Pistes pour la classe
- L’homme grec et l’idéal du kalos kagathos
- La palestre et le gymnase
- L’éducation en Grèce
- L’éphébie
- L’hygiène et la diététique des athlètes
Les sources mythologiques
D’après ce que nous rapportent deux légendes, les participants aux premiers Jeux Olympiques étaient habillés. Il faut attendre le VIIe siècle avant J.-C. pour que la pratique change :
- Selon Pausanias, en 720 avant J.-C., lors des quinzièmes Jeux Olympiques, pendant la course longue d’un stade (192 mètres environ), le coureur Orhippos (ou Orsippos) de Mégare aurait décidé de jeter le περίζωμα (perizôma, une ceinture qu’il portait à la taille) pour aller plus vite, ce qui lui permet de remporter la victoire et répand cette pratique de la nudité à la course après lui. Une autre version celle de Denys d’Halicarnasse, au Ier siècle après J.-C., raconte que la ceinture d’Acanthos, un Spartiate, serait tombée d’elle-même, ce qui aboutit au même résultat. Une autre version encore raconte qu’un athlète homonyme, Orhippos de Sparte, en 724 ou 652, perd son pagne, glisse dessus, se tue, ce qui entraîne l’interdiction de porter des vêtements lors des compétitions sportives.
- Toujours selon Pausanias, c’est après la mort de son mari que Kallipateira, membre d’une famille de sportifs, prend en main l’entraînement de son fils Pasidoras et, se déguisant en homme, l’accompagne à Olympie, bravant ainsi la menace de mort pesant sur toute femme qui entre dans un stade. Après la victoire de son fils, elle saute des gradins pour aller le féliciter, mais son vêtement reste accroché aux barrières qui le déchirent et dévoilent son corps de femme. Cela fait scandale et elle ne doit sa vie sauve qu’à la renommée de sa famille : elle est la première femme tolérée dans un stade olympique. Pour qu’il n’y ait dorénavant plus de méprise quant au sexe des participants, les entraîneurs et les athlètes adoptent la coutume de se présenter nus lors des compétitions.
Les sources étymologiques et littéraires
Le mot gymnase vient du grec γυμνάς, -άδος (gumnas, -ados), adjectif qui signifie « nu » et plus particulièrement « qui s’est mis à nu pour la lutte » ; en tant que substantif, ce mot signifie aussi « l’athlète » ou « l’emplacement pour la lutte, le gymnase ». Ce mot est lui-même issu de l’adjectif γυμνός, ή, όν (gumnos, -è, -ov) qui signifie aussi « nu » et plus particulièrement « sans armure, sans armes ». La notion de nudité est donc étymologiquement liée à celle de l’absence de combat. En effet, à l’occasion des Jeux Panhelléniques, une trêve sacrée appelée ἐκεχειρία / ekecheiria, est proclamée avant, pendant et après les Jeux afin de permettre non seulement aux athlètes mais aussi aux spectateurs de se rendre sur les sites en toute sécurité.
Ainsi, dès la création des gymnases, se pose le problème de la nudité dans le sport antique. C’est pourquoi, au chapitre 10, du Contre Timarque, Eschine, rappelle la loi datant de 200 environ avant J.-C. qui définit les droits et devoirs du gymnasiarque : elle interdit aux adultes d’entrer dans les gymnases et de parler aux νεανίσκοι (néaniskoi), jeunes garçons de Béroia en Macédoine. Ainsi, sont bannis des gymnases les esclaves, artisans et commerçants dont le statut social est infamant ainsi que les ivrognes et les fous dont le comportement est problématique. Si on se reporte aux Nuées d’Aristophane ou à plusieurs textes de Platon, notamment Le Banquet, La République et Les Lois, il est évident que les gymnases et les palestres attirent les amoureux des corps nus. Cela est confirmé, au IIIe siècle après J.-C., par le Traité sur la gymnastique de Philostrate, qui passe en revue tous les sports olympiques et leurs conditions d’exécution.
Les sources archéologiques
Ce sont les peintures des amphores panathénaïques qui fournissent la source la plus cohérente de représentations d’athlètes nus car leur fabrication en série s’étend sur deux siècles et demi, du milieu du VIe siècle à la fin du IVe siècle : on possède au total 995 exemplaires d’amphores représentant des sportifs soit environ un millier de peintures. Il faut rappeler que ces amphores remplies d’huile d’olives étaient offertes en prix par centaines aux vainqueurs et aux deuxièmes de certains concours musicaux, gymniques et hippiques qui prenaient place durant les Panathénées pentétériques (c’est-à-dire qui avaient lieu tous les quatre ans). Ces amphores étaient illustrées par deux peintures : l’endroit montrait toujours une représentation d’Athéna dite Promachos ou combattante, et l’envers représentait presque toujours une scène de concours opposant des παῖδες (paides / enfants), des ἀγένειοι (agéneioi / hommes imberbes) ou des ἄνδρες (andres / jeunes hommes). La variété des épreuves représentées – le stadion (un stade), le diaulos (deux stades), la course en armes ou hoplitodromos (deux à quinze stades) et le dolichos (course de fond de plusieurs stades), le pentathlon, et les sports de combat, avec la lutte, la boxe et le pancrace – permet d’appréhender le corps sportif dans les postures diverses qu’offre l’athlétisme.
Une pratique à géométrie variable
Les pratiques vestimentaires des Anciens dans le sport répondent certes à des modes et à des normes de genre et d’âge, mais aussi à des normes sociales, politiques, religieuses et culturelles.
Il faut ainsi préciser que cette nudité est spécifique aux hommes. En effet, sur plusieurs amphores, on constate que si les hommes brillent par la parfaite nudité de leur corps, les femmes, elles, sont entièrement vêtues. Le sport est, la plupart du temps, réservé aux hommes. On sait pourtant, par Plutarque, qu’à Sparte ou en Élide, les femmes aussi pratiquaient l’athlétisme mais elles n’étaient pas entièrement nues, seulement légèrement vêtues avec une tunique et l’épaule dénudée, comme le confirment les sources archéologiques. Cette pratique sportive se justifiait par la volonté de fortifier leur corps pour produire des enfants robustes. Les quelques femmes athlètes se devaient donc de ressembler aux hommes. Une anecdote romaine nous raconte que le peintre Zeuxis, au Ve siècle avant J.-C., doit peindre une Hélène pour les habitants de Crotone en Grande Grèce (Italie du Sud). Pour cela, il va à la palestre pour trouver un modèle masculin parfait, sélectionne des parties des corps d’athlètes et imagine ensuite son idéal féminin qu’il peut alors mettre sur la toile.
Par ailleurs, la nudité est nécessairement associée à la jeunesse car les athlètes étaient de tout jeunes hommes. On n’imagine pas un vieillard s’entraînant à la course : « Brillants dans leur jeunesse et les idoles de leur cité, ils paradent ; mais, que s’abatte sur eux la vieillesse amère, “souquenilles effilochées”, ils disparaissent » écrit Euripide dans Autolycos au Ve siècle avant J.-C. De même, Galien, au IIe siècle après J.-C., écrit même que les athlètes meurent jeunes ou finissent leur vie un peu plus vieux mais en mauvaise santé.
Il faut aussi noter que cet impératif de nudité dans le sport varie aussi selon les époques. Même si on ne peut pas se contenter de la mythologie pour donner une explication à la modification de tenue vestimentaire chez les sportifs, on constate qu’il y a bien eu une évolution quant à leur tenue. Chez Homère, les athlètes des sports de combat se ceignent la taille d’un pagne ; on ne peut donc pas imaginer une sorte de mythe naturiste primitif qui justifierait la pratique de la nudité dans le sport. Les textes de Denys et de Pausanias s’accordent avec les Chroniques d’Eusèbe pour situer la quinzième Olympiade en 720 avant J.-C. et admettre qu’à partir de cette date, les athlètes concoururent nus. Selon Thucydide, ce sont les Crétois puis les Spartiates qui répandirent cette coutume. Elle s’étendit alors à la plupart des épreuves sportives et devint obligatoire dans de nombreuses pratiques : les combats (boxe, lutte, pancrace), les courses à pied (les courses de relais et le stadion de 300 pieds, soit 165 à 192 mètres selon les endroits), le saut en longueur, le lancer de javelot et le lancer de disque. Selon Thucydide, dès le VIe siècle avant J.-C., la nudité et le fait de s’oindre le corps pour l’entretenir sont associés au progrès, mais aussi à l’abandon des armes dans la vie civile, au caractère policé des hommes, à une société pacifique et isonomique (où règnent l’égalité civique et politique) et donc à la diminution de la violence. Ainsi, on organisait au gymnase, à la fin de l’année éphébique (qui marque le passage à l’âge adulte, entre 18 et 20 ans), des concours d’εὐεξία (euexia / de belle prestance) où des citoyens de la cité sélectionnaient les plus beaux jeunes hommes sur la base des exercices pratiqués au gymnase durant l’année et sur leur physique.
Lors des concours de virilité, on sélectionne les plus beaux mâles et on leur confie le soin de danser au premier rang. À Elis, on choisit aussi de beaux mâles. Le vainqueur a l’honneur de se voir confiés les vases sacrés de la déesse ; le deuxième prix conduit le bœuf tandis que le troisième s’occupe des prémices sur l’autel.
Athénée de Naucratis, Le banquet des Sophistes, au IIIe siècle avant J.-C.
À l’inverse, les nombreuses couches de peaux de bêtes chez les barbares au combat traduisent leurs mœurs sauvages. Platon, dans la République, présente la nudité comme double : symbole à la fois de perfection pour les athlètes mais aussi de misère car elle peut renvoyer à celle du pauvre, du mendiant, du malade, de l’esclave ou du métèque, donc à une norme sociale. On retrouve cette ambivalence de la nudité selon les textes :
- Xénophon, au IVe siècle avant J.-C., dans sa biographie d’Agésilas, raconte comment, lors de sa campagne en Asie, le chef militaire met à nu les soldats barbares pour montrer leur graisse et prouver à ses propres troupes que les ennemis ressemblent à des femmes et ne doivent pas être craints.
- Polybe, au IIe siècle avant J.-C., dans ses Histoires, écrit à propos des Celtes : « l'apparition de ces guerriers nus était un spectacle effrayant, car ils étaient tous des hommes au physique splendide, dans la fleur de l'âge. »
Cette coutume de la nudité dans le sport varie aussi selon les lieux. C’est ce que confirme Philostrate au IIIe siècle avant J.-C. :
Dans les jeux Pythiques, dans les jeux Isthmiques et partout ailleurs sur la terre où il y a des concours, le gymnaste, s’enveloppant d’un manteau, pratique des onctions sur l’athlète ; et personne ne doit le déshabiller contre son gré ; toutefois, à Olympie, le gymnaste préside tout nu, parce que, suivant l’opinion de quelques-uns, les Éléens éprouvaient pendant l’été si les gymnastes savaient résister vigoureusement et se faire brûler au soleil.
Traité sur la gymnastique, 17.
Dans tous les cas, au gymnase, seuls les hommes libres appartenant à une élite sociale ont le droit d’être nus ; les esclaves, eux, restent habillés. La nudité est donc bien associée à une forme de perfection.
Comment expliquer cette nudité ?
Si cette pratique de la nudité dans le sport n’est pas répandue à toutes les époques, dans tous les lieux, chez les deux sexes et dans toutes les classes sociales, comment peut-elle donc s’imposer lorsqu’elle apparaît à l’époque classique ?
Ce qui peut nous choquer aujourd’hui, c’est que le sexe soit visible dans la pratique sportive. Cependant, chez les Grecs, la nudité n’est pas forcément liée à cet élément : elle est, comme un second vêtement, très codifiée et chargée de significations ; elle est, en quelque sorte, « désexuée » car les athlètes ont souvent des verges menues. C’est pourquoi seuls certains peuvent être montrés nus : les jeunes athlètes mâles, ni trop gros, ni trop maigres, ni trop glabres, ni trop poilus, athlétiques sans être excessivement musclés, désirables mais restant naturels, sans artifices.
L’athlète représente un idéal de beauté et de virilité, créé à l’image des dieux et des héros : l’homme καλὸς κἀγαθός (kaloskagathos, beau et brave), synonyme de perfection car il allie beauté et courage. Les principaux modèles en sont Arès, Héraclès et Thésée qui, au IVe siècle avant J.-C., a servi de modèle pour créer la course en armes. Il y a donc bien un enjeu social et politique – au sens étymologique du terme, c’est-à-dire lié à la cité – dans la nudité sportive car il s’agit d’atteindre un idéal de perfection humaine en entraînant son corps et en élevant aussi son esprit.
Ainsi, le beau corps, aux yeux des Grecs, est-il, comme le rapporte Aristophane dans Les Nuées, un corps reposant sur la symétrie, ayant de bonnes proportions, correctement charnu avec une belle carnation (un corps de la couleur du bronze), un corps jeune et musclé, signe de bonne santé, mais aussi un corps marqué de cicatrices, signes de bravoure au combat ; ces cicatrices doivent être évidemment situées sur le poitrail, non dans le dos, sinon elles sont signes de lâcheté. Le corps parfait est le reflet de la perfection du cosmos mais aussi de la cité et de la rigueur morale humaine. Il sera incarné, plus tard, à la Renaissance, par l’Homme de Vitruve de Léonard de Vinci. Le corps parfait doit être aussi lié à l’idée de Nature : l’athlète ne doit pas trop manger, doit pratiquer des efforts quotidiens pour s’exercer dès l’enfance. On façonne les corps pour qu’ils aient l’air équilibrés. Naturel et équilibre sont donc les deux maîtres mots quand il s’agit de perfection corporelle athlétique. Lucien de Samosate, au IIe siècle après J.-C., dans son ouvrage intitulé De la danse, définit le corps idéal en prenant comme modèle les œuvres du sculpteur Polyclète :
Quant au corps, il faut à mon avis qu’il soit calqué sur le modèle de Polyclète. Il ne doit pas être trop grand ou allongé au-delà de la mesure, ni réduit et minuscule de nature mais exactement dans la moyenne : ni trop bien en chair – ce serait invraisemblable – ni mince à l’excès car il paraîtrait squelettique et cadavérique.
Il s’agit donc bien, en ce qui concerne l’athlète, de faire preuve de mesure, dans l’apparence physique comme dans les qualités humaines ; on retrouve ici la doctrine si chère aux Grecs du μηδὲν ἄγαν (médèn agan / rien de trop), ligne de conduite indispensable pour tout homme qui lutte contre son ὕϐρις (hybris / orgueil, démesure qui le pousserait à vouloir s’égaler aux dieux).
Par ailleurs, sur un plan purement pratique, la nudité était un moyen de dissuader de toute tricherie et ainsi de mettre en avant la valeur morale de l’athlète. Un tricheur avéré pouvait, en effet, être fouetté par les arbitres – qui étaient des dignitaires religieux, garants de l’ordre moral – en public !
Cette nudité était-elle agréable pour l’athlète ?
La nudité, pour les athlètes, peut avoir des inconvénients physiques. Au-delà du problème de la pudeur éventuelle, les athlètes ne sont pas protégés du soleil et leurs parties génitales sont exposées à l’air libre. Pour parer à ces désagréments, on pouvait porter un bonnet en peau de chien attaché sous le menton ou des protège-oreilles (pour les athlètes pratiquant le pancrace) et, par souci d’hygiène, un κυνόδεσμος (kunodesmos / kynodesme, « laisse de chien » ou suspensoir permettant d’attacher les organes génitaux). On attachait une fine bande de cuir autour du prépuce pour ne pas dévoiler le gland considéré comme un des ornements les plus importants du corps. On liait donc ce morceau de cuir autour de l’ἀκροποσθία (akroposthia, partie du prépuce située au-delà du gland) pour l’attacher soit autour de la taille en exposant le scrotum soit à la base du pénis de manière à le faire apparaître vrillé. Cependant cette technique était peu adaptée aux efforts violents et était surtout utilisée pour les athlètes exerçant la course.
Cependant, la nudité, étroitement associée à la victoire, peut avoir des effets psychologiques enviables. En effet, les athlètes vainqueurs avaient le privilège de devenir un modèle pour les sculpteurs qui devaient travailler à des œuvres représentant des dieux et destinées à être exposées dans les temples. Les athlètes avaient donc ainsi le privilège d’accéder à une forme d’immortalité !
Ce qu’en dit Aristophane :
ἀλλ’οὖν λιπαρός γε καὶ εὐανθὴς ἐν γυμνασίοις διατρίψεις,
οὐ στωμύλλων κατὰ τὴν ἀγορὰν τριβολεκτράπελ’οἷάπερ οἱ νῦν,
οὐδ’ἑλκόμενος περὶ πραγματίου γλισχραντιλογεξεπιτρίπτου :
ἀλλ’εἰς Ἀκαδήμειαν κατιὼν ὑπὸ ταῖς μορίαις ἀποθρέξει
στεφανωσάμενος καλάμῳ λευκῷ μετὰ σώφρονος ἡλικιώτου,
μίλακος ὄζων καὶ ἀπραγμοσύνης καὶ λεύκης φυλλοβολούσης,
ἦρος ἐν ὥρᾳ χαίρων, ὁπόταν πλάτανος πτελέᾳ ψιθυρίζῃ.
ἢν ταῦτα ποιῇς ἁγὼ φράζω,
καὶ πρὸς τούτοις προσέχῃς τὸν νοῦν,
ἕξεις ἀεὶ
στῆθος λιπαρόν, χροιὰν λαμπράν,
ὤμους μεγάλους, γλῶτταν βαιάν,
πυγὴν μεγάλην, πόσθην μικράν.
Tu passeras ton temps, luisant et fleurant bon, dans les gymnases, ne débitant pas sur l'Agora de mauvaises pointes comme on le fait aujourd’hui ; on ne te traînera pas en justice pour une méchante affaire pleine d'objections subtiles et ruineuses. Mais tu descendras à l’Académie, pour courir sous les oliviers sacrés, la tête ceinte d'un roseau blanc, avec un sage compagnon de ton âge, respirant le smilax, le loisir et la jonchée blanche des peupliers... épanoui par la saison printanière, quand le platane et l'ormeau échangent leurs murmures. Si tu fais ce que je te dis, et si tu y appliques ton intelligence, tu auras toujours la poitrine grasse, le teint clair, les épaules larges, la langue courte, les fesses charnues, le pénis petit.
Aristophane, Les Nuées, Vers 1002-1014.