Athalie, Jean Racine (1691) : Acte III, 3 (870-900)

Début de l’acte III

Mathan est chargé d’un message (« ordre de la reine » 869) Il veut demander à Josabet de choisir entre lui donner l’enfant ou voir le temple incendié. (Mais il est sûr qu’elle refusera de lui donner l’enfant ; il veut satisfaire ses ambitions et sa rancune en incendiant le temple.) C’est donc la deuxième fois qu’Athalie essaie de faire venir l’enfant à elle. Mais elle a en même temps mis ses soldats en alerte.
Dans cette scène, Mathan explique à Nabal qui s’étonne à juste titre, pourquoi la reine agit aussi bizarrement « D’où naît dans ses conseils cette confusion ? » Nabal, dans la tirade qui précède s’étonne du revirement d’Athalie

Elle allait immoler Joad à son courroux...
Qui fait changer ainsi ses vœux irrésolus ?

Enjeux

Cette tirade permet à la fois d’éclairer la nature proprement tragique du personnage d’Athalie et le rôle que joue auprès d’elle son conseiller Mathan. On essaiera de justifier aussi la place à cet endroit de cette longue tirade.

    Plan

    Composition très rigoureuse :

    • Le portrait d’Athalie (changement depuis deux jours) 870-76
    • La première décision et le premier revirement 877-87
    • La nouvelle décision sous la pression de Mathan 888-900

    Première partie 

    Comme Abner, Mathan est stupéfait du changement d’Athalie « Je ne la connais plus » (= je ne la reconnais plus). Tel est l’effet de la Providence-songe sur Athalie: une métamorphose, et les vers qui suivent vont opposer le portrait de l’Athalie du passé à l’Athalie actuelle (cf. l’opposition « ce n’est plus... » et l’imparfait qui s’oppose aux présents).
    Le caractère de la reine, c’était justement d’être plus qu’une femme, et c’est ce qui lui avait valu le respect des hommes, une sur-nature (exceptionnelle dans cet univers masculin). Reine éclairée, intrépide (son « courage » est une qualité virile) et la rime « intrépide/ timide montre bien le caractère exceptionnel de cette femme, « élevée au-dessus de son sexe timide ». Effectivement, aucun sentiment féminin se semble jusque là l’avoir touchée (cf. en 718 quand elle se vante de n’avoir jamais connu la pitié). Et ce que Mathan appréciait en elle, c’était la rapidité de la décision, donc la qualité de l’homme d’action, cf. les réactions de ses ennemis « surpris » (pris à l’improviste) par sa rapidité (cf. « d’abord ») C’était une femme de tête, qui « d’un instant perdu connaissait le prix » : car dans l’action, l’hésitation est fatale. Or c’est précisément sur ce point que le changement d’Athalie est le plus spectaculaire, car elle perd du temps maintenant avec des tergiversations continuelles :


    La peur d’un vain remords trouble cette grande âme.
    Elle flotte, elle hésite ; en un mot, elle est femme....

    (premier vers = la peur d’avoir un remords que Mathan juge vain, inutile, entrave son action) C’est une femme qui, au lieu d’être intrépide, a peur, mêle des considérations morales à une réflexion qui ne devrait être que politique. (noter le nombre de « e » muets dans ces deux vers, qui expriment la fluctuation, le trouble justement : le verbe « trouble » en tête du second hémistiche porte l’accent.)

    Ainsi la tragédie montre la transformation d’un « monstre » en une femme de nouveau accessible à des sentiments moraux : un monstre finissant, à l’inverse de Néron. Le miracle tient à cette transformation spectaculaire qui étonne tant Mathan.

    Deuxième partie

    Matha rappelle les circonstances de sa première décision :

    J’avais tantôt rempli d’amertume et de fiel
    Son cœur déjà saisi des menaces du ciel...

    Mathan, comme Aman, c’est le méchant conseiller, celui qui transmet « l’amertume et le fiel » (noter la liaison entre le mot abstrait et le mot concret, une syllepse qui donne un sens concret au verbe remplir) et remarquer aussi le rejet de « son cœur », le zèle de Mathan dans cette fonction ne s’arrêtant pas aux bornes du vers...Ici Mathan apparaît comme celui qui cherche à contrebalancer l’impression du rêve, d’autant que cette femme hésitante semble désormais avoir besoin d’autrui pour prendre des décisions. Et il fait allusion à ce qu’on appris en II, 6 quand persuadée par Mathan elle veut faire prendre les armes à tous ses Tyriens (« Oui, vous m’ouvrez les yeux... ») mais en même temps elle demandait qu’on lui amène l’enfant, et sa vue va changer sa décision, et Mathan le constate en faisant deux suppositions : « soit qu’elle eût d’un songe effrayant diminué l’alarme » (le vers qui précède explique pourquoi : cet enfant « de ses parents dit-on rebut infortuné » n’est pas dangereux mais le « dit-on » montre que peut-être Mathan n’est pas de l’avis de l’opinion générale), et, seconde supposition : « soit qu’elle eût même en lui vu je ne sais quel charme... » : Athalie, désormais femme, devient sensible au « charme » (irrationnel) de l’enfant, Athalie, la meurtrière de ses petits-enfants, accessible à l’amour maternel ! (l’abondance incongrue de la voyelle « u » marque cette sorte d’incongruité qu’une femme comme elle puisse tomber sous ce charme.

    J’ai trouvé son courroux chancelant, incertain,
    Et déjà remettant sa vengeance à demain


    Le courroux n’en est plus un : « chancelant et incertain » reprennent les verbes « flotter et hésiter », et la rime incertain/demain montre cette incapacité à décider dans le présent (ce qui s’oppose précisément à ce qu’il disait plus haut de cette reine qui « d’un instant perdu connaissait tout le prix ») Donc un comportement en totale opposition avec sa manière habituelle de gouverner.
    Héroïne proprement tragique, Athalie dans cette valse hésitation finit par être paralysée, et par ne plus pouvoir agir (cf. Pyrrhus ou Phèdre) : c’est que des deux côtés la solution est inexistante : « Tous ses projets semblaient l’un l’autre se détruire » (effectivement, soit elle se venge mais perd Joas, soit elle ne se venge pas, mais perd Joas quand-même !)

    Dernière partie

    On passe au style direct, Mathan veut montrer plus clairement son action persuasive sur la reine. Il voit bien que c’est l’entretien avec Joas qui a changé les dispositions de la reine, donc il sait qu’il faut convaincre Athalie du danger qu’il représente , et c’est le début de ses paroles retranscrites au style direct : « Du sort de cet enfant... » Mathan a une intuition et alors qu’il ne sait rien, il approche en fait de la vérité : au lieu d’un pauvre « rebut » cet enfant, insinue-t- il, a des aïeux illustres (peut-être est-il donc descendant des rois de Juda ?), il est montré aux factieux (donc une puissance peut-être légitime pour une révolution), on l’attend comme « un autre Moïse » (libération d’un esclavage et de la soumission au tyran, Pharaon ou Athalie), enfin les oracles « menteurs » dit Mathan, (mais prononcés par un prophète, donc crus des juifs) de Joad autorisent cette croyance. Autant de supputations vraisemblables dont la force provoque la réaction immédiate de la reine qui voit que son trône est en danger :

    Ces mots ont fait monter la rougeur sur son front
    Jamais mensonge heureux n’eut un effet si prompt

    La honte d’Athalie, cette rougeur sur son front, voilà encore une réaction inhabituelle. Quant au terme de « mensonge heureux » il s’adresse à Nabal et aux spectateurs : ce sont de pures conjectures, mais qui viennent peut-être d’une intuition machiavélique. Et les paroles d’Athalie sont citées au style direct : d’abord un premier vers où elle s’étonne de ce qu’elle est devenue

    Est-ce à moi de languir dans cette incertitude ?

    (est-ce bien moi ? elle ne se reconnaît plus ; et le verbe « languir » qui justement montre son inaction comme le terme « incertitude » qui résume toutes ses hésitations). Mais tout de suite après elle se reprend et le brusque impératif (« Sortons ») en tête de vers, prend d’autant plus de relief qu’il est séparé de son complément par l’incise « a-t-elle dit » et qu’il est répété ensuite, où l’on comprend qu’il veut dire « sortons d’inquiétude » mais le premier « sortons » sans son complément a aussi son sens concret : sortons du palais, et de fait c’est cette sortie qui entraînera sa mort, mais cette sortie ne sera concrétisée que par l’entrée dans le temple à l’acte V. Mais cet impératif montre qu’elle a retrouvé son pouvoir de décision, de prendre un « arrêt » comme elle dit : arrêt qui consiste à incendier le temple si l’enfant ne lui est pas apporté : sa décision est encore rendue plus certaine par l’emploi du futur proche « les feux vont s’allumer » comme par l’adjectif » tout prêt » « le fer est tout prêt ». Enfin une formule qui ne laisse aucune alternative : « Rien ne peut de leur temple empêcher le ravage » avec un dernier vers qui montre le chantage qu’elle impose : soit on me laisse l’enfant, « otage de leur foi » (ce qui me prouve donc leur fidélité) soit je détruis le temple.

    Enfin cet arrêt est signifié à Josabet, dans la mesure où cette femme, plus sensible à la pitié et à la peur, fera tout pour sauver et le temple et l’enfant, en lui livrant l’enfant...

    Conclusion

    • le rôle de Mathan
    • la métamorphose d’Athalie
    • Une décision ...dont le seul but est d’obtenir l’enfant et en réalité ce que dit Mathan avive son désir d’avoir Eliacin. Cette conscience du « danger » comme sa décision sont en réalité un alibi pour essayer de s’emparer de l’enfant.
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