Pistes pour la classe
- Les représentations de la femme en Grèce antique
- L’éducation en Grèce
- La palestre et le gymnase
- La guerre du Péloponnèse
- Le théâtre grec
Parler des femmes et de la pratique sportive en Grèce peut surprendre étant donné que ces dernières étaient les grandes absentes des jeux panhelléniques, exclusivement réservés aux hommes. Pourtant, un concours sportif leur était destiné en Élide : les Héraïa. Il est également avéré que les femmes spartiates pratiquaient beaucoup de sport, ce qui faisait d’elles la cible de moqueries dans le théâtre athénien. Le rapport des femmes grecques à l’activité sportive est par conséquent complexe : quand elles n’en sont pas exclues, tantôt l’activité athlétique les porte aux nues, tantôt elle fait d’elles un objet de dérision.
Les femmes, les grandes absentes des jeux panhelléniques
Les jeux, que ce soit les jeux olympiques, pythiques, isthmiques ou néméens, étaient avant tout des concours d’hommes car ils étaient une façon pour les cités de lutter de manière pacifique pendant la trêve sacrée appelée ἐκεχειρία / ekecheiria. Pour concourir, il fallait réunir les trois conditions suivantes : être un homme, être grec et être libre. Les femmes étaient donc rigoureusement exclues des jeux, y compris en tant que spectatrices.
À Olympie, selon la loi éléenne, toute femme surprise dans l’enceinte des jeux ou ayant juste traversé l’Alphée (fleuve du Péloponnèse qui coule au sud du sanctuaire), encourait la peine capitale, à savoir être précipitée du mont Typée, un rocher très haut, situé en Élide non loin d’Olympie. Cette règle aurait cependant été enfreinte une fois, par Kallipatera de Rhodes, une veuve, fille et sœur de vainqueurs, comme nous le rapporte Pausanias, dans La description de la Grèce. À la mort de son mari, elle se charge de l’entraînement physique de son fils, déguisée en maître de gymnastique. C’est avec ce même habit qu’elle l’accompagne aux jeux olympiques. Or, quand son fils remporte la victoire, elle oublie son déguisement et court sur la piste. Son manteau s’ouvre alors, dévoilant sa morphologie féminine. Une autre version prétend que c’est sa voix qui la trahit. Si elle est épargnée, c’est uniquement parce qu’elle est la fille du célèbre Diagoras de Rhodes. Cette anecdote est une des sources expliquant la nudité dans l’athlétisme : pour qu’il n’y ait plus de méprise possible, entraîneurs et athlètes doivent dorénavant être nus lors des concours.
Il faut néanmoins apporter quelques nuances à cette dure loi éléenne. Selon Pausanias, il n’est cependant point défendu aux jeunes filles de regarder les jeux (« Παρθένους δὲ οὐκ εἴργουσι θεᾶσθαι » / parthenous de ouk eirgousi theastai ; « Il n’est point défendu aux filles d’être spectatrices »), l’interdiction ne valant donc que pour les femmes mariées (γυναῖκες / gunaikes). Il précise aussi qu’une femme (γυνή / gunè) est pourtant admise : la prêtresse de Déméter Chamyne. Celle-ci préside à l’ouverture des jeux puis y assiste, assise sur un autel de marbre blanc face à la tribune des officiels, les hellanodices.
Des jeux destinés aux jeunes filles : les jeux Héréens ou Héraia
Il existe pourtant une manifestation sportive à laquelle les jeunes filles peuvent participer : il s’agit des jeux Héréens ou Héraia (τὰ Ἡραῖα / tà Hêraîa) organisés tous les quatre ans dans le sanctuaire d’Olympie en l’honneur d’Héra, la déesse protectrice des femmes et du mariage et épouse divine de Zeus.
_L’existence des Héraia remonte à l’époque archaïque et, selon Pausanias, deux versions existent quant à leur fondation. Dans la première version, c’est Hippodamie, fille d’Oenomaos, roi de Pisa, qui en serait l’origine. La jeune fille, voulant rendre grâce à Héra de son mariage avec Pélops, réunit seize femmes chargées de tisser un péplos qu’elle offrirait à la déesse et organise avec elles les premiers jeux Héréens. L’origine mythique des Héraia semble donc faire écho à l’une des versions des origines des jeux olympiques attribuée à Pélops, fils de Tantale. Ce dernier demande la main d’Hippodamie à son père. Mais Oenomaos, qui a appris lors d’un oracle qu’il périrait de la main de celui qui épouserait sa splendide fille, Hippodamie, décide alors d’affronter les prétendants lors d’une course de chars : si Oenomaos l’emporte, le prétendant est mis à mort ; dans le cas contraire, il épouse Hippodamie. Lorsque Pélops se présente, treize rivaux ont déjà succombé. Il requiert l’aide de Poséidon qui lui offre un char en or et des chevaux ailés. De son côté, Hippodamie, très éprise de Pélops, fait en sorte de saboter le char de son père. La course se conclut par la victoire de Pélops et la mort d’Oenomaos. Pélops instaure alors les jeux olympiques en l’honneur de Zeus, autant pour célébrer sa victoire que pour expier le crime de sa jeune épouse. Le couple formé par Pélops et Hippodamie lie donc, dès leur origine, jeux olympiques et jeux Héréens et fait de ces derniers un autre rite important du sanctuaire d’Olympie.
Dans la deuxième version, on attribue la fondation des Héraia aux seize femmes. À l’époque où il est le tyran de Pisa, Damophôn commet beaucoup de crimes envers les Éléens. À sa mort, on choisit une femme dans chacune des seize cités d’Elide : à chaque fois il s’agit de la plus âgée, de celle qui est la mieux considérée et qui a la meilleure réputation. Ces femmes réconcilient les Éléens avec les habitants de Pisa et c’est pour cela qu’on leur confie le soin d’organiser les Héraia et de tisser le péplos d’Héra.
Par la suite, les Éléens conservent ces traditions. Étant répartis en huit tribus, ils choisissent deux femmes de chacune d’elles pour constituer le groupe des seize femmes. Avant l’organisation des manifestations, ces femmes observent un rituel de purification à la source Piéra : purification par l’eau puis par le sacrifice d’un porc.
Les Héraia ont lieu tous les quatre ans vers le mois de septembre, deux semaines après les jeux olympiques des hommes. Ces jeux ne comportent qu’une seule épreuve, la course, qui n’est visiblement précédée d’aucun entraînement spécifique préalable. Plus précisément, il s’agit de trois courses au cours desquelles s’affrontent des jeunes filles qui ne sont pas mariées (Παρθένοi /parthenoi). Il y a une course pour chacune de ces catégories : les plus jeunes d’abord, ensuite les filles d’un âge intermédiaire et enfin les plus âgées. Elles courent sur le même stade que les hommes mais la piste est raccourcie d’un sixième et fait donc environ 160 mètres. Les jeunes filles ne courent pas nues comme les hommes : Pausanias nous rapporte qu’elles courent vêtues d’un court chitôn asymétrique (une tunique), laissant voir leurs jambes, leur épaule et leur sein droits.
À l’issue de la course, trois gagnantes se trouvent auréolées de gloire : elles sont couronnées par une couronne d’olivier sauvage, elles reçoivent un morceau de la vache sacrifiée à Héra et, selon certaines sources, peut-être même un portrait honorifique (εἰκών / eikôn).
Les courses des Héraia semblent avoir une portée symbolique importante, d’autant plus si l'on considère qu’elles sont étroitement liées aux jeux masculins. En raccourcissant la longueur du stade d’un sixième et en plaçant chronologiquement les épreuves féminines après celles des hommes, il s’agit de redire la place de la femme par rapport à l’homme, en sous-entendant une infériorité physique, admise dans l’Antiquité grecque. En outre, les jeunes filles courent en l’honneur d’Héra et les hommes en l’honneur de Zeus. Ils incarnent donc les figures de l’époux et de l’épouse et sont une manière de redire sur terre l’ordre du monde garanti par l’équilibre du couple divin Zeus/Héra. Les compétitions athlétiques, loin de tout concept moderne d’émancipation féminine, permettent donc de réaffirmer l’ordre du monde et de replacer chacune et chacun dans le lot qui est le sien au sein de la société.
Le sport au cœur de l’éducation des femmes spartiates
Sparte est l’autre haut lieu du sport féminin grec puisque la pratique physique fait partie intégrante de l’éducation des jeunes filles spartiates. Dans La constitution des Lacédémoniens, Xénophon nous rapporte que la préparation physique est au cœur du système éducatif spartiate, aussi bien pour les hommes que pour les femmes libres. Lycurgue considère qu’engendrer des enfants est essentiel pour la cité et que de parents vigoureux ne peut naître qu’une progéniture robuste. Or mettre au monde des enfants, futurs citoyens, est avant tout le lot des femmes libres. Pour réussir au mieux dans cette tâche et donner naissance à des enfants vigoureux, il faut former les corps des jeunes filles et les rendre endurants pour l’enfantement. C’est dans cette optique de conservation de la pureté de ce qui fait l’identité des spartiates que les femmes participent, à l’instar de la gent masculine, à un entraînement athlétique soutenu, alors que dans les autres cités grecques, seuls les hommes le font. Tout comme en Elide, l’activité physique n’a aucune valeur émancipatrice, bien au contraire.
Dans La vie de Lycurgue, Plutarque énumère les différents sports pratiqués par les jeunes filles et les femmes mariées : la course, la lutte, le lancer du disque et le javelot. Des concours de courses pour les jeunes filles sont attestés à Sparte.
La pratique sportive des femmes spartiates est évoquée dans le théâtre athénien, lieu d’expression civique, une première fois par Euripide dans Andromaque puis par Aristophane dans Lysistrata. À chaque fois, ces auteurs insistent sur le décalage entre les mœurs spartiates et celles de l’Attique et, dans le contexte de la guerre du Péloponnèse opposant Sparte à Athènes, présentent les femmes spartiates de façon stéréotypée pour mettre en valeur les us et coutumes attiques au détriment de ceux des Lacédémoniens.
Ainsi, dans Andromaque d’Euripide, en 425, alors que la guerre du Péloponnèse bat son plein, Pélée, lors de l’agôn qui l’oppose à Ménélas, s’attaque à Hélène et plus généralement à l’éducation des jeunes filles, en affirmant ceci :
οὐδ´ ἂν εἰ βούλοιτό τις
σώφρων γένοιτο Σπαρτιατίδων κόρη·
αἳ ξὺν νέοισιν ἐξερημοῦσαι δόμους
γυμνοῖσι μηροῖς καὶ πέπλοις ἀνειμένοις
δρόμους παλαίστρας τ´ οὐκ ἀνασχετῶς ἐμοὶ
κοινὰς ἔχουσι.
Même si elle le voulait, aucune fille de Sparte ne saurait être vertueuse ! Elles désertent leurs maisons et, les cuisses dénudées et le vêtement relâché, partagent avec les garçons les mêmes pistes de course et les mêmes palestres. Ce n'est pas tolérable.
Andromaque, Euripide (v. 595-600 )
Selon Pélée, toutes les femmes spartiates sont des débauchées précisément du fait de leur pratique sportive et Hélène en est l’exemple le plus éclatant.
Aristophane reprend le même stéréotype dans Lysistrata, en 411. Dès son entrée sur scène, la spartiate Lampitô est tout de suite réduite à sa robustesse et à sa vigueur physique puisque Lysistrata s’émerveille devant sa carnation et la vigueur de son corps, faisant ainsi référence aux exercices pratiqués en plein air qui, tout en musclant le corps, donnent le teint hâlé. Lampitô confirme d’ailleurs immédiatement cela en disant :
γυμνάδδομαι γὰρ καὶ ποτὶ πυγὰν ἅλλομαι.
Je m’exerce au gymnase et me donne du talon au derrière en sautant.
Aristophane, Lysistrata, v. 82
L’évocation de cet exercice, appelé bibasis par Aristophane, n’est pas non plus anodin : selon certains médecins grecs, cet exercice est bien connu pour agir sur les parties basses du corps et, par les secousses verticales qu’il produit, pour favoriser les avortements. L’allusion faite ici par Aristophane donne donc à nouveau une connotation dégradante à la pratique sportive des femmes spartiates.
Par conséquent, Euripide et Aristophane véhiculent l’idée que les Lacédémoniennes, du fait de leur pratique gymnique, sont des femmes actives et sexuellement entreprenantes, licencieuses et débauchées. Le sport leur conférerait un pouvoir érotique leur permettant de dominer sexuellement les hommes et notamment leurs maris. Face à de telles femmes sans aucune retenue, les hommes spartiates deviennent à l’inverse des lâches et leur image s’en trouve dégradée. Faire pratiquer le sport aux femmes aboutit ainsi au dévoiement de la société spartiate tout entière. La représentation qu’Euripide et Aristophane proposent des Spartiates est en revanche diamétralement opposée à celle qu’ils présentent des athéniennes qui, elles, ne font pas de sport et se consacrent uniquement à leur maison et à leur mari. Par le biais de ce stéréotype montrant la femme spartiate comme transgressive, Euripide et Aristophane écorchent l’image de l’ennemi lacédémonien, ce qui sert l’intérêt politique et entre dans le cadre de la propagande athénienne contre Sparte.
Ce qu’écrit Plutarque…
Ἀλλὰ καὶ : τούτων τὴν ἐνδεχομένην ἐπιμέλειαν ἐποιήσατο. Τὰ μέν γε σώματα τῶν παρθένων δρόμοις καὶ πάλαις καὶ βολαῖς δίσκων καὶ ἀκοντίων διεπόνησεν, ὡς ἥ τε τῶν γεννωμένων ῥίζωσις ἰσχυρὰν ἐν ἰσχυροῖς σώμασιν ἀρχὴν λαβοῦσα βλαστάνοι βέλτιον, αὐταί τε μετὰ ῥώμης τοὺς τόκους ὑπομένουσαι καλῶς ἅμα καὶ ῥᾳδίως ἀγωνίζοιντο πρὸς τὰς ὠδῖνας.
Au contraire, le législateur prit d’elles tout le soin dont elles étaient susceptibles. Il voulut que les filles se fortifiassent, en s’exerçant à la course, à la lutte, à lancer le disque et le javelot, afin que les enfants qu’elles concevraient prissent de fortes racines dans des corps robustes, pour pousser avec plus de vigueur, et qu’elles-mêmes, envisageant l’enfantement sans crainte, résistassent avec plus de courage et de facilité contre les douleurs.
Plutarque,Vie Lycurgue, 29-30, traduit par Alexis Pierron.