Athalie, Jean Racine (1691) : les choeurs par rapport à la structure d'ensemble

Chaque acte est construit autour d'une scène ou d'un événement central à l'origine de l'action :

  • Acte I : la conversation de Joad-Abner
  • Acte II : l'interrogation d'Eliacin (scène 7)
  • Acte III : la prophétie de Joad (scène 7)
  • Acte IV : le sacre de Joas (scène 3)
  • Acte V : capture et mort d'Athalie (scène 5)

Par rapport à ces événements, que représentent les chants du chœur ? Ils sont de sujets fort différents : il y en a 4, et il faut souligner que le dernier acte est le seul à se terminer sans chant du Chœur. C’est que l’action de Grâce à laquelle on aurait pu s’attendre ne peut être prononcée en raison des terribles malédictions proférées par Athalie, qui assombrissent considérablement le dénouement, en donnant du reste un sens tragique à la pièce (puisque sur terre même ceux qui réalisent les desseins de la Providence ne sont pas épargnés par le Mal)

Acte I scène 4

Le chant du chœur s’intègre à l’action, puisqu’il célèbre le don de la loi dont l’anniversaire est justement fêté (Pentecôte) quand s’ouvre la pièce.

C’est un chant d’espoir bien conforme à la Foi affirmée de Joad et un hymne à la grandeur divine, et à la Bonté de la Providence, qui s’inscrit en faux contre les hésitations des autres Juifs (cf. les reproches de Joad à Abner).

Ce chant est donc comme une prière privée avant la prière publique de la fête cf. le début de II

Mes filles, c’est assez ; suspendez vos cantiques
Il est temps de nous joindre aux prières publiques.

Acte II, scène 9

Le chant est composé d’une part des réactions du chœur face aux événements et de l’autre de considérations plus générales sur les innocents et les méchants

- Les réactions du chœur concernent évidemment Athalie et Joas, le chœur a assisté à leur conversation, et c’est une réaction double qui s’exprime : en face d’Eliacin, de l’admiration pour « cet enfant merveilleux » qui a su si bien répondre à Athalie et résister à ses offres tentatrices. En même temps le chœur se demande qui est cet Eliacin, et il souhaite précisément qu’il soit l’espérance d’Israël : en face d’Athalie, « l’impie étrangère » qui suscite l’hostilité et l’indignation : une usurpatrice qui vient jusque dans son temple braver Dieu.

- Mais le chœur généralise ces deux sentiments en les appliquant aux innocents et aux méchants : Dieu favorise les innocents ; le chœur insiste sur l’innocence de ceux qui sont élevés « loin du monde » à l’abri du méchant. (Ce sera toute l’histoire de Joas puisque, rentré dans le monde, il perdra son innocence). Déjà se lit la difficulté pour les gens vertueux de le rester, et la tirade finit sur une constatation désespérée : « Les pécheurs couvrent la terre ». Quant aux méchants, ils ne savent pas ce qu’ils font. Leur éveil « sera plein d’horreur », ils vont de plaisir en plaisir mais ne connaissent pas l’Eternité en Dieu (et ici le chœur fait allusion au Jugement dernier). Opposition entre les deux délectations, typiquement chrétienne, et même janséniste.

Ainsi, ce chant exprime-t-il à la fois l’angoisse et l’espoir ; il est différent du chant de l’acte I parce qu’il comporte d’abord une partie non chantée, et ensuite parce qu’il n’est pas un hymne à Dieu, mais une réflexion sur ce qui vient de se passer.

Acte III, scène 7

Le chœur le plus lyrique : il est constitué essentiellement de commentaires faits par Salomith et ses compagnes sur la prophétie de Joad et sur les préparatifs du combat.

Une première partie (1187-1211) exprime l’étonnement de ces « yeux timides » devant ce qui se prépare cf.

Qui l’eût cru, qu’on dût voir jamais
Les glaives meurtriers, les lances homicides
Briller dans la maison de paix ?

Vers qui répondent au vers de Joad « Ce formidable amas de lances et d’épées » (1181)
Et le chœur montre son angoisse, parce que le silence autour du temple montre la solitude des derniers fidèles, et parce qu’Abner (retenu prisonnier par Athalie) n’est plus là (il est absent de tout l’acte) pour avertir de ce qui se trame au palais. Angoisse aussi devant la prophétie de Joad que le chœur comprend mal.

Dans la seconde partie, le mouvement se fait complètement lyrique : partie chantée où s’opposent deux voix alternées commentant chacun des deux tableaux de la prophétie, dans une stichomythie qui fait penser à celle de Polyeucte, et qui installe la tragédie dans ce rythme colère/amour qui constitue l’histoire même du peuple juif. Le dernier couplet dont les sonorités sont bien différentes conduit au recueillement et à l’apaisement.

Acte IV, scène 6

Le chœur est beaucoup plus bref. Mais les sentiments sont divers :
Un hymne de guerre visant à encourager les soldats (bien peu conforme à ce qu’avait demandé Joas en 1462)

Une invocation au Dieu de Jacob pour qu’il vienne punir les méchants, avec une citation au style direct du discours des méchants pour mieux convaincre Dieu d’intervenir (passage encadré par le retour d’un même couplet)

Une inquiétude au sujet de Joas : Dieu va-t-il protéger ce Prince aimable alors qu’il descend d’une race si impie ? (annonce du dénouement)
Enfin la musique cesse, le combat s’annonce, et le chœur effrayé s’enfuit.
(N.B. en 1490 sq. on trouve les trois mots TOMBEAU / COUTEAU / BERCEAU autour desquels s’est organisée toute la rêverie poétique de Racine) .

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