Circé, la magicienne aux belles boucles

Pistes pour la classe

  • Les dieux et héros gréco-romains
  • Les cultes rendus aux dieux
  • Les métamorphoses
  • Les femmes de la mythologie

Un peu d’étymologie

Le nom de Circé vient du Grec Κιρκη / Kιrkè qui signifie « oiseau de proie ». Selon certains linguistes, on peut aussi rapprocher son nom d’un radical sémitique krk* qui désigne la forteresse et évoque l’enfermement.

Son nom est aussi en rapport avec le mot κερκίς / kerkis qui désigne la navette du tisserand, qui fait des aller-retours sur le métier à tisser. Son nom peut être encore relié au nom commun κίρκος / kirkos, certainement issu de κύκλος / kuklos (le cercle) et désigne trois éléments : une sorte de faucon qui plane en tournant, une sorte de loup et une sorte de gâteau rond. Elle symbolise bien celle qui, dans son île circulaire entourée par la mer, retient prisonnier celui qui tombe en son pouvoir, dans le lien d’un cercle magique. Elle est, entre autres, une magicienne toute puissante.

Selon Plutarque, philosophe des Ier-IIe siècles après J.-C. et Stobée, compilateur du Ve siècle après J.-C., on peut identifier Circé à la révolution circulaire de l’univers, à un cycle de vie et de mort auxquels sont soumis les hommes. Il faut rappeler que son épithète associée est εὐπλόκαμος / euplokamos, « aux belles boucles » : son apparence physique est donc conforme à son caractère d’enchanteresse qui, telle une spirale, encercle sa proie. D’ailleurs, son épithète euplokamos signifie aussi « aux tentacules abondants » en parlant de poulpes, et « aux flots nombreux » en parlant de la mer, ce qui renvoie aussi à l’idée de piège.

En effet, Circé offre à Ulysse et ses compagnons le κυκεών / kukeôn, breuvage composé de farine d’orge, de fromage râpé et de vin de Pramnos auquel elle ajoute un poison. Le terme kukeôn signifie aussi, au sens figuré, le trouble, le désordre, la confusion. Ce mélange, qui nécessite d’être remué (κυκάω / kukaô : remuer) avant d’être absorbé pour éviter la formation d’un dépôt de matières solides, est, selon Héraclite, le symbole de l'union des contraires rendue possible par le mouvement mais il est aussi facteur de désordre et on le voit particulièrement à l'égard des membres de l’expédition d’Ulysse.

Ainsi Circé est-elle qualifiée par Homère de πολυφάρμακοςpolupharmakos, habile à connaître ou à employer les remèdes ou les poisons, notamment ceux qui opèrent des métamorphoses. On a identifié la plante utilisée par Circé comme étant une plante contenant de l’atropine, un principe actif aux effets toxiques, à rapprocher d'un nom de  la Parque Ἄτροπος / Atropos, symbolisant l’Informe, la Mort. Cette plante serait :

  • soit de la stramoine, datura stramonium, plante toxique hallucinogène, de comportements étranges, de confusion mentale, d'amnésie, de délires conduisant parfois au coma puis à un arrêt cardiaque et respiratoire,
  • soit de la belladone ou Atropa belladonna, causant des hallucinations, des transes, voire la mort,
  • soit de la jusquiame, plante un peu moins toxique mais pouvant générer des hallucinations particulièrement puissantes, comme celle d'avoir pris la forme d'un animal, au point d'en adopter le comportement ; son nom provient du Grec ὑοσκύαμος / huoskuamos signifiant la « fève de porc » par allusion à la mésaventure des compagnons d’Ulysse lorsqu’ils rencontrent Circé.

C’est pourquoi, pour contrecarrer les effets potentiels du poison contenu dans le breuvage offert par Circé, Ulysse jette, sur les conseils d’Hermès, dans la boisson de Circé, une plante nommée μῶλυ / môlu, que, selon Homère, seuls les dieux peuvent arracher de terre : elle possède des racines noires et des fleurs blanches, et a des propriétés magiques. Hermès la nomme φάρμακον ἐσθλόν / pharmakon esthlon, « herbe de vie ». Son nom provient du verbe μωλύω / môluô qui signifie « émousser, relâcher, affaiblir, épuiser » : cette plante possède effectivement des vertus « apaisantes » car elle tient du somnifère et même du narcotique.

L’existence de cette plante a longtemps été discutée. On s’accorde à dire aujourd’hui que le môlu est une liliacée et probablement un allium. Mais si le genre paraît vraisemblablement établi, il n'en est pas de même pour son espèce. Plusieurs hypothèses ont été proposées ; il s’agirait :

  • soit, selon Théophraste (élève d’Aristote ayant vécu aux IV-IIIe siècle avant J.-C.), de l’allium sativum, ail cultivé aux propriétés antiseptiques, soit de l’allium nigrum, ail noir, nommé ainsi à cause de la couleur de ses ovaires et dont la fleur blanche a le parfum de l’ail ; cependant ces deux types d’ails ne contiennent pas d’antidote à l’atropine présente dans le breuvage de Circé,
  • soit de l'ellébore blanc, le veratrum album, aux fleurs blanches, drogue réputée dans l'Antiquité et utilisée par Hippocrate pour soigner la folie et la mélancolie,
  • soit de la mandragore, plante toxique voisine des colchiques, soit de la belladone, toutes deux ayant des propriétés hallucinogènes ; cette suggestion pourrait se trouver renforcée par le fait que le nom de Circé a, entre autres, pour origine le mot κιρκαία / kirkaia désignant la mandragore,
  • soit, selon Victor Bérard, d’une plante des sables appelée atriplex halimus servant à traiter les inflammations,
  • soit d’une plante répertoriée par Hippocrate, l’ail à fleurs jaunes, de la famille des Amaryllis appelée galanthos dont le nom proviendrait de l’association de γάλα / gala (le lait) et ἄνθος / anthos (la fleur) ; cette plante, communément appelée « perce-neige » ou « nivéole d’été », possède un principe actif, la galanthamine, qui contrecarre l’action de l’atropine contenue dans le breuvage de Circé.

Même si cette dernière hypothèse est souvent admise, il est impossible de choisir précisément parmi toutes ces applications.

La baguette magique de Circé, telle qu’elle est décrite par Homère, se nomme ῥάϐδος / rabdos : c’est cet instrument qui transforme les compagnons d'Ulysse en porcs âgés de neuf ans (Odyssée, X, vers 238-239). Ce terme désigne de multiples  choses : une baguette, une branche, un sarment, une verge pour frapper, la baguette magique de Circé, d’Athéna ou d’un devin, une canne à pêche, une baguette enduite de glu, ou un bâton de commandement ou encore un sceptre, ou bien le bâton que portaient les rhapsodes (poètes-musiciens), le caducée d’Hermès, la hampe d’un javelot; au pluriel, il peut désigner le faisceau de verges des licteurs romains, mais aussi la houlette de berger ou toute forme de bâton. La palette est donc très  large allant de l’objet le plus banal à celui capable d'ensorceler.

Une généalogie exceptionnelle

Circé est la fille d’Hélios, le dieu Soleil, et de l’Océanide Perséis, ou, selon certains auteurs, celle d'Hécate, la déesse aux trois visages, déesse lunaire de la sorcellerie.

Elle est issue de la famille royale de Colchide, pays situé au pied du Caucase, dans l’Extrême-Orient qui voit le lever du jour. Sa famille est donc nombreuse et renommée :

  • Elle est la sœur d’Aiétès, le roi de Colchide, gardien de la Toison d'Or, qui se la fait dérober par Jason et par sa propre fille, la magicienne Médée.
  • Elle est la sœur de Pasiphaé, la femme de Minos, roi de Crète.
  • Elle est la sœur de Persès, roi de Tauride en guerre contre son frère Aiétès et tué par Médée qui veut rétablir son père Aiétès sur le trône.
  • Elle est la tante de Médée. Après le meurtre d'Apsyrtos, le frère de Médée – que cette dernière tue et démembre avec Jason pour retarder l’avancée de son père, le roi de Colchide Aiétès qui la poursuit – Médée s’arrête sur l’île d’Aea. Circé purifie alors Jason et Médée du meurtre, mais elle refuse de donner l'hospitalité à Jason ; elle s’en tient à une longue conversation avec sa nièce.

Chez plusieurs auteurs – Homère, Hésiode, Virgile et Ovide – elle est considérée, à cause de sa naissance, comme une déesse. A plusieurs reprises, Homère la nomme δεινή θεός αύδήεσσα / deinè thos audèessa soit « la funeste déesse à la voix humaine. Cicéron, en revanche, dans le De natura deorum (III, 29) et le De Officiis (I, 31), s’interroge sur la nature de Circé : est-elle femme ou déesse ?

Une femme aux contours incertains

Il est étonnant de constater à quel point le personnage de Circé, pourtant si important sur la route d’Ulysse, a cependant une apparence physique particulièrement floue : un peu moins de 600 vers la  montrent à l'action dans les livres X (vers 135-574) et XII (vers 1-150) de l'Odyssée ! Mais chacun de ses passages demeure  très général et nous apporte toujours les mêmes informations élogieuses sur sa voix, ses cheveux, son immortalité, sa jeunesse. C’est le cas, par exemple, aux vers 135 à 139 :

Αἰαίην δ᾽ ἐς νῆσον ἀφικόμεθ᾽· ἔνθα δ᾽ ἔναιε
Κίρκη ἐυπλόκαμος, δεινὴ θεὸς αὐδήεσσα,
αὐτοκασιγνήτη ὀλοόφρονος Αἰήταο·
ἄμφω δ᾽ ἐκγεγάτην φαεσιμβρότου Ἠελίοιο
μητρός τ᾽ ἐκ Πέρσης, τὴν Ὠκεανὸς τέκε παῖδα.

Nous gagnons Aiaé, une île qu'a choisie pour demeure Circé, la terrible déesse douée de voix humaine, Circé aux belles boucles, une sœur d'Aiétès aux perfides pensées : tous deux doivent le jour au Soleil des vivants, qui les eut de Perse, la nymphe océanide.

L'explication tient peut-être au fait  que le mythe de Circé n’a pas été inventé par Homère mais a été  repris au folklore transmis par les aèdes, notamment à l’épopée de Gilgamesh qui date des XVIIIe et XVIIe siècles avant J.-C.

Une île à la géographie discutée

Après avoir empoisonné son mari, le roi des Sarmates, Circé prend la fuite sur le char de son père Hélios et s’installe sur l’île d’Aea / Aiaé, dans un palais situé au milieu d’une clairière, entouré de loups et de lions, qui étaient autrefois des hommes qu'a ensorcelés Circé.

L’emplacement de l’île de Circé a longtemps été discuté. Dans l’Odyssée, elle est située en Italie ; ce serait la presqu'île appelée aujourd'hui Monte-Circeo, à mi-chemin entre Rome et Naples. En effet, le nom de la montagne Circaeum et celui de la cité latine Circeii, dont cette montagne marquait le territoire, sont cités par Polybe et Virgile. Pendant longtemps, sa localisation n’a pas été  discutée. Cependant, chez Virgile, la déesse locale adorée aux abords du Monte Circeo ne se nommait pas Circé mais Feronia.

De plus chez Homère, Circé n’habite pas sur un promontoire mais dans une île dont le nom, Aiaé, n'a aucun rapport avec Circaeum. Aucune indication précise n’est donnée par l’auteur concernant la localisation de cette île.

En effet, le nom de l’île Aiaé provient du toponyme Aia qui, dans la légende de Jason, désigne la résidence du roi de Colchide Aiétès, frère de Circé ; cela ne traduit qu'une intention de mettre en évidence les liens d'étroite parenté qu'a Circé avec la maison royale de Colchide. En revanche, grâce aux propos tenus par Circé lorsqu’Ulysse la quitte (Odyssée, X, 490-512), on comprend que la navigation sera facile, guidée par le souffle du vent Borée, sans pilote, que le fleuve Océan qu’il va devoir traverser est peu large et bordé d’un petit promontoire à partir duquel il pourra se rendre à pied aux portes des Enfers, situées le long d’un rivage.

D’après ces données, on admet aujourd’hui que le fleuve sur lequel navigue Ulysse correspondrait au Détroit de Gibraltar et que l’île de Circé serait située sur un rivage ibérique, à 125 kilomètres du Détroit, à l’emplacement de la ville actuelle de Malaga. Mais rien n'est totalement assuré. 

La question demeure  de savoir pourquoi, pendant longtemps, on a situé l’île de Circé dans le Latium et non en Ibérie. Il s’agit  vraisemblablement d’un parti pris politique postérieur à Homère, à une époque où, vers 600 avant J.-C., des colonies grecques s’installent dans le Sud de la Gaule, autour de Massilia (Marseille), à défaut de pouvoir s’installer sur le rivage ibérique, occupé par les Carthaginois. Comme les colons grecs étaient les alliés de Rome contre Carthage – notamment au moment des Guerres Puniques –  la géographie des colonies grecques fut recentrée autour des principales villes romaines, en l’occurrence le Monte-Circeo, situé à proximité du Lac Arverne, près de Cumes, justement considéré comme une des entrées des Enfers.

Les amants de Circé

Circé est connue pour être une grande amoureuse. Dans son magnifique palais, entourée de lions et de loups, qui sont des voyageurs qu’elle a transformés par magie, elle perfectionne ses pouvoirs. Plusieurs personnages mythologiques croisent sa route :

  • Elle accueille le dieu marin Glaucos qui vient lui demander un philtre magique pour s’attirer les faveurs de la belle nymphe Scylla, insensible à ses avances. Mais Circé tombe amoureuse du dieu, qui cependant la repousse. Pour se venger, elle transforme Scylla en monstre marin faisant face à autre monstre, Charybde. 
  • Circé punit aussi Picus, roi d’Italie qui lui a refusé son amour, et le change en pivert.
  • On lui prête aussi des aventures avec Jupiter (ou Poséidon ?), dont elle aurait eu le dieu Faunus.

Sa plus grande aventure amoureuse est celle qu’elle vit avec Ulysse. Après avoir quitté le pays des Lestrygons, Ulysse et ses compagnons arrivent sur l’île d’Aiaé. Ulysse envoie en reconnaissance la moitié de son équipage, soit vingt-deux hommes, sous la conduite d’Euryloque, qui se laissent guider par une voix harmonieuse. Ils traversent une forêt, découvrent un palais somptueux et brillant. Les compagnons entrent tous, sauf Euryloque, qui, sur la défensive, observe la scène de loin. La magicienne les accueille et leur fait boire le kukeôn, dans lequel elle a ajouté du poison. Les marins, ravis, acceptent et, grâce à des incantations magiques, sont aussitôt transformés en porcs ; ils sont alors enfermés dans les étables de Circé, déjà bien remplies d’animaux similaires.

Euryloque s’enfuit et rapporte à Ulysse ce dont il a été témoin. Ulysse décide d’aller rencontrer la magicienne pour essayer de venir au secours de ses compagnons. Traversant le bois qui mène au palais de Circé, il rencontre Hermès qui lui apparaît sous la forme d’un jeune homme tenant un roseau en or et qui lui offre le môlu, un contrepoison qui lui permettra de vaincre les sortilèges de Circé. Arrivé à destination, Ulysse boit aussi le kukeôn mais Circé ne réussit pas à le métamorphoser. Ulysse tire son épée et menace de la tuer, mais elle l'apaise : elle jure par le Styx de ne lui faire aucun mal, ni à lui, ni aux siens et lui offre de partager sa couche. Elle rend alors aux compagnons d’Ulysse leur forme humaine et passe avec Ulysse un mois – ou un an, selon les versions – de délices. Elle aide alors Ulysse et son équipage à préparer leur départ en conseillant à Ulysse d’aller consulter le devin Tirésias aux Enfers pour pouvoir s’informer de la suite de leur voyage. Juste avant le départ, l’un des compagnons d’Ulysse, Elpénor, fait une chute depuis le toît de la terrasse et se tue.

Dans l’Odyssée, le seul fils connu d’Ulysse est Télémaque, l’enfant qu’il a eu avec Pénélope. Cependant, d’après d’autres légendes, de ses amours avec Ulysse, Circé aurait conçu plusieurs enfants : 

  • Télégonos, qui aurait fondé la ville de Tusculum, selon la Thélégonie, épopée perdue du cycle troyen qui prenait la suite de l’Odyssée,
  • Latinos, à l’origine de la création du Latium,
  • Agrios, dont le nom signifie « le Sauvage »,
  • Nausithoos, selon Hygin au Ier siècle après J.-C.,
  • Romos, Antias et Ardéas, éponymes des trois cités de Rome, Antium et Ardée,
  • Une fille Cassiphoné, qui aurait épousé, selon les versions, soit son frère Télégonos soit son demi-frère Télémaque, qu’elle aurait tué.

Dans la Télégonie – épopée perdue attribuée à Eugamon de Cyrène et qui suivait chronologiquement l’Odyssée – c’est Circé qui épouse Télémaque. En effet, Ulysse a eu avec la magicienne ce fils, Télégonos qui ne connaît pas encore son père. Lorsque Télégonos arrive à Ithaque, Ulysse combat pour défendre son île et Télégonos le tue. Comprenant son erreur, Télégonos emmène le cadavre d'Ulysse, ainsi que Pénélope et Télémaque chez Circé qui rend alors immortels Télégonos, Télémaque et Pénélope ; Pénélope épouse Télégonos et Circé épouse Télémaque.

Une allégorie de la femme fatale

Dans l’épisode où Ulysse rencontre Circé, la magie de l’enchanteresse est triple :

  • elle use d’ἀπάτη / apatè, d’un chant-piège qui relève de la tromperie ;
  • elle utilise, contre la μῆτις / mètis, la ruse d’Ulysse, une φάρμακον / pharmakon, une drogue : le breuvage qu’est le κυκεών / kukeôn pour transformer en porcs les compagnons d’Ulysse ;
  • elle manie enfin, comme toute poétesse ou tout aède, comme Orphée, un langage qui charme. Le verbe qui désigne son pouvoir oratoire est  θέλγειν / thelgein, qui signifie « charmer par des enchantements magiques, séduire, tromper ». Son charme, au sens premier du mot, est si efficace qu’il fait d’Ulysse un homme passif qui en vient à oublier son retour et à partager la couche de Circé (« notre couche » dit-elle) dans un ἱερὸς γάμος / hieros gamos, un mariage sacré.

Circé est donc le symbole de la féminité poussée à l'extrême qui use de ses charmes pour arriver à ses fins. D’après les commentateurs néo-platoniciens et chrétiens, la drogue qu’elle utilise est allégorique : elle symbolise le plaisir qui corrompt les sens et ramène l’homme à l’état de bête sauvage – cochon, chien ou loup, selon les versions – par opposition à la raison, le λόγος / logos qui doit guider l’esprit humain, représenté par l’antidote fourni par Hermès. La première métamorphose des compagnons d’Ulysse opérée par Circé devient chez eux une métaphore de la chute après le péché originel ; la seconde une allégorie de la réincarnation.

Cependant, la séduction dont use Circé est ambiguë car l’enchanteresse a aussi un caractère viril : elle vit seule, éloignée de toute civilisation, dans une île isolée, dans un palais coupé du monde par une forêt. Cela fait d’elle une femme forte, mystérieuse, autonome, comme les Sirènes ou Calypso, que rencontrera ensuite Ulysse. Cependant, si Calypso tente d'effacer le souvenir de Pénélope avec la douce promesse de l'immortalité, si les Sirènes, les vierges-oiseaux, tentent Ulysse avec la promesse d’une mort héroïque, Circé essaie de retenir le guerrier uniquement grâce à ses charmes amoureux.

Entre Circé, les Sirènes et Calypso, les ressemblances sont multiples :

  • concernant leurs noms, tout d’abord, composés d’allitérations en [c] et [s] ;
  • sur le plan thématique aussi : Calypso tente de faire « oublier » Ulysse (καλύπτω / kaluptô signifie oublier) ; les Sirènes « font se souvenir » ; Circé, quant à elle, est à mi-chemin entre hommes et dieux, entre les Sirènes, mortelles chez Homère, et Calypso, la déesse. Elle fait oublier à Ulysse qui il est pendant un temps et ne lui remet en mémoire son identité qu'au moment où il doit poursuivre sa route.

Une pierre fondatrice sur la route d’Ulysse

Circé ne peut cependant pas être réduite à une enchanteresse ou à une femme fatale qui croise par hasard le chemin d’Ulysse. Elle est nécessaire dans son évolution : en effet, sa connaissance des dangers est utile, elle va guider Ulysse. Elle lui indique les dangers qui l’attendent : les Sirènes, Charybde et Scylla, les Enfers ; elle va même l’aider en envoyant une brise qui pousse son navire, et lui enseigne l’usage des liens qui lui permettront de ne pas succomber au charme des Sirènes. Ainsi, elle transforme son errance en voyage, son expédition en destin :  elle lui fait asumer la responsabilité de son voyage.

Grâce à Circé, Ulysse effectue donc un voyage initiatique. Le repas qu’elle lui offre a pour but de lui faire oublier la vie terrestre, ce qui permet à Ulysse d’opérer un choix décisif, celui d’une métamorphose en profondeur : après avoir expérimenté des rapports fort sensuels, Ulysse s’accomplit grâce à Circé qui le guide dans le passage d’un monde à l’autre. Même s’il n’est plus un jeune homme, Ulysse est un être en quête d’identité. Après avoir rempli plusieurs rôles : roi, marin, guerrier, homme soumis au plaisir, il se doit de devenir anonyme pour retrouver son identité oubliée. Sa quête est bien existentielle ; c’est grâce à Circé qu’il sera capable de la mener à son terme.

Ce qu’en dit Homère :

 

Ἔνθεν δὲ προτέρω πλέομεν ἀκαχήμενοι ἦτορ,
ἄσμενοι ἐκ θανάτοιο, φίλους ὀλέσαντες ἑταίρους.
Αἰαίην δ᾽ ἐς νῆσον ἀφικόμεθ᾽· ἔνθα δ᾽ ἔναιε
Κίρκη ἐυπλόκαμος, δεινὴ θεὸς αὐδήεσσα,
αὐτοκασιγνήτη ὀλοόφρονος Αἰήταο·
ἄμφω δ᾽ ἐκγεγάτην φαεσιμβρότου Ἠελίοιο
μητρός τ᾽ ἐκ Πέρσης, τὴν Ὠκεανὸς τέκε παῖδα.

 

Nous reprenons la mer, l'âme navrée, contents d'échapper à la mort, mais pleurant les amis. Nous gagnons Aiaié, une île qu'a choisie pour demeure Circé, la terrible déesse douée de voix humaine, Circé aux belles boucles, une sœur d'Aiétès aux perfides pensées : tous deux doivent le jour au Soleil des vivants, qui les eut de Perse, la nymphe océanide.

 

Homère, Odyssée, chant X, vers 133 à 139, traduction de Victor Bérard, 1931.

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