Hercule dans la coupe du soleil Une image, une histoire

De très nombreux vases grecs représentent le héros superstar, le plus célèbre de la mythologie gréco-romaine, l’ancêtre de tous les Supermen modernes : Héraclès / Hercule. On le découvre ici dans un épisode héroï-comique associé à l’un de ses douze travaux.

Une histoire de (sou)coupe volante

Expert en haute technologie, Héphaïstos / Vulcain, le dieu forgeron, passe pour avoir fabriqué un genre de véhicule merveilleux : une coupe en or, nommée δέπας (dépas) en grec, sorte de tasse ailée dans laquelle le Soleil (Hélios) s’embarque chaque soir, à l’extrême Occident, afin de regagner son palais, à l’extrême Orient. Du pays des Hespérides (ouest) à celui des Éthiopiens (est), il vogue ainsi confortablement, pendant la nuit, tout en dormant comme dans un lit, sur le courant du gigantesque fleuve Océan, qui encercle la terre et le ramène d’ouest en est. Au matin, frais et dispos, il se retrouve prêt à repartir sur son char flamboyant attelé de quatre chevaux.

C’est cet extraordinaire véhicule, entre le vase à boire et le chaudron, selon les auteurs, qu’Héraclès emprunta au Soleil pour traverser l’Océan, au-delà des fameuses colonnes qui portent son nom, et aller dans la mystérieuse île d’Érythie (« la Rougeoyante » en grec), où il s’empara des bœufs de Géryon, le redoutable géant au triple corps, accomplissant ainsi son dixième travail. Certaines versions de la légende racontent qu’il ramena le troupeau des bovins dans ce même véhicule.

Cet épisode mythologique évoque les périples aventureux et incertains vers l’extrême Occident qu’entreprenaient les navigateurs antiques aux confins des terres connues. De la coupe « soutenue par des ailes » (ὑπόπτερος, selon Mimnerme, repris par Athénée de Naucratis) à la soucoupe volante des voyages interplanétaires, il ne reste plus à la science-fiction qu’à revisiter le mythe...

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hercule dans la coupe du soleil

Intérieur d’un kylix (coupe) attique à figures rouges, dans le style du peintre Douris, découvert à Vulci (Étrurie), env. 480 av. J.-C., Musées du Vatican, Rome. © Annie Collognat.

Vu de profil, à mi-corps, Héraclès est aisément reconnaissable à ses attributs traditionnels : la massue et la peau de lion (léonté) dont il s’est revêtu depuis son premier travail (le lion de Némée). Il tient dans sa main gauche l’arc dont il s’est servi pour menacer l’Océan (voir la fin du texte d’Athénée de Naucratis). Son visage, ses cheveux et sa barbe sont finement travaillés, de même que la crinière de la tête du lion qu’il porte comme un casque.

On devine que le héros est assis à l’intérieur d’un grand récipient de type « lébès » (voir l’image ci-contre). En surimpression sur la panse de ce récipient, le peintre a représenté les flots agités de l’Océan par des traits ondulés et il a ajouté deux poissons et deux octopodes (poulpes ou pieuvres), dont on peut précisément compter les « huit pieds ») pour suggérer clairement l’élément marin.

Au-dessus de la tête d’Héraclès, on distingue les lettres grecques καλός (kalos, beau) : cette inscription dédicatoire en l’honneur d’un « beau » jeune homme est relativement fréquente sur les vases attiques à figures rouges.

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Mimnerme

Ἠέλιος μὲν γὰρ ἔλαχεν πόνον ἤματα πάντα,
οὐδέ ποτ’ ἄμπαυσις γίνεται οὐδεμία
ἵπποισίν τε καὶ αὐτῶι, ἐπεὶ ῥοδοδάκτυλος Ἠὼς
Ὠκεανὸν προλιποῦσ’ οὐρανὸν εἰσαναβῆι.

Hélios a obtenu en partage un labeur éternel, et jamais il n’est de cesse ni pour ses chevaux, ni pour lui, dès que l’Aurore aux doigts de roses quitte l’Océan et monte vers le ciel. Car, à travers les flots, une couche très aimable, ciselée, en or précieux, sortie des mains d’Héphaïstos, l’emporte, enlevée par des ailes, à la surface des ondes, tandis qu’il goûte un sommeil désiré, depuis la contrée des Hespérides, jusqu’à la terre des Éthiopiens ; là, le char rapide et les chevaux s’arrêtent, jusqu’au retour de l’Aurore, fille du matin ; alors le fils d’Hypérion monte sur son char.

Mimnerme (env. 660-600 av. J.-C.), Élégies « à Nannô », 10 (traduction E. Bergougnan, 1940)

Athénée de Naucratis

Πείσανδρος ἐν δευτέρῳ Ἡρακλείας τὸ δέπας ἐν ᾧ διέπλευσεν ὁ Ἡρακλῆς τὸν Ὠκεανὸν εἶναι μέν φησιν Ἡλίου, λαβεῖν δ´ αὐτὸ παρ´ Ὠκεανοῦ τὸν Ἡρακλέα.
Dans le deuxième livre de son Héraclée, Pisandre écrit que le vase à boire appelé depas dans lequel Héraclès navigua sur l’Océan appartenait au Soleil, mais qu’Héraclès l’avait ensuite pris d’Océan lui-même. Les poètes et les écrivains n’auraient-ils pas imaginé pour s’amuser de faire naviguer Héraclès dans un vase à boire, du fait que ce héros aimait les plus grands de ces vases ? Mais Panyasis dit dans le premier livre de son Héraclée que ce fut de Nérée qu’Héraclès reçut la tasse du soleil et qu’il s’en servit pour passer par la mer jusqu’à l’île d’Érythie où se trouvait le royaume de Géryon. Nous avons déjà dit qu’Héraclès faisait partie des très grands buveurs. Stésichore nous explique, dans le passage suivant, que le Soleil était transporté vers le couchant dans un vase à boire : « Le Soleil, fils d’Hypérion, s’embarqua dans une tasse d’or pour traverser sur l’Océan l’obscurité profonde de la nuit et revenir vers sa mère, sa jeune épouse et ses chers enfants ; et le fils de Zeus s’enfonça dans un bois de lauriers bien ombragé. » Antimaque en parle ainsi : « L’illustre Érythie, l’une des Hespérides, faisait partir à ce moment le Soleil dans une tasse en or. » Eschyle dit aussi dans ses Héliades (« les filles du Soleil ») : « Là, au couchant, se trouve la coupe en or de ton père, fabriquée par Héphaïstos, dans laquelle, traversant le vaste espace des flots qui s’élèvent en montagnes, il poursuit sa course rapide et ignorée de tous au plus profond de la nuit aux chevaux noirs. »
Dans son poème à Nannô, Mimnerme dit que le Soleil se rend en dormant vers l’Orient dans un lit d’or qu’Héphaïstos lui a fabriqué exprès pour cet usage, faisant allusion à la cavité de la tasse où il repose : « La fatigue en effet est tous les jours le sort du Soleil et il n’a jamais aucun repos, pas plus que ses coursiers, depuis l’instant où l’Aurore aux doigts de roses quitte l’Océan pour s’élever sous la voûte du ciel ; alors, aussitôt, un lit qui fait envie, forgé et ciselé par les mains d’Héphaïstos dans l’or le plus précieux, équipé d’ailes, le transporte au-delà de l’Océan. Tout en dormant, le Soleil vole ainsi sur la surface des flots et il passe rapidement du chœur des Hespérides à la terre des Éthiopiens, où l’attendent son char rapide et ses chevaux, jusqu’à ce que l’Aurore, fille du matin, arrive. Là, le fils d’Hypérion monte alors sur un autre char. »
Dans son deuxième livre des Heures, Théolyte dit que le Soleil traverse la mer dans un chaudron, mais l’auteur de la Titanomachie l’avait dit avant lui. Dans la troisième de ses Histoires, Phérécyde, après avoir parlé de l’Océan, ajoute : « Mais alors qu’Héraclès, tendant son arc contre lui, est prêt à lâcher la flèche, le Soleil lui ordonne d’arrêter ; Héraclès, intimidé, arrête. En récompense, le Soleil, lui donne la tasse en or, qui le transporte lui et ses chevaux, lorsqu’il franchit l’Océan, pendant la nuit, pour se rendre vers l’aurore où il doit se lever. Aussitôt Héraclès part dans cette tasse vers l’île d’Érythie ; mais alors qu’il est en haute mer, l’Océan, dont il fait l’expérience pour la première fois, lui paraît soulever les flots pour en battre la tasse. Héraclès s’apprête à décocher ses flèches ; aussitôt l’Océan, craignant sa colère, ordonne aux flots de se calmer. »

Athénée de Naucratis (env. 170-225), Le Banquet des savants, livre XI, 38 - 39, 469c - 470d (traduction M. Lefebvre de Villebrune, 1789, revue A. C.)

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Lébès

 

Lébès étrusque en bronze sur son trépied (H. 90,8 cm), env. 525 - 475 av. J.-C., Metropolitan Museum of Art, New York.© Metropolitan Museum of Art.

 

Dans la production grecque et étrusque (VIIe - Ve siècles av. J.-C.), le lébès (du grec λέβης) est un vase en forme de chaudron à fond arrondi, en terre cuite ou en bronze, le plus souvent ; posé sur un trépied, il pouvait servir à chauffer l’eau ou les aliments et pour les cérémonies religieuses. Très largement répandu, il était aussi offert en cadeau de mariage, en récompense aux vainqueurs des épreuves athlétiques, en ex-voto dans les sanctuaires, ou encore utilisé comme urne cinéraire dans les cimetières.

C’est ce type de récipient que le peintre du kylix du Vatican a imaginé pour représenter la fameuse « coupe du Soleil » dans laquelle navigue Héraclès : « ἐπὶ λέβητός φησιν αὐτὸν διαπλεῦσαι », « on raconte qu’il navigue dans un lébès », selon Athénée de Naucratis.

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