Une ascendance divine et une généalogie complexe
Alceste est la fille de Pélias, le roi d’Iolcos en Thessalie, et d’Anaxibie. Son père est fils de Poséidon et de la nymphe Tyro. Cette dernière épouse par la suite Créthée, considéré par Apollodore comme le fondateur de la cité d’Iolcos, avec qui elle a trois enfants : Æson, père de Jason ; Phérès, père d’Admète et Amythaon. Ainsi son père Pélias est-il le demi-frère d’Æson ainsi que le demi-oncle de l’Argonaute Jason et de son futur mari Admète. En épousant ce dernier, elle devient reine de Phérès, en Thessalie.
Trois épisodes marquants mettent en scène cette figure féminine.
Premier épisode : une jeune femme convoitée
Jeune princesse thessalienne, Alceste est présentée dans l’Iliade comme « divine entre toutes les femmes, la première pour la beauté parmi les filles nées de Pélias » (II, v. 714 sq.). Elle est recherchée en mariage par de nombreux princes. Très sollicité, Pélias décide de régler la question en imposant une épreuve impossible à ses prétendants : pour épouser sa fille, ces derniers doivent atteler ensemble deux bêtes sauvages et labourer un champ avec. Apollodore raconte dans sa Bibliothèque (I, 9, 15) qu’il s’agit d’un char attelé d’un lion et d’un sanglier. Admète, roi de Phérès, désire relever ce défi. Le dieu Apollon, à son service après un châtiment de Zeus, prête secours à son ami et l’aide à accomplir cet exploit.
Mais, le jour de son mariage, Admète oublie de faire un sacrifice à Artémis, la sœur jumelle du dieu, présente lors de ses noces. Quand il entre ensuite dans la chambre nuptiale, Admète trouve la pièce pleine de serpents entortillés, présage d’un danger… Apollon intervient à nouveau : il lui faut apaiser sa sœur. Le dieu obtient également des Moires, les trois divinités du Destin, qu’Admète, le jour de sa mort, puisse rester sur terre si quelqu’un accepte de prendre sa place aux enfers…
Deuxième épisode : un sacrifice exemplaire
Peu après, malgré sa jeunesse, Admète est appelé à mourir. Il cherche activement un remplaçant. Dans la pièce Alceste d’Euripide, il se rend chez sa mère et son père Phérès qui refusent de prendre sa place dans le monde des morts. Seule son épouse Alceste accepte de sacrifier sa vie pour sauver celle de son mari. Elle lui demande, en revanche, de ne jamais se remarier. Son insistance souligne ses préoccupations maternelles : elle cherche à défendre l’intérêt de leurs enfants, Eumélos et Périmèle.
Lorsqu’elle meurt, Admète est accablé et annonce de grandioses funérailles.
Troisième épisode : la résurrection de la vertueuse épouse
Le dramaturge Euripide met alors en scène l’arrivée d’Héraclès durant les préparatifs des funérailles de la reine. Admète, qui met un point d’honneur à bien accueillir son ami malgré son deuil, lui dissimule l’identité de la défunte. Tandis que le maître de maison assiste aux obsèques, Héraclès festoie gaiement sous son toit… Ivre, joyeux, bruyant, il est toutefois décontenancé par l’atmosphère lugubre de la maison. Celui-ci finit par apprendre d’un serviteur la vérité : cette femme décédée est loin d’être une étrangère, c’est leur maîtresse... Prêt à tout pour racheter sa conduite exubérante et inconvenante, notre héros décide d’aller affronter Thanatos, la mort elle-même, et de lui enlever par la force Alceste. Il envisage même d'aller aux enfers, chez Hadès et Perséphone, s’il le faut, pour aider son ami si hospitalier et si généreux… Dans la pièce d’Euripide, Héraclès ramène, en effet, Alceste auprès de son époux après l’avoir enlevée à Thanatos sur le tombeau même. Dans Le Banquet de Platon, ce sont les dieux, touchés par l’abnégation d’Alceste, qui lui rendent la vie. Dans la Bibliothèque (I, 9, 15) d’Apollodore, enfin, c’est Koré elle-même qui la renvoie sur terre (ou Héraclès).
Ce qu'écrit Euripide :
« Ἐγώ σε πρεσβεύουσα κἀντὶ τῆς ἐμῆς
ψυχῆς καταστήσασα φῶς τόδ΄ εἰσορᾶν
θνήισκω͵ παρόν μοι μὴ θανεῖν͵ ὑπὲρ σέθεν͵
ἀλλ΄ ἄνδρα τε σχεῖν Θεσσαλῶν ὃν ἤθελον
καὶ δῶμα ναίειν ὄλβιον τυραννίδι.
Οὐκ ἠθέλησα ζῆν ἀποσπασθεῖσα σοῦ
σὺν παισὶν ὀρφανοῖσιν͵ οὐδ΄ ἐφεισάμην
ἥβης͵ ἔχουσ΄ ἐν οἷς ἐτερπόμην ἐγώ.
« Animée d'un tendre respect, et sacrifiant ma vie pour que tu jouisses de la lumière, je meurs pour toi, alors que je pouvais vivre, choisir un époux parmi les Thessaliens, et passer des jours heureux sur le trône. Je n'ai pas voulu vivre séparée de toi, avec des enfants orphelins ; je ne me suis pas épargnée moi-même, malgré les dons brillants de la jeunesse dont je pouvais jouir. »
Euripide, Alceste, v. 282-289, in Tragédies, traduction de Nicolas Artaud, 1842