Pistes pour la classe
- L’Empire gréco-romain
- L’Empire byzantin
- Les colonies romaines
- Les Barbares
- La fondation d’une cité
- Les monuments romains
La fondation de la cité gréco-thrace
L’importance du détroit du Bosphore est attestée à la fois par la mythologie et l’Histoire. L’appellation même du mot « Bosphore » proviendrait d’un épisode mythologique. Io, la fille d’Inachos, le roi d’Argos, s’attire les faveurs de Zeus mais elle est transformée en génisse par Héra, jalouse. Poursuivi par un taon, l’animal s’enfuit à travers la Grèce et traverse à la nage le détroit qui prend ainsi le nom de « Passage du bœuf » (βοῦς πόρος / Bous poros). Il s’agirait peut-être d’une allusion aux transhumances d’Europe vers l’Asie ou vice-versa, d’autant que l’appellation de « Corne d’or », donnée à l’estuaire qui sépare la ville de son faubourg de Galata, renvoie au même animal.
Selon Diodore de Sicile, les Argonautes, partis à la recherche de la Toison d’or, ont pour but de s’emparer des richesses – notamment de l’or – du Caucase. Il s’agit pour cela d’immobiliser les Συμπληγάδες πέτραι (sumplègadès pétrai / Symplégades), rochers mythiques qui s’entrechoquaient et empêchaient le passage des navires ; c’est à cette seule condition qu’ils peuvent faire route vers la liberté.
Chez Homère, la cité de Troie contrôle le Détroit des Dardanelles. La guerre qui lui est livrée par les Grecs a pour enjeu, entre autres, la liberté de passage. Après la chute de Troie, le centre stratégique se déplace vers Byzance, cité située sur les rives du Bosphore.
Le nom de la cité Byzantium recoupe plusieurs étymologies :
- soit il vient du Grec Βυζάντιον (Buzántion). En effet, Βύζας (Byzas) ou Byzas de Mégare est le nom du fondateur de la colonie, qu’il soit d’origine locale, thrace, ou d’origine mégarienne, c’est-à-dire grecque ;
- soit il est à rapprocher du verbe grec βύζω (buzô : presser, bourrer, resserrer) qui serait à relier au nom du détroit du Bosphore, un passage (πόρος/poros) resserré (βύζω/buzô) ;
- soit il vient d’un mot thrace signifiant « bordure, rivage ».
Plusieurs légendes président à la création, en 667 avant J.-C., de la cité de Byzance, dont le héros fondateur Byzas – contemporain de la quête des Argonautes selon Diodore de Sicile – serait :
- soit le fils de Poséidon et de Céroessa (elle-même fille de Zeus et d'Io), dont le nom éponyme en Grec, Χρυσόν κέρας (khrusón kéras / la Corne d’Or), est celui de la baie étroite et profonde formée par les deux rivières qui se jettent dans le détroit du Bosphore et qui forment un port naturel, aménagé à l'époque par les Grecs ;
- soit une divinité d’origine thrace, fils d’une nymphe locale, Sémestrè ;
- soit Héraclès lui-même ;
- soit un prince qui aurait succédé à son beau-père et qui était l’époux de Phidaleia, la fille du toparque (chef d’origine étrangère) Barbysès, venu d’Athènes ou de Mégare, placé à la tête de l’emporion, comptoir commercial thrace ;
- soit, selon Hérodote, le frère d’Antès, qui se serait opposé, avec lui, à l’Empereur Constantin.
Quoiqu’il en soit, le nom du fondateur Byzas est thrace mais l’acte de fondation correspond à la politique coloniale grecque, visant à contrôler les détroits. Ainsi, selon l’hypothèse la plus plausible, les Thraces auraient fourni des hommes pour fonder une ville gréco-thrace sur un promontoire aride. Dès l’époque romaine, il fallut y apporter l’eau de très loin par des aqueducs. Cet endroit était stratégique car il faisait face à l’entrée Sud du Bosphore et permettait un contrôle direct du passage.
L’histoire de la cité
L’histoire de la ville est complexe, variant au gré des conquêtes diverses : d’abord occultée par sa puissante rivale Pergame (Troie) à la période hellénistique, elle devient capitale de l’Empire romain en 330 après J.-C., capitale de l’Empire romain d’Orient en 395, puis capitale de l’Empire ottoman en 1453.
Une plaque tournante du commerce méditerranéen
Les premiers habitants, avançant à partir de l’arrière-pays de Thrace, s’implantent aux bords des rivières qui aboutissent à l’estuaire de la Corne d’or, auprès des lacs ou autour des criques du Bosphore. Les premiers colons grecs qui fondent la ville de Chalcédoine sur la rive asiatique opposée vers 680 avant J.-C. préfèrent tourner le dos au Bosphore et s’établir à côté d’une petite rivière débouchant sur la mer de Marmara qui leur offre de l’eau et des terrains de culture.
Moins d’un siècle après la fondation de la ville, le général persan Mégabase qualifie les Chalcédoniens d’aveugles car ils n’ont pas vu l’importance de Byzance. C’est de ces propos que naît une autre légende. Avant de partir à l’aventure, les Mégaréens consultent l’oracle de Delphes quant au lieu de fondation de leur colonie ; la Pythie leur répond : « en face de la cité des aveugles ». Arrivés à l’embouchure du Bosphore, ils comprennent le sens de l’oracle en voyant le promontoire de la ville vide et les Chalcédoniens installés juste en face.
La ville est soumise en 513 par le roi de Perse, Darius, en route pour une campagne contre la Thrace. Les Ioniens, soumis au roi de Perse Darius, prennent la ville en 504 avant J.-C. Elle est ensuite prise par Otane, un des généraux de Darius avant que Pausanias, général spartiate, ne s’en empare en 478 avant J.-C.
Byzance devient alors le pivot d’un Empire qui s’étend sur deux continents et qui permet aux Perses de conquérir la Grèce. Xerxès y traverse sur un pont de bateaux vers 480. La défaite perse entraîne toutefois leur recul et les Athéniens occupent le littoral de la Thrace puis Byzance. La cité, grenier à blé d’Athènes, fait alors partie, à partir de 478, de la ligue navale de Delphes constituée par les Athéniens contre les Perses. Byzance se révolte en 440 avant J.-C. contre Athènes à laquelle elle doit payer un lourd tribut mais elle retombe pourtant sous sa domination après neuf mois de siège.
Lors de la Guerre du Péloponnèse, Byzance est successivement soumise par Sparte puis par Alcibiade d’Athènes en 408 avant J.-C. La conquête définitive de la ville par Sparte, en 405, coupe les routes d’approvisionnement et entraîne la chute d’Athènes. Byzance est alors obligée de renvoyer chez elle l’armée athénienne et d’accepter l’autorité civile et militaire d’un ἁρμοστής (harmostès), gouverneur en charge des colonies spartiates.
De 401 à 399 avant J.-C., lorsque les Dix-Mille – des soldats grecs enrôlés par le Perse Cyrus le Jeune pour détrôner son frère aîné Artaxersès II – arrivent en Bithynie, conduits par Xénophon, le commandant de la flotte spartiate, allié avec Artaxersès, fait fermer les portes de Byzance sans leur donner ce qu’il a promis : leur solde et des vivres. Les Grecs y pénètrent de force malgré tout ; seul Xénophon s’oppose au pillage de la cité.
En 364 avant J.-C., alliée avec les îles de Rhodes et de Chios, Byzance entre en lutte contre la domination athénienne et le lourd tribut qu’elle impose : c’est la guerre sociale de 357 à 355, date où Byzance acquiert son indépendance.
Lors de la Troisième Guerre Sacrée, de 356 à 346 avant J.-C., Philippe II de Macédoine tente de s’emparer de Byzance. Après un long siège, il essuie un échec, en 339, face au stratège athénien Phocion. Une légende raconte que, durant ce siège, la déesse de la Lune, Hécate, aurait agité des torches en pleine nuit pour prévenir les soldats byzantins de l’attaque des Macédoniens, ce qui assure à ces derniers la victoire.
Au cours du règne d’Alexandre le Grand, fils de Philippe II de Macédoine, de 336 à 323 avant J.-C., Byzance est contrainte de se soumettre aux Macédoniens mais, pour étendre son empire jusqu’en Asie, Alexandre passe par le Détroit des Dardanelles, permettant ainsi à Byzance de conserver sa neutralité. La cité reprend ensuite son indépendance après la mort du grand conquérant, lors de la Guerre des Diadoques pour le partage de l’empire d’Alexandre. Byzance reste alors une plaque tournante pour le commerce en provenance de la Thrace, la Macédoine, l’Anatolie et le Caucase. Les alliances qu’elle noue avec d’autres cités maritimes, dont Rhodes, lui permettent de conserver son indépendance.
En 279 avant J.-C., une expédition gauloise vient s’établir dans les environs de Byzance, pille la ville et lui impose un tribut exorbitant. Pour pouvoir l’honorer, les Byzantins, devant faire face à la domination barbare, thrace puis celte, entrent en guerre contre Rhodes. En effet, selon Polybe, la guerre des Détroits, menée par Rhodes et Prusias Ier, roi de Bithynie, contre Byzance en 220 avant J.-C., s’explique par leur volonté de faire renoncer Byzance à la taxe sur la navigation dans le Bosphore vers le Pont-Euxin comme l’écrit Polybe :
« Les Thraces encerclant le territoire des Byzantins d’une mer à l’autre, ils ont avec eux une guerre continuelle et pénible ; car, même bien préparés et victorieux sur eux, ils n’arrivent jamais à se débarrasser de la guerre à cause du nombre des barbares et de leurs chefs […] mais l’arrivée de Comontorios à la tête des Gaulois les mit dans la plus triste situation. »
D’après ce texte, la pression des Thraces sur Byzance est antérieure à la venue des Celtes et cesse à l’époque du passage de ces derniers en Asie Mineure : elle s’échelonne donc sur une longue durée, jusqu’en 279 avant J.-C. Cependant, malgré la pression exercée par les Celtes et le lourd tribut que Byzance est censée payer, la cité trouve de l’argent pour construire une forteresse afin de mener à bien la guerre des Détroits et imposer un péage sur le Bosphore. Cela lui permet de contrôler le commerce de la Mer Noire : en échange d’huile et de vin fournis par les Grecs, Byzance exporte du blé, des épices, du cuir, des esclaves, du miel, de la cire et des salaisons.
Byzance, colonie romaine
Ainsi, Byzance reste indépendante jusqu’à l’arrivée des Romains en 146 avant J.-C., date où elle devient une civitas libera et fœderata (cité libre et fédérée), c’est-à-dire indépendante mais reliée à Rome par un traité.
La cité connaît alors un certain déclin, comme toutes les cités grecques d'Asie à cette époque. En 73 après J.-C., l’empereur Vespasien supprime l’autonomie de la cité, mais Hadrien l’approvisionne en eau en construisant un aqueduc. Ainsi les lettres échangées par l’Empereur Trajan et Pline le Jeune au début du IIe siècle après J.-C. décrivent une cité développée et cosmopolite, pivot de l’Empire romain, étendu sur trois continents.
Sous la dynastie des Antonins, au milieu du IIe siècle après J.-C., la cité est à son apogée, même si elle ne retrouve pas sa splendeur passée. Ancienne cité littorale grecque, elle reste un pôle capital d’hellénisme.
Après l’assassinat de l’Empereur Commode en 192 après J.-C, Septime Sévère, en juin 193, assiège Byzance qui a pris le parti de l’usurpateur Pescennius Niger. Byzance résiste au siège romain jusqu'en 195 après J.-C, date de sa reddition et de sa destruction par Rome. Selon Don Cassius, à cette époque-là, la ville ressemble plus à un champ de bataille barbare qu’à une cité devenue romaine par la force. Septime Sévère ordonne alors de la réduire au statut de bourgade et attribue ses prérogatives à Périnthe, ville située sur la rive européenne de la mer de Marmara.
L’Empereur se rend pourtant compte de son erreur. Il reconstruit Byzance, la dotant d’une nouvelle enceinte plus vaste et de monuments splendides, dont les bains de Zeuxippe. Il la renomme Antoninia, du surnom Antoninus pris par son fils Caracalla. Cependant, dès la mort de Caracalla, la cité reprend son nom originel.
À la mort de Septime Sévère, en 211, il est question de partager l’Empire entre ses fils : Caracalla conserverait l’Occident avec Rome comme capitale, et Geta s’installerait à Antioche ou à Alexandrie pour régner sur l’Orient. Ainsi Byzance et la Chalcédoine seraient fortifiées comme des postes avancés des deux Empires. Byzance deviendrait non pas une capitale mais une ville frontière entre l’Europe d’une part et l’Asie et l’Afrique d’autre part. Mais cela ne se fera pas car Caracalla fait assassiner son frère qui subit la damnatio memoriae : sa mémoire est condamnée à l’oubli après sa mort.
Au IIIe siècle après J.-C., la cité est traversée par les expéditions romaines contre les Parthes et contre les Perses. Peu de textes mentionnent l’importance de la ville. On sait cependant qu’elle conserve le privilège de frapper monnaie jusqu’au règne de Gallien, ce qui lui donne une importance relative.
Dès 238 après J.-C., sans murailles depuis le sac de 196, Byzance subit les assauts des Goths venus de la Thrace et du Bosphore. Elle n’est cependant que très peu touchée par les razzias : aurait-elle négocié sa liberté avec les Barbares ? Rien ne le prouve…
En 285 après J.-C., pour faire face aux invasions barbares, l’Empereur Dioclétien décide d’instaurer la tétrarchie, c’est-à-dire de diviser la direction de l'Empire entre deux Empereurs, les « Augustes », et deux lieutenants, les « Césars ». La cité devient alors un enjeu politique entre plusieurs tétrarques jusqu’à ce que Constantin Ier prenne le pouvoir en 324 après J.-C. ; Byzance passe alors totalement sous le joug romain, est embellie et devient une résidence impériale. Le 11 mai 330 après J.-C., la ville est rebaptisée du nom de son bienfaiteur : Κωνσταντινούπολις (Constantinoupolis, Constantinople, la ville de Constantin).
Constantinople, la nouvelle Byzance romaine
Dès cette époque, les Byzantins se font appeler Ρωμαίοι (Rômaioi) c'est-à-dire « Romains » car, pour eux, l'Empire romain a perdu l'Occident, mais continue à vivre en Orient. Cette ville est un lieu de syncrétisme : colonisée par les Romains, elle est aussi un lieu chrétien, à l’image de son Empereur fondateur, mais aussi une cité de langue essentiellement grecque. Il s’agit pour Constantin de réunifier l’Empire et de recentrer le pouvoir romain vers l’Orient, moins menacé par les attaques des Barbares et plus prospère grâce à ses villes florissantes. Byzance devient la Nova Roma (Nouvelle Rome) face à Rome qui n’est plus la résidence permanente des Empereurs.
En 395 après J.-C., à la mort de l’Empereur Théodose Ier et sous la pression des invasions barbares, l’Empire est divisé entre les deux fils de l’Empereur : Honorius obtient l’Empire d’Occident et Arcadius, qui réside à Constantinople, l’Empire d’Orient.
À la fin du IVe siècle, les Barbares, notamment les Goths et les Wisigoths, envahissent l’Empire romain d’Occident. En 410, Rome est prise par les Wisigoths. Théodose Ier leur attribue un territoire au Sud du Danube. Au début du Ve siècle, les Germains et les Huns s’en prennent à l’Empire romain d’Occident, qui est à nouveau affaibli par les guerres contre les Perses. Constantinople s’efforce d’aider l’Empire romain d’Occident dans la lutte contre les Barbares : en 467-468 après J.-C., la cité intervient contre les Vandales, sans succès. Parallèlement, la ville de Constantinople s’agrandit et est dotée d’une nouvelle enceinte appelée « le mur de Théodose ». Un nouveau code juridique, le code Théodose, est établi par Théodose II en 438 pour définir les questions politiques, économiques, sociales et religieuses ; il est applicable dans tout l’Empire.
Cependant, les conflits religieux ainsi que les invasions barbares répétées affaiblissent tout l’Empire, en particulier Constantinople. En 440, les Huns menacent l’Empire d’Orient et obligent Théodose II à payer un lourd tribut annuel. Pourtant, à Constantinople, l’Empereur Léon Ier est le premier empereur d’Orient d’origine thrace à être couronné par le patriarche de la cité. En 476, c'est la chute de l'Empire romain d'Occident, l'Empire byzantin devient alors l'unique successeur de l'Empire romain en place.
Au VIe siècle après J.-C., sous Justinien, l’Empire est fragilisé par les luttes contre les Barbares, par une épidémie de peste qui touche tout le Bassin Méditerranéen. Cependant, au cours de son long règne (527-565), Justinien réorganise entièrement le droit romain et réaffirme l’importance du christianisme, soumis à l’Empereur. C’est à cette époque qu’est construite la Basilique Sainte-Sophie d’Istanbul qui restera pendant longtemps la plus grande église de la Chrétienté.
À partir du VIIe siècle, l’autorité de l’Empire d’Orient et de Constantinople est de plus en plus contestée tant sur le plan religieux que civique et politique. Les Croisades répétées ont raison de Constantinople qui est prise en 1204 par les Croisés. En 1453, c’est la prise de Constantinople par les troupes ottomanes.
Le nom grec de la ville est abrégé en πόλις (polis, la Ville), ce qui donnera en 1926 naissance au nom « Istanbul » via une déformation de l’expression εἰς τὴν πόλιν (eis tên polin, à la ville).
L’architecture de la cité antique
Plan de Constantinople au IVe siècle après J.-C., © Wikimédia commons
La cité antique de Byzantium est située en bordure de la Mer de Marmara, de chaque côté du Détroit du Bosphore, à cheval donc entre l’Europe et l’Asie, ce qui fait d’elle la cité du syncrétisme par excellence.
En raison des pillages et invasions multiples subies, les monuments antiques de la cité qui subsistent aujourd’hui sont peu nombreux mais imposants :
- Les triples murailles de Constantinople : d’abord construite par Septime Sévère au IIIe siècle en bordure de la mer de Marmara puis par Constantin au IVè siècle après J.-C., la première muraille – dont il ne reste que quelques fragments – fut doublée, sous Théodose, au Ve siècle, d’un mur extérieur de 10 m de haut et 8,5 m d’épaisseur, muni d’une centaine de bastions et de douves précédant un remblai à l’époque de son successeur. Partiellement détruite par un séisme en 447, elle fut aussitôt reconstruite sous Constantin, ce qui eut pour effet de repousser les troupes d’Attila qui voulaient prendre Constantinople. Le système de défense mesurait au total 25 km de long et reposait surtout sur la muraille intérieure qui mesurait 5 m d’épaisseur et 8 à 12 m de haut. L’ensemble de la muraille terrestre mesurait plus de 6 km de long et se déroulait de la Mer de Marmara à la Corne d’Or, ce qui rendait la ville imprenable ! Cela laisse supposer que la ville originelle était entourée d’une muraille de 1 km de long environ seulement et se réduisait au site actuel du palais ottoman de Topkapi et aux environs de Sainte-Sophie. Au-delà était située la nécropole : les mobiliers funéraires découverts à cet endroit sont les seules traces matérielles subsistant de l’antique Byzance, tout le reste étant enfoui sous la ville byzantine et ottomane.
Comme toute cité grecque, Byzance possédait à l’origine une agora. Au fur et à mesure de l’expansion de Constantinople, les fora se multiplient : la ville ne compte pas moins de six fora : l’Augusteion, le forum de Constantin, le forum de Théodose, le forum Amastrianum, le forum bovis et le forum d’Arcadius.
- L’Augusteion : bâti sur l’ἀγορά (agora) grecque, il s’agit du premier forum impérial romain construit originellement par Septime Sévère. Il était situé entre la cathédrale Sainte Sophie et le Grand palais. C’était une place publique carrée entourée de portiques, d’où son qualificatif de τετράστοον (tetrastoon / quatre « stoas » ou portiques). Le nom d’Augusteion provient de l’élément disposé en son centre : une statue de l’Augusta Helena, la mère de Constantin. Ce forum mesurait certainement 85 m de long sur 60 m de large environ. Transformé au VIe siècle après J.-C. en espace clos entouré de portiques et décoré d’une colonne surmontée d’une statue de Constantin représenté en dieu Hélios, ainsi que de statues de ses trois fils, il devint un espace permettant un accès limité à certains édifices importants de la capitale ; c’est là que se tenaient les cérémonies officielles. Sous Théodose, l’ensemble des statues fut remplacé par une statue équestre du nouvel Empereur, accompagnée elle aussi de celles de ses trois fils. Sous Justinien, la statue impériale fut remodelée à l’effigie du nouvel Empereur ; on y ajouta un groupe de trois barbares agenouillés devant lui, offrant leur tribut ; cette statue fut détruite par les Ottomans. Plusieurs fois détruits et reconstruits, les portiques de cette place publique n’ont pas subsisté, à l’exception de quelques fragments de colonnes. Ce forum se prolongeait à l’Ouest par une autre vaste place, la stoa basilica autour de laquelle étaient construites les riches maisons byzantines. Au Nord, se trouvait la basilique Sainte Sophie et le Palais du Patriarche. En bordure Est du forum, se trouvaient la Maison d’airain, l’entrée principale du Palais impérial ainsi que le Sénat créé par Constantin pour la Nouvelle Rome.
- La citerne-basilique, située en sous-sol, creusée sous la stoa basilica, est un gigantesque réservoir d’eau douce, construit sous Justinien au VIe siècle après J.-C., constitué de 336 colonnes sculptées de chapiteaux corinthiens, certaines reposant sur des têtes de Méduse. Dotée d’une paroi externe de 4 m d’épaisseur recouverte d’enduit hydrofuge, mesurant 138 par 65 m, pouvant contenir jusqu’à 30 millions de litres d’eau, elle a été construite pour lutter contre les pénuries d’eau estivales.
- Le forum de Constantin : autre place publique importante située sur la deuxième colline de Constantinople, elle était décorée d’une colonne de Constantin encore existante mais amputée de la statue de l’Empereur disposée à son sommet à l’origine. Situé entre le Palais du Boukoleon et le forum de Théodose, ce forum se trouvait à l’extérieur des premières murailles de la cité et permettait l’accès à la voie romaine qui partait du Miliarum aureum. Son architecture était circulaire – ce qui est original – et comportait deux portes monumentales à l’Est et à l’Ouest. La place était décorée à la fois de statues mythologiques, impériales et chrétiennes ainsi que d’un nymphée, fontaine publique monumentale traduisant le luxe de la cité. À son entrée, on pouvait voir une statue d’Athéna Promachos en bronze comparable à celle de l’Acropole d’Athènes. Détruit par des incendies et des tremblements de terre, il ne subsiste de ce forum que quelques colonnes marquées par le feu.
- Le Miliarum aureum (miliaire d’or) : réplique de celui qu’Auguste avait fait bâtir à Rome et à partir duquel on mesurait les distances entre les principales villes de l’Empire, il se trouvait à proximité du forum de Constantin. Depuis ce point de repère, partait la principale voie romaine de la cité, la Mesē actuelle, qui reliait son centre à la porte d’Adrianople, sur la sixième colline au Nord de la ville.
- Le Forum de Théodose : situé sur la troisième colline de Constantinople, il était nommé, à l’origine, forum tauri (le forum du taureau) et fut fondé par Constantin. Reconstruit en 393 par Théodose sur le modèle du forum de Trajan à Rome, il prit alors le nom de forum de Théodose. Comme tout forum, il était entouré de bâtiments publics (églises, thermes, portiques…) et décoré d’une statue de l’Empereur placée au sommet d’une colonne. Aujourd’hui, il ne reste que quelques vestiges de colonnes sur l’emplacement de cet ancien forum.
- Le forum Amastrianum : même si son emplacement précis n’est pas défini, on sait qu’il se situait là où la voie romaine se divisait en deux branches. Son nom provient de la ville d’Asmara car un citoyen de cette cité – dont la réputation était de forger des criminels – y fut soit assassiné, soit exécuté. Ce forum était aussi connu pour être le principal marché aux chevaux de Constantinople. Sa décoration, étrange mélange de statues animales et de symboles païens, son rôle dévoué aux exécutions publiques firent de cette place un lieu maudit. Sur ce forum, se trouvait le Μόδιον (Modion), la plus volumineuse unité de mesure romaine pour marchandises sèches utilisée essentiellement dans le commerce des céréales : c’était une sorte d’étalon érigé par l’Empereur Valentinien Ier au IVe siècles après J.-C., qui servait d’unité de base dans tout l’Empire byzantin. Sur le bâtiment situé à proximité, on pouvait voir la sculpture de deux mains en bronze traversées de lances, signe d’avertissement pour les marchands de céréales qui auraient utilisé de fausses mesures. La présence de cet objet en cet endroit s’explique par le fait qu’elle était située à proximité des greniers à blé proches du port d’Eleutherios.
- Le forum bovis (le forum du bœuf) : situé entre la troisième et septième colline de Constantinople, il fut certainement aussi construit au IVe siècle après J.-C. et mesurait 250 m de large pour 300 m de long. Son nom provient d’une gigantesque statue creuse, en bronze, représentant une tête de bœuf retrouvée en cet endroit. Cet objet, d’origine troyenne, était utilisé comme four et comme instrument de torture : on y enfermait le condamné à mort qui y mourait brûlé. Aujourd’hui, le site de ce forum n’a encore pas été fouillé.
- Le forum d’Arcadius : situé sur la septième colline de Constantinople, il fut construit en 403 sous l’Empereur Arcadius à la fin du IVe siècle après J.-C. Arcadius étant mort prématurément, ce fut son fils Théodose II qui fit décorer la place d’une statue équestre placée au sommet d’une colonne en spirale de 50 m de haut et de 3,6 m de diamètre, sur le modèle de la colonne Trajane à Rome, dont il subsiste aujourd’hui seulement une partie de son escalier intérieur, célébrant les victoires – certainement imaginaires – d’Arcadius sur les Goths.
- L’hippodrome : déjà existant à l’époque de Byzance, il fut édifié par Septime Sévère vers 200 après J.-C. et vit ensuite la naissance officielle de la nouvelle Rome en 330 après J.-C. Construit sur le modèle du Circus Maximus de Rome, il mesurait environ 450 m de long sur 117 m de large et pouvait contenir de 30 000 à 100 000 spectateurs selon les époques. L'édifice était constitué d’une arène bordée de gradins formant une courbe semi-circulaire à son extrémité Sud-Ouest (la sphendonè) tandis que l'extrémité Nord-Est était occupée par les carceres, douze stalles de départ pour les chars. Au milieu de la piste, trônait la spina où s’élevaient des fontaines, statues et obélisques décoratifs. Parmi ces colonnes décoratives, trois obélisques sont encore aujourd’hui intacts : l’obélisque de Théodose provenant d’Égypte ; la colonne serpentine, fragment d’un monument du sanctuaire de Delphes commémorant la bataille de Platées en 479 avant J.-C. ; l’obélisque dit « muré », c’est-à-dire maçonné, car il était à l’origine recouvert de plaques de bronze. La loge de l’Empereur dans les gradins communiquait directement avec le Grand Palais situé à l'Est par un escalier fermé de portes en bronze. Incendié et pillé par les Croisés, l’hippodrome n’a jamais été reconstruit et est aujourd’hui connu sous le nom de « Place des Chevaux ».
- Le Grand Palais ou « Palais sacré » : construit sous Constantin, c’est le plus grand ensemble architectural de la cité. Descendant vers la Mer de Marmara et s’étageant sur six niveaux, il s’est agrandi au gré des besoins et des volontés des différents Empereurs, s’étendant toujours plus au Sud. Il est constitué d’édifices multiples :
- La Χαλκῆ ou Χαλκῆ Πύλη (chalkè ou chalkè pulè, Porte de Bronze) : entrée de cérémonie située au Nord-Ouest du Palais.
- Le Palais de Daphné : constitué d’une cour servant de tribunal mais aussi d’appartements privés, c’était la partie la plus ancienne du palais, contenant une statue représentant Daphné.
- La Magnaure ou Magna aula (grande salle) : composée de trois salles à absides, elle contenait la salle du trône où l'empereur recevait les ambassadeurs.
- Le Consistoire : c’était l’ancienne salle du trône ; elle servait de grande salle de réunion et était adjacente à une église.
- Le τρίκλινος (triklinos) des dix-neuf lits : c’était une salle de banquet composée de neuf alcôves contenant chacune trois divans pour les invités et d’une abside pour l’Empereur et ses proches. Dans cette pièce, trônait le tribunal des dix-neuf lits où l’Empereur rendait la Justice.
- Le κοῖτον (koiton) : au Sud, se situaient les appartements privés impériaux qui s’ouvraient sur la Mer de Marmara et le Bosphore.
- Le τροῦλλος (troullos) et le γενικόν (genikon) servaient à gérer les questions administratives et financières.
Ces ruines éparses appartenaient certainement à un ensemble luxueux de plusieurs palais donnant sur la mer, aux murs recouverts de marbre pourpre, construits postérieurement à l’époque de Constantin, pour agrandir toujours plus les demeures de la famille impériale. C’est le cas, par exemple, du Palais d’Antiochos situé au Nord-Ouest de l’hippodrome et datant du Ve siècle après J.-C.
Parmi tous ces palais, l’un d’eux est notable : le Palais de Boukoleon. Il était situé à l’entrée du port artificiel de même nom, dont l’explication se trouve dans la découverte en cet endroit d’une statue, aujourd’hui disparue, d’un lion (λέων / leôn) terrassant un taureau (βοῦς / bous). Il servait de résidence maritime aux Empereurs au IVe siècle après J.-C.
- Les bains de Zeuxippe : ce sont des bâtiments édifiés à la fin du règne de Constantin, dans les années 330, au cœur du complexe formé par le palais impérial et l’hippodrome. Ces thermes romains étaient décorés par soixante-dix statues de bronze représentant des personnages mythologiques, des auteurs et des hommes d’État. Par la place donnée à Apollon, à Poséidon surtout, mais aussi à Aphrodite et Artémis dans la décoration de ces thermes, Constantin inscrivit le bâtiment dans la tradition des cultes de l’Acropole de l’ancienne Byzance. Ils furent détruits au VIe siècle puis reconstruits partiellement. Transformés en partie en prison, en partie en usine à soie, leur conservation fut assurée jusqu’à nos jours. « Zeuxippe » est le nom donné au soleil dans la langue thrace.
- L’aqueduc de Valens : c’est le plus vieux monument de la ville qui subsiste encore. Sa construction débuta sous Constantin et se termina sous l’Empereur Valens en 368 après J.-C. Endommagé probablement par un tremblement de terre, il fut restauré au VIe siècle et à plusieurs reprises jusqu’à la Prise de Constantinople. Il servait à approvisionner en eau la population grandissante de la cité et s’étendait sur 250 km environ, ce qui fait de lui l’aqueduc le plus long de l’Antiquité. Arrivée dans la cité, l’eau était recueillie dans trois réservoirs à ciel ouvert et plus de cent citernes souterraines, le tout ayant une capacité de plus d’un million de mètres cubes !
Byzance aujourd’hui ?
Aujourd’hui, après des siècles de pillages et d’invasions, il ne reste que bien peu de vestiges apparents de la cité gréco-romaine. Beaucoup de monuments sont soit partiellement ou totalement détruits, soit situés en sous-sol. Mais le luxe et l’opulence de Byzance subsistent dans l’expression française « C’est Byzance ! » qui signifie « C’est le grand luxe ! » car la cité, dès sa fondation, est connue pour sa richesse. Lorsqu’elle prend le nom de « Constantinople » en 330 siècle après puis celui d’« Istanbul » en 1926, elle reste synonyme d’opulence, notamment grâce aux propos d’un personnage d’une pièce de théâtre itinérante qui s’exprime ainsi : « Quel luxe ! Quel stupre ! Mais c’est Byzance ! ».
Ce qu’en dit Diodore de Sicile :
Ἔπειτα τὸν μὲν Γλαῦκον δῦναι πάλιν εἰς τὸ πέλαγος, τοὺς δ´ Ἀργοναύτας κατὰ στόμα τοῦ Πόντου γενομένους προσπλεῦσαι τῇ γῇ, βασιλεύοντος τότε τῆς χώρας Βύζαντος, ἀφ´ οὗ καὶ τὴν πόλιν τῶν Βυζαντίων ὠνομάσθαι. Ἐνταῦθα δὲ βωμοὺς ἱδρυσαμένους καὶ τοῖς θεοῖς τὰς εὐχὰς ἀποδόντας καθιερῶσαι τὸν τόπον τὸν ἔτι καὶ νῦν τιμώμενον ὑπὸ τῶν παραπλεόντων.
Le dieu marin Glaucos replongea ensuite dans la mer. Arrivés au détroit de la mer du Pont, les Argonautes mirent pied à terre dans un pays dont Byzas était alors roi, et qui a laissé son nom à la ville de Byzance. Là, les Argonautes élevèrent des autels, accomplirent leurs vœux, et consacrèrent aux dieux un terrain qui est encore aujourd'hui vénéré par les navigateurs.
Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, IV, 49,1, traduit par l'Abbé Terrasson, 1851.