Princes

Le livre prend la suite de Misères dans sa dénonciation des causes des misères du peuple. Ici d’Aubigné reprend les attaques contre les Rois et il écrit un véritable réquisitoire contre les mauvais Princes dont il nous donne un portrait général pis individualisé et de l’ensemble se dégage la figure type du tyran. Le livre s’inscrit dans le cadre d’une littérature du blâme à l’opposé du panégyrique de Rois ou des Miroirs des Princes dont le rôle traditionnel était de conseiller et de glorifier les Rois de France.

Le livre cependant n’en reste pas au plan politique et humain puisque au début au milieu et à la fin le recours à Dieu semble la seule solution à la dégénérescence tragique des Rois.

Ainsi même si dans son dessein général le livre reprend Misères, le ton est bien différent – cf. l’Avis aux lecteurs : « Le premier livre s’appelle Misères qui est un tableau piteux du royaume en général d’ « un style bas et tragique, n’excédant que fort peu les lois de la narration. Les Princes viennent après d’un style moyen mais satyriques en quelque façon : « en cestui-là, il a égalé la liberté de ses écrits à celle des vices de son temps, dénotant le sujet du second pour instrument du premier »

Le style bas et tragique : les critères de forme et de contenu sont confondus ; tragique par le sujet – les guerres, la famine – et bas – qui est normalement incompatible avec la tragédie – veut dire qu’il respecte les lois de la narration (historique ou juridique) et exclut les fictions poétiques d’un plus haut style). Ici le style moyen exclurait la satire de style bas. Mais l’auteur qui veut montrer les causes de Misères est obligé d’adapter son style en principe élevé à l’objet vicieux qu’il décrit : donc une histoire (style moyen) et un style bas. Mais surtout l’expression « style moyen mais satyrique » nous donne une des problématiques les plus intéressantes de Princes : En quoi le Bas ne va-t-il pas contaminer le projet sérieux (affiché dès l’exorde) de la restauration de la Justice et de la Vérité pour laquelle milité le poète ?

Ce livre satirique peut-il faire oublier la perspective d’ensemble, se réduire à un règlement de comptes fantasmatique où ne se liraient que la haine et le ressentiment ?

Un livre satirique

Effectivement à bien des égards ce livre rejoint la satire romaine et même les historiens romains dans leurs portraits de la cour dégénérée. Les deux maîtres ici sont Juvénal et Tacite.

  • Juvénal

Le plus grand satiriste latin (violence, amertume, indignation...) même projet sous la contrainte d’une réalité à pourfendre (facit indignatio versum…)

Pour d’Aubigné aussi il est impossible de continuer dans la veine amoureuse quand le vice s’étale à ce point sous ses yeux. Il faut relier à la satire II de Juvénal (les filles de la cour et leur avortement clandestin – cf. Julia nièce et maîtresse de Domitien) au vers 1023, les travestissements mondains à Rome et le portrait d’Henri III et des mignons (795 sq.), les contrats de mariage avec les mignons (825) sont repris des « signatae tabulae » de Juvénal  (110, II), les enlèvements de jeunes gens destinés à l’appétit des dames de la cour (1009) viennent des pratiques de Messaline (X, 331) et les nuits de Messaline (IV, 115) ressemblent aux nuits du lupanar de Haleu.

La satire II de Juvénal est en général consacrée aux hypocrites et d’Aubigné dirige tout le livre contre l’hypocrisie à commencer par celle des poètes (89 sq.) qui, comme les flatteurs, déguisent la vérité. Donc tout le livre est la dénomination d’une gigantesque mascarade qui ne se contente pas de couvrir le vice mais qui lui donne le visage de la vertu.

La satire se définit comme un type de discours qui se donne pour fin de dénoncer derrière les apparences qui se donnent comme une réalité une autre réalité contraire qui s’y dissimule (cf. Funeste dont les deux personnages s’opposent comme l’être au paraître).

  • Tacite

Très à la mode en ces temps-là. Plume tout aussi acérée pour restituer le théâtre de la comédie des Princes cf. les premières lignes de ses Histoires (histoire d’une époque riche de malheurs, défigurée par les combats, déchirée par les séditions…etc. »)

Donc Juvénal et Tacite l’un dans le simple but de l’historien, l’autre, le poète qui déplore le paradis perdu de la transparence. Il ne faudra jamais perdre de vue que c’est dans un autre but, en principe, que d’Aubigné satirise, comme il dit : pour montrer la responsabilité des Princes dans le Mal qui règne sur terre donc toujours dans une perspective apocalyptique

Le livre lui-même

Dans un texte retrouvé (« des écrits licencieux ») dans ses manuscrits, d’Aubigné fait l’éloge du « bon satyrique »...

Ainsi nos jeux mignards essais de nos esprits

Préparent pour un jour nos courageux écrits
A décocher du fonds d’une petite fronde
Le caillou qui saura bien dessirer les lions
Les hydres les Pythons conçus d’infections
Et des fiers Goliaths désengencer le monde

Ainsi le poète satirique est-il à la fois Apollon et David.

Étymologiquement la satire est un pot pourri et se caractérise par sa liberté (cf. l’avis au lecteur). Ici si le contenu marque l’influence d’une certaine veine (de Juvénal jusqu’à Du Bellay ou J. de la Taille), la liberté de la satire exprime cette fureur du poète qui sans se donner la peine de vraiment composer, déverse son fiel revient sur des choses déjà dites (cf. 1058) : le plan est imprécis, de grandes parties, et à l’intérieur des juxtapositions d’unités, souvent non reliées entre elles et de longueur variable :

  • 1 – 103 : Exorde /idées esthétiques : expressionnisme fondé sur le réalisme
  • 104 – 284 : Les Flatteurs
  • 284 – 754 : Les mauvais Rois
  • 754 – 1106 : Les Valois
  • 1106 – 1486 : L’allégorie du jeune homme entre vertu et Fortune
  • 1486 – 1525 : Final au ton prophétique

Commentaire 1 : L’exorde vers 1 – 48

Exorde vigoureux où se lit l’affirmation d’une volonté : dire la vérité, affirmation pendant longtemps repoussée à cause de sa réticence à s’attaquer à la source du mal : les princes

Il nous montre le geste même à l’origine de son œuvre et plus précisément du livre II dont le titre est sans équivoque.

Un geste qui est à la fois un reniement (de son ancienne poésie) un acte quasi-meurtrier, une purification.
Cette action le révèlera à lui-même : valeur révélatrice de son action poétique.

Le dévoilement de la vérité explique le double registre épique et satirique de ce passage comme du livre II : épique, comme un acte de guerre, et satirique pour faire éclater le mensonge.

Plan

A la fois argumentatif et affectif :

1-8 : exorde général : expression de sa volonté : un combat pour un dévoilement

9-20 : adresse aux lecteurs/acteurs du drame : il leur tend un miroir qui va les effrayer parce qu’ils font comme s’ils étaient purs

21-37 :  ce miroir, il a longtemps hésité à le produire 21-37 (raisons inhérentes au sujet, au style, à la lâcheté pour dire leur vérité aux puissants)

38-48 : Mais Dieu le pousse maintenant au combat : même s’il ne peut voir clairement comment il va faire, ou si c’est dans ses capacités, il le fera pour faire triompher la vérité (et retour au début donc)

Donc il explique son projet en s’adressant de façon indignée aux responsables et en se définissant par rapport à eux : l’argumentation est toujours relayée par une importante subjectivité.

Première partie

Note le mélange de la mythologie et de la Bible d’Aubigné, à la fois Christ et Apollon.

Noter le mélange satirique-épique : le combat d’Apollon (« pithon ») mais l’odorat : infect, empoisonné, bouchant les naseaux, pestes et rognes

Noter les verbes utilisés : une volonté souveraine affirmée (« je veux » repris au vers 43), puis des verbes violents (cf. la brèche et l’entaille au début de Misères) crever, ouvrir, percer : idée de pourfendre, meurtrir mais aussi porter au vu et au su de tous l’abjection qui se cache « au creux des tanières ». Donc dévoiler une vérité qui est paradoxalement ressentie comme une invasion de l’ordure : le ciel devient tout noir (la communication ne peut plus se faire) il s’agit d’affronter l’ordure, de se battre avec elle.

Enfin noter le couple de rimes soit antithétiques (lumière/tanière, vicieux/cieux) soit proches par le sens (rognes/charognes) et les rythmes (6/6 ) qui accentuent la détermination.

Donc l’écriture comme geste de dévoilement, où l’ordure fait irruption, ordure qu’il ne faut pas craindre de coir en face (cf. préface 401-2 et II 1083sq)

Deuxième partie

Les acteurs deviennent lecteurs : il s’adresse à ceux qui sont à l’origine de son œuvre  et les engage à la lire (d’où avoir « horreur de votre horreur ») ; donc la honte qu’a ressentie d’Aubigné (« le foudre rougissant ») va se lire et horrifier les coupables eux-mêmes.

Mais il est impossible qu’ils aient honte ! et le seul à avoir honte est d’Aubigné (« J’en ai rougi pour vous ») car les coupables ont l’illusion de la pureté, comble de la dépravation.

Ainsi l’entreprise est d’autant plus difficile que les coupables ne peuvent de réformer (ce sera Dieu qui en III descendra lui-même).

Noter les couleurs : le rouge de la honte, de la plume, de l’épée, devant les « noires ordures » et en opposition avec les « pâles fronts » de chien (des cyniques) qui justement restent pâles parce que la honte ne peut pas les rougir : et cette absence de honte, de rouge, paradoxalement (le cœur est taché par la pâle impudence) cf. les sépulcres blanchis : le lustre et la pureté apparentes.

Noter l’assimilation du combat et de l’écriture (l’acier de mes vers : écriture comme arme d’agression)

Enfin noter toute la rhétorique : antithèses, métaphores, images et la satire associée à l’affectivité du locuteur (« j’en ai rougi ») ; et forte présence de la deuxième personne : vituperatio et invective

Troisième partie

Il explique ses atermoiements par rapport aux enjeux du combat : la vérité. Il définit le sujet, un style inconnu (topos de l’exorde), la disparition de la vérité alors que tout le monde la loue, la lâcheté  d’entreprendre un travail qui serait mal compris, et la lâcheté vis à vis des puissants ; et les deux vers résumant la difficulté : « Celui-là se repent qui dit leurs vérités/ celui qui en dit bien trahit sa conscience » donc parole impossible dans les deux cas.

Mais il condamne sa vie passée comme ses vers passés. IL faut noter dans cette partie

- les images qui concrétisent le propos (la vérité qui meurt de froid, qui traîne par les rues etc. (mais deux images pas très cohérentes : la vérité meurt sans air (elle est fermée = renfermée) mais elle traîne dans les rues, parce que personne ne la reçoit alors que tout le monde la loue (toujours l’hypocrisie)
- l’importante place du « je » (aspect autobiographique) : une confession (lâcheté, intérêt…) et son courage à écrire maintenant, ce qui l’amène à expliquer la nature de ses œuvres antérieures (mots péjoratifs : babiller, folles ardeurs, prompte jeunesse)

- le mélange de la confession et de la satire cf. les antithèses (cause légère/courroux très pesant)

- enfin les tournures négatives expliquant son inaction (je n’avais entrepris, de peur d’encourir, je n’avais jamais fait que)

Quatrième partie

Ici le style vigoureux reprend (cf. le rythme du vers 38 : Hardi/d’un nouveau cœur/maintenant/je m’adresse…alors que plus haut le rythme était 6/6), cf. aussi les rimes internes (cœur/morgueur) et les allitérations.

Les derniers vers de la phrase (42) expliquent le changement de celui qui écrit : « le doigt de Dieu…etc. » ; un nouvel état d’esprit que D. lui a donné (« hardi, nouveau, maintenant…) lui permet de ne pas se décourager (opposition à sa « lâcheté » d’autrefois)

Mise en place de la référence au combat de David « le géant morgueur » cf. I 135 (lié à l’hybris) et la relative définit le géant : il a mis à ses pieds un « monde usurpé » et il s’agit de le libérer ; et l’écrivain sera ce nouveau David, l’arme même de la vérité saura vaincre le « vice-Goliath en lui enchâssant ce caillou dans le front (noter les termes concrets) : combat du petit (élu) contre le Grand méchant : David, Jésus, Apollon   qui marquera d’infamie (le caillou dans le front) ce Goliath.

Puis la définition de ce qu’il est : il ne peut se définir qu’en tant qu’il agit ; son existence, son action d’écrivain engagé donc va révéler ce qu’il est : opposition « mon entreprise/ce que je suis, et « je veux/je puis » : il veut compenser cf. Juvénal l’éventuelle incapacité par la volonté. Les vers sont frappés comme des maximes, : le livre comme moyen de se connaître de se révéler (ce qui explique les hésitations à écrire)

Conclusion

Un exorde plein de vigueur où D’Aubigné explique les raisons de ses hésitations devant une entreprise si nouvelle et si dangereuse  (avec cette contradiction : répandre la noirceur pour combattre pour la vérité ; mais la satire est si noire que le projet risque d’en être compromis.)

IL faut noter avec quel naturel le ton épique et le ton satirique se fondent, de même la mythologie et les écritures saintes.

Il faut noter la forte présence des images qui font vraiment imaginer son travail (ouvrir, tuer les monstres, avec assimilation à une triple figure mythique)

Enfin cette poésie dont le caractère d’action contribue à révéler celui qui l’écrit.

Donc l’auteur intervient pour démasquer les illusions (habits, comportement, langage). Cet exorde donne le ton, car on voit bien que sa visée n’est pas seulement satirique : volonté de tuer, non de redresser, énonciation plus prophétique que poétique : déjà l’exorde montre la contradiction entre le dévoilement de la bassesse et de la noirceur et la volonté de faire place à la vérité (le ciel s’obscurcit au lieu de devenir blanc)

Pourtant c’est bien une satire dans la mesure où il s’attache à montrer le décalage entre l’être et le paraître : image récurrente du fard sur le visage, dénonciation des fausses dénominations : les mots ne correspondent plus à ce qu’ils désignent, ils cachent la réalité et il s’agit de rectifier le faux langage et de retrouver le vrai nom des choses horribles masquées sous des vocables lénifiants.

 

Commentaire 2 :  le déguisement  et les flatteurs vers 203 – 236

Situation

D’Aubigné oppose son amour de la vérité à la conduite des flatteurs des Rois qui n’agissent que pour plaire et ménager des plaisirs à ceux qu’ils servent et à qui ils doivent en retour leur fortune.

Sujet

Nous avons donc ici une diatribe contre les flatteurs ; cette diatribe repose sur tout un jeu d’oppositions entre déguisement et dévoilement, jeu dont il faudra montrer d’une part la signification morfale et religieuse et d’autre part comment il illustre la pensée, la sensibilité et l’esthétique baroques

Plan

Les changements énonciatifs donnent la composition du passage :

  • une première partie où les flatteurs sont une troisième personne
  • une seconde partie où l’indignation les fait prendre directement à partie

Donc un passage d’abord plus descriptif et plus éloquent ensuite.

Première partie

Trois mouvements nettement distincts

  • la description proprement dite sous la forme d’une opposition malheur du peuple/jeux des flatteurs
  • la citation directe des paroles qu’ils prononcent
  • le retour à la description pour dire que ce qu’ils font sera en dépit de ce qu’ils disent, visible au grand jour.

Premier mouvement : se fait sur deux thèmes : opposition malheur/jeux et déguisement.

Les quatre premiers circonstanciels opposent la réalité du malheur (massacres sanglants, gémissements du peuple sous le faix tyrannique, histoire tragique, terme déjà employé en I parce qu’il s’agit des Tragiques : il y a du sang versé et ce sont des histoires contemporaines cf. celles du genre à la mode. Mais pour le flatteur tous ces massacres ne sont « qu’exercices et jeux », (repris par « farces et jeux ») : apparaît ici le thème du déguisement : la réalité prend d’autres noms : le massacre est un Jeu.

Les trois vers suivants décrivent alors cette joyeuse comédie : le ris sardonien (convulsif) (péjoratif au XVIè dans le sens de « faux et méchant »), les bizarres « habits et cœurs » : la bigarrure, l’hypocrisie, les adjectifs « enfarinés et noircis » leur déguisement montre en réalité leur noirceur ; et ils sont qualifiés de « bateleurs » (charlatans de foire) ; les verbes employés montrent leur duplicité : le rire « peint » leurs affections (farde leurs sentiments) eux-mêmes se déguisent.

Tout un vocabulaire emprunté au théâtre (farces, jeux, tragique, bateleur) qui est à la fois métonymique et métaphorique : métonymique car c’est vrai que la cour d’Henri III prisait les fêtes et les mascarades, (cf. les fêtes sur le thème de Circé aux noces de Joyeuse) et la cour en profitait d’autre part pour se livrer à des parties licencieuses (cf. Carnaval de 84 et vers 686) ; métaphorique car ces jeux sont l’expression imagée de leur duplicité : ils rient mais en réalité ils sèment le malheur pour plaire aux « déloyaux tyrans » (d’Aubigné n’attaque les Rois qu’en tant que tyrans). Mais on verra aussi que du point de vue du ciel tout cela (cet amusement en face du malheur) n’est qu’un Jeu dont les flatteurs et les catholiques seront les victimes.

Le second mouvement de cette première partie est composé de quatre vers de citations : le poète fait parler les flatteurs pour mieux révéler leur double langage : « déchaussons le cothurne (chaussure de théâtre) et rions (ici le rire est sincère) » la « comédie » a permis de tuer sans le montrer (cf. les fêtes données en 77 à Chenonceaux pour célébrer la prise d’une place-forte protestante). On fait plaisir aux mauvais Princes, et on couvre leur politique de malheur par des fêtes. C’est ce que disent ces quatre vers : le meurtre est bien réel. Et l’échafaud (du théâtre mais comme dit d’Aubigné en I « la mort joue elle-même en ce triste échafaud ») est plein de sang « tout frais ». Le style fleuri et maniéré de ces vers est celui du langage à la mode ; les mille fleurs cachent le meurtre « à l’ombre des jonchées ».

Donc cette idée de couverture par la comédie : des fêtes qui masquent le massacre, les fleurs qui cachent le sang. ; avec une opposition forte entre le rire et le sang : union du tragique et du grotesque cf. les acteurs enfarinés. C’est l’esthétique baroque.

Le troisième mouvement est la reprise du discours de d’Aubigné qui rebondit sur le terme de « fleurs » pour dire que la vérité finira par apparaître (mais ces fleurs sècheront… ») et il oppose la vue à l’odorat selon le vieux proverbe « on ne peut si bien masquer ou déguiser les vices que la fumée et l’odeur n’en ressortent ». Donc l’odeur du sang, signe du crime sera décelée (« sera puant, au nez, non aux yeux révélé ») L’odeur délétère de l’âme noire est le signe du crime. Cette idée est peut-être reprise dans le terme de « fumée » qui vaut pour deux sens : les délices partent en fumée ne durent que peu de temps cf. psaume 37 et ils disparaissent en laissant cette fumée nauséabonde.

Le dernier vers est encore une opposition entre les délices et les forfaits qui (re)marqués par cette odeur « teignent » leur renommée : la teinture ici n’est point fard mais au contraire l’irruption du sang dans cette apparence de plaisirs, l’irruption de la tache.

Deuxième partie

Plein d’indignation le poète s’en prend alors directement aux « lâches flatteurs » (lâches parce qu’ils ne peuvent résister à tout ce que leur demandent ces princes dépravés). Et il va développer le thème de l’inconstance des flatteurs en s’appuyant sur l’image du vent et sur la figure de l’oxymore.

L’exclamation sur 4 vers et l’apostrophe montrent l’expression de la passion et cette lâcheté s’exprime par cette absence de résistance à ce qu’on leur demande cf. âmes qui « ployez », et plus loin « ployables esprits » : une mollesse qui les fait ployer sous des causes aussi vaines que le vent, ou la voix (assimilée au vent dans le vers par la syllepse, ce qui sera repris dans « téméraires jouets du vent et des paroles » (jouets, car ils sont manipulés)Les répétitions dans ces vers sont le signe de l’éloquence indignée.

Mais la description devient oxymorique : s’ils ne résistent pas, c’est qu’ils ne sont pas des hommes, exactement, qu’ils n’ont pas d’âme humaine, en tant qu’elle est susceptible de se mouvoir seule : donc le sang ne coule pas, il n’y a pas d’âme en l’âme, ces cœurs ne sont pas des cœurs, et ces désirs sont des non-désirs : série d’oxymores qu’il va expliquer dans l’ordre : d’abord le sang dont on peut dire qu’il coule par lui-même car il ne prend sa source que par rapport au Prince : aliénation totale (cf. pour soi/de soi) ensuite le cœur-désirs : qui « ont au plaisir d’autrui l’aboi de leurs plaisirs » belle image de la chasse à courre : fin de la chasse, les cerfs sont tués (on entend les « abois » des chiens précédant leur mort ) : couronnement des plaisirs (sur la mort/chasse des cerfs protestants) qui ne sont que ceux d’autrui ; et la satire vire à l’insulte (têtes tondues – signe d’esclavage ou de débauche ? – mères vendues, fils de serfs…)

Enfin l’âme « serve de l’oreille et de l’œil  encore le thème de la servitude) une âme qui suit ce que l’oreille et l’œil  lui font voir, à savoir le bon plaisir du Prince à l’inverse de l’âme véritable qui se meut « de soi » troisième occurrence du motif de l’autonomie, et qui meut toute chose (le cinquième élément étant la « quinte essence », qui est par rapport aux quatre autres la nature céleste de l’âme)

Or cette âme des flatteurs n’est mue que par l’oreille et l’œil, elle a hors d’elle son principe d’action, qui est un principe changeant et inconstant puisqu’il s’agit des satisfactions des Princes.
L’image du caméléon, enfin : le mimétisme du caméléon est analogue à celui des flatteurs mais aussi (cf. Alciat et ses emblèmes) on pensait que le caméléon se nourrissait de vent. Donc animal très bien choisi pour ces flatteurs mus par le vent qui les fait ployer selon ses souffles : le flatteur qui se nourrit de la bonne réputation qu’il a en flattant ne fait pas autre chose que « vivre de vent » (qui est aussi une expression biblique cf.  la Fumée déjà vue)

On voit donc comment la satire emprunte à la science du temps (l’âme, le caméléon) et à la Bible. Et ce qui n’aurait été qu’une satire de mœurs des courtisans flatteurs se double d’un sens religieux : il y a ici un mépris des valeurs éternelles et au contraire la recherche de ce qui n’est que fumée. C’est aussi par ce thème du vent, de la fumée que d’Aubigné s’inscrit parfaitement dans la sensibilité baroque qui décrit l’inconstance du monde, face à la pérennité en Dieu.

Conclusion

Cette invective contre les flatteurs se fait à travers l’esthétique baroque et de ses thèmes habituels du déguisement et de l’inconstance, pour dénoncer le comportement sacrilège des flatteurs, sacrilège, non seulement parce qu’ils se nourrissent de vent mais parce qu’ils masquent comme en un jeu les massacres qui font le malheur du peuple. On verra comment ce jeu en est réellement un, mais pas celui qu’ils pensent, vu du Ciel.

 

Commentaire 3 : le langage trompeur 239 – 284

Situation et sujet

Suite de la diatribe contre les flatteurs. Mais ici la satire se fait plus précise contre espèce particulière de flatteurs que représente le « maquereau » (l’entremetteur). Après le passage « théorique » l’application « pratique ». Il n’est pas impossible que d’Aubigné vise ici tous ceux qui ont cédé aux exigences d’Henri IV grand amateur de femmes et avec un ton d’autant plus violent que lui-même, qui n’a jamais voulu être « flatteur ni maquereau » n’a pas cédé à Henri IV (et donc en a été puni)

Il nous faut voir comment la description pittoresque et satirique du maquerellage s’inscrit dans la thématique générale de l’hypocrisie (puisqu’il va s’en prendre à tous les masques du langage qui cachent cette fonction servile d’entremetteur sous des dehors flatteurs) et comment cette thématique s’inscrit dans le projet de Princes qui dénonce toutes les mascarades.

Plan

Pas de mouvement net sinon que l’ensemble décline toutes les facettes du maquerellage et du maquereau qui, ici, est l’entremetteur permettant de « maquiller » (même étymologie » les entreprises malhonnêtes des princes. Ainsi de la « peinture » affectée par les flatteurs en général, on passe facilement au « maquillage » de crimes de détournement et on reste toujours dans la thématique du déguisement.

Le mot de maquereau revient à 5 reprises : c’est nettement le sujet de ce passage (à l’origine ce poisson tacheté //maquillage comme bigarrure, mais aussi le poisson connu pour rapprocher le hareng mâle de la femelle !!donc un entremetteur).

On peut discerner

  • quatre vers d’introduction
  • la mascarade du langage
  • les pratiques  du maquereau
  • ses péchés

Introduction

Donc le maquereau, espèce particulière de flatteur voulant peut-être montrer sa reconnaissance au prince (cf. l’adjectif « nouveau » qui revient : il s’agit peut-être de remercier pour une charge qui anoblit ?) Noter la rime intérieure idiot/maquereau.

Comparaison avec les anciens

Ce que d’Aubigné retient c’est la mascarade du langage : l’écart entre le mot et la chose réelle qu’il désigne : toujours dénonciation de la différence entre l’être et le paraître, qui est un topos classique : d’Aubigné oppose la vérité d’autrefois (le bon mot pour désigner la chose) au mensonge de maintenant (mots édulcorés cachant le crime) : les antiphrases, euphémismes ou autres nuisent à la distinction entre vérité et mensonge. La condamnation du vocabulaire est en réalité la condamnation d’une morale de l’ambiguïté où tout devient pardonnable. Donc le temps ancien s’oppose au temps présent : sous l’aspect de la juste dénomination des choses : le langage n’était pas perverti (cf. « franche justice, fâcheux vices//Horrible vice) et la rime justice/vice renforce l’opposition (horrible vice = celui du maquereau). D’Aubigné cite alors toute une série de noms qui s’opposent alors que les antonymes désignent la même chose : le brigand d’autrefois  est l’homme qui s’accommode (= qui s’arrange, qui s’approprie, donc un voleur… etc. : il y a équivalence entre un vice et une qualité conçue comme le côté positif du vice en quelque sorte : le larron un « qui fait son ménage » (il est voleur parce qu’il fait bien ses affaires  sous-entendu sur le dos du bien public), le poltron est « un filet qui prend son avantage : la lâcheté (et la paresse) apparaît comme la dérobade rusée de quelqu’un qui veut conserver la vie en fuyant le combat (et « prendre son avantage » est un euphémisme qui masque la réalité de la fuite) ; la mise côte à côte des deux mots opposés faisant éclater la contradiction : poltron/finet, trahison/un bon tour (même appréciation de la ruse qui est une « qualité » masquant le défaut réel). De même « putain » n’est plus employé au profit de « femme d’amour » qui ne se refuse pas aux approches de l’entremetteur). Noter le caractère grossier et prosaïque du terme, langue « des anciens », rudesse du style ont d’Aubigné se réclame.

Enfin l’entremetteur vicieux désigné autrefois par le mot maquereau est devenu un « subtil personnage » qui sait « solliciter et porter un message » : la réalité de ce qu’il fait est masquée par ses qualités de … diplomate.

Le dernier vers résume la chose « poulets » (billet doux) est le nom donné au « maquerellage » : le suborneur n’est plus que celui qui s’entremet dans l’échange des billets doux.

Les pratiques vicieuses

Le deuxième mouvement décrit l’attitude vicieuse des princes et des hommes de son temps avec un « nous » qui s’oppose au « ils » des Anciens. Le vers 552 doit être expliqué par le vers 704. Et l’opposition des vers précédents se retrouve dans l’antithèse « nous honorons / celui qui fut infâme (qui veut dire précisément sans honneur, sans renommée).
 « nul esprit n’est esprit…etc. » : on est devant un renversement complet : la vertu consiste à renverser les vertus traditionnelles et le circonstanciel « au période infect de ce siècle tordu » caractérise cette époque qui pratique l’inversion des valeurs (cf. tordu, et plus loin tourner ; et la rime tortu/vertu ! ce qui est vertu est ce qui est tordu

Les deux vers suivants demandent interprétation (« on cherche donc une âme… etc ») « la mourante peste » dont il s’agit est cette maladie languissante donc qui ne se voit pas et qui est cette manie d’être l’entremetteur, et le « on » désigne les Princes, les Grands qui veulent « une âme tranquille » pour que ce crime ne puisse se voir mais dont l’esprit doit être assez vif pour permettre d’aboutir (ouvrir et dénouer les nœuds : du mariage par exemple)

Les moyens de séduction : ce qui frappe c’est l’utilisation profane des textes sacrés : cette profanation consiste à utiliser tout ce qui louait Dieu pour le détourner vers la louange de la femme séduite (luth, vers, éloquence, psaume, tout devient « chanson ») (les Protestants ne supportent pas cette pratique fréquente) Ainsi la perversion des cœurs entraîne l’utilisation de la religion et des textes sacrés pour les profaner dans cet emploi sacrilège.

Dernière partie

Comparaison entre le crime des maquereaux et le crime qui naît des passions. Et celui des maquereaux est encore plus grave : en effet les uns sont excusés par la chaleur qui transporte sans que la résistance soit possible (Fureur : brûler, feu et rapidité : prompt, promptement, soudain) un égarement (cf. « errer ») alors que le maquereau agit de sang froid (« péché froid ») et s’ensuit une description pittoresque de la démarche du froid maquereau : il a conscience de ses fautes et son hésitation  est le signe de ses remords , et d’être vilainement forcé » puisque comme un esclave il n’est plus libre, étant assujetti aux caprices de son maître) et donc il s’avance « pas à pas » : lenteur précautionneuse signe d’un cynisme condamnable et le dernier vers, difficile, précise qu’il est retenu par sa conscience mais que pourtant il avance ; ce qui explique son « tremblement »  il montre « le nom de son péché » parce qu’il est Mercure, le dieu entremetteur, et que le mercure tremble !  (et peut-être inspiration du portrait du sycophante par Démosthène).

Enfin la dernière partie conclusive montre que ce vice n’apporte rien (« quelque prix//dernier pris) les mots « gibecière, coquin, bissac » sont apposés à « mendiant » : ce vice ne lui rapporte que la ruine du corps et de l’esprit (noter rejet et coupe forte).
Puis brusque passage au ciel pour revenir à l’idée de l’exorde : le ciel est empuanti et altéré par la noirceur de ceux qui sont sur terre (noircit/ciel serein et beau)La souillure (haleine, œil) se dit de façon très concrète : le maquereau souille le ciel de son souffle et de ses regards. Et s’il est « transi » c’est qu’il est froid, sans âme, sans passion propre : il ne vit que par et pour autrui.

Conclusion

Ce passage est une satire violente et pittoresque de cette espèce particulière de flatteurs que sont les maquereaux, et que le poète connaissait bien. Dans la mascarade du langage utilisé, le texte relève encore de la même accusation de tromperie et faux-semblants lancée par le poète aux flatteurs des Princes ; mais il s’inscrit en même temps, avec cette description d’un monde « inversé » où précisément la vertu semble être ce qui est d’ordinaire le vice dans la perspective générale de l’œuvre puisque Dieu va produire le véritable et ultime renversement qui ramènera chaque chose à sa vraie place.

Dans cette analyse de l’inversion du langage, d’Aubigné se montre encore très sensible à l’esthétique de son époque, qui aime à traquer tous les renversements, déplacements, etc. Enfin il montre son mépris pour un rôle qu’a voulu lui faire jouer le roi et qu’il a toujours refusé avec constance et dignité

D’Aubigné dans ces textes parle en connaisseur : il a longtemps vécu à la Cour, lieu de l’illusion et du paraître, lieu des « métamorphoses » des enchantements de Circé, un monde à l’envers où le masque, comble du vice ne sert pas à couvrir, mais à contrefaire la vérité. Peut-être aussi cette évocation des fêtes s’inscrit-elle dans la suite des tragédies décrites dans Misères, comme les drames satyriques suivaient les tragédies anciennes. En tout cas la satire dénonce le travestissement du meurtre permanent : on voit comment elle peut déboucher sur la tragédie.

Cette satire se voit aussi dans le portrait-charge que fait le poète de la cour d’Henri III, qu’il assimile à une ménagerie.

Commentaire 4 : Le portrait d’Henri III vers 773 – 796

Situation 

Le poète brosse un tableau des mauvais rois, et attaque Catherine et ses enfants. Le portrait d’Henri III vient après celui de Charles IX son frère.

Historiquement, ce roi, intelligent et raffiné a entraîné, à cause de la situation délicate où se trouvait la royauté l’hostilité de tous les extrémistes, Guisards comme Huguenots. Multiplication de pamphlets : et d’Aubigné qui a connu cette cour n’a pas aimé le raffinement excessif qui y régnait ; ce provincial associait le luxe qu’il y voyait à la décadence et à la corruption.

Il est sûr que le roi aimait les travestis et les extravagances, et le texte ici relate peut-être une anecdote précise, racontée par Pierre de l’Estoile, où le Roi aurait étonné la cour par son habit efféminé (février 77) Ces travestis ou travestissements n’impliquent pas un dérèglement des mœurs : l’époque aimait les ambiguïtés et l’illusion (cf. Astrée).

Intérêt 

À l’œuvre ici l’art de la satire, qui s’inscrit ici à la fois dans la perspective maniériste (plus que baroque) et dans la perspective plus générale de la dénonciation du paraître

Mouvement

Trois parties nettes : une introduction générale (773-778), le visage (779-784) et l’habit du roi (785 – 796) : la composition fait sens : le roi est assimilé à ses habits : procédé de réduction satirique.

Première partie 

Les deux premiers vers instituent une comparaison entre les deux fils de Catherine : Charles IX, plus violent (Esaü) amateur de sang versé (Saint Barthélemy), et son frère, plus raffiné, qui aime la cour, la vie, l’amour… non que d’Aubigné préfère Henri III : chacun a ses défauts, et les termes qu’il introduit montrent son mépris. Et la rime amours/atours montre la futilité de l’amour, quant aux femmes il les appelle les putains de sa cour et les détails qu’il donne ne font que montrer la futilité de ce roi qui n’apprend qu’à être l’arbitre des élégances (au lieu de juger des litiges). S’il se moque du roi qui « a ras le menton » c’est que tout le monde portait la barbe, et donc se raser était signe d’extravagance : de même c’est avec des fards qu’il « garde la face pâle » (à chaque fois des assonances qui font mieux passer l’accusation : en « ou » pour les atours, et en « a » pour la face ; quant au « geste efféminé, il précise l’ambiguïté masculin/féminin introduite par la pâleur de la face, qui rime avec  Sardanapale, ce roi asiatique connu pour son luxe et sa mollesse.

Les deux derniers vers font allusion à ce fameux jour de février 77 où le roi parut avec colliers, fraise etc. (mais en 83 il parut carrément en femme) : « ce douteux animal » (le terme animal veut dire « être vivant ») mais douteux signale son caractère inclassable, donc monstrueux. Aux atours s’oppose l’absence de cervelle de « front » : l’attaque ici est directe : la tête de la nation n’a pas de cervelle, ni d’allure, et s’ensuit la description du roi

Deuxième partie 

Décrire le roi, c’est décrire une « putain fardée » : toute la description est faite pour aboutir à cette formule.

Il décrit d’abord la coiffe : le roi (qui s’est fait raser la tête) porte une perruque et ne quitte pas le bonnet (à l’italienne : mauvaise influence des Médicis), et la perruque est pleine de perles (cordons emperlés), et tout cela forme comme une architecture sur la tête « deux arcs voûtés » : une caricature.

Puis le poète énumère tout ce qu’il a d’extravagant : suite de 4 sujets qui retardent le verbe principal dont le cod lui aussi est différé par l’apposition « ridée » et le complément de manière « en la place d’un roi ». Et ainsi le cod tant différé prend tout son effet : « une putain fardée ». (pinceté = épilé, comme une femme), les fards (blanc et rouge) : thème général de Princes : le fard, le maquillage qui voile la vérité, et la poudre sur tout le visage (le chef empoudré). Les assonances en « é » renforcent l’effet comique/répétition, et le passage du masculin au féminin (ridée …putain) montre bien cet écart maximal entre ce qu’est le roi, et ce qu’il devrait être. Donc une condamnation morale en même temps (prostitution) et on passe de l’extérieur à l’intérieur.

Troisième partie

Suit une exclamation ironique (Pensez quel beau spectacle…) qui dénonce ce plaisir du jeu : et le poète se concentre sur l’habit avec un plaisir évident du reste. Le busc est un corset, dit aussi un corps (ici corps de satin noir) « coupé à l’espagnole » nouvelle allusion à l’étranger. Le caractère confus de la syntaxe (des déchiquetures, complément de lieu) traduit la complication du vêtement, le débordement, l’excès. Ce luxe d’argent et d’or est féminin, et le vêtement semble aussi volumineux que les mots, très lourds et très longs (s’entresuivît de rang = s’harmonisât sans discontinuité). Les manchons sont des demi-manches et « gaufrés de satin blanc » est un hypallage : c’est le satin qui est gaufré. Les deux vers qui suivent sont franchement comiques avec l’expression « d’autres manches encor » on dirait que le roi a plus que deux bras, et cet habit semble fait de manches jusqu’aux pieds, et ces manches n’ont aucun usage : elles sont « perdues » ! cet ensemble (déchirures démesure etc) évoque un habit sans forme précise ni stable, une réalité qui se défait, et donc un roi en décomposition.

Les deux vers suivants sont une sorte de récapitulation : un habit monstrueux pareil à son amour : l’accusation d’homosexualité se fait sans détour. Cette monstruosité d’extérieure devient intérieure, et du déguisement on passe à la réalité.

Enfin les deux derniers vers développent ce thème de l’ambiguïté sexuelle (chacun était en peine s’il voyait un roi femme etc) ce qui est une double accusation, d’une part de la loi naturelle (association masculin-féminin) et de l’autre de la loi sociale, de la loi salique (un homme Reine !). C’est sur cette double monstrueuse contradiction que finit le passage.

Conclusion

Une description qui se veut véridique, construite de façon à réduire le roi à ses vêtements, et de confondre son apparence efféminée avec un comportement dépravé, où l’on voit le goût de l’époque pour l’abondance, l’ambiguïté, l’excès, le manque de structure fixe, et où l’on voit enfin comment se poursuit le thème du maquillage, constant dans ce livre ; non plus celui des courtisans mais du roi lui-même : thème général du travestissement fondamental dans ce livre.

On comprend que les moyens de la satire se retrouvent dans tous ces textes :

  • Hyperboles et calomnie : Juvénal et la langue des prophètes, avec l’interprétation des malheurs comme la conséquence de la colère divine contre un peuple séduit par les cultes étrangers
  • Les animaux (serpent, singes…)
  • La dénonciation des causes du déséquilibre : règne de la Fortune (inconstance, la satire rejoint la tragédie), le caprice féminin, à l’opposé de la vertu militaire et virile : règne d’une femme et d’un roi féminin : le féminin comme anti-valeur
  • La dénonciation de la confusion des distinctions naturelles : les défauts sont des qualités, les hommes, des femmes, le haut, le bas.
  • La véhémence : apostrophe, exclamation, images concrètes…
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