- Ségovie est une cité romaine pendant la période impériale (I-IIIe siècles de notre ère). La province d’Hispanie est alors divisée en plusieurs juridictions : Ségovie fait partie du Conventus juridici de Cluniensis, c’est-à-dire de la juridiction impériale de Clunia, située au Nord de l’Espagne actuelle.
- La présence romaine à Ségovie s’illustre essentiellement aujourd’hui par la présence de son aqueduc monumental qui a fonctionné depuis sa construction sous l’empereur Claude ou Domitien, jusqu’à la fin du XIXe siècle !
- quaeductus, de aqua (« eau ») et de ductus (dérivé de ducere, « conduire »). Aérien ou souterrain, l’aqueduc est une technique du génie civil romain pour alimenter les villes en eau. Si le Pont du Gard est sans doute la partie émergée la plus connue d’un célèbre aqueduc gallo-romain, l’aqueduc de Ségovie est incontestablement une des constructions romaines les mieux conservées d’Hispanie.
- Ségovie se situe à 18 km de la source de la rivière Acebeda. Composée de 167 arches sur deux niveaux, la partie aérienne de l’aqueduc s’étend sur 813 mètres de long et s’élève jusqu’à 28 mètres de hauteur ; enfin, fait remarquable, les quelques 20 000 blocs de granit qui le composent tiennent sans aucun mortier.
En plein cœur de l’Espagne, dans la région de Castille-et-León, la ville de Ségovie est située à une trentaine de kilomètres de la Madrid actuelle. On y trouve une architecture antique et médiévale, et des origines diverses : elle fut une ville celtique, puis romaine, maure, et enfin catholique. À ce titre, cette cité témoigne d’un mélange de différentes influences vécues tout au long des siècles, avec, en particulier, la présence de son aqueduc romain, construit aux environs du Ier siècle de notre ère et particulièrement bien conservé aujourd’hui.
Les spécificités de l’aqueduc de Ségovie
L’aqueduc est l’unique édifice encore debout de la Ségovie romaine. C’est son utilité qui a contribué à son excellente conservation : il fournissait en eau les habitants jusqu’au début du XXe siècle. Il a donc fonctionné pendant 2000 ans. Les pierres des autres bâtiments romains ont été utilisées dans de nouvelles constructions : églises romanes ou palais.
L’eau venait de la rivière Acebeda et s’écoulait dans un canal parfois souterrain avant d’atteindre l’aqueduc situé à près de 18 kilomètres de la source. L'eau qu'il transportait coulait sur une pente de 1 % : c’est une inclinaison très faible mais cela suffisait pour acheminer l’eau. Puis le canal poursuivait son chemin en haut d’un édifice remarquable : l’aqueduc.
Avec son canal d’adduction de l’eau sur environ 813 mètres, l’aqueduc de Ségovie a une hauteur maximale de 28,5 mètres. Les ponts de l’aqueduc ont été construits à différentes hauteurs afin de maintenir une pente suffisante qui permette au canal d’assurer une distribution d’eau régulière à toute la ville. Sur la partie la plus haute, on observe une double arcature. Une inscription latine en lettres de bronze, aujourd’hui disparue, aurait figuré au-dessus du premier étage des arcades. Cette inscription a été discutée par des épigraphistes, qui ont alors fait remonter la construction de l’aqueduc à l’empereur Claude (règne de 41 à 54) ou à l’empereur Domitien (règne de 81 à 96).
Les 20 400 blocs de granit ne sont liés que par leur propre poids, sans aucun mortier, grâce au parfait équilibre des forces. Cette construction à sec participe à faire de cet édifice un objet d’exception. Chaque pierre est posée l’une à côté de l’autre. Les maçons romains fabriquaient d’abord des gabarits de bois semi-circulaires, sur lesquels ils empilaient les pierres. Le gabarit était ensuite retiré, laissant les pierres se soutenir les unes les autres. Chaque pierre se maintient en place grâce aux autres. Les petites cavités observées de part et d’autre des pierres sont liées aux pinces auto-serrantes qui avaient été utilisées pour élever les blocs jusqu’en haut de l’aqueduc.
L’eau atteignait son point d’arrivée en ville en s’écoulant dans un canal d’environ 30 centimètres de large au sommet de l’aqueduc. Elle coulait ensuite dans une citerne à l’intérieur d’un abri. Les feuilles et les détritus naturels étaient alors enlevés pour que l’eau distribuée soit la plus claire possible.
L’aqueduc de Ségovie est inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1985.
L’aqueduc, une prouesse du génie civil romain
L’acheminement de l’eau était essentiel aux cités : pour les thermes publics, les latrines, les fontaines, et plus largement dans les habitations privées.
Les aqueducs romains ont fait partie des paysages de l’Empire romain depuis le IIIe siècle avant J.-C. L’historien grec Denys d’Halicarnasse disait ceci : « Au rang des trois plus magnifiques œuvres romaines, par lesquelles apparaît le mieux la grandeur de l’empire, je place les aqueducs, les voies et les égouts, non pas seulement en raison de leur utilité, mais en raison des dépenses qu’elles ont entraînées ». En effet, il y avait parfois plusieurs aqueducs par ville, et dans toutes les provinces de l’Empire, les architectes romains ont reproduit leur savoir-faire. Frontin (40 à 103 de notre ère) fut consul et curateur des eaux de Rome entre autres, c’est-à-dire qu’il fut chargé de gérer le système d’adduction et de la distribution de l’eau. Il écrivit le traité des eaux de Rome (De aquis urbis Romae) et ses commentaires servirent de guide pour la construction des aqueducs.
Il existe en Espagne un autre aqueduc dont la renommée est grande : l’Aqueduc des Miracles, dans l’actuelle ville de Mérida. Construit à l’époque d’Auguste, il a fonctionné pendant environ trois siècles en alimentant la colonie d’Emerita Augusta, ville de Mérida actuelle, au Sud-Ouest de l’Espagne. Cet aqueduc, long de 827 m, est inscrit au Patrimoine Mondial de l’Unesco depuis 1992. 50 piliers sont encore debout, plus ou moins détériorés.
Ce que dit Vitruve au sujet des aqueducs
Ductus autem aquae fiunt generibus tribus : rivis per canales structiles, aut fistulis plumbeis, seu tubulis fictilibus : quorum hae sunt rationes. Si canalibus, ut structura fiat quam solidissima, solumque rivi libramenta habeat fastigata ne minus in centenos pedes semipede, eaeque structurae conformicentur, ut minime sol aquam tangat : quumque venerit ad moenia, efficiatur castellum, et castello coniunctum ad recipiendum aquam triplex immissarium, collocenturque in castello tres fistulae aequaliter divisae intra receptacula coniuncta, uti quum abundaverit ab extremis, in medium receptaculum aqua redundet.
On peut conduire les eaux de trois manières, ou par des aqueducs en maçonnerie, ou par des tuyaux de plomb, ou par des tuyaux en poterie. Si l’on fait usage de la première manière, la construction devra être d’une grande solidité, et l’on fera couler l’eau sur un lit dont la pente sera d’un demi-pied au moins sur une longueur de cent pieds ; cet aqueduc sera voûté, afin que l’eau ne soit point exposée à l’action du soleil. Quand il sera arrivé auprès des murailles de la ville, on construira un bassin près duquel on placera trois réservoirs. De ce bassin, trois robinets seront disposés sur la même ligne au-dessus des réservoirs, de manière que si l’eau vient à être trop abondante dans ceux des extrémités, elle puisse tomber dans celui du milieu.
Vitruve, De Architectura, Livre VIII, chapitre VII, traduction Ch.-L. Maufras