Jason, un héros inspirant
Jason et le mythe de la Toison d’or ont favorisé la création de nombreuses œuvres. Homère y fait de brèves allusions dans l’Iliade et l’Odyssée, indiquant l’existence antérieure d’une geste épique. Hésiode mentionne ce mythe. Pindare, au Ve siècle avant J.-C., consacre sa Quatrième Pythique à l’aventure de Jason en Colchide. Au IIIe siècle avant J.-C., c’est Apollonios de Rhodes, dans les Argonautiques, qui retrace l’expédition de Jason dans une épopée de quatre chants. Puis, au Ier siècle après J.-C., Valérius Flaccus évoque à nouveau cette expédition dans son œuvre inachevée, les Argonautica.
Au Moyen Âge, la Toison d’or désigne un illustre ordre de chevalerie. La Toison représente alors Jérusalem qu’il faut délivrer des Infidèles, représentés sous les traits du Dragon.
Corneille écrit également une tragédie, La Conquête de la Toison d’or (1660).
Outre cette liste non exhaustive, nous trouvons des créations musicales ou des œuvres cinématographiques telles que Jason et les Argonautes (1963) de Don Chaffey dont les effets spéciaux de Ray Harryhausen ont marqué les esprits.
Jason, un héros « sans pouvoirs »
Chef des Argonautes, Jason se démarque de ses compagnons extraordinaires. Il n’est pas un héros à l’illustre ascendance divine et ne possède aucun pouvoir inouï…
Jason, un personnage « éclatant » qui renvoie à plusieurs modèles homériques
Dans les Argonautiques, Apollonios de Rhodes décrit Jason à travers de multiples images où domine l'éclat lumineux, et tisse ainsi de nombreux liens avec l’œuvre homérique. Son personnage apparaît, de fait, à la croisée de différents héros de l’Iliade. D’Achille, nous retrouvons ponctuellement la splendeur éclatante et martiale sur le champ de bataille, notamment lorsque Jason affronte les taureaux en Colchide. De Pâris, nous retrouvons l’éclat séducteur, qualité habituellement réservée aux femmes. Cette lumière et cette beauté resplendissantes qui auréolent Jason le place au-delà de tous les héros ainsi que le souligne notre citation.
Jason : de l’héroïsme à l’érotisme
Alors que notre héros embarque dans une expédition périlleuse pour conquérir la Toison d’or qui promet moult péripéties, le récit nous donne bien plus à voir des aventures érotiques que des exploits épiques. Ainsi, la première escale sur l’île de Lemnos est bien annonciatrice de ce que sera cette quête. Jason y succombe à l’amour auprès d’Hypsipyle et répond à ses avances en ces termes : « Hypsipylè, nous acceptons volontiers ton offre si agréable qui répond à nos désirs » (v. 836-837). Avec la disparition d’Héraclès, sous l’influence d’Aphrodite et d’Éros, l’amour occupe assurément la place centrale dans l’œuvre d’Apollonios de Rhodes : c’est bien l’amour de Médée et de Jason qui assure le succès de l’aventure. En séduisant la jeune princesse, l’Aisonide déploie une habile stratégie pour parvenir à ses fins. La pression des circonstances et l’évolution de ses sentiments l’amènent ensuite à éprouver de l’amour pour la jeune femme et à l’épouser. En cela, Jason nous amène à questionner l’épopée. Il apparaît comme un héros novateur qui introduit le lecteur à l’univers romanesque…
Jason, le « guérisseur »
L’étymologie du mot Jason nous renvoie au verbe ἰάομαι qui signifie « soigner, guérir ». Iά́̄σων, en grec ancien, est la forme masculine de Iᾱσώ, fille d'Asclépios, le dieu de la médecine.
Des commentateurs de la légende de Jason relient cette étymologie aux aventures du héros. Ainsi, le médecin et alchimiste allemand du XVIIe siècle, Michael Maier, considère Jason comme l’incarnation de « l’idée du médecin parfait » et la Toison d’or serait en fait « la suprême médecine recherchée par Jason médecin ».
Rappelons que le centaure Chiron passe pour avoir enseigné la médecine à Jason. Ce dernier s’unit, par ailleurs, à Médée dont le nom est issu de la racine indo-européenne *med-, *mēd-, renvoyant à la médecine. Cependant, nous ne voyons guère cette médecine à l’œuvre dans les textes évoqués ici. Cet art propre à Jason a été sans doute mis en avant dans une tradition bien antérieure aux récits qui nous sont parvenus.
Une ascendance royale et héroïque
Jason a pour père Æson, le roi légitime d’Iolcos (cité de Thessalie, au centre-est de la Grèce) chassé par son demi-frère Pélias. Il est le petit-fils de Créthée, le fondateur d'Iolcos selon Apollodore. Cette lignée paternelle en fait l’un des descendants d’Éole, héros et fondateur de la tribu des Éoliens. Éole est lui-même fils d’Hellen, le héros éponyme des Hellènes, l’ancêtre légendaire des Grecs, et de la nymphe Orséis.
La mère de Jason, en revanche, est plus difficile à identifier. Son nom diffère effectivement selon les auteurs. D’après Apollonios de Rhodes, il s’agirait d’Alcimédè, fille de Phylacos. Si l’on suit la version d’Apollodore (I, 9, 16), il serait le fils de Polymédé, la fille d’Autolycos et la sœur d’Anticlée. Polymédé serait donc la tante d’Ulysse et Jason, le cousin du célèbre héros « aux mille ruses ». Diodore de Sicile évoque, lui, une certaine Amphinome.
Jason intervient dans 6 séquences mythiques marquantes.
Premier épisode - Itinéraire d’un « homme à une seule chaussure »…
Lorsque Pélias s’empare du trône d’Iolcos, en Thessalie, il ne chasse pas son demi-frère Æson. Mais ce dernier et son épouse n’en redoutent pas moins le sort réservé à leur fils, leur héritier légitime. Ils mettent alors en place un stratagème, raconté par Jason lui-même dans la Quatrième Pythique de Pindare : ils feignent sa mort en célébrant ses funérailles puis confient, dans le plus grand secret, leur bébé, caché sous des langes, au centaure Chiron. Réputé pour sa sagesse et sa science, cet être hybride le nomme « Jason » et lui délivre son enseignement sur le mont Pélion.
Alors que Pélias consulte l’oracle d’Apollon à propos de son règne, il apprend qu’il lui faudra se méfier d’un homme chaussé d’une unique sandale, un mortel descendu de la montagne… Pindare précise même que son destin est d’être tué par un descendant d’Éole.
Les versions diffèrent quant au retour de Jason. D’après Apollodore, Pélias organise, au bord de la mer, un sacrifice en l’honneur de son père Poséidon : viennent y assister de nombreux jeunes gens dont Jason. En traversant le fleuve Anauros, il perd une de ses sandales en raison du courant… A sa vue, Pélias se remémore la prophétie et demande à Jason ce qu’il ferait si, selon un oracle, il était lui-même menacé de mort par un de ses concitoyens. Sous l’influence d’Héra peut-être, l’Aisonide (Jason) aurait répondu qu’il l’enverrait chercher la Toison d’or. Pélias le lui ordonne sur le champ. Selon l’auteur Pindare, il revient réclamer, à vingt ans, le trône d’Iolcos sous les traits d’un guerrier à la fière allure, la chevelure déployée, vêtu d’une peau de léopard, portant une lance dans chaque main mais n’ayant qu’une seule chaussure. Après avoir raconté son histoire devant Pélias et l’assemblée, il propose au tyran un marché. Ce dernier n’accepte de lui restituer le trône que si Jason rapporte la Toison d’or…
Cette fameuse Toison d’or était celle d’un bélier ailé qui avait sauvé de la mort Phrixos après l’intervention de Zeus et d’Hermès. Parvenu en Colchide, le jeune homme, sain et sauf, avait ensuite sacrifié l’animal à Zeus et étendu sa toison sur un chêne avant qu’Hermès ne la transformât en or et qu’elle fût gardée par un dragon ou un serpent selon les versions.
Deuxième épisode - Des préparatifs dynamiques : chantier naval et arrivée massive de héros
Dès lors, Jason organise son expédition afin de réaliser cette quête. Selon Pindare, il envoie des hérauts faire connaître son projet : l’élite des guerriers afflue bientôt au port d’Iolcos. Pour Apollonios de Rhodes comme pour Apollodore, le fils d’Æson fait appel à Argos, le fils de Phrixos. Celui-ci, inspiré par Athéna, construit un navire auquel on donne son nom, l’Argo. L’auteur romain Valerius Flaccus diffère en ce qu’il présente la déesse Héra (plus exactement Junon dans le texte latin) comme celle qui annonce l’expédition et lance le recrutement de l’équipage, tandis que (Athéna) Pallas mène la construction du navire. La liste des participants qui se lancent ensuite dans cette aventure, aux côtés de Jason, varie selon les auteurs. Longue, elle se compose d’illustres noms (plus ou moins cinquante princes et héros) mais peu de ces Argonautes jouent un rôle majeur. Nous pouvons citer entre autres Acaste, fils de Pélias ; Admète, prince de Phérès ; Castor et son frère Pollux ; Pelée, le père d’Achille, sans oublier Héraclès, son fidèle Hylas, et le poète Orphée.
Troisième épisode - « L’Argonaute, le héros qui prit la mer… »
Une fois les préparatifs achevés et les rites accomplis, les Argonautes naviguent vers l’orient, en direction de la Colchide (actuelle Géorgie). Leur première escale se déroule sur l’île de Lemnos, un lieu uniquement peuplé de femmes qui ont mis à mort tous les hommes (sauf le roi Thoas, descendant d’Ariane et de Dionysos, sauvé en secret par sa fille). Ils s’unissent à elles et Jason s’éprend de leur reine, Hypsipyle, la fille de l’ancien roi Thoas, l’unique homme rescapé. De cette union seraient nés deux garçons. Malgré sa promesse, Jason ne reviendra jamais auprès d’elle.
Une autre escale, sur l’île de Cyzique, les amène à affronter le roi local et ses troupes, alors que l’équipage avait été initialement bien accueilli. Pensant s’être éloignés de l’île, les Argonautes font face plus tard à une tempête et sont ramenés sur les côtes insulaires durant une nuit : dans la confusion, ils sont pris pour des ennemis, ils ripostent, et Jason tue le souverain sans l’avoir reconnu sur le moment. Les Argonautes réussissent à repartir après avoir accompli les rites religieux et funéraires attendus.
Après la disparition ultérieure d’Hylas enlevé par des nymphes et d’Héraclès parti à sa recherche, l’expédition progresse vers la Thrace et délivre par la suite le devin Phinée que les Harpies, ces créatures hybrides à tête de femme, au corps d’oiseau et aux griffes acérées, empêchaient de manger. Celui-ci révèle alors aux Argonautes comment atteindre la Colchide et quels dangers éviter pour conquérir la Toison d’or. Ainsi, ils peuvent passer les Symplégades, ces roches « qui s’entrechoquent » constamment, et leur navire n’est pas broyé grâce au stratagème de la colombe, envoyée en amont de leur propre passage entre ces roches flottantes.
Après d’ultimes péripéties, ils arrivent enfin en Colchide…
Quatrième épisode - La conquête de la Toison d’or, entre amour et dangers en Colchide…
Tandis que les Argonautes débarquent discrètement sur le sol de Colchide, Apollonios de Rhodes met en scène Héra et Athéna qui demandent le concours de la déesse Aphrodite et de son fils Éros afin que ce dernier rende Médée, la fille du roi Aiétès (Éétès ou encore Æétès selon les graphies employées), amoureuse de Jason, et l’aide à conquérir la Toison d’or.
Il est clair que l’impitoyable souverain, dans son palais, n’a aucune intention de laisser Jason repartir avec le précieux objet. Il décide toutefois de lui imposer une série d’épreuves… a priori insurmontables. En un seul jour, il doit ainsi atteler deux taureaux qui crachent des flammes, labourer un champ inculte consacré à Arès, y semer des dents de géants et éliminer ces derniers au fur et à mesure qu’ils naissent. S’il parvient à accomplir ces exploits, c’est grâce à la jeune princesse éprise du héros. En échange d’une promesse de mariage, Médée lui offre un onguent magique qui le protège des brûlures des taureaux au souffle de feu et elle lui conseille de lancer la pierre de Discorde contre les géants du champ d’Arès qui s’entretuent. Enfin, elle lui donne une herbe magique capable d’endormir le dragon, gardien de la Toison d’or. Valerius Flaccus propose une version différente de cet épisode : Jason et ses compagnons doivent tout d’abord livrer bataille contre le frère d’Aiétès. Ils gagnent mais parjure, le roi ne remet toujours pas la Toison d’or à Jason et lui impose l’épreuve des taureaux et l’ensemencement d’un champ avec des graines magiques qui font surgir des centaines de guerriers…
Cinquième épisode - Retour à Iolcos et « meurtre en famille »
Une fois la Toison d’or récupérée, les Argonautes et Médée fuient la Colchide. Aiétès envoie à leurs trousses son fils Apsyrtos (Apsyrte, Absyrte ou Absyrtos selon les versions). Médée et Jason complotent sa mort. La magicienne propose la dispersion des morceaux de son cadavre en mer pour ralentir son père qui recueille les restes macabres de son fils.
Jason rapporte alors dans sa patrie la Toison d’or à son oncle Pélias. Selon une version du mythe, le couple vit en bons termes avec Pélias. Mais, dans une autre version, Médée aide son époux à se venger de son oncle usurpateur qui aurait fait disparaître les parents de son mari. Sur les conseils de la magicienne qui a métamorphosé un vieux bélier en le rajeunissant sous leurs yeux, les filles de Pélias adoptent la même recette avec leur père : elles le coupent en morceaux et le font bouillir dans un chaudron mais aucune magie n’opère… Après cette effroyable mort du tyran, Médée et Jason sont bannis d’Iolcos…
Sixième épisode - « La triple mort » : mort d’un couple, mort d’une famille, mort d’un héros à Corinthe
Installé à Corinthe, selon une version connue du mythe, Jason vit quelques années de bonheur avec Médée dont il a deux enfants, Phérès et Merméros. Mais il désire l’abandonner pour épouser la fille de Créon (nommée Glauké ou Créüse), le tyran de Corinthe. Médée se venge en tuant sa rivale, le père de celle-ci et les enfants qu’elle a eus de l’Argonaute.
Après cet épisode tragique, plusieurs versions de la fin du héros co-existent. Dans l’une d'elles, il meurt écrasé sous la proue de la vieille carcasse de l’Argo, en proie aux souvenirs mélancoliques de ses aventures passées. Selon Diodore, il se suicide lorsqu’il apprend la mort de ses enfants. Dans une autre, il retournerait à Iolcos.
Ce que chante Apollonios de Rhodes :
Ἔνθ' οὔπω τις τοῖος ἐπὶ προτέρων γένετ' ἀνδρῶν,
οὔθ' ὅσοι ἐξ αὐτοῖο Διὸς γένος, οὔθ' ὅσοι ἄλλων
ἀθανάτων ἥρωες ἀφ' αἵματος ἐβλάστησαν,
οἷον Ἰήσονα θῆκε Διὸς δάμαρ ἤματι κείνῳ
ἠμὲν ἐσάντα ἰδεῖν, ἠδὲ προτιμυθήσασθαι.
Τὸν καὶ παπταίνοντες ἐθάμβεον αὐτοὶ ἑταῖροι
λαμπόμενον χαρίτεσσιν.
« Jamais, au temps des hommes de jadis, ni parmi les héros nés de Zeus lui-même, ni parmi ceux qui étaient issus du sang des autres immortels, nul encore n'avait encore égalé Jason tel qu'il apparaissait en ce jour, tant l'épouse de Zeus avait transformé l'aspect de sa personne et sa façon de parler. Ses compagnons eux-mêmes étaient saisis d'admiration à contempler les grâces dont il resplendissait. »
Apollonios de Rhodes, Argonautiques, chant III, vers 919-925, texte établi et commenté par Francis Vian, traduit par Émile Delage et Francis Vian, Paris, Les Belles Lettres, 1981.