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Dans le cadre des jeux panhelléniques célébrés en l’honneur des dieux et en particulier lors des jeux olympiques dédiés à Zeus, les concours d’athlètes fleurissent en Grèce.
À l’époque classique, l’athlète représente une sorte d’idéal de beauté et de force : le kalos kagathos, homme à l’équilibre parfait, à la fois bon et beau. La pratique sportive permet d’atteindre ce modèle de perfection humaine. L’athlète entraîne son corps mais aussi son esprit pour tendre vers cet idéal.
L’athlète, celui qui s’entraîne à la lutte
Le nom ἀθλητής vient du verbe grec ἀθλέω qui signifie à la fois « lutter » et « faire un effort ». Ainsi les notions de lutte et d’entraînement sont-elles au cœur même de la définition du nom « athlète », plaçant l’athlétisme à la fois sur le plan guerrier comme politique et à la fois sur le plan de l’entraînement comme de l’apprentissage. L’athlète est étymologiquement celui qui lutte pour défendre sa cité et qui entraîne son corps à cette fin. Par l’entraînement physique, il endurcit son corps, l’habitue à l’effort et à la souffrance, ce qui lui permet d’être un soldat aguerri.
De Troie à Sparte : la formation des premiers athlètes
Les premiers athlètes sont des guerriers ; l’apprentissage et la formation de ces derniers trouvent un ancrage dans la Guerre de Troie. Les jeunes garçons destinés à la guerre sont pris en charge par un maître. Achille est éduqué ainsi par le centaure Chiron qui lui apprend la course à pied et le tir à l’arc. Grâce aux enseignements du centaure, Achille apprend, se forme et devient « Achille au pied léger », comme le chante Homère. Les jeunes gens s’entraînent durement : combats singuliers, lutte contre des bêtes, traversée d’une rivière profonde et glacée, plongée dans la mer, conduite d’un char, tir à l’arc. Le héros guerrier doit être à la fois sportif et généreux : ceci est le résultat d’une formation ardue.
À Sparte, la dimension guerrière reste longtemps indissociable de la pratique sportive. Toute l’éducation des enfants porte sur la préparation militaire, dans laquelle l’éducation physique occupe la première place. Les jeunes spartiates sont placés dès l’âge de sept ans sous la direction d’un παιδoνόμος / pédonome qui les entraîne à la gymnastique, au maniement des armes, à l’escrime, au javelot, aux mouvements en rangs serrés… Très tôt, ils sont dressés à obéir et accoutumés à la douleur.
L’entraînement des athlètes : un véritable modèle éducatif
Les jeux panhelléniques ayant lieu pendant des périodes de trêves, les cités ne s’affrontent alors plus sur le champ de bataille mais lors des concours sportifs. La dimension guerrière s’efface petit à petit au profit de celle de l’entraînement qui devient essentiel : la lutte quitte le domaine militaire pour se déplacer sur le terrain culturel et sportif.
Les athlètes s’entraînent à la pratique sportive dès le plus jeune âge, en général vers huit ans pour les jeunes athéniens. Ils sont alors pris en charge par le παιδοτρίϐης / pédotribe qui est leur maître de gymnastique. Ce dernier est le propriétaire de la palestre (mot qui vient du nom grec πάλη, signifiant la lutte d’athlètes) et il possède des connaissances sportives, médicales et diététiques mais aussi une maîtrise des règles d’hygiène. Il connaît le développement du corps ce qui lui permet d’adapter les exercices qu’il propose. Le pédotribe est traditionnellement vêtu d’un manteau de pourpre qu’il enlève quand il fait des démonstrations. Il tient un bâton fourchu qui symbolise sa fonction et lui permet de corriger les postures des athlètes, de séparer les lutteurs ou encore de frapper un athlète parti trop tôt à la course ! Des moniteurs, qui sont les élèves les plus âgés et les plus doués, travaillent à son service et le secondent.
Si la méthode du pédotribe repose sur des exercices et de la pratique, il fait aussi réfléchir les athlètes : ceux-là doivent prendre conscience de leurs mouvements et les analyser. La pédagogie du pédotribe va, comme le décrit Philostrate dans son traité De la gymnastique, jusqu’à l’élaboration d’une théorie.
Le pédotribe entraîne les athlètes à toutes les épreuves des jeux : course, lutte, lancer de disque, saut en longueur, lancer du javelot, course en armes, pugilat, pancrace, course de char. Il n’y a pas de spécialisation dans une discipline sportive : pour être équilibrés, les athlètes doivent s’entraîner à tous les types d’exercices, sans excès néanmoins, comme le souligne Aristote.
Pour les entraîner à la lutte, le pédotribe montre aux athlètes différentes figures qu’ils doivent reproduire. Pour les préparer à l’athlétisme, il leur prescrit des exercices d’assouplissement. Une multitude d’autres exercices sont à sa disposition pour préparer au mieux les athlètes à l’ensemble des épreuves : marche tout terrain, course sur une faible distance de trente mètres, course en cercle en avant et en arrière, sautillements sur place, pieds heurtant les fesses, coups de pied en l’air, mouvements des bras pour s’entraîner à parer les coups (χειρονομία / cheïronomia), monter à la corde, jeux de cerceau. Les athlètes, en piochant le sol pour l’ameublir avant la lutte, musclent leurs bras, ce qui sert d’exercice pour fortifier les muscles. L’entraînement à la boxe développe les bras car le fait de tenir les bras tendus et de serrer les poings aussi longtemps que possible entraîne les boxeurs à maintenir la garde et à résister aux assauts des adversaires. Le pédotribe utilise un κώρυκος / kôrukos, un sac rond et très lourd rempli de figues ou de mil que les pugilistes ou pancratiastes utilisent pour travailler leur force et leur équilibre. Pour les préparer au saut, il fait exécuter aux athlètes des sauts sur place, des mouvements de bras avec des haltères, et leur fait fléchir le torse en avant en touchant un pied après l’autre avec la main opposée. Les entraînements se font en musique puisque l’aulète rythme au son de la flûte les exercices d’assouplissement. L’aulète joue aussi pendant des épreuves des concours.
Les athlètes s’entraînent nus mais cette nudité entraîne parfois des inconvénients. Aussi, pour se protéger du soleil, les athlètes peuvent porter un bonnet en peau de chien attaché sous le menton. Les boxeurs ont parfois des protège-oreilles. En outre, par souci d’hygiène, les athlètes utilisent une technique consistant à serrer le prépuce avec un cordon arraché à une ceinture mais se révélant peu adaptée aux efforts violents.
Les séances d’entraînement, qui ont pour but de former et fortifier les muscles et d’augmenter la force des doigts et des orteils, se déroulent toujours de la même façon. Avant chaque séance qui commence en début de journée, les athlètes se dévêtissent et se lavent à la fontaine ou dans une grande vasque de pierre. Ensuite ils oignent leur corps d’huile et répandent sur leurs membres du sable ou de la poussière aux vertus protectrices. L’huile rend ainsi la peau plus difficile à saisir par le pancratiaste. La poussière permet au contraire au lutteur d’accrocher la peau de son adversaire. L’huile et la poussière sont censées aussi protéger la peau du soleil ou du vent.
Un échauffement difficile précède l’entraînement proprement dit : il s’agit entre autres de courir « talon fesse » ou en levant les genoux. Suivent ensuite des exercices d’assouplissement qui précèdent l’entraînement.
Après la séance, les athlètes raclent la couche d’huile et de poussière mêlée de sueur avec un racloir, appelé strigile puis ils se lavent à nouveau.
L’éducation physique se poursuit pour les éphèbes, jeunes gens de 18 à 20 ans, au gymnase (mot qui vient de grec γυμνάς, adjectif qui signifie « qui s’est mis à nu pour la lutte ») qui, à l’inverse de la palestre, est un établissement public. La pratique du sport y est alliée à des activités plus intellectuelles : lettres, rhétorique, philosophie, médecine…
À l’issue de l’entraînement... la gloire !
Une fois la formation des athlètes terminée, à Élis, ville principale d’Élide sur le territoire de laquelle se trouve Olympie, les juges recrutés dans les grandes familles éléennes se réunissent, dix mois avant le début des jeux, pour suivre un entraînement d’athlètes. Cela leur sert de base pour départager les meilleurs avec impartialité. Seulement dix athlètes sont choisis pour concourir. Les heureux élus s’entraînent alors chacun dans leur ville natale avant de suivre un entraînement particulier à Élis, un mois avant le début des jeux.
À l’issue des jeux olympiques, l’ oλυμπιονίκης / l’olympioniké, le vainqueur des jeux, une palme à la main, reçoit la couronne d’olivier devant la statue de Zeus avant de reprendre le chemin de sa cité où l’attend une immense gloire, point d’orgue de cette dure formation.
Ce qu’écrit Lucien de Samosate…
Tῶν γυμνασμάτων δὲ τούτων τὸ μὲν ἐν τῷ πηλῷ ἐκεῖνο πάλη καλεῖται, οἱ δ´ ἐν τῇ κόνει παλαίουσι καὶ αὐτοί, τὸ δὲ παίειν ἀλλήλους ὀρθοστάδην παγκρατιάζειν λέγομεν. Καὶ ἄλλα δὲ ἡμῖν ἐστι γυμνάσια τοιαῦτα πυγμῆς καὶ δίσκου καὶ τοῦ ὑπεράλλεσθαι, ὧν ἁπάντων ἀγῶνας προτίθεμεν, καὶ ὁ κρατήσας ἄριστος εἶναι δοκεῖ τῶν καθ´ αὑτὸν καὶ ἀναιρεῖται τὰ ἆθλα.
Quant aux différents exercices, celui pour lequel on s'enduit de boue se nomme la lutte ; cependant ceux qui se couvrent de poussière se nomment aussi lutteurs. Nous nommons pancrace le combat où l'on se tient debout en se frappant l'un l'autre. Nous avons encore d'autres exercices du même genre, le pugilat, le disque, le saut. Il y a des concours pour tous ces exercices, le vainqueur est considéré comme au-dessus de tous ses concitoyens, et remporte des prix.
Lucien, Anacharsis ou Les Gymnases, VIII, traduit par Eugène Talbot.