MEMBRES DU GROUPE DE TRAVAIL :
Michèle LEDUC
Lucienne LETELLIER
Antoinette MOLINIE
Patrice DEBRE
Didier GOURIER
Philippe ASKENAZY
Catherine JEANDEL
Jean-Pierre POUSSIN
Jean-Gabriel GANASCIA
RAPPORTEUR :
Michèle LEDUC
À lire et consulter également :
La liberté de la recherche soumise à des considérations politiques.
La liberté pour le chercheur de choisir son sujet de recherche peut se trouver contrainte par des considérations diverses liées à la politique.
La stratégie diplomatique des États s’impose aux chercheurs
Les gouvernements déploient à l’international une diplomatie qui comporte des options d’ordre scientifique. Certains domaines peuvent sembler plus importants que d’autres au vu des intérêts propres de l’État et du développement à moyen et long terme du ou des pays avec lesquels il collabore. Ainsi des recherches portant sur le développement des ressources énergétiques peuvent sembler prioritaires par rapport aux études des maladies tropicales dans un pays en développement. Les programmes internationaux ont leurs propres normes, stratégies et financements, avec des règles non homogènes : par exemple les règlementations pour la recherche médicale du NIH (National Health Institute aux États-Unis) ou de l'Europe sont différentes. Les financements multilatéraux ou bilatéraux ont leur propre politique, qui est bien évidemment variable et dépend d'accords entre partenaires. De leur côté, les grandes institutions de recherche ont chacune leur stratégie à l’international. De tout ceci il résulte des options globales avec des objectifs, des priorités et des échelles de temps qui ne correspondent pas forcément au libre choix des chercheurs.
La recherche peut devenir aussi le moteur d’une « stratégie diplomatique » dont le contrôle échappe aux chercheurs. Celle-ci est alors mise en œuvre par un pays puissant qui peut s’en servir pour négocier des rapports de force qui vont bien au-delà de l’activité scientifique. Ainsi, la recherche en archéologie, par exemple au Moyen-Orient, outre les risques qu’elle oblige à prendre, est particulièrement sensible aux orientations des régimes qui administrent les vestiges qu’elle est appelée à étudier. Elle est souvent instrumentalisée par des négociations à l’international.
Les freins à la circulation des idées, des personnes et du matériel de recherche
Le principe de libre circulation des idées comporte des exceptions. Certains territoires par exemple verrouillent les échanges par Internet. Certes, les chercheurs trouvent d’autres façons de communiquer entre eux par des réseaux parallèles ou des échanges privés entre collègues, mais leur recherche peut s’en trouver freinée. La circulation des scientifiques est également dépendante de beaucoup de facteurs. Elle est de toute façon nécessairement tributaire de la limitation des visas, dont les règles fluctuent en fonction de la conjoncture politique. Elle peut même se heurter à l’arbitraire quand un pays bloque le droit d’entrée sur son sol aux ressortissants de certains pays étrangers, ou encore quand certaines parties de son territoire sont interdites aux chercheurs. Certains régimes autoritaires infligent aux chercheurs un contrôle quotidien en leur imposant de former un étudiant qui, de fait, se révèle être un espion de leurs activités.
La promulgation de décrets liberticides touchant à la libre circulation des personnels de recherche a des conséquences désastreuses sur les collaborations scientifiques et peut être une cause de brain drain. Remarquons aussi que la libre circulation du matériel de recherche (cellules pour la biologie, échantillons chimiques, lasers et autres appareillages scientifiques d’importance supposée stratégique...), ainsi que celle des programmes informatiques, peut se trouver bridée par des lois propres à chaque pays ou par des mesures d’embargo décidées à l’échelon mondial. La lenteur extrême des approvisionnements en matériel de laboratoire, même s’ils ne sont pas bloqués officiellement, est aussi une cause de très grave difficulté pour les chercheurs de certains pays en voie de développement. Un frein évident pour leur recherche est aussi le coût du matériel et des équipements.
De fait, des contraintes de toutes sortes pèsent sur la liberté des chercheurs en fonction de la nature du régime des pays où ils sont amenés à travailler. Dans les États où règne l’arbitraire, et même dans certains États considérés comme démocratiques, des pressions peuvent s’exercer pour orienter les recherches en fonction des options du pouvoir en place résultant d’a priori idéologique ou d’intérêts économiques considérés comme prioritaires. C’est le cas quand la négation de l’origine anthropique du réchauffement climatique est la position officielle d’un gouvernement. Des idéologies découlant de croyances religieuses peuvent aussi imposer leur vision de la science à des populations entières, promouvoir la négation de vérités scientifiques avérées1, ou même s’opposer frontalement à des avancées en médecine telles que la vaccination. C’est ainsi que, dans un nombre croissant de pays dans le monde, le créationnisme et l’intelligent design sont mis en parallèle dans l’enseignement avec les évidences de l’évolution darwinienne, qu’on tente ainsi de réfuter – remarquons d’ailleurs que dans ce cas les partis pris idéologiques rejoignent souvent des options politiques. Le chercheur voit alors sa liberté fortement restreinte : les budgets alloués à certaines recherches sont coupés, l’accès aux données existantes est bloqué, la conservation des données personnelles est menacée ; il doit alors déployer des stratégies de contournement pour sauvegarder le patrimoine intellectuel acquis. Pour la première fois dans l’histoire, une marche mondiale pour la liberté de la science et des chercheurs en avril 20172 a réuni des dizaines de milliers de participants, chercheurs et citoyens, solidaires des résistants à l’arbitraire des régimes politiques.
Le contexte politique dans lequel une équipe travaille risque aussi de lui imposer des contraintes d’ordre moral et de la mettre face à un dilemme. En divulguant leurs résultats, les chercheurs peuvent se trouver objectivement en position de cautionner un régime autoritaire. Ainsi des données de démographie peuvent être utilisées pour justifier des décisions relatives à l’immigration, des résultats ethnographiques invoqués dans des traitements discriminatoires vis-à-vis de populations autochtones. Le chercheur ne peut ignorer l’instrumentalisation qui peut être faite de ses recherches dans la propagande politique d’un État de non-droit. Toutes ces dérives et ces contraintes imposées à la recherche par le contexte politique exigent alors des scientifiques une vigilance accrue3. Celle-ci doit s’exprimer au sein de leur communauté de travail, auprès de leurs institutions, et aussi face à leur représentation politique.
La recherche dans les pays en guerre
La recherche dans les zones de conflit est un cas extrême pour le chercheur, à la fois par les limites imposées à sa liberté sur le terrain et par les responsabilités qui découlent des circonstances particulières d’exercice de son travail. De façon générale, la communication des résultats d’une recherche peut être soumise à un contrôle arbitraire ; sa circulation sur le terrain d’enquête peut être limitée ; la poursuite de recherches peut être conditionnée par des compromis dont l’éthique est contestable. Le chercheur peut sembler cautionner un régime meurtrier en acceptant de participer sur son sol à des activités telles que des colloques. De plus ce chercheur peut courir des risques, ou en faire courir à ceux qui seraient amenés à lui porter secours. Dans toutes ces situations, il ne saurait exposer ses partenaires locaux, qui ne bénéficient guère en général des mêmes protections que lui.
Il peut arriver aussi que des chercheurs dont les travaux portent sur des sujets liés au terrorisme soient mis en position délicate. Il est arrivé que le nom et l’image de chercheurs travaillant sur les sources de la radicalisation se retrouvent à l’affiche de la propagande de groupes justement affiliés au terrorisme, particulièrement après le lancement de programmes sur ces thèmes à la suite des attentats qui ont frappé la France. Leur nom et leur image peuvent être utilisés à rebours de leur propos et de leurs opinions pour soutenir une cause sans leur accord. À l’extrême ils peuvent eux-mêmes faire l’objet de menaces, directement ou sur les réseaux sociaux. Dans tous ces cas l’institution qui les emploie a la responsabilité de les conseiller et de les protéger.
Ces situations d’une grande actualité posent de nombreuses questions éthiques et mettent le chercheur face au dilemme entre liberté et responsabilité.
Recommandations :
Responsabilité du chercheur face à la société et à l’environnement
- Il est de la responsabilité de la communauté des chercheurs de s’opposer collectivement à la diffusion par certains médias et réseaux sociaux de contre-vérités lorsqu’elles contreviennent de façon manifeste et évidente à ce que la science permet d’appréhender.
- Le chercheur doit être libre de déterminer l’orientation de ses sujets d’étude. À cette fin, les institutions doivent le préserver des pressions d’où qu’elles viennent, qu’elles soient d’ordre religieux, politique, économique ou idéologique. Il est de sa responsabilité d’exercer une forte résistance aux limites infondées que l’on imposerait de l’extérieur à la liberté de la science. En contrepartie, il s’engagera à respecter les règles morales et les moratoires décidés par l’ensemble de la collectivité scientifique.