Monothéisme philosophique, monothéisme religieux

 

pistes bibliographiques :

J. ASSMANN, Le Dieu unique, Flammarion, Paris, 1991
S. BRETON, Unicité et monothéisme, Cerf, Paris, 1981
H. CORBIN, Le Paradoxe du monothéisme, L'Herne, Paris, 1981
J. DANIÉLOU, Les origines du christianisme latin, Paris, 1978
G. MADEC, Deus, dans l'Augustinus-Lexikon, C. Mayer (éd.), Vol 2, Fasc. 3/4, Bâle, 1999, p.313-366
A. MANARANCHE, Le Monothéisme chrétien, Cerf, Paris, 1985

Le monothéisme, qui affirme l’existence d’un dieu unique, transcendant, révélé et personnel, pénètre dans la culture et le monde romains d’abord avec le judaïsme, puis avec la diffusion du christianisme pendant les premiers siècles de l’Empire. La religio romana est évidemment fondée sur le polythéisme, et à partir de César elle va se caractériser par l’importance toujours croissante du culte de l’empereur. À la tête du panthéon romain se trouve la fameuse triade : Jupiter, le souverain des dieux qui dirige et protège les activités humaines, Mars et Quirinus, les dieux des hommes en guerre et en temps de paix ; viennent ensuite Janus et Vesta qui protègent le foyer, Palès qui garde les troupeaux, Saturne et Cérès, Pomone ou Consus qui veillent sur les champs, et les autres divinités.

Le judaïsme, religion monothéiste fondée sur la révélation faite à Moïse sur le mont Sinaï, s’est diffusé dans le monde hellénistique et, à ses débuts, a entretenu de bonnes relations avec Rome, où la présence d’une communauté juive à partir du premier siècle avant notre ère ne posait pas problème. Les Juifs pratiquaient des sacrifices, comme les Romains, dans le temple de Jérusalem, mais ils n’admettaient pas le culte d’un autre dieu, et, pour une conversion complète, ils imposaient la circoncision des hommes. Cela explique qu’il ait exercé son attraction principalement sur les femmes romaines et que, à côté des véritables convertis, il y ait eu un nombre important de « craignant Dieu » qui ne pratiquaient qu’une partie des rites juifs. Avec l’expansion de la conquête, les Romains commencèrent à vénérer les divinités gréco-orientales adorées par les peuples conquis et à leur donner l’hospitalité dans de nouveaux sanctuaires, situés en dehors du pomoerium, c’est-à-dire de l’enceinte sacrée de la ville. C’est ainsi que se propagèrent à Rome le culte de Cybèle, la grande mère phrygienne des dieux, celui d’Isis, la déesse égyptienne de la Lune et de la fertilité, et celui de Mithra, le dieu-taureau perse du Soleil. Ces religions à mystères, porteuses d’une promesse d’éternité, favorisèrent l’implantation du sentiment religieux chrétien dans le monde romain, sans pour autant constituer la cause décisive de sa victoire sur les cultes païens.

Pour les Romains, la religion de Chrestus, Jésus de Nazareth, à la fois Dieu et homme, ne fut au début qu’une secte juive qui put donc prospérer à l’ombre du judaïsme. Mais ce furent justement les querelles entre Juifs et judéo-chrétiens qui troublèrent l’ordre public et provoquèrent la réaction des empereurs romains. L’ignorance se transforma ainsi en crainte, et l’indifférence en haine. Le christianisme devint une menace pour la stabilité du monde romain, car ses sectateurs refusaient généralement de porter les armes et affirmaient que leur royaume n’était pas de ce monde, ce qui constituait un outrage à l’égard du pouvoir impérial. À partir de l’incendie de Rome par Néron (64), les persécutions contre les chrétiens se succédèrent en prenant des formes différentes, jusqu’à l’Edit de Milan qui proclama la liberté de culte dans l’Empire (313), avant que, sous le règne de Théodose, le christianisme ne devînt la religion officielle de Rome (391-392).

Tout en héritant d’une partie des concepts et du vocabulaire du monothéisme juif et en s’opposant aux diverses formes populaires de polythéisme, les auteurs chrétiens jouèrent, mutatis mutandis, un rôle culturel comparable à celui des philosophes païens. Ils partageaient avec eux la même formation classique, faite pour l’essentiel de rhétorique et de philosophie.

Leur herméneutique recourait nécessairement aux méthodes païennes d’exégèse du texte, et leur pensée ne pouvait être radicalement dissociée des conceptions philosophiques relatives au Dieu suprême, aux êtres intermédiaires, à l’organisation du monde et à la condition humaine. Le monothéisme chrétien, en tant que pensée de la transcendance, devait nécessairement se confronter avec le monisme stoïcien, dans lequel Dieu s’identifie avec le monde, en tant que pneuma actif qui le forme et le guide, principe unique, rationnel et matériel, de toute réalité. Le Dieu des Stoïciens est omniprésent et omniscient : il pénètre tout en vertu de son immanence et connaît tout grâce à sa providence ; il est non seulement la cause originaire et principielle de la nature, puisqu’il représente l’essence intrinsèque de l’univers, mais aussi une source intarissable de bienveillance et de générosité, car il prend soin de tout ce qui existe, en accordant une sollicitude toute particulière aux seuls êtres rationnels, les hommes et les dieux.

Mais le christianisme entretint une relation beaucoup plus complexe avec le platonisme qui se diffusa à Rome à partir de la seconde moitié du premier siècle avant Jésus-Christ. Contrairement à l’inspiration sceptique de l’Académie hellénistique, ce platonisme, que l’on appelle Moyen, et qui comportant une forte composante pythagoricienne et intégrant certains concepts aristotéliciens et stoïciens, présentait une conception démiurgique du principe divin et de la genèse du monde. Pour Platon et pour les Médio-platoniciens du début de l’ère chrétienne, le dieu-démiurge est à la fois le père du monde, car il l’engendre comme un géniteur, et son fabricant, car il le construit de manière artisanale. L’univers est ainsi le résultat parfait de sa providence, autrement dit de son intelligence et de sa bonté, de son plan réfléchi et de sa production généreuse. L’âme humaine, de même que l’Âme du monde, est céleste et divine par nature, immatérielle et immortelle grâce à sa partie ou faculté rationnelle.

Les philosophes romains d’époque hellénistique et impériale ont beaucoup marqué, avec leur théologie, la pensée des auteurs chrétiens. Cicéron, qui représente à la fois l’autorité politique de la religion romaine et la tradition philosophique d’inspiration académicienne, refuse l’identification de dieu et du monde avec le feu universel des Stoïciens (De nat. deor. 3, 23), et affirme que seule la Providence rend compte de la nature et de l’activité du divin célébrées dans les rites et dans les cultes romains. Sénèque, en considérant l’étique comme une préparation à la physique, soutient que la vertu, qui consiste à être libre de tout mal, est ce qui prédispose l’esprit à la connaissance des réalités célestes et le rend digne d’entrer dans une association avec Dieu (Quaest. Nat. 1, 6). Autrement dit : l’étude de la nature en tant que telle élève nos âmes et les rapproche de Dieu ; inversement, la cosmologie nous apprend à accepter notre nature et à mener une vie bonne. Pour le stoïcien Sénèque, le sage doit observer les rites de la religion romaine « en considérant qu’ils sont dictés pas les lois, et non pas qu’ils plaisent aux dieux » (ap. Aug., Civ. 6, 10).

Cela montre bien la double attitude – la critique et l’appropriation – des philosophes romains à l’égard de la religion traditionnelle de Rome. La théologie était pour eux la partie la plus importante de la physique, et elle consistait en un amalgame d’éléments panthéistes et théistes, ce qui explique l’emploi interchangeable des termes « dieu » et « dieux ». Marc Aurèle a une conception plutôt impersonnelle du divin, auquel il se réfère au moyen d’expressions comme « la nature du tout », « l’esprit du tout », « le cosmos qui t’a engendré » (2, 9 ; 10, 20 ; 12, 1). Épictète, en revanche, adopte une vision plus personnelle de la divinité : son dieu est un père et un ami, mais aussi un compagnon de vie, qui nous voit et nous surveille (Diatr. 1, 14 ; 1, 30, 1 ; 3, 11, 4), nous aide et nous punit, et à qui l’on peut adresser des prières. Cornutus, quant à lui, aborde la physique stoïcienne via la tradition mythologique, en recourant souvent à des étymologies de noms et d’épithètes des dieux romains ainsi qu’à des allégories fantaisistes de traits du culte traditionnel.

Le premier auteur qui témoigne de la continuité et de la rupture entre la culture gréco- latine et le christianisme naissant est Tertullien (155-230). En reprochant aux philosophes leurs contradictions et leurs divergences, Tertullien proclame la supériorité du peuple chrétien, qui ne dissocie pas les doctrines professées et les comportements individuels, et celle de la foi chrétienne, qu’il considère comme la sagesse par excellence, une « meilleure philosophie ». Cependant, Tertullien sait pertinemment que la philosophie grecque est indispensable à la réflexion théologique (De idol. 10, 4). Reprenant un thème cher au judaïsme hellénistique, il affirme que la culture païenne et profane est postérieure aux Écritures, dans lesquelles elle aurait puisé. Il considère la philosophie comme une propédeutique à la théologie, puisqu’elle permet d’accéder partiellement à la Vérité et aide à la formulation de certains dogmes, notamment le dogme trinitaire. Contre son adversaire Praxéas qui identifiait le Dieu de l’Ancien Testament avec son fils Jésus-Christ, Tertullien prône la distinction des personnes du Père, du Fils et du Saint Esprit dans leur unité essentielle et numérique, et la distinction de deux natures dans l’unique personne du Christ.
La pensée de Tertullien est influencée par la philosophie d’Aristote et celle de Platon, mais aussi fortement marquée par le stoïcisme, et tout particulièrement par l’œuvre de Sénèque. Sa théologie se construit et se développe grâce aux concepts stoïciens de raison et de nature, de providentialisme cosmique et de sympathie universelle, et grâce au vocabulaire ontologique des écoles hellénistiques. Dans l’élaboration de sa doctrine sur la connaissance de Dieu, Tertullien adopte et adapte la théorie stoïcienne du sensus communis en la présentant comme une expérience métaphysique accessible à tout individu. Selon Tertullien, il y a un moyen « surnaturel » de connaître Dieu, par la Révélation contenue dans les Écritures, et deux moyens « naturels » : le premier, cosmologique, consiste à remonter de la créature au Créateur ; le deuxième, psychologique, est la conviction que l’homme possède en lui une « notion innée » qui lui permet d’appréhender Dieu.

Un autre auteur important du premier christianisme latin est Lactance (250-325). Ses œuvres crypto-chrétiennes, puisqu’elles ont été écrites en un temps de persécutions, révèlent d’une part l’appropriation de certains concepts de la religion romaine – comme celui de Dieu pater familias et imperator –, et d’autre part l’influence du platonisme, du gnosticisme et de l’hermétisme africains de son époque et de son milieu. Lactance cite la Bible quand il l’estime nécessaire, et il a souvent recours à la littérature païenne, non seulement philosophique, mais aussi poétique et rhétorique : Virgile, Lucrèce et Sénèque sont ses interlocuteurs principaux, mais son modèle littéraire est sans aucun doute Cicéron, à tel point qu’il a pu être appelé « le Cicéron chrétien ». Dans son œuvre maîtresse, les Institutions divines, Lactance répond de manière définitive à tous les philosophes païens en se posant la question de l’existence de la Providence et celle de l’unicité de Dieu, contre le polythéisme anthropomorphique qu’il considère comme la déchéance de l’homme (Inst. 1, 8-23 ; 2, 18).

Selon Lactance, la philosophie est l’amour de la sagesse qui n’a jamais atteint son objet et qui est donc une « fausse sagesse » : les philosophes se sont affrontés mais ils ne se sont pas posés les vraies questions, ils ont élaboré des doctrines sans pour autant réussir à saisir l’essence du summum bonum. Lactance soutient en effet que la véritable sagesse ne peut pas être séparée de la religion qui proclame l’unicité de Dieu et qui célèbre l’incarnation d’un « Maître de justice et guide de la vérité » (Inst. 4, 22-26), à savoir son Fils Jésus-Christ, soit la deuxième personne divine. C’est donc la religion chrétienne qui, pour Lactance, comporte la vraie connaissance et le vrai culte de Dieu, que l’on apprend à travers la mission et les œuvres du Christ, de son baptême à son ascension. Lactance considère l’incarnation du Christ comme la restauration de la justice sur terre, et affirme que le fondement de toute morale n’est que la reconnaissance par l’homme de sa relation à Dieu (Inst. 6, 24-25). La position de Lactance est dualiste, même si elle repose sur l’idée que Dieu est unique : selon lui, le mal, que Dieu a créé, représente la contrepartie du bien, et il a été donné à l’homme afin qu’il puisse prouver sa vertu. L’être humain est ainsi la créature parfaite de Dieu et son obligation morale est celle de vivre en bon chrétien en respectant l’humanité, et d’obéir à Dieu en se consacrant à la militia Dei. Lactance s’interroge enfin sur le bonheur, le but de la vie humaine, qui, pour lui, n’est rien d’autre que l’immortalité grâce à laquelle l’homme transcende la création et s’assimile à Dieu.

Augustin (354-430) est l’auteur majeur de la littérature chrétienne en langue latine. Dieu, sa nature propre et son rapport au monde ont toujours été au centre de ses préoccupations, depuis la lecture de l’Hortensius de Cicéron jusqu’à la réfutation du manichéisme, en passant par la découverte des « Platonicorum Libri ». Augustin interprète la Bible à l’aide de catégories platoniciennes ou néo-platoniciennes, étant persuadé de la conformité, au moins partielle, de la doctrine de Platon à l’enseignement de l’Écriture. Pour Augustin, le Dieu d’Israël s’oppose à la pluralité des démons et des anges déchus que sont les dieux païens, et il s’identifie avec le Jésus-Christ de l’Évangile, le Verbe divin, car Dieu est trois et un, à savoir une seule essence en trois personnes distinctes : le Père, le Fils et le Saint Esprit (Conf. 12, 7).
En refusant l’anthropomorphisme et le cosmomorphisme divin, Augustin conçoit d’abord Dieu comme une grandeur qui traverse et pénètre la masse toute entière du monde, comme une mer infinie (Conf. 7, 2 sqq.), pour ensuite découvrir la pure spiritualité de l’esprit humain et de Dieu au-dessus de lui (ib. 7, 16). C’est au moyen d’une expérience de conversion qu’Augustin entre dans l’intimité de son être et la parcourt jusqu’à rencontrer Dieu, le fondement et la fin de tout. Il réalise ainsi qu’il s’agit du vrai Dieu, un et trine, l’Être absolu et la Vérité éternelle ; il décide donc de se faire baptiser et de recommencer une nouvelle vie, c’est-à-dire, de « renaître en Dieu » (ib. 9, 14). Sa démonstration de l’existence de Dieu, une ascension spirituelle méthodique, relève en effet de sa conversion personnelle, dans laquelle Saint Ambroise joua un rôle majeur, et exige de chacun une conversion, à savoir le retournement de l’esprit sur lui-même et vers Dieu.

Pour Augustin, Dieu est insaisissable au sens premier du terme, car l’esprit humain ne peut embrasser que partiellement, chaque fois, son infinitude spatio-temporelle. Dieu est d’ailleurs invisible parce qu’il est incorporel, et l’homme doit écarter constamment les représentations de son imagination afin de le voir, tel qu’il est, pur Esprit, Lumière et Vérité, dans la béatitude de son cœur pur. Dieu est aussi ineffable, indicible, car il dépasse tout ce que nous pouvons sentir ou penser de lui ; c’est pourquoi la réflexion sur Dieu, convenablement menée, doit aboutir au silence, le silence dans lequel se tiennent les anges qui reposent dans le Verbe de Dieu (Cat. Rud. 28). Cependant, le Dieu d’Augustin n’est pas uniquement et complètement transcendant, car il est aussi immanent : il a créé le monde par sa générosité pure, puisqu’il est le Bien créateur de tous les biens et pour lui il n’y a pas de mal, mais il maintient aussi le monde par son omniprésence et sa science toute-puissante, car il est présent partout, tout entier, et exerce sa providence à l’égard de tous les êtres.

La doctrine chrétienne que professe Augustin est celle du Dieu Créateur et Sauveur, et de l’homme, créé à l’image de Dieu, déchu par le péché d’Adam, sauvé par le rachat du

Christ. Père, Fils et Saint Esprit sont ensemble un seul principe et un seul créateur (Trin. 5, 15), leur opération étant une et identique en vertu de leur consubstantialité. Néanmoins, les Trois exercent chacun sa propre fonction : le Père comme puissance, le Fils comme Sagesse, l’Esprit comme amour (Trin. 6, 1 sq.). Selon Augustin, le péché d’Adam a perturbé la création, mais le dessein éternel de Dieu comprend le dispositif de l’économie du salut de l’homme : l’incarnation rédemptrice du Fils qui se termine par la mission de l’Esprit Saint.

Augustin est d’ailleurs convaincu que la vraie philosophie est orientée vers la Trinité, la réflexion trinitaire englobant la doctrine de la création du monde et celle du salut de l’homme. Croire à la Trinité signifie pour lui comprendre d’une part l’unité ontologique du Père, du Fils et du Saint Esprit en tant que seul et vrai Dieu, et, d’autre part, les effets divers de leur action dans le monde par l’étude des témoignages scripturaires. Augustin conçoit la philosophie comme l’amour de la Sagesse qui n’est rien d’autre que Dieu. Si, pour Platon, le vrai philosophe et celui qui aime Dieu (Ciu. 8, 1), selon Augustin cet amour de Dieu doit nous conduire à dépasser les vérités philosophiques elles-mêmes dans la Vérité chrétienne (Conf. 3, 10). Le « tu » auquel Augustin s’adresse n’est donc pas l’ « Un » de Plotin et des philosophes platoniciens de son temps, qu’il connaît et utilise ; c’est le seul et unique Dieu de la Bible.

Mais ce sont les traités platoniciens de son temps et de son milieu, qu’il connaît sans doute dans la traduction de Marius Victorinus, qui fournissent à Augustin les catégories philosophiques qui lui permettent d’élaborer sa théologie. Selon Augustin, à partir de la triade plotinienne « être-vivre-penser », et en parcourant le chemin qui mène du sens à la raison en passant par le sens intérieur, l’on atteint la Vérité qui se trouve au-dessus et au-delà de la raison, à savoir la vérité de Dieu, sa spiritualité parfaite et absolue, son omniprésence et son éternité (Lib. arb. 2, 7-39). Augustin reconnaît aussi bien à l’acte qu’à l’objet de foi une origine et une nature divines : la grâce de Dieu est à la base de toute action humaine, même celle de croire et de vouloir, parce que c’est Dieu qui prévient et prépare notre croyance et notre volonté (Retr. 1, 23). Puisque l’homme a été créé capable de comprendre et de connaître le vrai Dieu, il doit le chercher en exerçant son esprit, en commençant par la foi pour ensuite acquérir l’intelligence de la foi.

Augustin affirme que les philosophes platoniciens ont professé la doctrine du Verbe du Prologue johannique – Porphyre, par exemple, a appelé Dieu le Fils « Intellect » ou « Esprit paternel » –, mais que, pour eux, le Christ n’est pas à la fois le Verbe Dieu et le Verbe homme (Conf. 7, 13). Le platonisme qu’Augustin s’approprie est donc une philosophie de la conversion, une spiritualité de la purification qui a pour fin la contemplation de Dieu. C’est grâce aux Platoniciens, et surtout grâce à Porphyre, qu’Augustin arrive à concevoir Dieu comme Être pur, plutôt que comme Un au-delà de l’être. Cependant, conformément à la révélation divine faite à Moïse dans l’Exode (3 :14) : « Je suis celui qui suis », Augustin considère Dieu comme Être indicatif, non comme être à l’infinitif, c’est-à-dire comme sujet, et non comme acte d’être (Conf. 7, 16). Son Dieu est ainsi le principe de l’être, du savoir et de l’agir, ce à quoi correspondent les trois parties de la philosophie : naturelle, rationnelle et morale (Ciu. 8, 4). Augustin estime en effet que les philosophes platoniciens ont connu le vrai Dieu, un et trine, par l’action illuminatrice du Verbe, sans pourtant reconnaître la source de leur connaissance, à savoir la révélation et la foi chrétiennes qui permettent de comprendre le mystère de la Trinité.

Lucia Saudelli
(Université Paris-Sorbonne, CNRS, Centre Léon Robin, UMR 8061) Spécialiste de la tradition présocratique dans l’histoire de la pensée et des religions de l’Antiquité. Lucia.Saudelli@univ-paris1.fr

Mots clés : Deus, Natura, Pater, Creator, Filius, Verbum, Ratio, Spiritus, Prouidentia, Lux / Lumen, Veritas / Verum, Caritas, Gratia. Mundus. Essentia

 

pistes bibliographiques :

J. ASSMANN, Le Dieu unique, Flammarion, Paris, 1991
S. BRETON, Unicité et monothéisme, Cerf, Paris, 1981
H. CORBIN, Le Paradoxe du monothéisme, L'Herne, Paris, 1981
J. DANIÉLOU, Les origines du christianisme latin, Paris, 1978
G. MADEC, Deus, dans l'Augustinus-Lexikon, C. Mayer (éd.), Vol 2, Fasc. 3/4, Bâle, 1999, p.313-366
A. MANARANCHE, Le Monothéisme chrétien, Cerf, Paris, 1985

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