Hippocrate de Cos, père de la médecine

  • Le « Serment d’Hippocrate » est un court texte de la Collection hippocratique : à l’origine c’était vraisemblablement le serment que devaient prêter les disciples venus se former, moyennant salaire,  à l’école d’Hippocrate. Pour la première fois en effet on ouvrait le savoir à des membres extérieurs à la famille du médecin.
  • Le serment d’Hippocrate est un code moral, qui engage les médecins à tenir une certaine conduite vis-à-vis de leurs patients. La règle fondamentale est d’agir dans l’intérêt du malade : toutes les autres en découlent.
  •  Le « faciès hippocratique » désigne en médecine la façon dont les traits d’un visage s’altèrent à l’approche de la mort. L’expression vient d’une description remarquable de justesse du traité le Pronostic.
  •  « hippocratisme digital » désigne dans les dictionnaires de médecine moderne une déformation des ongles et doigts déjà en partie décrite dans le traité du Pronostic. Les médecins hippocratiques n’avaient pas relevé tous les symptômes, mais témoignaient déjà d’un très grand sens de l’observation.
  • Les médecins hippocratiques auscultaient leurs malades. Longtemps oubliée, cette pratique a été rétablie au XIX siècle par Laennec, fin connaisseur d’Hippocrate. La médecine moderne utilise même encore la comparaison hippocratique avec des « bruits de cuir » pour évoquer le frottement pleural (au début d’une pleurésie).
  •  Aujourd’hui à Cos on montre aux touristes le platane sous lequel Hippocrate enseignait à ses élèves ainsi qu’une statue d’Hippocrate. Mais aucun de ces éléments ne date bien sur de l’époque du médecin. La cité antique de Cos elle-même s'est déplacée de quelques kilomètres et se trouvait en réalité à l’emplacement de l’actuel Club Med.
  • Dans l’iconographie, on reconnaît le médecin aux ventouses accrochées au mur de son officine. Dans les textes, c’est l’expression « temnein kai kaiein » (couper et brûler) qui identifie le médecin : les médecins hippocratiques soignaient en effet volontiers par des saignées ou des cautérisations.

    Hippocrate est un personnage historique : au Vè siècle avant J.-C.; il a enseigné, pratiqué la médecine et écrit des ouvrages médicaux. Une soixantaine de textes, de longueurs très variées, rassemblés sous le nom de Collection Hippocratique, sont parvenus jusqu’à nous. Hippocrate n’est sans doute l’auteur que d’une dizaine d’entre eux, les autres ayant été rédigés par des disciples de son école au cours des Vème et IVème siècles av. J.-C.

    Médecin déjà très réputé de son vivant, cité par les philosophes Platon et Aristote, Hippocrate devint un véritable figure de légende après sa mort. Il est qualifié de « très divin » par Apollonios de Citium, cité comme une référence par Cicéron, Celse, Pline l’Ancien et surtout Galien, médecin romain du IIè s après J.-C. qui le cite 2500 fois ! Les traités hippocratiques ont été la référence des médecins occidentaux jusqu’au XIXème siècle et dans notre imaginaire à tous, Hippocrate passe pour être le « père de la médecine ». Aujourd’hui encore, les médecins en Occident prononcent le « serment d’Hippocrate » avant d’exercer leur activité.

    Hippocrate de Cos, l’Asclépiade : une courte biographie

    Hippocrate est né vers 460 avant J.-C. à Cos, île de la mer Egée, près des côtes de l’actuelle Turquie. Il appartenait à la famille aristocratique des « Asclépiades »,  qui disait descendre en droite ligne d’Asklepios, dieu de la médecine. Comme le dieu le faisaient avec ses propres enfants, les Asclépiades se transmettaient leur savoir de père en fils : c’est donc de son père et de son grand-père, eux-mêmes médecins, qu’Hippocrate reçut sa formation. Du reste il transmit lui aussi son savoir à ses deux fils et à son gendre, Polybe. Selon certaines biographies, Hippocrate serait le XVIIè, XVIIIè ou XIXèdescendant à partir d’Asklepios. Il passait aussi pour être un descendant d’Héraclès par sa mère.

    Des légendes nous racontent qu’Hippocrate connut très vite le succès et fut amené à voyager : appelé par la cité d’Abdère, sur la côte Thrace, pour soigner le philosophe Démocrite qui riait sans s’arrêter, il prouva que ce rire était davantage un signe de sagesse que de folie. Par loyauté envers la Grèce, il aurait refusé ses services au roi des perses Artaxerxés Ier qui l’appelait pour faire face à une épidémie de peste.

    Entre 430 et 420 avant J.-C., Hippocrate quitta définitivement son île natale pour la Thessalie, où il fit l’essentiel de sa carrière et d’où son enseignement rayonna. Retenons deux autres épisodes légendaires de cette période : il aurait guéri Perdiccas II, fils d’Alexandre Ier et roi de Macédoine en diagnostiquant une simple maladie d’amour. Il sauva les Grecs d’une terrible épidémie : des peuples barbares du Nord l’ayant appelé à l’aide, Hippocrate, malgré la promesse de fortes récompenses, aurait refusé de les soigner, tout en recueillant suffisamment d’informations pour permettre aux Thessaliens de se prémunir de la maladie !

    Au chevet des plus grands, Hippocrate soignait aussi cependant des patients plus modestes, y compris des esclaves. Plusieurs traités hippocratiques s’intéressent particulièrement aux maladies des femmes. Moyennant salaire, il ouvrit son école à des membres extérieurs à sa famille et diffusa ainsi son savoir.

    Il mourut à Larissa en Thessalie, entre 375 et 351 avant J.-C., en tout cas très âgé, entre 85 et 109 ans ! Selon la biographie la plus connue, un essaim d’abeilles se serait installé sur sa tombe, faisant un miel aux vertus thérapeutiques, capable notamment de soigner les aphtes.

    Hippocrate est-il le père de la médecine ?

    Hippocrate n’est pas le premier médecin : la plupart des affections citées dans les traités (apoplexie, arthrite, herpès, polype ou typhus, par exemple) étaient déjà connues avant lui. Mais les traités hippocratiques nomment, classifient : ils posent les bases d’une nouvelle médecine, scientifique et rationnelle, qui recherche les causes et refuse le hasard. Ils définissent une nouvelle pratique et éthique médicales.

    A l’époque en effet, il n’existait pas de diplôme de médecine. Quelques familles étaient à l’origine d’ « écoles » déjà réputées (Cos, Cnide ou Crotone) mais n’importe qui pouvait se déclarer médecin. L’officine se reconnaissait à ses nombreux remèdes et instruments, dont les fameuses ventouses. Pour réduire luxations et fractures, le médecin pouvait avoir recours à de volumineuses machines en bois, munies de treuils et de  leviers, dont celle qu’on appellera plus tard « banc d’Hippocrate ». La foule se pressait pour les voir ! Contre les charlatans et leurs traitements spectaculaires, les médecins hippocratiques posent des règles : seul l’intérêt du malade doit guider le geste du médecin, non la gloire ou le profit personnels. Avant tout, ne pas nuire : le médecin doit savoir reconnaître ce qui lui est impossible. Plus tard, on reprochera à cette médecine d’être « attentiste ».

    Par ailleurs, la médecine était très liée aux croyances religieuses : traditionnellement, les maladies étaient vues comme des punitions des dieux. Ainsi Œdipe cherchant la souillure responsable de la pestilence qui s’abat sur Thèbes ! Incantations et prières faisaient partie des moyens classiques utilisés pour soigner. Les sanctuaires d’Asklepios étaient très fréquentés : le dieu y venait guérir miraculeusement les malades pendant la nuit. Les médecins hippocratiques à l’inverse détachent la médecine du sacré. Ils expliquent que toute maladie a une cause naturelle, souvent liée à un changement brusque de régime ou de climat. La notion de contagion ne leur est pas encore connue : pour eux, les malades ont les mêmes maladies non parce qu’ils se transmettent un virus mais parce qu’ils sont soumis aux mêmes facteurs  (orientation des vents, nature du sol, des eaux, saisons…). C’est donc le « premier témoignage [d’une médecine rationnelle qui s’oppose] à une médecine religieuse et magique» (Jacques Jouanna, Hippocrate, 2017, p.263).

    Comment les médecins hippocratiques soignaient-ils ?

    Les traités hippocratiques comportent des descriptions très précises de malades. Les médecins cherchaient d’abord, par des examens très attentifs et réguliers de leurs patients, à obtenir le pronostic le plus juste, et utilisaient leurs cinq sens. Le malade était donc regardé dans les moindres détails, mais aussi palpé, ausculté ; larmes, sueurs, sécrétions en tous genres pouvaient être senties et goûtées ! On était très attentif aux oscillations des fièvres, à l’haleine du patient, aux nuances de couleurs. Certaines de ses pratiques sont toujours utilisées par la médecine moderne. On a en revanche abandonné la « succussion », qui consistait à secouer le patient pour entendre ses bruits intérieurs.

    L’intérieur du corps humain était en effet envisagé comme un milieu où circulaient divers liquides, que l’on voit ressortir par endroits (urines, selles, crachats, écoulements…). Dans notre vocabulaire courant, le mot « rhume », voire  « rhume de cerveau »,  est d’ailleurs hérité de cette conception puisqu’il signifie « couler » (alors que l’on devrait plus proprement parler de coryza). On pensait que des « humeurs » coexistaient naturellement dans le corps de l’homme, variant selon le tempérament, l’âge de chacun ou les saisons. C’était par exemple le sang, la bile jaune, la bile noire et le phlegme. Le plus souvent, les soins visaient alors à éliminer un « excès d’humeur » pour rétablir un équilibre. Ils étaient hiérarchisés selon l’ordre suivant : remèdes, fer et feu. Les remèdes étaient des vomitifs ou des purgatifs (petit lait d’ânesse, ellébore…). Grâce à diverses techniques, on provoquait des éternuements ou des écoulements. Si cela n’avait pas suffi, on pratiquait la saignée. En dernier recours, face à un mal très puissant, le médecin cautérisait pour arrêter le passage de la maladie : on brulait derrière les oreilles, aux tempes, près des yeux, au nez… 

    De façon plus douce, les médecins prescrivaient aussi une hygiène ou un régime alimentaire approprié : galette d’orge (ou « maza »), ptisane (décoction d’orge dont notre « tisane » est l’héritière aujourd’hui), mélicrat (breuvage à base de miel) ou oxymel (mélange de miel et vinaigre)… font partie de la pharmacopée. C’est ainsi que certains traités de la Collection hippocratique sont une mine d’informations pour connaître l’alimentation de la Grèce antique. Et le fameux « régime crétois » est toujours valorisé aujourd’hui !

    La postérité et le leg d’Hippocrate

    Après sa mort, Hippocrate fut honoré comme un héros dans la cité de Cos par des sacrifices publics annuels. Au Ier s av JC, il est représenté, chauve et barbu, sur des monnaies de bronze. Il devint « le divin Hippocrate », héros guérisseur, qui purge la terre des maladies, comme ses illustres ancêtres, Asklepios ou Heraklès, avaient purgé la terre des monstres !

    Sa gloire dépassa cependant largement ce culte. Commentées dès l’Antiquité et traduites en latin, ses œuvres constituèrent la base de la science médicale à Rome. Au Moyen-Âge elles furent traduites en arabe et étudiées par les plus grands savants en Orient. Au XVIè siècle, elles étaient enseignées aux étudiants de la célèbre université de médecine de Montpellier. Pendant près de 2000 ans, Hippocrate fut ainsi la référence absolue de la médecine occidentale. La plus grande édition fut celle d’Emile Littré, en 10 volumes, au XIXè siècle.

    Pourtant le leg d’Hippocrate à notre médecine moderne parait bien faible aujourd’hui ! La théorie des humeurs a été complètement abandonnée. Puisqu’ils ne pratiquaient pas la dissection, les médecins hippocratiques avaient une connaissance du fonctionnement du corps souvent erronée. Ils ignoraient le système de circulation du sang, le principe de la digestion, de la respiration et se trompaient sur les rôles des différents organes. Pour eux, les « vaisseaux » transportaient tout aussi bien le sang que l’air ou les humeurs. Les parties « blanches » (nerfs, ligaments, tendons…) étaient toutes confondues… comme nous le faisons encore aujourd’hui chez le boucher ! En revanche l’architecture du squelette humain (os et ligaments) leur était bien connue.

    Paradoxalement, l’œuvre d’Hippocrate, père de la médecine, a donc aussi freiné l’évolution et les progrès de celle-ci ! C’est au nom d’Hippocrate par exemple que la découverte de la circulation du sang par Harvey au XVIIème siècle fut débattue. Dépassée du point de vue scientifique, elle reste toutefois par son humanisme une référence pour les médecins et, comme le dit Jacques Jouanna,  « un des monuments les plus riches et les plus impressionnants de l’éveil de l’esprit scientifique » (Jacques Jouanna, Hippocrate, 2017, p.513).

    Ce qu'écrit Hippocrate :

    « Ὁ βίος βραχὺς, ἡ δὲ τέχνη μακρὴ, ὁ δὲ καιρὸς ὀξὺς, ἡ δὲ πεῖρα σφαλερὴ, ἡ δὲ κρίσις χαλεπή. Δεῖ δὲ οὐ μόνον ἑωυτὸν παρέχειν τὰ δέοντα ποιεῦντα, ἀλλὰ καὶ τὸν νοσέοντα, καὶ τοὺς παρεόντας, καὶ τὰ ἔξωθεν. »

    « La vie est courte, l'art est long, l'occasion est prompte [à s'échapper], l'empirisme est dangereux, le raisonnement est difficile. Il faut non seulement faire soi-même ce qui convient ; mais encore [être secondé par] le malade, par ceux qui l'assistent et par les choses extérieures. »

    Hippocrate, Aphorismes, I, traduction de Ch. V. Daremberg,  éd. Charpentier, Fortin, Masson, Paris,  1844

     

     

    « ἀσκέειν, περὶ τὰ νουσήματα, δύο, ὠφελέειν, ἢ μὴ βλάπτειν » 

    « Avoir, dans les maladies, deux choses en vue : être utile, ou du moins ne pas nuire. »

    Hippocrate, Épidémies (I.5), trad. Jacques Jouanna

    • Le « Serment d’Hippocrate » est un court texte de la Collection hippocratique : à l’origine c’était vraisemblablement le serment que devaient prêter les disciples venus se former, moyennant salaire,  à l’école d’Hippocrate. Pour la première fois en effet on ouvrait le savoir à des membres extérieurs à la famille du médecin.
    • Le serment d’Hippocrate est un code moral, qui engage les médecins à tenir une certaine conduite vis-à-vis de leurs patients. La règle fondamentale est d’agir dans l’intérêt du malade : toutes les autres en découlent.
    •  Le « faciès hippocratique » désigne en médecine la façon dont les traits d’un visage s’altèrent à l’approche de la mort. L’expression vient d’une description remarquable de justesse du traité le Pronostic.
    •  « hippocratisme digital » désigne dans les dictionnaires de médecine moderne une déformation des ongles et doigts déjà en partie décrite dans le traité du Pronostic. Les médecins hippocratiques n’avaient pas relevé tous les symptômes, mais témoignaient déjà d’un très grand sens de l’observation.
    • Les médecins hippocratiques auscultaient leurs malades. Longtemps oubliée, cette pratique a été rétablie au XIX siècle par Laennec, fin connaisseur d’Hippocrate. La médecine moderne utilise même encore la comparaison hippocratique avec des « bruits de cuir » pour évoquer le frottement pleural (au début d’une pleurésie).
    •  Aujourd’hui à Cos on montre aux touristes le platane sous lequel Hippocrate enseignait à ses élèves ainsi qu’une statue d’Hippocrate. Mais aucun de ces éléments ne date bien sur de l’époque du médecin. La cité antique de Cos elle-même s'est déplacée de quelques kilomètres et se trouvait en réalité à l’emplacement de l’actuel Club Med.
    • Dans l’iconographie, on reconnaît le médecin aux ventouses accrochées au mur de son officine. Dans les textes, c’est l’expression « temnein kai kaiein » (couper et brûler) qui identifie le médecin : les médecins hippocratiques soignaient en effet volontiers par des saignées ou des cautérisations.

      Principaux traités de la Collection hippocratique

      Traités rattachés à l’école de Cos (rédigés par Hippocrate et son entourage) :

      Le Serment ; Les Aphorismes ; Les Epidémies ; Airs, eaux, lieux ; la Maladie sacrée ; Blessures de tête ; Fractures et articulations ; Officine du médecin ; le Mochlique ; le Pronostic ; Régime dans les maladies aiguës ; les Prénotions coaques ; Nature de l’homme.

      Traités de l’école de Cnide

      Les sentences Cnidiennes ; les Maladies ; Affections internes ; Nature de la femme ; Maladies des femmes ; Femmes stériles.

      Traités à tendance philosophique   

      Les Chairs ; le Régime ; les Semaines ; l’Ancienne médecine.

      Traités postérieurs

      Le Cœur ; Bienséances ; Préceptes ;  le Médecin.

        Pistes de recherche :

        • La naissance de l’esprit scientifique en Grèce antique
        • La médecine antique
        • Philosophie, religion et savoir scientifique

        Voir aussi sur Odysseum :

        Des livres :

        • Hippocrate, Jacques Jouanna, Les Belles Lettres, 2017
        • Hippocrate, de la médecine magique et religieuse à la médecine relationnelle, Simon Byl, L’Harmattan, 2011
        • Histoires des sciences en BD – Tome 1 : De l'âge de pierre à la Grèce antique, Jung Hae-Yiong et Shin Young-Hee, Casterman, Docu BD, 1993
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