Un peu de vocabulaire
Un astronome établit des lois (nomos, loi, règle en grec) fondées sur le raisonnement scientifique pour décrire l’univers, tandis qu’un astrologue se livre à un discours (logos) qui n’a pas de fondement scientifique.
Une cosmographie (cosmos, "univers organisé" en grec) est une description astronomique de l’univers.
Un planisphère (en latin, planus, "qui a une surface plane" + sphaera, "sphère") est une projection plane des deux hémisphères du globe terrestre.
Une mappemonde (mappa mundi) est une "carte du monde" représentant toutes les parties du globe terrestre divisé en deux hémisphères inscrits chacun dans un grand cercle.
Un astrolabe planisphérique (du grec ἀστρολάβος, astrolabos, passé par le latin médiéval astrolabium, littéralement "preneur d'astres") est un instrument de mesure du temps et de l’espace inventé par les Grecs, perfectionné par les Arabes, qui en ont transmis la technique à l’Occident.
Les noms géocentrisme et héliocentrisme sont composés à partir du nom "centre" (augmenté du suffixe -isme pour signifier "théorie") et des racines grecques géo- (terre) et hélio- (soleil).
À consulter :
La fiche planète dans Lexique & culture.
Aujourd’hui, Hypatia est célébrée comme une héroïne de la science, mathématicienne et astronome hors pair, victime des préjugés obscurantistes qui voulaient la faire passer pour une "sorcière". Selon certains de ses biographes modernes, elle défendait une théorie très en avance pour son temps : l’héliocentrisme, qui postule le mouvement des planètes, dont la terre, autour du soleil (hélios en grec), immobile au centre de l’univers.
Dans le film Agora (Alejandro Amenabar, 2009), on peut voir Hypatia en train de se livrer à ses travaux d’astronomie. En particulier, elle construit une sorte de "planétarium" miniature avec des pelotes de fil de différentes tailles : elle étudie ainsi le mouvement des planètes (les petites sphères) autour de la grosse sphère centrale, le soleil. De la main, elle met en œuvre le système de l’épicycle : les planètes ne semblent pas être toujours fixées au même endroit, mais elles tournent sur un deuxième petit cercle, ou "sur-cercle" (épikyklos en grec), en même temps qu'elles parcourent leur grande trajectoire circulaire atour du soleil.
La "sphère" et la "révolution" de l’héliocentrisme
À une époque où certains individus (16% de la population aux États-Unis), les « platistes », répandent leur théorie sur les réseaux sociaux – la terre n’est pas ronde, mais plate –, il paraît utile de poser les jalons d’une réflexion sur le plan historique et scientifique.
Du disque au globe
Première assertion scientifique "révolutionnaire", posée par de grands astronomes de l’Antiquité, dont l’érudit Théon (env. 335-405), dernier directeur de l’École d’Alexandrie, père d’Hypatia, et Hypatia elle-même, qui a reçu l’enseignement de son père : la terre n’est pas plate mais ronde.
Pour les auteurs les plus anciens, comme Homère, la terre était un disque plat entouré par les eaux du "vaste Océan", l’aîné des Titans (voir l’article "Le vaste Océan" dans le dossier "Au-delà des Colonnes d’Hercule"). Par la suite, au contact des idées venues des mages babyloniens et des prêtre égyptiens, certains "philosophes" grecs, dont Pythagore (env. 580-495 avant J.-C.) serait le premier, affirment que la terre est une σφαῖρα (sfaῖra, balle), une "sphère" placée au centre de l’univers.
Géographe et astronome alexandrin, Ptolémée (env. 90-168 après J.-C.) résume tous les apports de la science gréco-romaine : son œuvre constitue la cosmographie de référence, la seule jusqu’au XVIe siècle. Elle présente la première projection planisphérique de l’orbis terrarum ("le cercle des terres") déroulé comme une "serviette de table" (mappa) : modèle de toutes les mappae mundi ("cartes du monde", voir le terme map en anglais) du Moyen Âge et de la Renaissance, c’est la base de la cartographie moderne.
La carte du monde habité (oikouménè) d’après la Cosmographia de Ptolémée, édition d’Ulm parue en 1482. La "grille" des latitudes et des longitudes permet de situer tous les points du globe.
© Wikimedia commons.
Les sphères célestes
À partir du VIe siècle avant J.-C., les astronomes grecs ont conçu des modèles géométriques pour calculer les mouvements des "corps célestes". Ptolémée les reprend et les perfectionne : il fixe les bases d’un système abondamment commenté par ses disciples, dont Théon d’Alexandrie, suivi par sa fille Hypatia.
Ce système est modélisé par la sphère armillaire (du latin armilla, cercle, bracelet), aussi connue sous le nom d’astrolabe sphérique : une combinaison d’anneaux métalliques gradués, emboîtés les uns dans les autres, représente le monde céleste avec le mouvement des astres autour d’un centre fixe, la terre. l’univers apparaît ainsi comme un espace "fini", harmonieusement réglé par le "démiurge" (la puissance qui gouverne le cosmos).
La méthode et les calculs de Ptolémée seront utilisés dans toute l’Europe, mais aussi dans le monde arabophone et jusqu’en Inde : ils servent de bases aux astronomes, aux astrologues, aux concepteurs de calendriers comme aux navigateurs.
Dessin d’un sphère armillaire (XVIe siècle). © Wikimedia commons.
Un "astrolabe planisphérique" conçu grâce à Hypatia
Dans une lettre adressée à Paionios, un haut fonctionnaire qui vit à la Cour de Constantinople, Synésios de Cyrène (env. 370-414), disciple d’Hypatia, évoque celle qu’il appelle "son maître vénérable" (ἡ σεβασμιωτάτη διδάσκαλος) ; cette lettre accompagne l’envoi d’un cadeau : un "astrolabe planisphérique" (le mot n’est pas prononcé) en argent, conçu grâce aux conseils d’Hypatia.
Πυθόμενός τε οὖν περὶ σοῦ παρὰ τῶν προλαβόντων ἐπὶ τὴν σὴν συνήθειαν, καὶ αὐτὸς δι´ ὀλίγου κατανοήσας ἐρῶ τοὺς ἀστρονομικοὺς σπινθῆρας ἐνόντας σου τῇ ψυχῇ τούτους ἐξάψαι καὶ ἐπὶ μέγα ἆραι διὰ τῶν ἐνόντων ἐπιβαλλόμενος· ἀστρονομία γὰρ αὐτή τε ὑπέρσεμνός ἐστιν ἐπιστήμη, καὶ τάχ´ ἀναβιβασμὸς ἐπί τι πρεσβύτερον γένοιτ´ ἄν· ἣν ἐγὼ προσεχὲς ἡγοῦμαι πορθμεῖον τῆς ἀπορρήτου θεολογίας. ὕλην τε γὰρ ὑποβέβληται τὸ μακάριον οὐρανοῦ σῶμα, οὗ καὶ τὴν κίνησιν νοῦ μίμησιν εἶναι τοῖς κορυφαιοτάτοις ἐν φιλοσοφίᾳ δοκεῖ· καὶ ἐπὶ τὰς ἀποδείξεις οὐκ ἀμφισβητησίμως πορεύεται, ἀλλ´ ὑπηρέτισι χρῆται γεωμετρίᾳ τε καὶ ἀριθμητικῇ, ἃς ἀστραβῆ τῆς ἀληθείας κανόνα τις εἰπὼν οὐκ ἂν ἁμάρτοι τοῦ πρέποντος. προσάγω δή σοι δῶρον, ἐμοί τε δοῦναι σοί τε λαβεῖν πρεπωδέστατον, διανοίας μὲν ἔργον ἐμῆς, ὅσα μοι συνευπόρησεν ἡ σεβασμιωτάτη διδάσκαλος, χειρὸς δὲ τῶν καθ´ ἡμᾶς εἰς δημιουργίαν ἀργύρου τῆς ἀρίστης, περὶ οὗ προδιαλεχθεὶς προὔργου τι ἂν τῷ σκοπῷ ποιήσαιμι.
« Voilà ce que m’ont dit de toi ceux qui ont été admis avant moi dans ton intimité ; et pour le savoir par moi-même, il m’a suffi de te connaître quelque temps. Je veux favoriser les penchants que je vois en toi pour l’astronomie, et par là t’élever plus haut ; l’astronomie est déjà par elle-même une noble science, et elle mène à une science plus divine encore. Je la considère comme la préparation aux mystères de la théologie : elle a pour objet le ciel, ce magnifique ensemble dont les révolutions semblent à d’illustres philosophes une imitation des mouvements de l’âme ; elle procède par démonstrations, et elle s’appuie sur la géométrie et l’arithmétique, que l’on peut regarder comme la règle infaillible de la vérité. Je t’apporte un présent, le plus convenable que je puisse t’offrir et que tu puisses recevoir : c’est un objet de mon invention. La vénérable philosophe dont je suis le disciple m’a aidé de ses conseils, et l’ouvrage a été exécuté par ceux qui sont le plus habiles dans mon pays à travailler l’argent. » (Lettre de Synésios à Paionios, trad. H. Druon, 1878)
L'astrolabe planisphérique ou astrolabe plan (du grec ἀστρολάβος, astrolabos, passé par le latin médiéval astrolabium, littéralement "preneur d'astres") est un instrument de mesure du temps et de l’espace inventé par les Grecs, perfectionné par les Arabes, qui en ont transmis la technique à l’Occident. Comme son nom l’indique, il permet d’effectuer divers calculs grâce à l’observation des astres ; sa construction repose sur la projection dite stéréographique des sphères céleste et terrestre, ainsi que des élévations du soleil au-dessus de l’horizon sur un plan, celui de l’équateur.
Dessin d’un astrolabe planisphérique. © Wikimedia commons.
L’héliocentrisme
Les travaux d’Hypatia sont mis en relation avec une autre assertion scientifique "révolutionnaire" : la terre n’est pas immobile, mais elle tourne autour du soleil.
Selon le témoignage du savant Archimède (288-212 avant J.-C.), c’est à l’astronome et mathématicien grec Aristarque de Samos (env. 310-230 avant J.-C.) que l’on doit l’hypothèse héliocentrique.
Ἀρίσταρχος δὲ ὁ Σάμιος ὑποθέσιών τινων ἐξέδωκεν γραφάς, ἐν αἷς ἐκ τῶν ὑποκειμένων συμβαίνει τὸν κόσμον πολλαπλάσιον εἶμεν τοῦ νῦν εἰρημένου. Ὑποτίθεται γὰρ τὰ μὲν ἀπλανέα τῶν ἄστρων καὶ τὸν ἅλιον μένειν ἀκίνητον, τὰν δὲ γᾶν περιφέρεσθαι περὶ τὸν ἅλιον κατὰ κύκλου περιφέρειαν, ὅς ἐστιν ἐν μέσῳ τῷ δρόμῳ κείμενος, τὰν δὲ τῶν ἀπλανέων ἄστρων σφαῖραν περὶ τὸ αὐτὸ κέντρον τῷ ἁλίῳ κειμέναν τῷ μεγέθει τηλικαύταν εἶμεν, ὥστε τὸν κύκλον, καθ' ὃν τὰν γᾶν ὑποτίθεται περιφέρεσθαι, τοιαύταν ἔχειν ἀναλογίαν ποτὶ τὰν τῶν ἀπλανέων ἀποστασίαν, οἵαν ἔχει τὸ κέντρον τᾶς σφαίρας ποτὶ τὰν ἐπιφάνειαν.
« D'après ce qui est dit par Aristarque de Samos, le monde serait beaucoup plus grand que nous venons de le dire ; car il suppose que les étoiles et le soleil sont immobiles ; que la terre tourne autour du soleil comme centre ; et que la grandeur de la sphère des étoiles fixes dont le centre est celui du soleil, est telle que la circonférence du cercle qu'il suppose décrite par la terre est à la distance des étoiles fixes comme le centre de la sphère est à la surface. » (Archimède, L’Arénaire, 135, trad. F. Peyrard, 1807)
À la suite d’Aristarque, certains auteurs anciens, comme Sénèque (env. 4 avant J.-C. — 65 après J.-C.), envisagent la possibilité d’une remise en question fondamentale du système cosmique tel qu’on le conçoit à leur époque : c’est la terre qui tournerait dans un univers immobile dont elle ne serait donc plus le centre.
Illo quoque pertinebit haec excussisse ut sciamus utrum mundus terra stante circumeat an mundo stante terra vertatur. Fuerunt enim qui dicerent nos esse quos rerum natura nescientes ferat, nec caeli motu fieri ortus et occasus, nos ipsos oriri et occidere : digna res contemplatione, ut sciamus in quo rerum statu simus, pigerrimam sortiti an velocissimam sedem, circa nos deus omnia an nos agat.
Il nous importe aussi de savoir si c’est le monde qui tourne alors que la terre reste fixe, ou si c’est la terre qui tourne alors que le monde reste fixe. Car il est des philosophes qui ont affirmé que la nature nous emporte à notre insu, que ce n'est pas le ciel qui se lève et qui se couche, mais nous qui nous couchons et nous levons relativement à lui. Un problème digne de nos méditations, c'est de savoir quelle situation est la nôtre : si notre demeure est stationnaire ou douée du plus rapide mouvement ; si un dieu fait rouler l'univers autour de nous, ou nous autour de l'univers. » (Sénèque, Questions sur la nature, VII, 2, 3, trad. M. Charpentier, 1861)
C’est le début d’une véritable "révolution", scientifique et culturelle, dont l’astronome polonais Nicolas Copernic fera la démonstration – en latin – au milieu du XVIe siècle.
Quare hanc mihi operam sumpsi, ut omnium philosophorum, quos habere possem, libros relegerem, indagaturus, an ne ullus unquam opinatus esset, alios essemotus sphærarum mundi, quàm illi ponerent, qui in scholis Mathemata profiterentur. Ac reperi quidem apud Ciceronem primum, Nicetum sensisse terram moveri.
Pour cette raison, je me suis chargé de relire les livres de tous les savants que je pouvais avoir, pour rechercher si personne n'avait jamais été d'avis que les mouvements des sphères du monde étaient différents de ceux qu'établissaient les professeurs d'astronomie dans les écoles. Et, à vrai dire, j'ai trouvé chez Cicéron que Nicetus, le premier, s'est rendu compte que la Terre se déplace.
Coepi et ego de terrae mobilitate cogitare. Et quamvis absurda opinio videbatur, tamen quia sciebam aliis ante me concessam esse hanc libertatem ut quoslibet fingerent circulos ad demonstrandum phaenomena astrorum, existimavi mihi quoque facile permitti ut experirem an posito terrae aliquo motu firmiores demonstrationes quam illorum essent inveniri in revolutione orbium caelestium possent.
Je me suis mis moi aussi à réfléchir sur la mobilité de la terre. Et bien que ce point de vue parût absurde, pourtant, comme je savais qu'on avait accordé à d'autres avant moi la liberté d'imaginer des cercles selon leur idée pour démontrer les phénomènes astronomiques, j'ai jugé qu'il me serait aisément permis, à moi aussi, de rechercher si, une fois posé le principe d’un mouvement pour la terre, on pouvait trouver des démonstrations plus solides que les leurs dans la révolution des sphères célestes.
Nicolas Copernic, De Revolutionibus orbium coelestium (Sur les révolutions des globes célestes, extraits de la préface, trad. A. C.), texte publié en 1543.