Extrait de : Dominique Poulot (dir.), Le Monument aux grands hommes et à leur action, éd. électronique, Paris, Éd. du Comité des travaux historiques et scientifiques (Actes des Congrès des sociétés travaux historiques et scientifiques), 2012
Cet article a été validé par le comité de lecture des Éditions du Comité des travaux historiques et scientifiques dans le cadre de la publication des actes du 134e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques tenu à Bordeaux en 2009
Résumé
Le Panthéon, temple rond à « tous les dieux » construit par l’empereur Hadrien à Rome, et transformé en église par le christianisme, a donné son nom avec la Révolution française à une nécropole républicaine comme monument des grands hommes. Il offre un modèle architectural classique qui a inspiré les architectes d’édifices aux usages les plus divers dans les villes et les campagnes, de l’Europe aux États-Unis et jusqu’en Chine : non seulement des églises ou des mémoriaux et des bâtiments étatiques : musées, universités, bibliothèques, mais aussi des villas privatives, des lieux de loisir, des banques et même une prison. Le plus souvent laïcisés, mais toujours en référence à une forme considérée comme symboliquement parfaite : le cercle (la « rotunda »), les panthéons modernes, d’un blanc marmoréen ou d’un rouge brique, isolés ou intégrés dans la nature et l’architecture environnantes, sont tantôt des lieux de célébration de la mémoire, individuelle ou collective, tantôt des lieux de culte, d’exposition, de travail ou de vie pour les hommes obscurs autant que célèbres.
À François Hinard, entré au Panthéon de l’Histoire romaine
Malgré la disparition de son placage extérieur de marbre et de ses tuiles de bronze doré, le Panthéon, temple « de tous les dieux », dû à l’empereur Hadrien au début du IIe siècle après J.-C., est avec le Colisée l’un des édifices les plus fameux de Rome antique et il mérite sa renommée à un triple titre : son plan sphérique innovateur, qui lui vaut le surnom de « Rotunda » (ou « Rotonda ») ; l’exploit technique de sa coupole d’une cinquantaine de mètres de diamètre (longtemps insurpassé) ; sa miraculeuse conservation, due à son réemploi en église où ont été placés les tombeaux de grands personnages de l’histoire d’Italie, qui en ont fait un monument aux hommes célèbres.
C’est donc une merveille architecturale, dont le concept géométrique, sans parler du symbole, donne l’image d’une perfection idéale qui sera une référence universelle à travers les siècles. C’est le Panthéon qu’on voudra d’abord copier à la Renaissance pour l’édifice emblématique de la nouvelle religion : la Basilique Saint-Pierre du Vatican, bien que la réalisation finale en diffère. Mais il passe aussi, à la même époque, du sacré au profane avec l’imitation qu’en constitue la Villa Capra de Palladio à Vicence. Désormais, toute l’architecture occidentale va copier ou adapter soit directement le modèle antique du Panthéon d’Hadrien, soit ses deux avatars, religieux et laïque : la Basilique Saint-Pierre ou la Villa palladienne. Au XVIIIe siècle, un autre monument dédié aux hommes célèbres en prendra le nom, mais pas la forme, nom qui va donc recevoir une existence autonome, coupé de son sens étymologique et historique, ainsi que de son image (il y aura dorénavant des panthéons de nom et des panthéons de forme) : c’est bien sûr l’édifice parisien consacré par la Révolution française.
Mais au-delà de l’hommage académique, c’est une métamorphose en ce que le Panthéon des Romains, comme tous les sanctuaires antiques, n’était pas accessible au « vulgum pecus », tandis que les nouveaux panthéons sont des lieux encore solennels, mais fréquentés par le commun des mortels. À vrai dire, cela avait commencé dès l’Antiquité tardive, quand le temple d’Hadrien était devenu l’église « Santa Maria ad Martyres ». L’édifice réservé aux dieux s’était ouvert aux hommes obscurs avant de devenir le monument des hommes célèbres, d’abord à Rome même avec l’installation de sépultures d’artistes et de rois dans Sainte Marie des Martyrs1, puis dans le Paris révolutionnaire. On assiste ensuite à la multiplication et la vulgarisation de ce plan architectural originellement exceptionnel, mais aussi à sa démocratisation en tant qu’édifice fonctionnel ouvert à des publics toujours plus larges : outre des lieux de culte, il prêtera sa forme à des bibliothèques ou des musées - temples du savoir et des arts - et à des demeures nobiliaires dans divers pays d’Europe, avant de conquérir l‘Amérique : Thomas Jefferson, l’architecte et homme politique, en lance la mode sur le nouveau continent. Ce sont non seulement des églises et des lieux de mémoire, mais aussi des salles de spectacle, une banque, une gare et même une prison, qui empruntent la forme du Panthéon Au total, une soixantaine d’édifices, avec ceux qui lui doivent son seul nom, mais sans compter les variantes éloignées et les projets non réalisés, ainsi que ceux que nous avons pu méconnaître.
Nous traiterons d’abord des Panthéons depuis celui de Rome jusqu`à celui de Paris, puis des Panthéons modernes qui leur ont succédé2.
Du Panthéon de Rome au Panthéon de Paris
Le Panthéon d’Hadrien
Le temple construit au Champ de Mars par le bras droit et gendre d’Auguste, Marcus Agrippa (dont le nom se lit encore sur la façade actuelle), a été détruit dans un incendie et reconstruit par Apollodore de Damas (selon la tradition) sous Hadrien, au début du IIe siècle, avec une forme différente et nouvelle3, devenue une icône de la Rome touristique. C’est à la fois une innovation architecturale et une performance technique. Il existait déjà à Rome des temples ronds d’extérieur et d’intérieur : celui d’Hercule au « forum holitorium », de Vesta sur le forum romain ou encore à Tivoli, ainsi que des bâtiments cylindriques, tel le Mausolée d’Auguste, mais pas accolés à un portique, ni avec un volume interne sphérique, rendu possible ici par une couverture en coupole. De vastes coupoles avaient déjà été construites, comme pour la « Domus aurea » de Néron, mais sans atteindre ces dimensions exceptionnelles : la « cella » fait 58 mètres de diamètre extérieur, avec un rayon intérieur de 21,7 mètres égal à sa hauteur ; la voûte s’inscrit dans une sphère parfaite de 150 pieds romains, soit près de 40 mètres ; au centre, un « oculus » de 9 mètres de diamètre4.
L’édifice se compose de trois éléments géométriques : un portique à huit colonnes avec un fronton triangulaire, un cube de transition et la rotonde, dont la coupole est décorée de rangées de caissons caractéristiques. Je passe sur les aspects techniques et symboliques de cette construction, qui ont inspiré toutes sortes de considérations5 ; je passe aussi sur les matériaux et la décoration intérieure qui ont peu d’importance pour mon propos.
Au VIIe siècle, l’empereur Phocas fait don du Panthéon au Pape : outre une église, il devient un lieu de sépulture, alors qu’aucun cadavre ne devait souiller un temple romain. Ce changement de religion entraîne une modification architecturale heureusement provisoire : au XVIIe siècle, Le Bernin lui ajoutera des clochers, surnommés « les oreilles d’âne ». Le Panthéon est désormais utilisé comme tombeau pour Raphaël et les rois d’Italie, la Basilique Saint-Pierre étant l’apanage de celui des papes.
Imitations du Panthéon, de la Renaissance italienne à la Révolution française
À propos du Vatican, rappelons que le premier projet, de Bramante, était de copier le Panthéon, mais les architectes qui se sont succédé sur le chantier, de Raphaël à Michel Ange et Maderno, en ont fait un ouvrage composite, dont la façade n‘est pas toujours jugée réussie. Le diamètre de la coupole ovoïde, inspirée du Duomo de Florence, reste inférieur à celui du Panthéon. Toute une lignée de monuments, des églises, ainsi que la plupart des Capitoles américains6, en sont des imitations, mais c’est là un autre sujet. Un élément originel du Panthéon se trouve cependant réemployé à Saint-Pierre : le bronze de ses statues a été fondu pour le baldaquin de l’autel signé du Bernin. La Renaissance redécouvre les secrets de construction des monuments anciens et les diffuse par les livres d’architecture, tandis que les peintres et maquettistes en vulgarisent les images à travers l’Europe7. La première imitation du Panthéon va jouer un rôle majeur dans la postérité de l’édifice : c’est la fameuse Villa Capra, dite La Rotonda, construite par Palladio à Vicence pour la retraite d’un Monsignore du Vatican. Palladio en a donné le plan dans ses Quattro libri dell'Architettura : l’originalité est que la façade de cette résidence nobiliaire est répétée à tous les points cardinaux (en fonction de considérations topographiques locales), ce qui fait perdre sa rotondité à la forme extérieure, mais Vincenzo Scamozzi, qui finit le chantier à la mort du maître, remplace le dôme hémisphérique prévu par une coupole surbaissée percée d’un « oculus », la rapprochant du modèle romain.
La Villa Capra dite la Rotonda, © Wikimedia Commons
Dans les siècles à venir, nombre d’édifices vont s’inspirer soit du Panthéon de Rome, soit de son premier avatar, la Villa de Vicence ; je distinguerai des Panthéons hadrianiques, ou romains, et des Panthéons palladiens. Il faut donc définir les éléments nécessaires et suffisants pour classer un bâtiment comme un Panthéon, de l’un ou l’autre type :
- en façade, un portique à colonnes (dont l’ordre, la disposition et le nombre sont indifférents), surmonté d’un fronton triangulaire plutôt que d’une architrave,
- servant d’entrée à un édifice d’extérieur circulaire ou non, mais surmonté d’une coupole, de préférence basse, - déterminant une salle intérieure circulaire ou bien sphérique : une rotonde.
La combinaison de ces figures géométriques : le rectangle, le triangle, le cercle et/ou la sphère, va se rencontrer dans des styles fort différents, du Baroque au Néoclassicisme, jusqu’à l’époque contemporaine. Pour rester au plus près de ces deux types de Panthéon, j’éliminerai les édifices avec un élément intermédiaire important entre le portique et la coupole, comme sont justement la Basilique Saint-Pierre et ses imitations. C’est à Saint-Pierre que se réfère le XVIIe siècle plus qu’au Panthéon, et notre première copie - version palladienne – se rencontre en Suède, à Karlskrona, au début du XVIIIe siècle : l’église de la Sainte-Trinité (« Heliga Trefalighets Kyrka »), due en 1709 à l’architecte Nicodemus Tessin le Jeune, qui a étudié auprès du Bernin.
La deuxième copie se trouve à Wolfenbüttel en Allemagne : c’est la bibliothèque du Duc August, due à Herman Korb en 1712 et surnommée « le Panthéon des livres »8. Cette définition nouvelle du Panthéon comme temple du savoir sera reprise aux XIXe et XXe siècles. L’ouvrage a été détruit et remplacé au siècle suivant.
Une nouvelle imitation, encore une église, appartient au type romain, car circulaire, malgré un dôme ovoïde à clocher : c’est à Venise la Chiesa San Simeone Piccolo, datée de 1738 et dont l’architecte Giovanni Scalfarotto est un élève de Piranèse.
La Chiesa San Simeone Piccolo, © wikimedia Commons
Cependant, en Grande-Bretagne, une autre copie nous ramène à la Villa Capra et est le premier témoin d’une mode néopalladienne et d’une série de résidences nobiliaires qui va durer jusqu’au XXe siècle Mereworth Castle (1723), dans le Kent, est l’oeuvre de Colen Campbell, qui lui donne la coupole prévue par Palladio. Elle est suivie par les trois imitations moins fidèles de Chiswick House (1729, due à William Kent), de Foots Cray Place due à Isaac Ware (traducteur de Palladio) en 1754, disparue, et de Nuthall Temple, villa cubique due à Thomas Wright en 1757, également disparue. Quant à Ickworth House, dans le Suffolk, dont la forme circulaire est prise dans des ailes, elle a une coupole romaine surélevée d’un étage au-dessus du portique tétrastyle (1795, architectes Francis et Joseph Sandys, d’après les dessins de Mario Asprucci). Au XXe siècle, Henbury Hall, dans le Cheshire, reprend encore ce modèle (architecte Julian Bicknell, 1986, le tout dernier Panthéon palladien en date). Chiswick House possède aussi dans ses jardins un petit Panthéon blanc, dit Ionic temple, au bord d’un lac circulaire décoré d’un obélisque en son centre, transposition agreste de la fontaine de la Piazza della Rotonda à Rome. Un voisin de Chiswick House, l’acteur David Garrick, fit construire en 1756 un Temple to Shakespeare au bord de la Tamise à Hampton, près de Londres : ce petit édifice en briques, de plan octogonal, sert de musée au célèbre dramaturge. Un autre panthéon romain miniature dans les jardins de Stourhead House, due à Henry Flitcroft en 1754. Puis un édifice décoratif dit « Temple » dans la forêt paysagée de Dartrey, due en 1770 à James Wyatt, architecte qui avait étudié à Rome et Venise. En 1802, le propriétaire de Ince Blundell Hall, près de Liverpool, fit adjoindre à sa demeure de briques du XVIIIe un petit Panthéon dans le même matériau pour contenir la collection statuaire de la famille.
Nous changeons à présent de registre avec une copie qui se limite au nom et à l’intérieur du Panthéon, avec sa voûte à caissons, due au même architecte Wyatt en 1772, non plus dans la campagne anglaise, mais dans la capitale londonienne, avec une destination originale, comme salle de fêtes et de spectacles – temple des plaisirs ?, sur Oxford Street (disparue) : Mozart y fut invité en 17909.
Puis nous revenons à la destination classique d’église : la Sankt-Hedwigs-Kathedrale de Berlin, commencée en 1747 sur un projet de Wenzeslaus Von Knobelsdorff et du Français Jean-Laurent Legeay (lauréat de l’ancêtre du Prix de Rome). À l’autre bout du monde, à Semarang, en Indonésie, la Gereja Blenduk (« église à la coupole ») offre depuis 1753 les caractéristiques d’un Panthéon au corps octogonal, dans le style colonial de l’architecture hollandaise.
En moins de trois siècles, déjà dix-sept copies du Panthéon, réparties en deux types : romain (de registre plutôt sacré) et palladien (de registre plutôt profane), et en quatre familles, par ordre numérique : soit des résidences nobiliaires, réservées à la jouissance des grands de ce monde, soit des monuments de culte, à la gloire de Dieu, mais ouverts au public, soit une bibliothèque, soit une salle de fêtes, toutes deux également accessibles au grand public.
Après la Villa Capra, le second tournant dans la postérité du Panthéon est le concept inventé par la Révolution française. On sait que l’histoire et la destination du monument parisien de ce nom, dont les travaux s’étendent de 1758 à 1790, n’ont pas été linéaires10 et que, si son architecture comporte certains traits du Panthéon, il n’est ni un édifice circulaire à coupole basse, ni une villa palladienne. Il ne s’agit pas de copier la forme11 - l’idée d’une sorte de panthéon parisien était pourtant dans l’air, comme en témoigne le projet d’Étienne-Louis Boullée pour l’Opéra en 178112. Maximilien Brébion a écrit de son architecte que :
« Le principal objet de M. Soufflot [...] a été de réunir, sous une des plus belles formes, la légèreté de la construction des édifices gothiques avec la magnificence de l'architecture grecque13.»
Jacques-Germain Soufflot avait étudié à Rome le Panthéon d’Hadrien sans savoir qu’une de ses réalisations en prendrait un jour le nom (il mourut en 1780). Rappelons que l’architecture de son monument parisien n’avait pas été prévue pour sa destination finale et qu’elle est en général jugée froide ; certes son apparence définitive est due aux modifications d’Antoine-Chrysostome Quatremère de Quincy, qui occulta ses fenêtres pour lui donner une atmosphère funéraire et un éclairage purement zénithal (comme au Panthéon de Rome), avec d’ailleurs des conséquences désastreuses sur la salubrité de l’édifice.
C’est surtout la récupération du nom et son attribution à une nouvelle fonction qui font date : il y a une véritable révolution du « Panthéon français », ex-église Sainte Geneviève devenue officiellement en 1791, sur la proposition du Marquis Claude-Emmanuel de Pastoret, le « Panthéon des hommes illustres », nécropole et temple républicains à la mémoire des serviteurs de la France, avec à son fronton la devise : « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante »14. Paradoxalement, il prend le nom moins du monument hadrianique que de l’église à fonction funéraire qu’il était devenu dans la Rome papale...
Le Panthéon, Paris, © Wikimedia Commons
Emblématique, il devient à son tour un modèle qui va se diffuser, mais avec une dissociation du nom et de la forme ; le mot et la chose ont désormais des existences distinctes, particulièrement, dans le monde hispanique. La nécropole des rois d’Espagne au palais-monastère Saint-Laurent de l'Escurial, inaugurée pour Charles Quint au XVIIe siècle, porte le nom de « Panteón de los Reyes »15 ; le cimetière de San Fernando à Mexico le prend en 1832 ; une église est reconvertie en Panteón Nacional de hombres ilustres à Madrid à partir de 1837, une autre en Panteón de marinos ilustres à Cadix en 1850 ; l’église sicilienne de San Domenico à Palerme reçoit ce nom en 1853, une autre église encore, à Caracas, celui de Panteón nacional du Vénézuéla en 1874. En 1966, le gouvernement portugais nomme « Panthéon national » l’église Santa Engracia de Lisbonne, où sont ensevelis présidents et artistes, tandis qu’on y élève des cénotaphes aux grands hommes du passé. Aucun de ces monuments ne prend la forme architecturale du Panthéon romain, ni parisien.
Le Panthéon de Rome et celui de Paris ont donc chacun donné naissance à un sens figuré : pour le premier, l’« ensemble des dieux d'une religion polythéiste », pour le second, un « ensemble de personnages qui se sont illustrés dans un domaine ou l'autre et qui demeurent dans la mémoire individuelle ou collective »16.
Les panthéons modernes
Continuons notre recherche des destinées de la forme architecturale du Panthéon après la consécration de son nom par le monument parisien. Les deux principales tendances déjà dégagées, églises ou résidences de luxe, se poursuivent et se diffusent à la fois dans les cours royales de l’est de l’Europe et sur le nouveau continent.
Królikarnia à Varsovie en 1786 est une résidence imitée de la Villa Capra, oeuvre de Domenico Merlini, architecte palladien ; démolie en 1944, elle a été restaurée en 1964. Toujours en Pologne, à Lubostroń, le Palais Skórzewski est une autre villa palladienne due en 1800 à Stanislas Zawadzki, qui a fait ses études à Rome. Quant à l’hôtel particulier de la Gordanne, à Perroy, en Suisse, daté de 1804-1806, mais dont l’architecte n’est pas connu, il offre, sur trois étages, les caractéristiques du Panthéon romain17.
La mode du Panthéon s’exporte aux Etats-Unis, sous la forme du néopalladianisme et en la personne de Thomas Jefferson, dont la résidence privée en Virginie : Monticello, le premier panthéon américain en 177218 – et vingt et unième copie, représentée sur les pièces de cinq cents -, est une variation (avec une déclinaison octogonale de la coupole), sur la Villa de Palladio dont cet architecte autodidacte considérait les Quattro Libri dell'Architettura comme sa bible19. Mais c’est le Panthéon hadrianique qu’il imite pour la Bibliothèque de l’Université de Virginie (dite la « Rotonde Thomas Jefferson »)20, à Charlottesville en 1819, emploi qui remonte au précédent de Wolfenbüttel ; il y conserve là aussi la couleur brique du monument romain dépouillé de ses marbres - on notera le plaisant anachronisme de l’horloge au centre du fronton, qui ne figurait pas sur le dessin préparatoire, mais que des nécessités pratiques ont dû imposer21; le vieux général Lafayette vint à son inauguration.
La Rotonde Thomas Jefferson, © Wikimedia Commons
La Southern Methodist University de Dallas, Texas, est une imitation de cette Jeffersonian architecture (1915, firme Shepley, Rutan and Coolidge). Jefferson présente encore un projet inspiré du Panthéon pour le concours de la White House de Washington, troisième occurrence du Panthéon dans son oeuvre, mais il n’est pas retenu22. Jefferson avait été diplomate pendant cinq ans à Paris, jusqu’en 1789, sans avoir l’occasion d’aller à Rome ; par la suite, il devient président des Etats-Unis et le second occupant de cette Maison Blanche. C’est donc tout naturellement que le Mémorial qu’on lui élève à Washington vers 1940, sur les plans de John Pope, autre architecte palladien, a la forme d’un Panthéon dont la colonnade rappelle le projet de Boullée pour l’Opéra de Paris en 1781, et dont la blancheur ressuscite la splendeur perdue des marbres d’Hadrien.
Pour revenir à l’Europe, l’église Sankt-Stephan à Karlsruhe en 1814, sur les plans de Friedrich Weinbrenner, qui avait étudié l’archéologie à Rome, suit également le modèle romain, du moins sa coupole, reconstruite après la Seconde Guerre mondiale. La petite Ludwigskirche de Darmstadt, édifiée par Georg Moller entre 1822 et 1827, détruite, elle aussi, lors de cette guerre et reconstruite de 1994 à 2005, malgré une coupole au diamètre inférieur à celui du corps de bâtiment et un portique sans colonnes, pousse la ressemblance avec le Panthéon de Rome jusqu’à la présence d’un obélisque sur la place devant sa façade23. L’Alte Museum de Berlin, dû à Karl Friedrich Schinkel entre 1823 et 1828, comportait originellement une rotonde imitée du Panthéon de Rome, mais invisible de l'extérieur. La Cathédrale de la Nativité à Chisinau en Moldavie, construite en 1830 par Abram Melnikov, est, sur un plan palladien, de style plus éclectique.
Les panthéons qui continuent de se construire sont le plus souvent des églises dans les métropoles italiennes, mais au moins deux ont une destination nouvelle. La Montpellier Rotunda de 1817 à Cheltenham en Grande-Bretagne est un établissement thermal transformé par la suite en banque (architectes G. A. Underwood, et J. B. Papworth pour le dôme, en 1825) : le nom et la fonction conviennent bien à la devise de la ville, « Salubritas et Eruditio ». Beaucoup plus originales sont la forme et la destination de la construction de Livourne : une demi-coupole de panthéon pour une citerne, révélant l’intérieur en même temps que l’extérieur. Le Cisternone (ou « La Gran Conserva ») est l’oeuvre de Pasquale Poccianti de 1829 à 1842 ; sa façade est achevée dès 1833. Il y avait un précédent parisien : le grand amphithéâtre de l’Ecole de Chirurgie (l’actuelle Faculté de Médecine), ou théâtre anatomique, salle hémisphérique couverte d’une demi-coupole semblable à celle du Panthéon d’Hadrien et percée d’un demi-oculus ; il fut construit de 1769 à 1775 par l’architecte Jacques Gondoin, qui avait fait ses classes à Rome et fut un ami de Piranèse. Mais on retrouve la formule romaine pour l’église dite « Tempio Canoviano » de Possagno, due à Antonio Canova (1830) ; le corps de l’architecte et sculpteur y repose24.
La Basilica di San Francesco di Paola à Naples (due à Pietro Bianchi en 1824) s’était éloignée de cette pureté, malgré son portique octostyle, en multipliant les coupoles et en s’inscrivant sur une place enclose dans une demi-colonnade qui rappelle celle du Bernin devant Saint-Pierre au Vatican.
La Basilica di San Francesco di Paola à Naples, © Wikimedia Commons
Le modèle original du Panthéon d’Hadrien se retrouve fidèlement en revanche, à la même date, dans la Chiesa della Gran Madre di Dio à Turin (due à Ferdinando Bonsignore en 1831), mais moins fidèlement dans celle de San Carlo al Corso à Milan (due à Carlo Amati en 1847), qui imite aussi celle de Naples.
La trente-sixième copie est la Rotunda Marija Assunta de Mosta à Malte en 1860, due à Giorgio Grognet (ou Grongnet) di Vassé, du même ocre que celle de Naples, avec des clochers à la Bernin et une coupole de 37 mètres de diamètre, qui en fait la troisième plus large en Europe25.
L’église-Panthéon de l’entrée du Cimitero monumentale di Staglieno, près de Gênes (due à Carlo Barabino et Giovanni Battista Resasco en 1851) évoque davantage le Tempio Canoviano, mais, associée au lieu de sépulture des grands hommes, elle rejoint le concept de l’édifice parisien. D’autres nécropoles prendront ce nom par la suite : celle de Tbilissi (Géorgie), en 1929, à côté de l’église Mamadaviti, sur le mont Mtatsminda, est officiellement le « Panthéon national des écrivains et personnages publics ».
Ce type de Panthéon-mémorial des grands hommes se rencontre sous trois combinaisons :
- le nom sans la forme comme ici, ou pour le projet de Panthéon russe à Moscou en 1953 (inspiré de Paris), ou encore pour le Panteao da Patria de l’architecte Oscar Niemeyer à la mémoire du Président Tancredo Neves à Brasilia en 1985 ;
- la forme et le nom, comme pour le Pantheon de los Heroes à Asuncion (Paraguay), en 1863, mausolée des héros de l’Indépendance, qui a à peu près la forme de la Villa palladienne, avec une façade romaine et un dôme copié des Invalides ;
- la forme sans le nom, paradoxalement la plus proche de l’original romain : le Mausoleo della Bela Rosin à Turin, dû à Angelo Demezzi en 1888.
Avant de nous y arrêter, signalons l’exception de la Walhalla, monument de style Greek revival, érigé en l'honneur des grands personnages de l’histoire ancienne de l’Allemagne par Louis Ier de Bavière à Donaustauf, près de Regensburg, en 1830-1842, sur un plan de Léon de Klenze) et qui, en cette mode internationale de Palladio et du Panthéon romain, renvoie et au temple du Parthénon à Athènes pour l’architecture et à la mythologie germanique pour le nom.
Malgré son nom, le « Mausolée de la belle Rosine » ne renvoie pas au Mausolée d’Hadrien (l’actuel Château Saint-Ange)26, mais bien à son Panthéon. Il a enfermé la dépouille de Rosa Vercellana, épouse morganatique de Victor-Emmanuel II, premier roi d’Italie, et a été construit en son honneur par ses enfants, dans la première capitale du nouveau pays, à l’image du monument de Rome où on lui interdisait de reposer aux côtés du roi. Mais, bien plus modeste, il ne fait que 16 mètres de diamètre27. L’édifice a connu des vicissitudes : après un projet de transformation en... mosquée, il est devenu un lieu d’expositions et de spectacles. Il reste le seul Panthéon jamais construit pour une femme.
Le Mausoleo della Bela Rosin à Turin, © Wikimedia Commons
Au Vicksburg National Military Park, dans le Mississippi, commémoratif d’un fameux épisode de la Guerre de Sécession, se trouve un mémorial appelé The Illinois State Monument, inauguré en 1906 : c’est un petit Panthéon romain en l’honneur des soldats de cet état ayant participé à la campagne, œuvre de William L. B. Jenney ; les 47 marches qui y donnent accès représentent le nombre de jours du siège de Vicksburg. L’aigle doré qui surmonte le fronton évoque autant le symbole des légions romaines que celui des Etats-Unis.
Également proche de l’original romain par la médiation de la Rotonda de Mosta (malgré l’absence de fronton et l’ajout d’un lanternon sur le dôme), l’église-mémorial d’Ottokár Prohászka, théologien catholique, à Székesfehérvár, en Hongrie, après 1930.
Après avoir vu aux Invalides la tombe de Napoléon, Hitler demanda à l’architecte Hermann Giesler un projet inspiré du Panthéon d’Hadrien, qu’il avait visité en 1938, pour son propre Mausolée, son tombeau devant être placé directement sous l’ouverture de l’oculus.
Des lieux de culte continuent d’adopter cette forme : au début du XXe, aux USA, la synagogue de Franklin Street à Richmond, en Virginie (Firm of Noland and Baskervill, 1904), puis la First Church of Christ Scientist d’Atlanta, Géorgie, en 1914 (architecte Arthur N. Robinson).
Des universités aussi adoptent encore sa forme après le précédent américain de Jefferson à Charlottesville - Virginie : la Low Memorial Library de la Columbia University à New York (Firm of McKim, Mead, and White, 1895), toute de pierre blanche, sur un plan palladien, avec un imposant portique d’entrée à dix colonnes, surmonté non d’un fronton, mais d’une baie en demi-cercle ; puis le Great Dome de la Killian Court au Massachusetts Institute of Technology à Cambridge en 1916 (dû à William W. Bosworth), qui est aussi une bibliothèque ; entre 1926 et 1930, le Baldwin Auditorium, paré de briques, est une salle de concert de la Duke University à Durham, North Carolina, remarquable par sa double coupole, intérieure et extérieure, traversée par l’oculus (architectes Julian Abele et Horace Trumbauer). Puis encore, à Pékin, le Grand Auditorium de briques rouges de la Tsinghua University, daté de 1917, où la colonnade du portique est remplacée par un arc triomphal ; enfin la Manchester Central Library, édifice circulaire de pierre blanche, en Grande-Bretagne, due à Emmanuel Harris en 1934, sans fronton sur le portique et au second étage ceinturé d’une colonnade.
Le Grand Auditorium de briques rouges de la Tsinghua University, © Wikimedia Commons
La forme du Panthéon convient aussi à de grands musées : en même temps que la Low Memorial Library, la firme McKim, Mead, and White donne à New York le Brooklyn Museum building (1897), tandis qu’à Chicago, le Fine Arts Building de l'Exposition universelle de 1893, conçu par Charles B. Atwood, devient après diverses affectations artistiques le Museum of Science and Industry.
Rares, mais pittoresques sont les autres emplois des Panthéons modernes. La Bank of Montreal's Head Office au Québec, due à John Wells en 1847, fait du Panthéon romain un temple à l’argent, tout comme la nouvelle Maison de la Douane, érigée au bord de la rivière Saint-Charles par l’Anglais William Thomas de 1856 à 1860. Côté cour où elle est de plain-pied, la Grande coupole de l’Observatoire du Château de Meudon (en 1877, due à Constant Moyaux, Grand Prix de Rome d'architecture en 1861), semble renvoyer à la fois au symbolisme cosmique du Panthéon d’Hadrien, au projet de Jefferson d’installer un planétarium dans sa Rotonda de l’université de Virginie28, et à celui de Quatremère de Quincy de placer un local astronomique au sommet du Panthéon parisien.
Puis une prison, le comble du paradoxe ou de l’ironie, un antipanthéon destiné aux hommes sinon obscurs, du moins criminels : l’East Jersey State Prison à Rahway dans le New Jersey, datée de 1896. Elle a servi de décor à de nombreux films.
Le tout petit Naumburg Bandshell de Central Park à New York en 1923 renvoie à deux précédents : sa forme de demi-coupole l’apparente au Cisternone de Livourne et sa fonction de scène musicale au Pantheon - salle des fêtes londonien.
Toujours à Richmond, Virginie, après la synagogue, une gare : l’Union Railroad Station (ou Broad Street Station), construite en 1919 (devenue le Science Museum), une réalisation de John Russell Pope avant son Jefferson Memorial de Washington, mais plus proche du modèle palladien.
Le même John Pope, qui avait étudié l’architecture à la Columbia University dans les années où on y construisait la bibliothèque-Panthéon, et qui avait fait le voyage à Rome, reprend encore ce modèle pour le National Gallery of Art West Building à Washington en 1941.
On pourrait ajouter à cette liste déjà longue29 toutes les constructions appelées Rotunda, surnom du Panthéon de Rome comme de la Villa Capra, mais qui renvoient généralement à de simples bâtiments ou salles circulaires30.
En conclusion, le succès du Panthéon d’Hadrien est exceptionnel dans l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme, sans comparaison avec celui de son homologue grec, le Parthénon : monument unique, icône et « nec plus ultra » de la perfection classique occidentale, il s’est multiplié dans le monde (surtout en Italie, la mère-patrie et aux USA, le nouvel empire romain31), par le biais d’architectes qui avaient presque tous fait leurs classes à Rome et y voyaient sans doute leur chef-d’oeuvre. Après sa transformation en église (également la fonction d’une quinzaine de ses copies), sa postérité connaît deux étapes qui infléchissent et sa forme et son nom : d’abord, la Villa Capra de Palladio, double mutation qui ajoute au type rond le type à quatre façades et le destine à la résidence privée (une douzaine d’imitations), puis le monument parisien consacré aux grands hommes. On rencontre alors toutes les combinaisons possibles entre le mot et la chose, c’est à dire entre la forme et la destination : pour des universités et des bibliothèques (une demi-douzaine des copies), pour des monuments commémoratifs, avec ou sans tombeaux (une demi-douzaine aussi), ainsi que pour des fonctions plus atypiques : salle de fêtes, thermes, banque, douane, gare, observatoire, prison.
Isolé ou inséré dans un ensemble (National Gallery of Art de Washington), de plain-pied ou au haut d’un escalier (Rotonde de Jefferson en Virginie), de couleur rouge, ocre ou blanche, flanqué de quatre façades (Villa Capra) ou ceint d’une colonnade (Jefferson Memorial), de plan circulaire ou octogonal (Monticello, Tsinghua University), avec un portique rétréci à quatre colonnes (églises de Karlskrona et San Simeone), ou agrandi à dix (Columbia University), privé de son fronton (église de Székesfehérvár, Low Memorial Library), avec une coupole surélevée (Basilica San Francesco de Naples et Chiesa San Carlo de Milan), ou bien augmenté de clochers, décoré de palmettes et antéfixes (Rotunda de Mosta), miniaturisé dans les jardins des résidences nobiliaires anglaises, le Panthéon connaît toutes les déclinaisons possibles de ses éléments constituants, à travers les siècles32 et d’un bout à l’autre du monde, jusqu’en Chine. Les plus proches de l’original romain, qui se trouvent dans l’Italie du XIXème s., sont l’église Gran Madre de Turin, le Tempio Canoviano (contemporains), et, pour cause, le Mausolée de la belle Rosine.
Mais la mutation la plus importante est celle de la fonction, en plusieurs étapes : lieu de culte et de sépulture pour les grands de ce monde, artistes et rois, d’Italie et d’Espagne, le Panthéon devient profane et étatique à Paris qui lui donne un statut d’exemple universel indépendant du type de régime politique, de la République française à la dictature portugaise. Ce lieu exceptionnel non plus pour son architecture (contrairement au Panthéon romain, il n’aura pas de postérité), mais pour le souvenir des défunts qu’il y célèbre, va par ailleurs se désacraliser, s’ouvrir au monde des vivants et se banaliser dans les paysages urbains, de la vieille Europe à la jeune Amérique, grâce aux architectes les plus célèbres comme les plus obscurs, et il se destine à la fréquentation de tout un chacun, comme lieu - encore élitiste - du savoir ou de l’art, mais aussi comme édifice de loisir, salle de spectacle ou thermes, avant d’atteindre un point extrême de vulgarisation comme édifice utilitaire, technique ou commercial, au terme d’un étonnant renversement des valeurs : lieu de la prière, de la mort et de la mémoire, il s’est transformé en lieu de la résidence, de la vie et du travail.
Le monument emblématique de la capitale du monde romain, où le public n’entrait pas, le Panthéon de tous les dieux, est paradoxalement devenu, si on nous permet ce néologisme, un monument populaire, un « Pananthropon », l’édifice « de tous les hommes » dans des sociétés où l’individu a pris la place des Dieux.