Ulysse et Argos Une image, une histoire

Très répandues dans le monde grec et romain antique, les pièces de monnaie sont ornées, comme aujourd’hui, de divers motifs symboliques. Elles peuvent aussi faire référence à une histoire célèbre, que tous peuvent reconnaître.

Une histoire de chien et de fidélité

Selon l’Odyssée d’Homère (VIIIe siècle avant J.-C.), Ulysse, de retour de la guerre de Troie, arrive comme un simple mendiant dans son île d’Ithaque, après vingt ans d’absence. Il retrouve son porcher, Eumée, qui ignore son identité. Argos, son vieux chien de chasse, est le seul à le reconnaître immédiatement : il meurt après avoir faiblement remué la queue et baissé les oreilles, comme un dernier signe de soumission et d’affection à celui qui fut son maître. Ulysse ne peut alors s’empêcher d’essuyer une larme, discrètement, pour ne pas être reconnu par Eumée.

Lire l’image

Monnaie. Ulysse et Argos

Denier romain de l’époque républicaine, argent (ø 2 cm, 3,9 g.), 82 avant J.-C., BnF, Monnaies, Médailles et Antiques, Paris, © Bibliothèque nationale de France

Ce denier a été frappé sous l’autorité du triumvir monétaire (l’un des trois magistrats chargés de la frappe de la monnaie à Rome) Caius Mamilius Limetanus. On déchiffre sa signature à gauche et à droite : C. MAMIL / LIMETAN.

Sur le revers (= pile), on reconnaît Ulysse, debout, en tenue de mendiant : il porte une tunique et un manteau court, ainsi que le pilos grec (pileus en latin), le bonnet conique traditionnel, caractéristique des gens humbles (ouvriers, esclaves, mendiants). Il tient un grand bâton de la main gauche et étend sa main droite au-dessus d’un chien : c’est le fidèle Argos, qui semble fêter son retour avec joie (tête dressée, corps arc-bouté, queue frétillante). Inspirée du célèbre épisode homérique, cette représentation en diffère un peu : dans L’Odyssée, le chien, perclus de vieillesse, « remue la queue, baisse les deux oreilles, mais n’a pas la force d’aller jusqu’à son maître » (chant XVII, vers 302 - 304).

Ce type monétaire fait allusion à la généalogie de la famille des Mamilii (la gens Mamilia) qui prétendait descendre de l’héroïne mythologique Mamilia, fille de Télégonus, lui-même fils d’Ulysse et de Circé selon une source posthomérique.

Sur l’avers (= face), figure le profil du dieu Mercure, coiffé du traditionnel pétase ailé, avec son caducée dans son dos. Cette représentation participe du même genre de référence généalogique que le revers du denier : dans la tradition mythologique, en effet, Mercure (Hermès) est le père d’Autolycos, lui-même père d’Anticlée, la mère d’Ulysse.

Lire des textes

Homère

ἂν δὲ κύων κεφαλήν τε καὶ οὔατα κείμενος ἔσχεν,
Ἄργος, Ὀδυσσῆος ταλασίφρονος, ὅν ῥά ποτ᾽ αὐτὸς
θρέψε μέν, οὐδ᾽ ἀπόνητο, πάρος δ᾽ εἰς Ἴλιον ἱρὴν
ᾤχετο.

Or, un chien couché leva la tête et les oreilles ; c’était Argos, le chien qu’Ulysse au cœur plein d’endurance avait nourri lui-même, mais dont il n’avait tiré aucun profit, car il partit trop tôt pour la sainte Ilion. Autrefois, des jeunes gens l’emmenaient courre les chèvres sauvages, les daims et les lièvres. Mais depuis le départ de son maître, il gisait, abandonné de tous, sur un tas de fumier de mulet et de bœuf, qui s’accumulait devant le portail, en attendant que les serviteurs d’Ulysse vinssent l’enlever pour en fumer son domaine étendu. C’était donc là que gisait Argos, tout couvert de vermine. Toutefois, dès qu’il sentit qu’Ulysse était auprès de lui, il remua la queue, baissa les deux oreilles, mais il n’eut pas la force d’aller jusqu’à son maître. Ulysse, en le voyant, détourna la tête pour essuyer une larme qu’il put facilement cacher aux yeux d’Eumée. Puis, prenant aussitôt la parole, il lui demanda :
- Eumée, je m’étonne que ce chien soit ainsi couché sur du fumier ; son corps est beau, mais je ne sais pas clairement si sa vitesse à courre égalait sa beauté, ou s'il n’était simplement qu’un de ces chiens de table, que leurs maîtres ne soignent que par ostentation.
Mais toi, porcher Eumée, tu répondis et dis :
- C’est le chien d’un homme qui mourut loin d’ici. S’il était tel, pour les prouesses et l’allure, qu’Ulysse le laissa lorsqu’il partit pour Troie, tu admirerais, aussitôt aperçues, sa vitesse et sa fougue. Dans les profondeurs de l’épaisse forêt, aucune bête sauvage ne lui échappait, dès qu'il l’avait lancée, car il excellait à la suivre à la trace. Mais aujourd’hui, il est devenu la proie de la misère. Son maître a péri loin du pays natal ; les femmes négligentes n’en prennent aucun soin, et les serviteurs, aussitôt que les maîtres ne les commandent plus, ne veulent plus décemment s’acquitter de leurs charges. Zeus au vaste regard ravit à l’homme la moitié de son autorité, dès que vient le saisir le jour de la servitude.
Ayant ainsi parlé, le porcher entra dans la demeure noblement habitée, marcha droit vers la salle et pénétra parmi les brillants prétendants. Quant à Argos, le destin ténébreux de la mort s’empara de lui, aussitôt qu’il eut revu son maître, après vingt ans d’absence.

Homère (VIIIe siècle), Odyssée, chant XVII, vers 290-327 (traduction Mario Meunier, 1943)

Sextus Empiricus

Καὶ ἄλκιμον δὲ αὐτὸν ὄντα ὁρῶμεν ἐν ταῖς ἀμύναις καὶ συνετόν, ὡς καὶ Ὅμηρος ἐμαρτύρησεν, ποιήσας τὸν Ὀδυσσέα πᾶσι μὲν τοῖς οἰκείοις ἀνθρώποις ἀγνῶτα ὄντα ὑπὸ μόνου δὲ τοῦ Ἄργου ἐπιγνωσθέντα.

Nous voyons encore que le chien est vaillant dans les moments où il faut se défendre et qu’il est intelligent, comme en témoigne Homère ; il rapporte qu’Ulysse, qui n’avait été reconnu par aucun de ses serviteurs, le fut seulement par son chien Argos. Celui-ci ne fut pas trompé par le changement physique de son maître car il n’avait pas perdu l’image qu'il avait de lui ; ce en quoi il se montra supérieur aux hommes.

Sextus Empiricus (env. 160 - 210), Les Hypotyposes ou Institutions pyrrhonniennes, I, 14b (traduction A. C.)

Découvrir une autre image 

Intaille ovale en caldédoine: Ulysse et Argos

Intaille ovale en calcédoine représentant Ulysse reconnu par son chien Argos, époque romaine (pas de datation précise), BnF, Monnaies, Médailles et Antiques, Paris, © Bibliothèque nationale de France

 

Une intaille est une pierre dure gravée pour servir de sceau ou de cachet. Elle peut être présentée seule ou montée en bague, en bijou faisant partie d’une parure.

Celle-ci paraît avoir été sciée dans l’épaisseur à l’époque moderne pour être montée en chaton de bague. On peut voir Ulysse, barbu, coiffé du pilos sur ses épais cheveux bouclés ; il est vêtu d’une tunique courte ; jeté sur l’épaule droite, son manteau flottant au vent donne l’impression du mouvement. Il avance à grands pas, mains tendues au-dessus de son chien Argos ; celui-ci, assis, lève la tête vers son maître tout en dressant sa patte antérieure droite.

 

Pour aller plus loin

Besoin d'aide ?
sur