nature et de l’histoire très ancienne de l’homme. C’est ainsi que lames de silex de l’âge de la pierre taillée et douilles de haches de l’âge de la pierre polie furent-elles prises respectivement pour des glossopètres (« langue de serpent pétrifiée ») et des céraunies (« pierres de foudre », générées par l’orage).
Seul critère à la constitution de ces collections privées et bientôt semi-publiques : leur caractère rare et curieux. Celui-ci est alors compris dans un sens très large : lors de l’exploration des cités campaniennes d’Herculanum et de Pompéi dans la première moitié du XVIIIe siècle, la découverte d’un pain, cuit dans l’incendie d’une boulangerie et miraculeusement conservé, sera comptée au nombre d’une curiosité qui n’a alors rien à envier à une défense de mammouth ou à un fossile de la plus haute antiquité de la terre. Notons que la beauté n’est pas, a priori, le critère premier de choix d’un objet.
On assiste alors à l’apparition d’une première muséographie, même si nous n’avons pas affaire encore à des musées à proprement parler, compte tenu du caractère encore non public de ces collections offertes au regard de quelques privilégiés seulement. Quelques gravures nous en ont laissé le souvenir. Point commun à chacune d’entre elles, l’antique et le naturel couvrent toute la surface du cabinet, du sol au plafond, disposés selon un agencement précis, fonction des genres, espèces et dimensions, par exemple. Celui-ci est comme la signature de son propriétaire, la marque personnelle de son érudition et de son goût. Ceux qui le visitent (ses pairs) les reconnaissent et les jugent (en bien ou en mal) comme telles.
L’avènement des musées et la pratique de la fouille pourvoyeuse d’antiquités
On aurait pu en rester là si les souverains – rois ou empereurs – n’avaient peu à peu compris l’intérêt qu’il y a avait à offrir au public de tels vestiges d’un passé dont ils maîtriseraient désormais l’image et l’histoire. A fortiori dès lors qu’ils se reconnaissaient, souvent, dans certaines formes de gouvernements et dans les grandes figures de l’antiquité romaine. Jules César, ou encore Auguste, on le sait, ont connu de ce point de vue un succès exceptionnel. L’un des exemples les plus spectaculaires de cette évolution reste sans aucun doute celui des collections d’Antiques du Palais du Louvre, réunies, au fil des siècles, par les souverains français, depuis Henri IV jusqu’à Napoléon Ier. Tous n’eurent de cesse de réunir les « Antiques » dans des salles ou des bâtiments spécifiques, témoins du goût royal ou impérial, acte de générosité par la possibilité ainsi donnée à un public choisi d’érudit d’y étudier, manifestation de puissance, enfin, opposable à tous.
Pour aller plus loin et toucher une population plus large, dans cette relation nouvelle qui s’instaure entre le pouvoir et le grand public au XVIIIe siècle, il fallait au préalable changer d’échelle afin d’offrir au plus grand nombre de sujets... Le plus grand nombre d’objets. Il était nécessaire pour cela « produire » des vestiges en grandes quantités. La pratique de la fouille allait permettre de le faire pour le plus grand profit de son commanditaire.
La prise en charge des fouilles d’Herculanum et de Pompéi par le souverain, entre 1738 et 1748 est l’acte fondateur de cette relation nouvelle entre souverain, public et antiquités. Elles constituèrent une étape décisive dans la redécouverte de l’antiquité romaine par le grand public et posèrent les bases d’une muséographie moderne. À terme, en effet, des dizaines de milliers de vestiges furent exhumés, dont le caractère exceptionnel tenait souvent à leur banalité même, miraculeusement sauvés de la destruction par leur enfouissement sous les laves et les cendres du Vésuve.
La création des musées fut donc en Europe le fruit d’une volonté politique forte, soucieuse d’afficher sa proximité avec un passé soigneusement choisi pour le prestige qui ne manquerait de s’attacher à ceux qui le ressusciteraient. Autrefois nourris du seul trafic d’antiquités, ils hébergèrent, à partir du XIXe siècle, surtout, le produit des fouilles de grande envergure conduites par les États eux-mêmes dans toute l’Europe. Qu’on juge plutôt de leur richesse, à l’instar du Musée national de Naples, riche des antiquités collectées au fil des fouilles d’Herculanum et de Pompéi. Avec le musée, le mobilier romain, tombé sous les yeux des modernes, connaîtra désormais le temps des (re)mises en ordre. Aujourd’hui encore, la création annoncée d’une « Maison de l’histoire de France » est le fruit d’une volonté politique affirmée au plus haut niveau de l’État.
Que les musées accompagnent, depuis leur création, l’histoire même des nations, y compris dans leurs formes les plus contemporaines, le succès actuel de leur implantation régionale ou locale finirait de nous en convaincre. Aujourd’hui, la civilisation romaine se régionalise voire se localise, enracinant un territoire dans une histoire prestigieuse et lui conférant ainsi une légitimité nouvelle. Faute, parfois, de collections suffisamment riches, une telle volonté induit une muséographie nouvelle, où le moindre vestige, si infime soit-il, occupe une place centrale.
Les musées, comme autrefois les cabinets de curiosités, ne nous donnent du passé, on l’aura compris, qu’une image soigneusement construite, sélection après sélection et fonction de l’idéal, de l’idéologie et / ou des intérêts scientifiques, mais aussi économiques voire politiques du moment.
À l’archéologue et à l’historien de l’antiquité incombent dès lors la mission de substituer à ces inventions une rationalité historique fondée sur la collecte, la confrontation et la critique des sources matérielles et textuelles, aux fins de produire un fragment de l’histoire de cette aventure exceptionnelle que fut celle de la Rome antique. Dans cette perspective, la révolution numérique de ces vingt dernières années offre une occasion exceptionnelle.
LES MUSÉES VIRTUELS, NOUVEL ESPACE DE RECRÉATION DU PASSÉ
Il ne fait nul doute en effet que les moyens nouveaux mis à disposition des chercheurs et du public ne facilitent cette synthèse délicate entre les sources textuelles, iconographiques et matérielles de la Rome antique, à la faveur de la révolution numérique de ces dernières années. La constitution de bases de données documentaires et bibliographiques, la mise en ligne de la littérature latine (TLL), la maîtrise de l’imagerie 3D, propice aux restitutions virtuelles les plus précises, le développement de l’écriture hypertextuelle, qui autorise la mise en réseau immédiate des sources les plus diverses et la diffusion instantanée et mondiale du savoir permettent de redéfinir les contours d’une science du passé qui n’en réclame pas moins, pour autant, une lecture critique.