Esther, Jean Racine (1689). (II, 8)

Comment étudier les chœurs ?

  • nécessité dramatique
  • distribution des voix, du chant et de la parole
  • rapport au sujet

Enjeux de la scène

Nécessité dramatique : le départ d’Esther et d’Assuérus (ils vont écouter les prédictions) laisse le chœur sous la conduite d’Elise « Et vous, troupe jeune et timide / À l’abri de ce trône attendez mon retour » et justifie le chant qui termine l’acte.

Nécessité psychologique : les jeunes filles échangent leurs impressions sur ce qu’elles ont vu, c’est-à-dire le changement d’Assuérus.

Mouvement

D’abord sur un mode déclamatoire (comme la quasi-récitation qui précède le chant proprement dit du chœur grec) ni dialogue, ni chant (comme un récitatif avec probablement un accompagnement au clavecin). Puis le lyrisme augmente et la scène devient une prière chantée (cf. les Béatitudes) « tout le reste est chanté »
Le rôle d’Elise est capital : elle est le coryphée ; c’est elle qui par ses différentes interventions indique les différents moments de la scène :

711 « Que vous semble mes sœurs .... » : on lui raconte le passage de la colère à la fin de la colère, (721) et à son retour possible (736)
752 « Quoi, fille d’Abraham, une crainte mortelle... » : crainte d’Elise
779 « Je n’admirai jamais la gloire de l’impie... » : description du faux bonheur de l’impie On passe du commentaire de ce qui est arrivé à l’affirmation de la fidélité envers Dieu seul capable de dispenser le vrai bonheur qui s’oppose à la gloire de l’impie. Et l’incertitude de l’avenir se conforte par la croyance dans la Résurrection qui apparaît comme le bonheur éternel : « Prions.... »

Soulignons que la prière finale constitue un élément indispensable pour inciter à agir (cf. la prière d’Esther aussi). Et du reste, le principal intérêt de cette scène est de porter au plan supérieur les enjeux humains

Première partie

En trois mouvements : colère/douceur/avenir.
La métrique et les voix : alternance de parties chantées et de parties déclamées. Les parties chantées tantôt à plusieurs (deux fois pour le chœur) tantôt à une voix (une israélite chante à deux reprises). Donc un dialogue à plusieurs, mené par Elise qui alterne questions et exclamations.
Les strophes sont d’un nombre variable de vers et elles sont toujours hétérométriques. Les rimes ne correspondent pas à des vers identiques par la métrique.
Aux trois mouvements de cette partie (711-720 ; 722-734 ; 734-749) se juxtaposent trois autres mouvements selon lesquels se distribuent les masses strophiques :

- une strophe de 6 vers (4 rimes croisées, et deux plates) déclamée

- deux strophes, l’une de 14 et l’autre de 11 vers à 4 rimes pour la première et 3 rimes pour la seconde

- une strophe de 6 vers (4 rimes embrassées et un retour des deux premières rimes ab) chantée

Ainsi la non-concordance des deux mouvements permet d’effacer la rupture qu’aurait entraînée un changement de sujet.


Premier mouvement : la colère du roi

Les premiers vers d’Elise marquent son incertitude : cf. tous les sujets possibles de la phrase :

Esther, Aman, Dieu, les hommes : l’identité syntaxique montre les éventualités possibles ; le verbe « éclater » (« dont les oeuvres vont éclater » signifie « briller, se manifester avec force. Elise fait ensuite allusion à ce qui vient de se passer : l’ardente colère du roi qui animait « son visage sévère » (= qui pardonne difficilement) et la même métaphore réapparaît avec les mots « ardent, allumer, éclair » (qui signifie à la fois le feu et l’éclat qui éblouit)

Et sa voix m’a paru un tonnerre horrible

est le vers de conclusion dit par la deuxième israélite : le vers reprend la rime qu’on n’a cessé d’entendre : -ère et
-i (tonnerre horrible) cf. les mots « sévère, éclairs, tonnerre, ébloui, colère... Une terreur naïve du roi, comme des enfants l’auraient pour leur père.


Deuxième mouvement :

déjà lancé par les deux rimes précédentes : ébloui-horrible-terrible- évanoui dont il faut souligne l’assonance, l’ensemble formant comme une laisse avec six fois de suite le même son (donc une sorte d’homogénéité sonore). Après les deux remarques des deux jeunes filles qui constituent comme un chant amoebée, une question d’Elise plus brève où les mots « courroux terrible » s’opposent à l’expression « en un moment évanoui d’autant plus que les sons se ressemblent (alternance [ou]/ [i]). Elise constate ce retournement admirable, et le mot de « moment » repris par le chœur est capital : il dit la « catastrophe », le changement de sens des événements, et on voit son commentaire fait par le chœur :

Un moment a changé ce courage inflexible
Le lion rugissant en un agneau paisible

Remarquer la proximité des rimes et le passage du COURroux au COURage ; et précisément la rime inflexible/paisible, comme elle est prolongée par les rimes (plus bas) fertile/docile efface le mot « inflexible » pour ne faire entendre que des mots exprimant la douceur (de même que « courroux » va amener « douceur »). La comparaison est biblique et montre, comme les sonorités, la métamorphose d’Assuérus.

Le chœur interprète les événements comme le résultat de l’action divine : « Dieu, notre Dieu sans doute... » en indiquant ce qui n’apparaît pas dans la pièce, c’est-à-dire la présence de Dieu.
Enfin le commentaire de cette action divine referme le second mouvement avec une comparaison : après la comparaison avec les animaux (lion/agneau) une comparaison tirée de la nature : le ruisseau irrigué :

Tel qu’un ruisseau docile 
Obéit à la main qui détourne son cours...

Soulignons le retour des mêmes sonorités ([ou] et[i] mais cette fois dans l’ordre inversé :

« docile, obéit/ détourne son cours » (et dans « cours » on entend aussi le courroux évoqué plus haut. Mais ici, de même que le « cœur » rime désormais avec la « douceur », le « cours » rime avec « secours » : le bon roi comme ce ruisseau met sa force au service du bien public, pour fertiliser le champ irrigué et ce sera l’action d’Assuérus envers les Juifs. Enfin souligner l’apparition de la MAIN : celle qui sait détourner l’eau d’un ruisseau désormais docile, c’est aussi la main de Dieu, le miracle, qui rend docile le cœur du roi. C’est ce qu’expliquent les deux derniers vers :

Dieu de nos volontés arbitre souverain
Le cœur des rois est ainsi dans ta main !

Ce dernier vers étant une citation déjà faite en I,1 du livre des Proverbes.
Troisième mouvement, déjà embrayé par la rime souverain/main qui réapparaît dans « humains/mains plus bas, et la répétition de « MAIN » est voulue : le chœur sait voir la marque des actions divines ; et l’harmonie des vers est encore plus grande du fait qu’Elise commence sur un même son :

Ah ! que je CRAINS mes sœurs, les funestes nuages...

Elise redoute un revirement d’Assuérus et une nouvelle image apparaît, celle des « nuages » (toujours la nature) qui reprend « l’orage » du début , et qui évoque l’idolâtrie d’Assuérus : ces funestes nuages sont en effet causés par des « images » auxquelles il rend « hommage » (tous ces mots sont à la rime).
L’ensemble forme une strophe de 11 vers répartis en 6 voix, la dernière étant celle du chœur qui chante. Ici Racine reprend un thème fréquent dans la Bible : la lutte dont Israël est investi par Dieu pour détruire les faux dieux et faire triompher le monothéisme. On observe tout un jeu entre l’ombre et la lumière (nuages, aveuglement, feux, obscurcissements) et le culte à de faux dieux se décrit comme un usage de « noms odieux », l’adoration des « astres » et des « images » : c’est donc adorer ce qui a été crée au lieu du créateur, ou adorer des représentations qui se substituent à Dieu : idée d’une fausse lumière qui en réalité aveugle. Ici le jeu des sons est produit par l’alternance [u]/ages/ ieux. Et de même qu’on entendait 4 rimes en « -oeur » dans le premier ensemble, on entend ici 4 rimes en « -ieux ».

Ce dernier mouvement se termine sur une prière chantée par une strophe de 6 vers symétrique de la première intervention d’Elise. De nature phonique complètement différente cf. les rimes « -ombres/-é » : fermeture d’une strophe en abbaab hétérométrique, d’une strophe capitale qui d’abord prolonge l’image de la lumière et de l’ombre : Le monde comme Assuerus sont plongés dans la nuit. Les juifs eux-mêmes comme ces jeunes filles sont à la recherche du sens, et le vrai miracle auquel elles ont assisté ne leur suffit pas car on ne sait pas justement si Assuérus sera durablement transformé. Donc la prière demande à dieu de se dévoiler : donc qu’apparaisse de façon lisible le sens des renversements auxquels on assiste : dévoilement d’une présence qui se retire dès que les juifs cessent d’être fidèles ; et les deux premiers vers font allusion au repentir qui devrait entraîner la nouvelle manifestation de Dieu.

Nous ne sommes plus dans le jansénisme dur, mais dans cette forme plus modérée où Dieu n’est pas réellement absent mais présent et caché. Esther raconte ce moment où Dieu se cache pour laisser les hommes lire d’eux-mêmes qu’il est bien là. Le miracle a lieu, mais il faut savoir le voir, ce qui est une chose difficile ; c’est pourquoi le chœur demande à Dieu que le miracle éclate tout seul. Le jeu entre les sons ouverts et fermés, le nombre des nasales montrent cette aspiration à la lumière et tout ce qui y contrevient.
Le problème posé est donc de nature purement théologique : Dieu peut-il encore apparaître ? (N’oublions pas qu’un commentaire biblique relie expressément le nom d’Esther au « retrait » de Dieu annoncé dans l’Exode si les juifs sont infidèles envers leur dieu (Je voilera ma face...) Le chœur exprime son découragement et symboliquement la première partie est passée de l’ombre à la lumière.

Deuxième partie

Annoncée par deux vers de transition c’est une des plus jeunes qui parle, parce qu’elle a peur d’être entendue, et elle se fait reprendre vigoureusement par Elise. L’ensemble s’ordonne en quatre parties de couleurs différentes :
- Première « strophe » (750-57) 8 vers ababcddc
- Deuxième strophe : 5 vers aabba (l’autre israélite)
- Troisième strophe 8 vers abba / cbcb (la jeune israélite + le chœur )
- Quatrième strophe : 9 vers qui assonent tous en [i] la rime féminine alternant avec la rime masculine. Les deux derniers vers de cet ensemble appartiennent au troisième mouvement de la scène et assurent donc la transition.
Ce mouvement est très dialogué : il fallait montrer ce qui se passe dans le cœur de la jeune israélite : il y a donc correspondance entre les strophes et les répliques (sauf pour la répartie très vive d’Elise)
Ce mouvement s’articule psychologiquement sur la crainte de la jeune israélite qui d’abord timide, affirme sa foi sous la forme d’interrogations rhétoriques. Ces affirmations sont reprises par le chœur entier d’abord sous forme négative puis sous forme positive (dans deux souhaits) et de l’incertitude qui ouvrait la dernière partie du premier mouvement, on passe à la détermination.
Le « Fille d’Abraham » est un rappel de l’antique alliance, et le vers avec ses interjections, ses adverbes, son tour interrogatif montre la véhémence d’Elise qui ne craint pas d’évoquer le pire pour justement prévenir la crainte (« Hé ! si l’impie Aman... »)avec une image d’épouvante (faire luire un glaive menaçant) rendue plus terrifiante par toutes ces assonances en [i], celles du cri de terreur (si, impie, homicide, luire)(et noter toujours comment un complément concrétise un mot qui peut être abstrait cf. « luire un glaive ») Cette image montre de façon directe une scène de persécution, comme il y en eut au XVIIème quand on forçait les infidèles ou les jansénistes à abjurer et donc à « blasphémer le nom du Tout- Puissant » sacrilège d’autant plus grand que celui qu’on blasphème est le tout-puissant ; on passe de la vue (l’éclat du glaive) à la parole : et surtout des yeux à la bouche : toujours caractère très concret de la description et le « luire à vos yeux » prend plus de sens à cause la « bouche » un peu plus loin.

La deuxième strophe précise les circonstances éventuelles de ce blasphème : « Peut-être Assuérus, frémissant de courroux... » D’Aman on passe à celui qu’il influence, et qui a le pouvoir : roi capricieux qui exprime le retour de la crainte du premier mouvement et même à la colère initiale d’Assuérus (avec la reprise du terme de « courroux ») dont on a vu à quel point elle était terrible ! Le rythme est plus rapide ; le tempo traduit l’angoisse. L’expression «Au nom du tout-Puissant» s’oppose à «muette idole» (qui ne parle pas), et cette éventualité se termine sur une adresse directe à la jeune israélite:«Chère sœur, que choisissez-vous ?... ».

La réplique consiste en 4 vers déclamés puis le reste est chanté mais les 4 vers appartiennent à l’ensemble chanté (rimes abba/ cb’cb’ : la rime b est en –tu et la b’ est en –du) : deux questions rhétoriques qui équivalent à une véhémente affirmation de fidélité à Dieu : « Moi, je pourrais trahir le Dieu que j’aime... »

La « strophe » est construite sur une antithèse à valeur argumentative : il est impossible de trahir un dieu qui existe pour un dieu qui n’existe pas : « Trahir un Dieu que j’aime/ Adorer un dieu sans force et sans vertu/ Reste d’un tronc par les vents abattus » : Comment le dieu qui a été abattu par les vents pourrait-il être puissant ? : remarquer la réduction : même pas un arbre ni un tronc, mais « le reste d’un tronc » : un dieu fait d’un morceau de bois, et incapable de se sauver lui-même (et a fortiori de sauver les autres)

Le chœur reprend en caractérisant à nouveau les faux dieux : « Dieux impuissants, sourds » (qui annonce « ne seront jamais entendus » : les méchants ne seront jamais exaucés). Ainsi le chœur utilise la réponse de la jeune israélite pour prendre confiance : si ce sont des faux dieux, jamais Aman ne pourra faire ce qu’il veut. Et il finit sur une imprécation « Que les démons.... »

La fin de ce mouvement est une conclusion dominée par cette note lancinante du –i tantôt féminin, tantôt masculin : prière positive annoncée par le vocalisme en –i du dernier vers du couplet précédent (détruits et confondus). Opposition entre « le dieu qui m’a sauvé » et le dieu incapable de se sauver lui-même ; affirmation d’une foi inconditionnelle « dans les craintes, dans les ennuis... ») et un nouveau sacrifice, par dévouement à Dieu avec l’opposition du « trépas » et de la « confiance de l’âme ».

Les deux derniers vers clôturent l’ensemble et sont une action de grâce à ce Dieu « qui a donné la vie », mais sont aussi une transition vers la troisième partie.

Troisième partie

Dans le droit fil de ce qui vient d’être dit, la conviction d’adorer le vrai dieu entraîne celle que l’impie sera toujours puni ; de l’affirmation de la foi, on passe à la description du sort qui attend le méchant, en dépit des apparences. Cette dernière partie se structure d’une part en deux mouvements opposés : la gloire apparente/ la damnation éternelle (et en contrepartie la résurrection des Justes). Et d’autre part sur le plan phonique une première série déclamée de 10 vers (6 + 4 en ccdd) puis deux longues séries chantées, l’une de 12 vers mais dont les premiers assurent la transition avec une même rime a (« Charmant » du premier vers de cette partie se réentendra dans le «florissant» du premier vers chanté, son qui assone avec la rime féminine qui suit (« abondance »). Ensuite des couples différents en –ume et –irs, et une fin qui reprend la rime du premier ensemble (prospérité // agité) en la combinant avec la rime en –ance déjà apparue : Ainsi sur 22 vers, 7 rimes seulement.

De même le dernier ensemble exactement identique de 22 vers se manifeste par la répétition de vers entiers ; c’est ce qui explique que les rimes sont peu nombreuses : aspect de litanie, de prière et de communion dans une même foi.
Le sujet de tout cet ensemble est de dénoncer le faux bonheur de l’impie.

Premier mouvement :

la fausse gloire (délectation du monde et de la chair) et ses douceurs apparentes (cf. « apparaissent, espère, semble ») : c’est l’ordre de la terre : les jours charmants, l’or des vêtements. « Son orgueil est sans borne ainsi que sa richesse » : les deux noms qui encadrent l’alexandrin s’expliquent l’un par l’autre : la richesse engendre l’orgueil ; et cette description se poursuit par tout ce qui est épargné au méchant « Jamais l’air n’est troublé de ses gémissements » (remarquer le caractère absolu des affirmations : sans borne, jamais). Cependant la rime gémissements/instruments fait apparaître le mot « gémissement (qui annonce la suite) et peut-être les futurs gémissements causés par les instruments de torture. Le méchant a l’impression d’une parfaite liberté « il s’endort, il s’éveille/ Son cœur nage dans la mollesse... » Cette douceur de vivre est qualifiée péjorativement de « mollesse » de même le verbe « nager dans » avec le cœur pour sujet est une condamnation vigoureuse de cette délectation.

Une autre israélite poursuit la description e l’apparence, avec une allusion à Aman, le riche, le père de nombreux enfants: prospérité et postérité assurées: «Il espère revivre en la postérité » (point de vue qui n’est pas celui d’un chrétien : résurrection des corps eux-mêmes, et non pas vie à travers la descendance)

« Et d’enfants à sa table une riante troupe
Semble boire avec lui la joie à pleine coupe

Belle exploitation du jeu abstrait/concret: une description concrète d’un festin, mais l’expression « boire à pleine coupe » (particulièrement adaptée en cette circonstance) s’applique à la joie.
Le chœur alors se met à chanter. La rime nasale revient et cette fois combinée avec la même nasale féminine :

-ssant /ance l’assonance se doublant de l’allitération en sifflantes : résultat : harmonie et fluidité. Ces quatre vers sont l’antithèse entre une apparence (« dit-on ») et ce qu’est la réalité : heureux/plus heureux, et d’un côté un écoulement (coulent avec abondance) et de l’autre un peuple « innocent qui amis en dieu sa confiance : une stabilité qui va permettre le passage de la description de l’insatisfaction de l’impie : car s’il y a écoulement, il y a mouvement et donc disparition, à l’inverse de la confiance qu’on met en Dieu.

Deuxième mouvement :

description du malheur de l’impie : la délectation de al chair n’apporte que désillusions

Pour contenter ses frivoles désirs
L’homme insensé vainement se consume
Il trouve l’amertume
Au milieu des plaisirs

Ce sont là des rimes neuves, et isolées et on remarque d’autant plus ce quatrain important : on passe des plaisirs (qualifiés de frivoles) à l’amertume (cf. contradiction des causes secondes dans La Providence de Bossuet) : le décasyllabe montre l’effort long et stérile de l’insensé, alors que la désillusion vient ensuite rapidement (les deux hexasyllabes) Noter la place du mot « amertume » entre « désirs » et « plaisirs » : jamais de bonheur pur (l’amertume reprend la métaphore de la joie bue à pleine coupe)

L’autre israélite prend la parole et est encore plus précise : instabilité et angoisse de la vie du méchant : noter l’antithèse aux rimes : félicité/agité et innocence/inconstance : contradiction du bonheur des méchants dont le bonheur est toujours « agité : thème baroque et chrétien de l’inconstance du monde.

Par suite les prières qui vont s’énoncer comme des béatitudes, pour évoquer le bonheur en Dieu : la stabilité, une lumière éternelle, qui procure de la douceur au lieu de l’amertume, et jamais de dégoût ni de satiété : une « beauté toujours nouvelle » : délectation du cœur, de Dieu et de la grâce. Lyrisme pur : des exclamations sans verbe (pas de temps : éternité) et retour des mêmes vers et donc des mêmes sonorités(è/el) : comme une ouverture à l’infini ; et entre le retour du refrain, nouvelle évocation du méchant, donc d’Aman

Nulle paix pour l’impie. Il la cherche, elle fuit...

Le premier hémistiche est sans verbe , et le second en a deux qui expriment ce que dit le premier hémistiche : aucun repos, une quête vaine (contradiction entre chercher et fuir)et passage du bonheur à l’insatisfaction éternelle : « Et le calme en son cœur ne trouve point de place » les sonorités disent bien cette torture : le calme n’a pas de place dans son cœur ; perpétuelle inquiétude prise au sens propre parce que le méchant est occupé à la poursuite de biens éphémères sujets à disparaître.

Le glaive au dehors le poursuit
Le remords au dedans le glace

Ici le glaive est toujours sur lui (à opposer au glaive d’Aman sur les jeunes filles plus haut) : quête, dérobade, poursuite, et au-dedans une stabilité qui est celle de la mort : l’immobilité du froid : le cœur est glacé, c’est la mort éternelle (qui s’oppose à la vie éternelle en Dieu). Deux images magnifiques où toujours l’abstrait s’illumine d’un caractère concret (et rythme haletant de l’octosyllabe)

Le bonheur des méchants est donc doublement transitoire : sur terre, ils ne sont pas heureux « La gloire des méchants en un moment s’éteint » Le mot du début de la scène revient : nous sommes dans ce «moment» où la gloire du méchant s’éteint, dans ce moment de renversement, et dans le ciel puisqu’il est voué à une mort éternelle : « L’affreux tombeau pour jamais le dévore » (un vrai « sarcophage ») aucune résurrection cf. le « pour jamais » (alors qu’il suffit « d’un moment » pour perdre sa gloire sur terre).

Parti de l’opposition ombre/lumière, (nuit du monde où Dieu se cache/ éclat du roi et d’Aman) le chœur aboutit au renversement : nuit éternelle des méchants/ renaissance des justes.
La prière a accompli sa fonction : d’une part elle a manifesté un appel à Dieu ; d’autre part elle a rendu confiance, et montré par là la puissance de Dieu.

Ainsi le chœur montre en même temps la présence –latente – de Dieu et la force que donne la prière.

Conclusion

- Science du lyrisme : merveilleuse harmonie
- Présence d’un lexique simple avec des images qui concrétisent toujours une abstraction (cf. la Bible) Racine, très bon traducteur de ces tournures propres à la langue hébraïque
- Un mélange d’une vision juive et d’une vision chrétienne : juive, pour la quête du sens, la volonté d’avoir une lecture sûre de ce début de « miracle », Esther vue comme l’histoire d’un dieu caché et présent mais que l’infidélité de son peuple a contraint à ne plus apparaître ; et chrétienne à cause de la prière dite pour être sauvé par Dieu comme pour affirmer la foi dans la résurrection, enfin à cause du thème des deux délectations.

Donc une prière pour assurer Dieu et soi-même de sa foi.

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