Repères bibliographiques
(par ordre chronologique)
Freud Sigmund, L'interprétation des rêves (1899), PUF, 1967
Dodds Eric R., Les Grecs et l’irrationnel, chapitre IV, « Structure onirique et structure culturelle » (1951), Flammarion, 1965
Rolland Louis-Francis, « Pourquoi Énée sort-il des Enfers par la Porte d'Ivoire, la Porte des Songes faux ? (Énéide, livre VI, vers 898) », in Comptes rendus des séances de l’année, Académie des inscriptions et belles-lettres, 101e année, n° 2, 1957, pp. 185-188
Taffin André, « Comment on rêvait dans les temples d'Esculape », in Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°3, octobre 1960
Annequin Jacques, « Rêve, roman, initiation dans les Métamorphoses d’Apulée », in Dialogues d’histoire ancienne, vol. 22, n°1,1996, pp. 133-201
Guez Jean-Philippe, « Du rêve homérique au rêve posthomérique », in L'Antiquité classique, Tome 68, 1999, pp. 81-98
Devereux George, Les rêves dans la tragédie grecque, Paris, Les Belles Lettres, 2006
Bouquet Jean, Le songe dans l’épopée latine d’Ennius à Claudien, Bruxelles, Labor, 2001
Parrenin Christelle, « La Clé des Songes d’Artémidore et les notions d'espaces public et privé », in Dialogues d'histoire ancienne, vol. 27, n°1, 2001
Kentron, Revue disciplinaire du monde antique, Dossier thématique : « Le rêve et les rêveurs dans l’Antiquité », 27, 2011
Morel Pierre-Marie, « Perception et divination chez Aristote, images oniriques et moteurs éloignés », in Antiquorum Philosophia, 5, 2011
Cousin Catherine, « Le songe et la mort dans les poèmes homériques », in Gaia, revue interdisciplinaire sur la Grèce archaïque, numéro 18, 2015, pp. 103-115
« Dans le sommeil, l’âme mortelle est toute éclairée d’yeux,
à qui le don de voir est refusé quand vient le jour. »
Eschyle, Les Euménides, vers 104-105
Pour les Anciens, Grecs et Romains, les rêves constituent un lien entre l’homme et tout ce qui le dépasse : ils sont considérés comme un mode de divination, une forme de « parole en avant », au même titre que les présages et les oracles. Dans son Prométhée enchaîné, Eschyle les cite en premier dans l’énumération des procédés de la mantique - la μαντικὴ τέχνη, "l’art de celui ou celle qui prédit l’avenir" (μάντις, mantis) - dont il attribue l’invention à Prométhée.
τρόπους τε πολλοὺς μαντικῆς ἐστοίχισα,
κἄκρινα πρῶτος ἐξ ὀνειράτων ἃ χρὴ
ὕπαρ γενέσθαι...
« Les mille et un procédés de la divination, je les ai mis en système.
Le premier, j’ai distingué dans les rêves
ce qui doit se produire en plein jour ; j’ai fait comprendre aux hommes
le sens caché d’un nom ou d’un présage que l’on croise sur sa route.
J’ai différencié rigoureusement les vols
des oiseaux à la griffe crochue, la catégorie favorable
et celle qu’on ne nomme pas. J'ai classé les comportements
des diverses espèces, une par une, et leurs relations :
leurs haines, attirances et conjonctions.
J’ai expliqué les viscères et leur brillance, quelle couleur
la bile doit leur donner pour le plaisir des dieux,
et les formes nombreuses de la beauté du foie. »
Eschyle, Prométhée enchaîné (env. 470 av. J.-C.), vers 484-499
(traduction Myrto Gondicas et Pierre Judet de la Combe, Éditions Comp’Act, 1996)
Quant au philosophe moraliste Théophraste, il se moque du superstitieux qui se précipite chez un "spécialiste" ès sciences divinatoires pour interpréter ses rêves.
καὶ ὅταν ἐνύπνιον ἴδῃ, πορεύεσθαι πρὸς τοὺς ὀνειροκρίτας, πρὸς τοὺς μάντεις, πρὸς τοὺς ὀρνιθοσκόπους, ἐρωτήσων, τίνι θεῶν- ἢ θεᾷ - προσεύχεσθαι δεῖ.
« Quand il a une vision en rêve, il [le superstitieux] va chez les interprètes des songes, chez les devins, chez ceux qui observent le comportement des oiseaux pour leur demander à qui parmi les dieux - ou à quelle déesse - il doit adresser ses prières. »
Théophraste (env. 371-288 av. J.-C.), Caractères, 16, 11
Appliquée aux rêves, la mantique se nomme oniromancie. Cicéron (106-43 av. J.-C.) en donne une définition critique (voir dans l’article « Écrits sur le rêve : Cicéron »).
« Chrysippe définit la divination en ces termes : la faculté de connaître, de voir et d'interpréter les signes par lesquels les dieux manifestent leur volonté aux hommes. Sa fonction est de discerner par avance quelles sont les intentions des dieux à l'égard des hommes, ce qu'ils attendent d'eux, comment on pourra les satisfaire et se les rendre propices. Le même philosophe définit ainsi l'interprétation des songes (somniorum conjectionem) : c'est la faculté de voir et d'expliquer les avertissements que les dieux donnent aux hommes pendant le sommeil (vim cernentem et explanantem quae a dis hominibus significentur in somnis). »
Cicéron, De la divination, livre II, 63, 130 (traduction Charles Appuhn, 1936)
Précisons qu’en grec ancien, il existe trois termes pour désigner le phénomène du rêve : ὄνειρος (oneiros, m.), ὄναρ (onar, n., utilisé seulement au nominatif et à l’accusatif), appartenant tous deux à la même famille, et ἐνύπνιον (enupnion, n., littéralement "dans le sommeil"), qui a aussi le sens de "vision pendant le sommeil".
Le nom ὄναρ s’appliquant particulièrement au rêve nocturne s’oppose à ὕπαρ (upar), qui désigne la vision que l’on a en étant éveillé, comme dans l’expression homérique : οὐκ ὄναρ, ἀλλ᾽ ὕπαρ, « non en rêve, mais en réalité » (Odyssée, chant XIX, vers 547).
En latin, le nom masculin somnus signifie le sommeil et le nom neutre somnium, le rêve.
Puissance évocatoire entre conscient et inconscient, le rêve peut être étudié en tant qu’expression d’une volonté transcendante, comme porte-parole du destin, mais aussi, dans certains cas, comme une forme de lecture de l’inconscient, préfigurant l’approche de la psychanalyse, tel le rêve de Clytemnestre qui se voit allaitant un serpent.
Clytemnestre, l’épouse d’Agamemnon, et son amant Égisthe, ont assassiné le roi d’Argos à son retour de Troie. Depuis, la reine fait un cauchemar que le chœur tragique raconte à son fils Oreste.
« LE CHŒUR. C’est un songe effrayant qui perturbe ses nuits : aussi la créature impie, dès son réveil, a-t-elle dépêchée ici de tels hommages.
ORESTE. Mais ce songe, peux-tu m'en dire la teneur ?
LE CHŒUR. Voilà, elle donnait le jour à un serpent.
ORESTE. Quel est le dénouement ? Qu'a-t-elle raconté ?
LE CHŒUR. Eh bien, comme un bambin, elle l'emmaillotait.
ORESTE. Que réclamaient les crocs du nourrisson immonde ?
LE CHŒUR. Dans ce rêve, son sein allaitait ce serpent.
ORESTE. Quoi ! le sein n'était pas déchiré par la bête ?
LE CHŒUR. De gros bouillons de sang se mélangeaient au lait.
ORESTE. Ce n’est pas un simple cauchemar : c’est une vision symbolique d’un homme.
LE CHŒUR. Elle se réveilla d'un cri épouvantable : soudain tous les flambeaux, dont les yeux étaient clos par les vœux de la nuit, scintillent de concert sur son ordre. Aussitôt, elle fait envoyer des offrandes de deuil pour calmer ses émois.
ORESTE. Ah ! je supplie la Terre et le tombeau du père pour que sa vision se réalise un jour. Je vais l’interpréter avec lucidité. Si ce serpent est né du même sein que moi, s'il a été langé, pareil à un enfant, s'il a tété le sein qui m'a nourri, jadis, si, au lait maternel s'est mélangé du sang, dans un cri de souffrance, il me paraît fatal, du fait qu'elle a nourri une bête féroce, que son sang me revienne. Oui, je suis le serpent et je l'égorgerai, ce rêve le confirme ! »
Eschyle, Les Choéphores (759 av. J.-C.), vers 523-550 (traduction Alexis Pierron, 1870)
Pour commencer sa célèbre analyse consacrée au rêve, Sigmund Freud rappelle son interprétation la plus ancienne : "une manifestation des puissances supérieures".
« À une époque que nous pouvons nommer préscientifique, l’humanité n’était pas en peine d’interpréter ses rêves. Ceux dont on se souvenait au réveil, on les considérait comme une manifestation bienveillante ou hostile des puissances supérieures, dieux ou démons. Avec l’éclosion de l’esprit scientifique, toute cette ingénieuse mythologie a cédé le pas à la psychologie, et de nos jours tous les savants, à l’exception d’un bien petit nombre, sont d’accord pour attribuer le rêve à l’activité psychique du dormeur lui-même. »
Sigmund Freud, Le rêve et son interprétation, incipit, 1899 (traduction Hélène Legros, 1925)
Tête en marbre d’Hypnos provenant de la Villa Adriana, règne d'Hadrien (117-138), Palazzo Massimo alle Terme, Rome.
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